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Etude réalisée par Sarah Dindo ; les alternatives à la détention

Mise en ligne : 10 février 2007

Texte de l'article :

COMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L’HOMME

LES ALTERNATIVES
A LA DETENTION

Etude réalisée par Sarah Dindo

Sommaire
Introduction
- Des recommandations européennes
- Des politiques pénales duales
- Définition du champ d’étude
1ERE PARTIE : RECOURS AUX MESURES ALTERNATIVES PAR LES MAGISTRATS, BILAN ET PRECONISATIONS PAR PHASE PENALE
A/ PHASE PRESENTENCIELLE : MEDIATION PENALE ET ALTERNATIVES A LA DETENTION PROVISOIRE
1- ALTERNATIVES AUX POURSUITES
 1-1 Des alternatives au classement sans suite
 a) un vent de pénalisation
 b) avantages et effets pervers des alternatives aux poursuites
 1-2 La médiation pénale
 a) définition et champ d’application en droit français
 b) d’importantes possibilités d’extension
2- ALTERNATIVES A LA DETENTION PROVISOIRE
 2-1 Recours à la détention provisoire et aléas législatifs
 a) un usage excessif de la détention provisoire
 b) évolutions législatives
 c) critères et durée de la détention provisoire
 2-2 Contrôle judiciaire et moyens alternatifs
 a) champ d’application et usage du contrôle judiciaire
 b) obstacles au développement du contrôle judiciaire
 c) l’enquête sociale : un secteur en détresse
B/ PHASE SENTENCIELLE : MODES DE JUGEMENT ET PEINES ALTERNATIVES
1- EXTENSION DE LA COMPARUTION IMMEDIATE : UN MOUVEMENT DEFAVORABLE AUX PEINES ALTERNATIVES
 1-1 Une justice expéditive pour des faits de plus en plus graves
 a) un champ d’application étendu
 b) une procédure malmenant les droits de la défense
 1-2 Une procédure pourvoyeuse d’incarcérations
 a) adapter la gestion des moyens à la sévérité des peines
 b) favoriser l’utilisation des peines alternatives et aménagements
 c) enrayer l’inflation de saisines par les Parquets
2- PEINES ALTERNATIVES : DECISION ET MISE A EXECUTION
 2-1 Les peines probatoires
 a) sursis avec mise à l’épreuve
 b) ajournement avec mise à l’épreuve
 2-2 Le travail d’intérêt général
 a) champ d’application
 b) une prise de décision facilitée
 2-3 Les peines pécuniaires
 a) amende simple
 b) jours-amende
 2-4 De nouvelles peines alternatives ?
 a) création de nouvelles peines
 b) manque d’inventivité ou de moyens d’exécution ?
C/ PHASE POSTSENTENCIELLE : LES AMENAGEMENTS DE PEINE
1- UN BILAN DE L’UTILISATION DES AMENAGEMENTS DE PEINE
 1-1 Des aménagements d’exception
 a) les raisons de l’enlisement
 b) des réformes dans effet majeur
 1-2 Permissions de sortir, placement à l’extérieur et semi-liberté
 a) les permissions de sortir
 b) le placement à l’extérieur
 c) la semi-liberté
 1-3 Le placement sous surveillance électronique
 a) le bracelet électronique fixe en plein essor
 b) des réticences face à l’arrivée du bracelet électronique mobile
 1-4 La libération conditionnelle
 a) une mesure en baisse en dépit de son efficacité
 b) explications d’une crise
2- AMENAGEMENT DES COURTES PEINES, SYSTEME PROGRESSIF D’EXECUTION DES PEINES ET LIBERATION ET LIBERATION CONDITIONNELLE D’OFFICE
 2-1 Exécution des courtes peines en milieu ouvert
 a) courtes peines prononcées et exécutées
 b) généraliser l’examen systématique par le juge de l’application des peines
 2-2 L’aménagement progressif des moyennes et longues peines
 a) l’unanimité autour de la nocivité des « sorties sèches »
 b) un aménagement progressif jusqu’à la libération conditionnelle
 c) l’obstacle de l’allongement des peines et des périodes de sûreté
 2-3 Vers un système de libération conditionnelle d’office
 a) modèles discrétionnaire, d’office ou mixte
 b) des objections au système de LC d’office
2EME PARTIE : EXECUTION DES MESURES ALTERNATIVES : OUTILS ET MOYENS DU MILIEU OUVERT
A/ CONTENU ET QUALITE DES MESURES ALTERNATIVES
1- DEFINITION D’UN TRAVAIL DE PROBATION EFFICACE
 1-1 Du Nothing Works au What Works
 a) les enseignements de la criminologie internationale
 b) une seule étude en France
 1-2 Le savoir empirique des services de probation
 a) le travail sur le passage à l’acte
 b) l’accompagnement social
2- LE CONTENU NEGLIGE DES MESURES ALTERNATIVES
 2-1 Du désintérêt au productivisme
 a) des mesures dont la seule fonction serait « alternative » ?
 b) une tendance à préférer le quantitatif au qualitatif
 2-2 TIG : l’exemple d’une bureaucratisation
 a) une mesure dévoyée
 b) un difficile partenariat
 c) un TIG à rénover
 2-3 Les premiers pas des programmes thématiques
 a) les balbutiements d’une pratique
 b) du côté des obstacles...
3- UNE PRATIQUE « ARTISANALE »
 3-1 Un manque de méthode et d’outils professionnels
 a) l’apparition de l’écrit
 b) une culture professionnelle peu développée
 3-2 Un manque d’évaluation et de recherche criminologique
 a) culture et pratiques d’évaluation
 b) une recherche criminologique en berne
B/ CREDIBILITE ET MOYENS DU MILIEU OUVERT
1- UN SUIVI SOCIO-EDUCATIF PLUS SOUTENU ?
 1-1 Effectivité de la prise en charge des mesures
 a) une situation connue et reconnue
 b) un système de suivi différencié
 1-2 Fréquence des entretiens et intensité du suivi
 a) développer les possibilités de suivi intensif
 b) un manque d’effectifs pour l’exécution des mesures
2- CONTROLE DES OBLIGATIONS
 2-1 Des obligations en partie contrôlées par les SPIP
 a) contrôle et accompagnement, deux dimensions indissociables
 b) des obligations inégalement contrôlées
 2-2 Renforcer la dimension de contrôle
 a) les possibilités d’intégrer d’autres personnels
 b) un système de surveillance intensive ?
 c) la sanction du non-respect des obligations
3- L’ORGANISATION DU MILIEU OUVERT
 3-1 Des SPIP en voie de consolidation
 a) une création inachevée
 b) des partenariats indispensables
 3-2 L’appel aux associations extérieures
 a) le présentenciel délégué au secteur associatif
 b) l’exécution des mesures pénales : une mission régalienne
Annexes
- Avis sur les « alternatives à la détention », adopté par la CNCDH le 14.12.06
- Bibliographie
- Auditions et autres contributions.
 
Glossaire
AME. Ajournement avec mise à l’épreuve. Mesure permettant à la juridiction de jugement de se prononcer sur la culpabilité et de reporter le prononcé de la sanction au terme d’un temps d’épreuve.
ANJAP. Association nationale des juges de l’application des peines.
AP. Administration pénitentiaire.
BEX. Bureau d’exécution des peines. Système mis en place par la loi du 9 mars 2004 permettant aux condamnés et aux victimes d’être renseignés dès la fin de l’audience sur la peine qui vient d’être prononcée. Il délivre au condamné les premières informations et convocations pour la mise à exécution de sa peine.
CESDIP. Centre d’études sociologiques sur le droit et les institutions pénales. Créé en 1983, le CESDIP est à la fois un laboratoire du CNRS et un service de recherches du ministère de la Justice.
CI. Comparution immédiate. Procédure correctionnelle de jugement rapide. Elle peut être utilisée pour juger tout délit passible d’une peine allant jusqu’à 10 ans de prison.
CIP. Conseiller d’insertion et de probation. Travailleur social de l’Administration pénitentiaire, exerçant en milieu fermé et/ou en milieu ouvert.
CMP. Centre médico-psychologique.
CJSE. Contrôle judiciaire socio-éducatif. Contrôle judiciaire avec obligation de se soumettre à des mesures socio-éducatives destinées à favoriser l’insertion sociale et à prévenir la récidive.
COPJ. Convocation par officier de police judiciaire. Procédure rapide par laquelle le parquet donne l’autorisation à l’officier de police judiciaire de délivrer immédiatement au mis en cause une convocation à comparaître devant le tribunal de police ou le tribunal correctionnel.
CP. Code pénal.
CPAL. Comité de probation et d’assistance aux libérés. Service pénitentiaire chargé du milieu ouvert avant la création des SPIP en 1999.
CPP. Code de procédure pénale.
CHRS. Centre d’hébergement et de réinsertion sociale. Structure comportant généralement un hébergement assurant l’accueil en urgence, ainsi qu’une aide à l’insertion sociale et professionnelle des personnes en grande difficulté. 
DACG. Direction ou directeur des Affaires criminelles et des grâces.
DAP. Direction ou directeur de l’Administration pénitentiaire.
JAP. Juge de l’application des peines. Instauré en 1958, le juge de l’application des peines intervient une fois la peine prononcée pour fixer les modalités d’exécution des peines d’emprisonnement et des peines alternatives.
JLD. Juge des libertés et de la détention. Juge du siège (président, premier vice-président ou vice-président) compétent pour ordonner le placement en détention provisoire ou sa prolongation pendant la phase d’instruction, ainsi qu’examiner les demandes de mise en liberté.
LC. Libération conditionnelle. Mesure instaurée en 1885 permettant la libération anticipée d’un condamné dans le cadre d’un régime d’assistance et de contrôle.
NPAP. Nouvelle procédure d’aménagement de peine. Procédure instaurée par la loi du 9 mars 2004 prévoyant que le SPIP doit examiner les possibilités d’aménagement de peine pour les condamnés à des peines moins de 5 ans proches de leur fin de peine. Le SPIP peut proposer au JAP une semi-liberté, un placement extérieur ou une surveillance électronique.
PSE. Placement sous surveillance électronique. Mesure créée en 1997 et mise en œuvre à partir de 2000, impliquant pour le condamné de porter un bracelet électronique et de ne s’absenter de son domicile qu’à certaines heures fixées par le juge, sous peine de déclencher un système d’alarme.
PSEM. Placement sous surveillance électronique mobile. Introduit par la loi du 12 décembre 2005, le PSEM peut être prononcé dans le cadre d’une libération conditionnelle, d’un suivi socio-judiciaire ou d’une surveillance judiciaire à l’encontre de personnes condamnées à une peine de prison d’au moins 7 ans et estimées « dangereuses ». Il permet d’identifier tous les déplacements de la personne a posteriori.
RP. Réduction de peine.
SEAT. Service éducatif auprès du tribunal. Il assure la permanence éducative auprès du tribunal pour enfants. A chaque fois qu’un mineur délinquant est présenté devant le juge, le SEAT est saisi pour présenter une proposition éducative.
SL. Semi-liberté. Mesure permettant à un condamné d’exercer des activités à l’extérieur le jour et de réintégrer le soir et le week-end un quartier spécifique d’une maison d’arrêt.
SME. Sursis avec mise à l’épreuve. Peine instituée en 1958 permettant la suspension de l’exécution d’une peine d’emprisonnement sous conditions de respecter un certain nombre d’obligations durant un temps d’épreuve.
SPIP. Service pénitentiaire d’insertion et de probation. Les 103 SPIP sont chargés du suivi et du contrôle des personnes en milieu ouvert qui leur sont adressées par l’autorité judiciaire, ainsi que de la réinsertion sociale et la préparation de la sortie des détenus.
SRAIOPS. Service régional d’accueil d’information et d’orientation pour les personnes sortantes. Service intégré au sein du SPIP de Paris chargé d’offrir une aide sociale aux sortants de prison sans mesure judiciaire de toute la région Ile-de-France pendant les six mois qui suivent leur libération.
TAP. Tribunal de l’application des peines.
TIG. Travail d’intérêt général. Créé en 1983, le TIG est une peine consistant à accomplir un travail non rémunéré au profit d’une collectivité, d’un établissement public ou d’une association, pour une durée de 40 à 210 heures.
TGI. Tribunal de grande instance.
TTR. Traitement en temps réel.
USM. Union syndicale des magistrats. Premier syndicat représentatif des magistrats (centre).
 
Introduction
Dans le cadre de son étude portant sur « Les droits de l’homme dans la prison », la COMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L’HOMME s’était engagée à poursuivre sa réflexion sur la question du « développement des alternatives à l’incarcération » . En effet, autant la prison peut être reconnue comme efficace pour mettre à l’écart et neutraliser, autant elle est le plus souvent contre-productive en termes de réinsertion et de prévention de la récidive. Même envisagé dans le respect des droits des personnes, l’emprisonnement demeure par essence une sanction particulièrement privative de droits fondamentaux, sujette à des critiques récurrentes pour ses effets désocialisants et criminogènes. Comme l’expliquait la Commission en 2002, dans ses Réflexions sur le sens de la peine, ces critiques font comprendre « à quel point les peines de prison [peuvent], du point de vue même de l’efficacité en termes d’ordre public, se révéler fortement contre-productives » . Dès lors, il apparaît que la détention doive être réservée aux cas extrêmes pour lesquels une neutralisation est nécessaire, et les alternatives développées dans les autres cas. Une société souhaitant rapprocher son système pénal des principes fondamentaux des droits de l’homme, et visant à mieux protéger la sécurité publique en vertu d’une approche pragmatique, recherche ainsi les moyens de développer et crédibiliser des mesures alternatives à la détention. Les instances européennes encouragent régulièrement les Etats membres à s’engager dans une telle direction.
Des recommandations européennes. Dans sa résolution du 17 décembre 1998, le PARLEMENT EUROPEEN regrette « le faible recours aux peines de substitution, particulièrement applicables aux peines inférieures à un an, immensément majoritaires dans la quasi-totalité des pays de l’Union ». Le Parlement se déclare « favorable à l’extension, dans les différents systèmes, des mesures alternatives à la prison et des peines de substitution comme moyens souples d’assurer l’exécution des peines ». Dès lors, il « insiste pour que les peines substitutives à la privation de liberté soient appliquées chaque fois que la sécurité des biens et des personnes le permet ». Il invite « les pouvoirs publics à recourir aux régimes de semi-liberté ou d’exécution des peines en milieu ouvert sur la base de critères précis et codifiés », ainsi qu’à « faire en sorte que ces régimes puissent être appliqués dans un climat de sécurité pour les citoyens et de responsabilité des condamnés » .
De son côté, le Comité des ministres du CONSEIL DE L’EUROPE s’est particulièrement engagé dans la promotion des alternatives à la détention, qui présentent selon lui « une réelle utilité, aussi bien pour le délinquant que pour la communauté, puisque le délinquant est à même de continuer à exercer ses choix et à assumer ses responsabilités sociales ». Ainsi, le Conseil estime que l’exécution des sanctions pénales « au sein de la communauté plutôt que par un processus de mise à l’écart peut offrir à long terme une meilleure protection de la société, en sauvegardant naturellement les intérêts de la ou des victimes » . Dans sa recommandation concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale adoptée le 30 septembre 1999, le CONSEIL DE L’EUROPE préconise un ensemble de dispositions visant à réorienter la politique pénale vers un moindre recours à l’enfermement. Le Conseil estime que « la privation de liberté devrait être considérée comme une sanction ou une mesure de dernier recours et ne devrait dès lors être prévue que lorsque la gravité de l’infraction rendrait toute autre sanction ou mesure manifestement inadéquate ». Il considère que l’extension du parc pénitentiaire « devrait être plutôt une mesure exceptionnelle, puisqu’elle n’est pas, en règle générale, propre à offrir une solution durable au problème du surpeuplement ». Le CONSEIL DE L’EUROPE invite les Etats à « inciter les procureurs et les juges à recourir aussi largement que possible » aux mesures alternatives à la détention, dites « sanctions et mesures appliquées dans la communauté ». Il encourage également les pays membres à « examiner l’opportunité de décriminaliser certains types de délits ou de les requalifier de façon à éviter qu’ils n’appellent des peines privatives de liberté » .
Des politiques pénales duales. En réponse aux recommandations des instances européennes, les autorités françaises ont le plus souvent adopté une attitude ambivalente, encourageant d’un côté le recours à l’incarcération comme unique réponse pénale face à des faits qu’elles souhaitent réprouver publiquement, allant jusqu’à dénoncer l’absence d’emprisonnement comme s’il s’agissait d’une absence de sanction. D’un autre côté, les gouvernants de tous bords souhaitent également, mais plus discrètement, un développement des mesures alternatives à la détention, dont ils connaissent les vertus en termes de prévention de la récidive et de moindre coût financier.
La dernière législature illustre parfaitement cette tendance à la dualisation des politiques pénales. Elle a ainsi été marquée, dans un premier temps, par une hausse rapide du nombre de détenus (qui a atteint le record, depuis 1945, de 64 813 au 1er juillet 2004) ainsi que par la mise en chantier d’un vaste programme d’augmentation de la capacité du parc pénitentiaire (plus de 13 000 places). La tendance au durcissement de la répression pénale s’est manifestée à travers plusieurs lois, depuis la loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice renforçant notamment les possibilités de placement en détention provisoire, jusqu’à celle du 12 décembre 2005 sur le traitement de la récidive des infractions pénales, cherchant à systématiser les peines de prison pour les récidivistes, notamment en supprimant la possibilité d’un troisième sursis avec mise à l’épreuve. De nouvelles incriminations et circonstances aggravantes ne cessent de s’accumuler, dans le cadre d’un « mouvement de pénalisation qui frappe quasiment tous les secteurs de la vie sociale », comme le regrettait déjà la CNCDH en 2002 .
Parallèlement, le ministère de la Justice a manifesté un intérêt particulier pour un développement des peines alternatives et des aménagements de peine, par le biais d’un volet de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la Justice aux évolutions de la criminalité visant à faciliter la mise à exécution de ces mesures et à renforcer leur crédibilité, à augmenter les pouvoirs du juge de l’application des peines et les moyens dévolus aux services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) chargés de leur mise en oeuvre. A l’occasion de sa rencontre avec le CONSEIL DE L’EUROPE à Strasbourg, le garde des Sceaux a déclaré, le 22 mai 2006, que « les valeurs du Conseil de l’Europe sont celles de la France » . Lors de sa visite à la maison d’arrêt de Chartres le 14 avril 2006, le ministre de la Justice a insisté « sur l’importance qu’[il] accorde aux alternatives à la détention et aux aménagements de peine » et estimé que « la prison doit être réservée aux faits les plus graves, ceux qui portent atteinte à la personne, ceux qui mettent en péril le pacte social » . Cette affirmation a donné lieu le 27 avril 2006 à la diffusion d’une circulaire invitant les Parquets et les juges du siège à requérir et prononcer davantage de mesures alternatives, y compris dans le cadre des comparutions immédiates, en insistant sur leurs mérites en matière de « prévention de la récidive par un accompagnement socio-éducatif », d’« individualisation de la peine » et de « prise en compte de l’intérêt des victimes » .
A la recherche de la cohérence. Ces déclarations et instructions contradictoires, sur une durée très brève, entraînent une insécurité juridique croissante, aggravée par l’extrême complexité des textes adoptés, que la Commission a déploré à propos du projet de loi sur le traitement de la récidive : « La CNCDH a, à plusieurs occasions, affirmé son attachement à un système procédural cohérent et stable, accessible aisément aux citoyens comme aux professionnels ; or elle relève que la proposition de loi en cours de discussion entend d’ores et déjà réformer certains textes très récents, comme, par exemple, des dispositions issues de la loi du 9 mars 2004, relatives à l’application des peines, qui viennent d’entrer en vigueur le 1er janvier 2005 (article 5 du texte) ; cette instabilité de notre procédure pénale et de notre droit pénal ne peut que rendre toujours plus difficile l’accès à la règle de droit, condition d’un procès équitable » . Les variations de textes et de discours ne permettent pas de dégager une politique pénale stable et lisible, en premier lieu pour les magistrats, auxquels il est fait grief, un jour d’utiliser la détention de façon abusive, et le lendemain d’incarcérer trop peu. Or, le développement d’une politique pénale efficace et compréhensible nécessite au plus haut point cohérence et pédagogie.
S’agissant du milieu ouvert, une démarche de communication pédagogique de la part des responsables politiques, des professionnels de terrain, ainsi que des médias, fait particulièrement défaut. Alors que 75 % des personnes placées sous main de justice sont suivies en milieu ouvert et non en milieu fermé, les mesures alternatives à la détention demeurent largement méconnues du grand public. Dès lors, elles sont souvent perçues comme des faveurs accordées aux auteurs d’infractions, alors qu’il s’agit de mesures véritablement contraignantes, obligeant les contrevenants à respecter des obligations, s’interroger sur leurs actes et remettre en cause leur mode de vie. Peu de personnes savent que le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) est aujourd’hui le seul espace judiciaire dans lequel les auteurs d’infraction sont amenés à effectuer un travail de prise de conscience sur leur passage à l’acte, ses facteurs déclencheurs et ses conséquences. De même, les Français sont rarement informés des meilleurs résultats des peines alternatives en terme de récidive que ceux de la peine d’emprisonnement. Quant au débat public autour de la libération conditionnelle, il se résume le plus souvent aux rares cas de récidive les plus tragiques, à l’occasion desquels l’action de la justice se voit stigmatisée. Pourtant, l’ensemble des spécialistes et responsables politiques savent que la libération conditionnelle représente la mesure permettant le mieux de prévenir la récidive des sortants de prison. Le contribuable se voit également peu informé du coût largement supérieur d’une journée de détention ou de la construction d’une place de prison par rapport à celui d’une mesure alternative. Enfin, dans une société médiatique ne souffrant pas la complexité, le domaine des mesures alternatives à la détention apparaît insuffisamment attractif, quand l’emprisonnement incarne pour sa part avec force et simplicité la symbolique de la réprobation sociale. La définition même des mesures alternatives à la détention ne va pas de soi, alors que celle de l’emprisonnement ne nécessite pas d’explication.
Définition du champ d’étude. Toute réflexion sur les alternatives à la détention se heurte à la difficulté de délimiter un champ d’étude, face à une variété de définitions et d’approches. Nombre d’entre elles se concentrent sur le moment de la sanction, évoquant uniquement les peines dites « alternatives » ou « de substitution » à l’emprisonnement. Ces définitions n’intègrent pas les mesures permettant d’éviter un placement en détention provisoire avant le procès, ni celles permettant de libérer la personne sous contrainte avant la fin de sa peine (aménagements de peine). La CNCDH a choisi pour sa part d’aborder la question en son sens le plus large, en traitant de façon globale de l’ensemble des mesures pénales permettant d’éviter ou de raccourcir une incarcération, aussi bien avant le procès, qu’au moment de la sentence, ou après la condamnation. Dès lors, le terme retenu pour la présente étude est celui d’ « alternatives à la détention », comprenant les mesures alternatives à la détention provisoire (contrôles judiciaires), les peines alternatives, à savoir celles sans prison ferme (travail d’intérêt général, sursis avec mise à l’épreuve...), et les aménagements de peine (placement extérieur, semi-liberté, libération conditionnelle, bracelet électronique...).
Cette approche globale trouve son sens dans les observations des chercheurs, qui estiment, à l’instar de Pierre V. TOURNIER, que « la question des alternatives à la détention ne peut pas se réduire aux ‘peines alternatives’, toute une série d’enjeux se jouant avant et après le prononcé de la sanction ». Auteur d’une « typologie des alternatives à la détention », il distingue les différentes mesures « selon qu’elles permettent d’éviter l’entrée en prison ou de réduire la durée de détention. Les premières concernent presque uniquement des délits, tandis que les secondes concernent également les crimes ». Une troisième catégorie intègre « des mesures qui permettent que les détenus se trouvent à l’extérieur mais sans levée d’écrou, comme la semi-liberté, les permissions de sortir ou les placements à l’extérieur. Ces dernières ne font pas diminuer le nombre de détenus mais les personnes en bénéficiant sont mieux préparées à un retour à l’extérieur. Le développement de ces mesures intermédiaires favorise celui des libérations anticipées, qu’elles précèdent dans de nombreux cas. Ainsi, ces trois catégories de mesures sont liées et font système. Jouer sur l’une, c’est également agir sur l’autre » . En outre, les criminologues européens estiment que seule une action cohérente à tous les stades de la chaîne pénale est à même d’agir de façon significative et durable sur les taux de détention. Ainsi, les mesures alternatives ne pourraient réussir à « courber l’évolution de la population pénitentiaire que si l’ensemble de la politique criminelle tend vers le même but, à tous les niveaux » .
Pour autant, l’étude de la CNCDH ne traite pas en détails de chacune de ces mesures, tant la liste est longue. Ainsi, des mesures présentencielles telles que les alternatives aux poursuites ont été mises de côté, à l’exception de la médiation, car elles ne semblent pas à même d’agir sur les incarcérations. En phase sentencielle, l’étude se concentre sur le sursis avec mise à l’épreuve et non le sursis simple, le premier se rapprochant davantage d’une véritable peine impliquant le respect d’obligations et un suivi en milieu ouvert. L’étude ne s’attarde pas non plus sur le système de réductions de peine ou les mesures de grâce. A chaque étape, ont ainsi été privilégiées les dimensions d’individualisation et de suivi socio-éducatif des mesures, dans l’optique du CONSEIL DE L’EUROPE et de son concept de « sanctions et mesures appliquées dans la communauté ».

Autres définitions des mesures alternatives
Approche juridique. Les mesures alternatives à la détention ne sont pas rassemblées sous une même dénomination par les juristes. La plupart d’entre eux font référence aux seules « peines alternatives », qui peuvent être « prononcées par le juge à titre principal pour remplacer l’une des peines principales légalement encourues » . Cette définition inclut les peines correctionnelles autres que l’emprisonnement, à savoir le jour-amende, le stage de citoyenneté, le travail d’intérêt général, les peines privatives ou restrictives de droits de l’article 131-6 du Code pénal et les peines complémentaires de l’article 131-10 (art. 131-3 du Code pénal). Les différentes formes de sursis sont généralement écartées de cette catégorie. C’est dans une section du nouveau Code pénal intitulée « modes de personnalisation des peines » que sont en effet intégrés le sursis simple, le sursis avec mise à l’épreuve et le sursis assorti de l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général (TIG) aux côtés de la semi-liberté, du fractionnement des peines, de la dispense et de l’ajournement de peine.
Mesures appliquées en milieu ouvert. Le CONSEIL DE L’EUROPE adopte pour sa part la dénomination de « mesures et sanctions appliquées dans la communauté ». Il s’agit des « sanctions et mesures qui maintiennent le délinquant dans la communauté et qui impliquent une certaine restriction de sa liberté par l’imposition de conditions et/ou d’obligations » . Elles peuvent intervenir avant la condamnation, à sa place, ou comme modalité d’exécution d’une peine d’emprisonnement, mais doivent comporter une prise en charge et/ou un contrôle par un organisme spécialisé. Ainsi, les peines d’amende ou de sursis simple ne sont-elles pas intégrées dans cette catégorie. Cette définition privilégie la dimension qualitative des mesures, à savoir si elles comportent un suivi des personnes prévenues ou condamnées. L’adoption stricte de cette définition a néanmoins pour principal inconvénient de laisser de côté la majorité des mesures prononcées à titre de sanction en France (55 % des sanctions alternatives ne comportent pas de suivi) .
Le second choix concerne la méthode employée. L’étude ne formule pas une série de recommandations de principe, mais confronte l’usage des mesures alternatives au principe selon lequel l’enfermement devrait être utilisé comme mesure de dernier recours. De là, elle examine les différents obstacles au développement quantitatif des alternatives à la détention (1ère partie) ainsi qu’à une amélioration de leur contenu et de leur crédibilité (2ème partie). Dans la plupart de ses préconisations, l’étude se réfère à des « bonnes pratiques », qui ont déjà fait leurs preuves à l’étranger ou dans certains services de probation en France.
La première partie de l’étude est consacrée à un bilan du recours aux mesures alternatives par les magistrats à chaque phase du processus pénal (présentencielle, sentencielle, post sentencielle). Elle examine les différentes possibilités d’extension des mesures alternatives : utilisation de la médiation pénale après les poursuites, renforcement du contrôle judiciaire, prononcé de peines alternatives dans le cadre de la comparution immédiate, extension du champ d’application du sursis avec mise à l’épreuve, relance du travail d’intérêt général, généralisation de l’examen des courtes peines par le juge de l’application des peines, mise en place d’un système d’aménagement progressif des moyennes et longues peines, introduction d’un système de libération conditionnelle d’office...
La deuxième partie effectue un bilan qualitatif de la mise en œuvre des mesures alternatives par les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). Le travail de probation en France est comparé aux enseignements de la criminologie internationale, qui a établi des critères d’une intervention efficiente sur les trajectoires délinquantes. Les obstacles à une amélioration du contenu et de la crédibilité des mesures alternatives sont identifiés : manque d’outils professionnels, de système d’évaluation et de diffusion des « bonnes pratiques », insuffisance chronique des moyens, contrôle des obligations insuffisant, déficit de communication institutionnelle et manque de coopération entre les différentes professions.
 
1ERE PARTIE 
Recours aux mesures alternatives par les magistrats,
bilan & préconisations par phase pénale
A chaque phase du processus pénal, un magistrat peut se trouver en position de choisir entre l’enfermement et une mesure alternative. Quels sont les facteurs juridiques à même d’influencer ce choix en faveur de l’alternative dans un plus grand nombre de cas ? Quels sont les obstacles auxquels se heurte un juge qui souhaiterait éviter une détention ? Telles sont les questions auxquelles cette première partie tente de répondre dans le cadre des phases présentencielle (avant le procès), sentencielle (au moment de la condamnation) et post sentencielle (une fois la peine prononcée). Elle examine le cadre juridique entourant la décision de recourir ou non à une mesure alternative, ainsi que les possibilités d’élargir le champ d’application de certaines mesures.
A/ PHASE PRESENTENCIELLE : MEDIATION PENALE ET ALTERNATIVES A LA DETENTION PROVISOIRE
L’évolution de la justice depuis le début des années 1990 renforce indéniablement l’activité présentencielle. En premier lieu, le développement très important des mesures dites d’« alternatives aux poursuites » vient étendre le rôle du Parquet, jusqu’au prononcé de mesures ressemblant à s’y méprendre à des peines (composition pénale). Ces mesures n’ont en réalité pas véritablement vocation à éviter des poursuites, et encore moins des emprisonnements, mais à accroître le taux de réponse pénale en réduisant la part des classements sans suite. Cette fonction ne leur retire pas tout intérêt, car elles peuvent renforcer la crédibilité de la justice et avoir une véritable fonction de prévention de la récidive. Néanmoins, elles n’intègrent que marginalement le champ des alternatives à la détention, raison pour laquelle elles feront ici l’objet d’un traitement rapide, à l’exception de la médiation pénale. En effet, cette mesure atypique recèle d’importantes possibilités de développement, y compris pour des infractions graves, avec un impact possible sur l’emprisonnement. Au stade présentenciel, nous concentrerons davantage notre attention sur les façons de réduire le recours à la détention provisoire et de lui substituer le contrôle judiciaire, notamment dans sa forme socio-éducative. En dépit de nombreuses tentatives de réforme, le taux de détention provisoire demeure élevé, puisque près de 34 % des personnes détenues ne sont pas encore définitivement jugées . La diminution de la détention provisoire constitue ainsi l’un des objectifs de politique pénale les plus régulièrement réitérés, mais aussi les plus mal atteints.
1 - ALTERNATIVES AUX POURSUITES
Alors qu’elles s’élevaient à 90 128 en 1996, les mesures alternatives aux poursuites, dites de « troisième voie », ont atteint le nombre de 388 916 en 2004 (hors composition pénale), pour constituer près de 30 % de la réponse pénale des Parquets. Les rappels à la loi en représentent presque la moitié, aux côtés de la médiation pénale auteur/victime, de la régularisation de la situation de l’auteur au regard de la loi, de l’orientation vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle, de la réparation du dommage résultant des faits et du suivi d’une formation ou d’un stage (dont les stages de citoyenneté et de sensibilisation à la sécurité routière).
1-1 - DES ALTERNATIVES AU CLASSEMENT SANS SUITE
Le développement d’alternatives aux poursuites répond en théorie aux recommandations du CONSEIL DE L’EUROPE, qui préconise que les Etats membres « appliquent le principe de l’opportunité des poursuites (ou des mesures ayant le même objectif) et recourent aux procédures simplifiées et aux transactions en tant qu’alternatives aux poursuites dans les cas appropriés, en vue d’éviter une procédure pénale complète » . Cependant, ces mesures sont en réalité conçues pour des infractions mineures qui auraient fait auparavant l’objet d’un classement sans suite. Dès lors, elles ne permettent pas d’éviter une procédure pénale complète, comme l’envisage le CONSEIL DE L’EUROPE, mais d’offrir un débouché à de plus en plus de contentieux. Pour Jacques FAGET, chargé de recherches au CNRS, ces nouvelles procédures viennent répondre à une crise du système judiciaire conçu « pour avoir des fonctions symboliques mais non pour faire front à un contentieux de masse ». Des phénomènes tels que la « surcharge du système, le taux sidérant de classement sans suite, l’ineffectivité des décisions pénales tant pour les auteurs que pour les victimes » ont ainsi constitué des facteurs déclencheurs de l’ouverture de cette « troisième voie ». Celle-ci s’inspire des théories de la « tolérance zéro », impliquant une réponse policière puis pénale face à tout acte délictueux, même le plus bénin, dans un objectif d’amélioration de l’image de la justice auprès du public. En conséquence, la réflexion des Parquets sur l’opportunité des poursuites s’efface au profit de la recherche d’une réponse systématique et rapide. Avec pour effet pervers d’étendre de plus en plus le champ de l’intervention pénale, dans le cadre d’un mouvement de pénalisation des comportements que la COMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L’HOMME (CNCDH) considère comme excessif.
a) Un vent de pénalisation
Les mesures alternatives aux poursuites s’inscrivent dans un mouvement plus global de pénalisation des comportements, la justice étant de plus en plus sollicitée et les nouvelles incriminations se multipliant. Si ces mesures constituent généralement des formes de réponses pénales novatrices, il est permis de se demander s’il est toujours du ressort de la justice pénale de répondre à un panel de plus en plus étendu de comportements posant problème à la société.
Les dérives vers un « tout pénal ». Dès 2002, la CNCDH s’est inquiétée dans ses « Réflexions sur le sens de la peine », du « mouvement de " pénalisation " qui frappe quasiment tous les secteurs de la vie sociale », se demandant « à partir de quel seuil (de gravité) et sur quels critères " passe-t-on au pénal " ? Pourquoi des troubles qui appelaient naguère d’autres réactions (procès civil ou administratif, débat politique, etc.) déclenchent-ils de plus en plus souvent la saisine du juge répressif ? ». Estimant que toute faute ne devait pas nécessairement relever du droit pénal, la Commission avait souligné les « risques d’une dérive vers le tout-juridique et, au sein du champ juridique, vers le tout-pénal : confondre le droit pénal, dans lequel le délinquant est face à la loi, avec le droit privé, dans lequel le fautif est face à la victime d’un préjudice, ce n’est pas seulement brouiller la cohérence du système juridique mais aussi affaiblir le lien social et l’ordre public que l’on prétend mieux servir » .
Ce constat est plus que jamais d’actualité. Jacques BEAUME, procureur de la République du tribunal de grande instance (TGI) de Marseille, estime ainsi que « nous sommes arrivés à un niveau insupportable de multiplication des infractions pénales et d’accumulation des circonstances aggravantes ». Il regrette que le moindre phénomène social qui dérange l’ordre public devienne « l’occasion de créer de nouveaux délits ». Selon lui, cette situation s’explique par le fait que « le Parlement se croit obligé d’afficher qu’il réagit face aux problèmes sociaux, sans pour autant se donner les moyens de véritablement les résoudre ». A titre d’exemple, il cite la création du délit de racolage, qui ne va selon lui pas faire disparaître un phénomène de prostitution qui nécessiterait « des solutions sociales, sanitaires, d’hébergement, afin de se dérouler dans des conditions ne troublant pas l’ordre public ». Il se demande également « à quoi sert de pénaliser les mineurs qui se rassemblent dans une cage d’escalier ? C’est certainement plus facile que de se demander ce qu’on peut faire avec ces jeunes désoeuvrés ». Et de s’exclamer : « D’ici peu, le chômage va devenir une infraction ! ». Une telle accumulation des priorités aboutit à une grande confusion en termes de répression pénale. Jacques BEAUME estime qu’il n’y a « plus aucune hiérarchie de valeurs dans notre droit pénal. Nous atteignons des surqualifications et des peines inimaginables pour des infractions mineures, et le même niveau de sanction pour des crimes relativement graves » .
Dominique BARELLA, représentant l’UNION SYNDICALE DES MAGISTRATS, regrette lui aussi que notre pays pénalise de plus en plus de comportements : « des réunions dans les halls d’immeubles au racolage passif, puis maintenant les téléchargements sur Internet. Va-t-on poursuivre les 800 millions de téléchargements annuels ? Il ne peut y avoir de politique pénale dans une société qui pénalise tout sans être capable de prononcer et exécuter les sanctions ». Il considère que chaque ministre devrait cesser de développer sa propre politique pénale, les interventions éparses ne concourant pas à établir une « politique pénale claire et cohérente » et « une exécution des peines intelligente ». Il demande que le ministère de la Justice définisse chaque année des orientations de politique pénale, qui seraient déclinées par chaque ressort sur la base des priorités établies. Les Parquets recevant 5 400 000 procédures par an pour une capacité de traitement de l’ordre de 600 000, il apparaît vain de multiplier les déclarations et circulaires indiquant que tel contentieux doit être traité en priorité. Pour Dominique BARELLA, il convient de définir une politique pénale en partant des capacités d’exécution des peines « pour remonter de l’exécution au jugement, et ensuite déterminer des orientations concernant l’enquête et les poursuites. Aujourd’hui, on procède à l’inverse. Des textes inapplicables sont votés. Ensuite, face au trop grand nombre d’affaires, on en classe certaines, on développe des alternatives aux poursuites, on en juge moins, on n’exécute pas toutes les décisions, et celles qui sont appliquées le sont dans de mauvaises conditions ». Il estime que si la France parvenait à définir de cette manière une politique pénale applicable et cohérente, « nous aurions moins de poursuites mais elles seraient de meilleure qualité, avec une plus grande écoute des personnes, une meilleure exécution des décisions, davantage de personnalisation des peines, ce qui permettrait aussi d’avancer sur la question de la prison » .
Sortir de l’inflation pénale. Interrogé sur cette question, le directeur des Affaires criminelles et des grâces, Jean-Marie HUET, a répondu à la Commission que « le ministère de la Justice [essayait] de cantonner cette inflation pénale », mais rencontrait des difficultés « tant l’imagination de tous bords est grande ». Il a tenu néanmoins à préciser que « la création d’une infraction nouvelle [était] parfois nécessaire dans un souci de cohérence. Par exemple, la création du fichier des délinquants sexuels implique d’incriminer le fait pour un condamné de se soustraire à ses obligations ». Le DACG distingue également « la pénalisation de comportements qui n’étaient pas précédemment incriminés et la création de textes spécifiques ou de circonstances aggravantes. Par exemple, des circonstances aggravantes ont été ajoutées dans le cadre des violences conjugales. Par contre, de nouvelles incriminations ont été créées lorsqu’on a voulu pénaliser les propos et comportements homophobes ». Il annonce que ses services se chargent, avec le député Jean-Luc WARSMANN, de « tenter de « toiletter » les 12 000 infractions recensées, dont un grand nombre n’est utilisé que de façon sporadique par les juridictions, par exemple dans le domaine du droit de la concurrence » .
D’autres pistes pourraient également être explorées, comme le préconise le CONSEIL DE L’EUROPE. En premier lieu, le Conseil demande aux Etats membres d’examiner « l’opportunité de décriminaliser certains types de délits ou de les requalifier de façon à éviter qu’ils n’appellent des peines privatives de liberté » . En second lieu, le Conseil estime que pour « promouvoir le recours à des peines et mesures non privatives de liberté, et en particulier lorsque de nouvelles lois sont élaborées, le législateur devrait envisager, pour certaines infractions, d’indiquer une peine ou une mesure non privative de liberté au lieu de l’emprisonnement comme sanction de référence » . Une telle démarche s’avère quasiment inexistante en France. Lorsque le législateur décide de réprimer certains comportements, la sanction principale qu’il prévoit en matière pénale est rarement une peine alternative à la détention. Pourtant, Pierre Victor TOURNIER, démographe chercheur au CNRS, estime que « nous n’avons aucune raison de conserver une peine de deux ans d’emprisonnement en matière de vol simple sans violence. La peine de référence pourrait dans ce cas devenir le travail d’intérêt général. De même, le délit pour seul séjour irrégulier des étrangers ne devrait plus être sanctionné par la peine de prison dans le Code pénal » . Ainsi en va-t-il de nombreuses infractions pénales, qui pourraient se voir réprimer à titre principal par une peine de probation (mise à l’épreuve non rattachée à une peine d’emprisonnement) ou un travail d’intérêt général. Pour Martine HERZOG-EVANS, professeur de droit pénal, « nombre d’infractions pénales ne servent qu’à renforcer une règle, notamment en matière de consommation, de sociétés, etc. ». Ainsi, un commerçant commettant des erreurs de comptabilité est-il passible d’une sanction pénale, quand d’autres types de sanctions suffiraient. Ce phénomène a pour conséquence d’ « épuiser le système pénal et d’entretenir cette fausse croyance selon laquelle seul le pénal pourrait donner l’assurance que la norme sera appliquée ». Dès lors, elle propose de transférer ces contentieux au droit civil, qui permet d’éviter la stigmatisation du pénal, « les procédures étant plus discrètes » et de mieux s’intéresser aux victimes, « le juge étant chargé d’arbitrer des intérêts opposés ». Une telle évolution impliquerait cependant de remédier à certains inconvénients de la procédure civile, notamment l’absence de gratuité de la preuve pesant sur la victime. Les dommages et intérêts au civil devraient également pouvoir être plus élevés. Pour Martine HERZOG-EVANS, « le droit français prétend indemniser le préjudice, mais il ne le fait pas ». Par exemple, une victime d’un accident de la route « qui doit porter une minerve pendant plusieurs mois, a des douleurs importantes pendant des années, des difficultés pour se rendre au travail... va être indemnisée 1 500 euros ». Elle signale qu’aux Etats-Unis, « l’ensemble de ses frais et préjudices serait intégré dans l’indemnisation, car il n’y a aucune raison que la victime paye de ses propres deniers les conséquences d’une infraction ». Ce déficit d’indemnisation peut rendre « les victimes amères et explique qu’elles aient besoin d’une sanction pénale ». Pour qu’un système d’indemnisation conséquent puisse être mis en place, « un fonds de garantie public pourrait être créé et se retourner ensuite contre la personne condamnée pour qu’elle rembourse petit à petit » .
RECOMMANDATION
L’usage des mesures alternatives à la détention ne pourra se développer et avoir des effets sur le taux de détention que dans le cadre d’une politique pénale cohérente, stable et lisible. En ce sens, la CNCDH demande au ministère de la Justice d’élaborer et diffuser chaque année des orientations de politique pénale, tenant compte du principe selon lequel la privation de liberté devrait être considérée comme une mesure de dernier recours.
En particulier, la Commission rappelle qu’il est de la responsabilité des pouvoirs publics de maîtriser l’inflation d’incriminations pénales et de circonstances aggravantes. A cet effet, elle préconise d’étudier les possibilités de transfert de certains contentieux vers les juridictions civiles. Elle considère également que le législateur devrait envisager, pour davantage d’infractions, d’indiquer une peine non privative de liberté au lieu de l’emprisonnement comme sanction de référence.
b) Avantages et effets pervers des alternatives aux poursuites
Mis à part le mouvement de pénalisation auquel elles participent, les mesures alternatives aux poursuites comportent certains avantages en termes de prévention de la récidive et de crédibilisation de la justice, en particulier auprès des victimes. Néanmoins, le risque de confusion s’accroît lorsque ces mesures ressemblent à s’y méprendre à des peines, prononcées le plus souvent par des délégués du procureur qui ne sont ni des magistrats ni des professionnels de la justice.
Une fonction de prévention et de crédibilisation de la justice. L’usage des mesures alternatives aux poursuites s’avère souvent valorisé par les magistrats du Parquet et les personnes qui y participent (délégués et associations), car il permet de donner une réponse « à toutes sortes d’affaires qui pourraient se trouver autrement classées ». Le plus souvent, c’est « notamment dans l’intérêt des victimes que le recours à de telles modalités de traitement des affaires s’impose », constatent les auteurs d’une recherche sur le « traitement en temps réel ». Ils citent un délégué du procureur qui estime que « cela permet de rendre service aux victimes, ça montre que le Parquet les suit. (...) Cela montre que la justice va jusqu’au bout. (...) Les victimes sont contentes » . Dans le même sens, Jacques BEAUME, procureur de la République du tribunal de grande instance (TGI) de Marseille, considère que la plupart des mesures alternatives aux poursuites peuvent apporter une « importante plus value sociale » lorsqu’elles sont bien appliquées. D’une part, l’auteur et la victime de l’infraction seraient souvent satisfaits de cette forme d’intervention de la justice qui leur ferait « considérer que la loi a rempli son rôle ». D’autre part, ces mesures permettraient de « saisir l’occasion d’une infraction mineure pour intervenir sur ses causes et équiper un auteur des moyens d’intégrer l’interdit » . La fonction préventive est ainsi constitutive du développement de ces mesures, une médiation pénale, un rappel à la loi ou une injonction de soins étant engagés par les Parquets lorsqu’ils pensent que « cette mesure peut permettre d’éviter une réitération des faits » . Dans le même sens, Jacques FAGET estime qu’une mesure comme la médiation pénale ne perd pas de son intérêt lorsqu’elle intervient à la place d’un classement sans suite, « décision catastrophique pour l’image de la justice » .
Des risques de confusion dans l’intervention de la justice pénale. Les mesures alternatives aux poursuites peuvent également servir à traiter plus rapidement des flux de plus en plus importants d’affaires, dans le cadre de ce que Dominique BARELLA, représentant de l’UNION SYNDICALE DES MAGISTRATS, considère pour sa part comme « une sorte de justice à bon marché, sans avocat, sans audience et sans débat ». Selon lui, « il ne s’agit plus de droit pénal mais de droit civil » . Certaines mesures alternatives aux poursuites peuvent en effet apporter de la confusion dans l’intervention judiciaire lorsqu’elles s’apparentent à des peines. Tel est le cas de la composition pénale, instituée par la loi n° 99-515 du 23 juin 1999, permettant au procureur de proposer à un délinquant qui reconnaît les faits un certain nombre d’obligations en contrepartie d’un abandon des poursuites. Il s’agit d’une procédure alternative aux poursuites, comportant néanmoins une dimension punitive, à la discrétion du Parquet (article 41-2 du Code de procédure pénale). Pour le procureur de la République du tribunal de grande instance de Marseille, cette mesure intervient dans le cadre de contentieux qui auraient abouti en audience à « des peines d’emprisonnement avec sursis très courtes, des peines d’amende... » .
La composition pénale rencontre un véritable succès au sein des juridictions. En 2001, 3 500 compositions pénales étaient enregistrées, contre 13 800 en 2002 et 28 600 en 2004 (soit 5,4 % des affaires poursuivies). Pour autant, de nombreuses critiques sont faites à son encontre. Le sociologue Christian MOUHANNA estime que la composition pénale « emprunte au système anglo-saxon l’idée qu’il peut y avoir une sanction sans passer devant une juridiction », mais sans offrir en contrepartie « un rôle important à l’avocat dans le cadre d’une véritable négociation de la peine ». Dès lors, il considère que « nous ne conservons que le pire des deux systèmes ». Dans le cadre d’une composition pénale, le délégué du procureur précise au prévenu qu’il « risque une sanction plus élevée » s’il refuse la sanction proposée et se rend en audience correctionnelle. Dès lors, celui-ci a tendance à accepter systématiquement, « même s’il se dit innocent », car il ne fait pas confiance à la justice pour faire émerger la vérité et croit s’en tirer à meilleur compte en acceptant une sanction moins élevée . En outre, le justiciable ne rencontre ni le Parquet, ni le juge du siège, mais uniquement un délégué du procureur, ce qui pose parfois des problèmes de positionnement et de lisibilité, les compétences attendues des délégués du procureur n’ayant jamais été précisément définies. Des présidents de tribunaux constatent que les justiciables « ne comprennent pas bien le sens et la portée de cette mesure ». Par exemple, il arrive que ceux-ci « s’affranchissent de l’amende proposée par le délégué du procureur avant même que la composition n’ait été validée par les juges », indique Nicole MAESTRACCI .
Délégués et médiateurs du procureur. Dans le cadre des « alternatives aux poursuites », des associations ou des personnes physiques peuvent être habilitées par le procureur pour mettre en œuvre des mesures de rappel à la loi, réparation, médiation ou composition pénale. Le système des délégués et des médiateurs du procureur de la République est régi par les articles R.15-33-30 à R.15-33-37 du Code de procédure pénale. Pour être habilitées, les personnes physiques doivent ne pas exercer d’activité judiciaire à titre professionnel, présenter un casier judiciaire vierge, ainsi que des « garanties de compétence, d’indépendance et d’impartialité » (article R.15-33-33). En réalité, il en va tout autrement. En l’absence de procédure formalisée et contrôlée d’habilitation, les magistrats nomment souvent des personnes de leur connaissance, généralement des retraités de la fonction publique (anciens magistrats, policiers, professeurs...). L’assemblée des magistrats examine ensuite cette habilitation, la validant de manière quasi-automatique. Denis L’HOUR, directeur général de la principale fédération d’associations intervenant dans le domaine présentenciel, évoque même un système de « nominations entre amis » . Avec pour conséquence des problèmes de compétence, d’indépendance et d’impartialité, à l’inverse de ce que prévoit l’article R.15-33-33 du Code de procédure pénale. Si les textes font référence aux garanties de compétence devant être présentées par les délégués ou les médiateurs, « ils n’exigent aucune formation spécifique », comme le rappelait un rapport du SENAT sur les métiers de la justice en 2002 . Dès lors, la formation des délégués et des médiateurs s’avère souvent insuffisante et non formalisée. Si la loi pose un critère de compétence, « celle-ci est appréciée de façon subjective par les magistrats, qui valorisent l’expérience du monde judiciaire et non une formation spécifique à la médiation. L’amélioration de la formation de ces magistrats à la médiation et une sélection plus collégiale associant des médiateurs expérimentés et indépendants éviterait ces mécanismes aveugles de cooptation », estime Jacques FAGET, chercheur au CNRS. Par ailleurs, il estime que « les médiateurs se trouvent parfois pris dans une logique de clientélisme avec les mandants, puisqu’ils sont rémunérés au nombre de mesures qui leur sont envoyées. Certains sont donc tentés de renoncer aux principes éthiques pour ne pas se voir « couper les vivres ». D’autres ferment leurs portes car le procureur a cessé de leur envoyer des mesures après qu’ils aient refusé de renoncer aux principes de la médiation » .
Quant au système de rémunération des délégués du procureur, il s’avère plus que douteux. En effet, le ministère de la Justice recourt d’autant plus volontiers aux personnes physiques qu’il s’agit de « bénévoles indemnisés qui ne sont pas déclarés, en dépit d’un arrêt de la Cour de la Cassation de 1994 censurant cette pratique » . Un décret de janvier 2000 applicable au 1er août est venu imposer au ministère de la Justice de déclarer les délégués du procureur à certaines cotisations de la sécurité sociale, mais il n’est toujours pas appliqué. Pour sûr, la Chancellerie argue que les mesures coûtent moins cher à l’Etat lorsqu’elles sont prises en charge par des personnes physiques plutôt que par des associations. Une défense qui ne tiendrait pas devant les... tribunaux. Ainsi, les procureurs se retrouvent-ils, selon Denis L’HOUR, dans « la même situation que les employeurs du bâtiment qu’ils poursuivent pour travail dissimulé » . L’ensemble de ces dysfonctionnements nécessite une évaluation rapide de la pratique de nomination, de formation et de rémunération des délégués du procureur, afin de réformer en profondeur ce système participant au discrédit de la Justice en général, et des mesures alternatives présentencielles en particulier.
RECOMMANDATION
Le système des délégués du procureur doit faire l’objet d’une évaluation et d’une réforme. Des règles d’habilitation, de qualification et de rémunération des délégués doivent être précisément établies et mises en œuvre par le ministère de la Justice.
1-2 - LA MEDIATION PENALE
Faisant figure d’exception parmi les « alternatives aux poursuites », la médiation pénale est la seule mesure en partie utilisée par les magistrats français à la place de poursuites. Elle peine néanmoins à entrer dans le cadre stricto sensu des mesures alternatives à la détention, « son objectif [étant] beaucoup plus large », dans la mesure où elle incarne « une démarche de recherche de sens à tous les stades de la procédure » . Néanmoins, l’objectif des autres mesures alternatives ne se limite pas non plus à une fonction de substitution à la prison, chacune d’entres elles visant des objectifs d’insertion sociale, de prévention de la récidive et de prise de conscience de l’acte commis. En outre, elle dispose du potentiel pour être utilisée dans le cas d’infractions plus graves que les autres mesures. Si son domaine d’application est étendu au-delà des poursuites, comme le pratique la Belgique depuis plusieurs années, elle peut intégrer le champ des mesures alternatives à la détention, car elle influence alors la décision judiciaire en défaveur de l’emprisonnement.
Apparue aux Etats-Unis dans les années 1970, l’institutionnalisation de la médiation pénale est intervenue en France avec la loi du 4 janvier 1993, au terme d’une phase d’expérimentation d’une dizaine d’années. Elle consiste, « sous l’égide d’un tiers, à mettre en relation l’auteur et la victime afin de trouver un accord sur les modalités de réparation mais aussi de rétablir un lien et de favoriser, autant que possible, les conditions de non réitération de l’infraction alors même que les parties sont appelées à se revoir » . Pour la victime, il s’agit « par la communication (r)établie avec son agresseur, d’obtenir non seulement une réparation matérielle, mais également psychologique et morale (considération retrouvée) ». Pour l’auteur des faits, la médiation pénale fournit l’occasion de « faire amende honorable en reconnaissant sa responsabilité et en réparant au mieux le préjudice causé » .
a) Définition et champ d’application en droit français
L’article 41-1 du Code de procédure pénale prévoit que le procureur de la République peut proposer une médiation pénale, au même titre que d’autres alternatives aux poursuites, s’il lui apparaît qu’une telle mesure est susceptible : soit d’assurer la réparation du dommage causé à la victime, soit de mettre fin au trouble résultant de l’infraction, soit encore de contribuer au reclassement de l’auteur des faits. Lorsqu’il enclenche une procédure de médiation entre l’auteur et la victime, le procureur interrompt l’action publique. En cas de succès de la médiation, l’affaire est classée. Si la mesure n’est pas exécutée, le procureur conserve la possibilité d’engager des poursuites ou de mettre en œuvre une composition pénale.
Domaine d’application. Si la loi ne définit pas les infractions concernées par la médiation pénale, celle-ci s’est d’abord appliquée à des « petits désordres sociaux (...) qu’un effet de mode fait baptiser en France incivilités (...) dont les caractéristiques communes sont de ne pas être contestés et de pouvoir faire l’objet d’une réparation » (vols, dégradations, chèques sans provision...). Désormais, la médiation doit cependant être choisie parmi les alternatives aux poursuites « en fonction d’éléments qualitatifs tels que le rapport de proximité entre l’auteur et la victime (cadre familial, voisinage, relation de travail) » . Le champ d’application privilégié de la médiation pénale concerne ainsi « le droit pénal familial (non représentation d’enfant et non paiement de pension alimentaire) ainsi que toutes les affaires concernant des personnes entretenant des relations continues » . Le professeur Paul MBANZOULOU, enseignant et chercheur à l’ENAP (Ecole nationale de l’Administration pénitentiaire), évoque même certains cas de violences conjugales, la médiation permettant au conjoint violent « de prendre conscience des répercussions réelles de son comportement sur son partenaire » et de répondre à une « demande de soins médicaux ou psychologiques » exprimée par la victime . Néanmoins, la médiation ne peut fonctionner qu’entre un auteur et une victime « désireux d’y participer et bénéficiant de toutes leurs capacités psychiques et intellectuelles », rappelle Jacques FAGET. Dans le cas des violences conjugales, il faut « distinguer entre la violence contextuelle - la gifle, l’énervement, la pression du moment - et la violence structurelle - quand les personnes ont construit une relation conjugale de violence ». Dans ce dernier cas, la médiation pénale « n’est pas adaptée et il faut effectuer un autre type de travail » .
Une véritable alternative aux poursuites. Etant parfois adaptée à des faits plus graves que les autres contentieux traités par le Parquet, la médiation pénale est la seule mesure alternative aux poursuites utilisée comme telle dans une part significative de cas. Le procureur du tribunal de grande instance de Marseille indique ainsi que « la médiation pénale est la mesure se substituant le plus aux poursuites ». Elle concerne des contentieux « pour lesquels il est plus intéressant de traiter la cause de la délinquance plutôt que le symptôme » et pour lesquels « nous aurions souvent poursuivi en l’absence de médiation » .
Une fonction unique. Véritable outil de régulation des conflits, la médiation a un statut singulier parmi l’ensemble des mesures pénales. Elle relève quasiment de la régulation privée entre individus et « on ne peut pas dire que la justice ait été dite au terme d’une médiation », signale Jacques FAGET . Dès lors, il s’agit davantage d’un outil complémentaire à la logique judiciaire, voire d’une « mesure de déjudiciarisation », indique Ivo AERTSEN, professeur de criminologie et président du Forum européen pour la médiation victime-délinquant et la justice réparatrice . La médiation ne peut donc être appliquée comme réponse unique dans des cas pour lesquels il est nécessaire que « le droit et la justice soient dits, dans le cadre d’une audience et d’un tribunal publics ayant une fonction symbolique », estime Jacques FAGET. Cette fonction parallèle à l’intervention judiciaire, échappant de fait à la logique pénale ordinaire, explique que la médiation soit parfois mal acceptée par les professionnels de la justice. Elle est ainsi soumise à d’importants risques d’instrumentalisation, nombre de procureurs exigeant des médiateurs « qu’ils rédigent des rapports circonstanciés, informent du contenu de l’accord ou désignent qui de l’auteur ou de la victime est responsable en cas d’échec de la médiation ». Autant de demandes « contraires à l’éthique de la médiation » auxquelles certains médiateurs insuffisamment formés ne résistent pas .
b) D’importantes possibilités d’extension
Si la médiation pénale ne peut pas être considérée comme une alternative à la détention en l’état actuel du droit français, il en va tout à fait différemment lorsqu’elle est utilisée après les poursuites ou après la condamnation, comme c’est le cas en Belgique. D’autant que la médiation s’inscrit dans le cadre du mouvement philosophique plus large de la justice réparatrice, estimant que « tant que nous ne changerons pas de cadre structurel, nous ne pourrons jamais venir à bout des profondes déficiences du système, telles que le recours excessif aux peines d’emprisonnement et la faiblesse de la position de la victime (Fattah, 1992) » .
Une véritable sanction. L’une des innovations importantes apportées par la médiation réside dans la place accordée à la victime, souvent malmenée dans le cadre du procès pénal. Sonja SNACKEN, professeur de criminologie à l’Université de Bruxelles, explique, sur la base d’enquêtes réalisées auprès du public, que celui-ci « adhère aux mesures dans lesquelles la victime a une place visible telle que la médiation, souvent considérée comme une réponse très adéquate, y compris pour des formes de criminalité assez graves comme des coups et blessures volontaires ». Le public considère en effet qu’une telle mesure « confronte le délinquant à sa responsabilité, en l’obligeant à faire face aux conséquences de son acte pour la victime ». Dès lors, les blocages proviennent davantage des magistrats et des responsables politiques, « qui ne considèrent pas la médiation comme une peine, mais comme une faveur ». Une idée répandue, mais éloignée des perceptions des victimes et auteurs ayant expérimenté la médiation pénale, qu’ils considèrent comme une véritable sanction pour le condamné, dont il est exigé de nombreux efforts : « tous les délinquants qui ont été soumis à une médiation pénale la considèrent comme une sanction très exigeante » . Dans le même sens, Ivo AERTSEN explique les réticences à l’extension de la médiation aux infractions graves par le « caractère de faveur souvent attribué à cette mesure ». Son expérience et ses recherches lui montrent au contraire à quel point « la participation à un processus de médiation n’a rien d’une solution de facilité ». Dans la mesure où les besoins de la victime constituent « le point de départ de la médiation », il estime même que cette mesure pourrait être encore plus utile pour les victimes qui le souhaitent dans le cas d’infractions graves, « car elles espèrent obtenir des informations et des explications de l’agresseur » .
Une utilisation à chaque phase du processus pénal. Alors qu’en France, la médiation est cantonnée au stade des alternatives aux poursuites, des pays comme la Belgique l’utilisent tout au long du processus pénal, aussi bien pendant l’instruction qu’après la condamnation. La « médiation réparatrice parallèle aux poursuites » est issue d’une initiative d’un groupe de chercheurs de l’Université de Louvain, qui ont décidé d’expérimenter, dès 1993, « un projet pilote pour les délits plus graves, même si la médiation pénale au niveau du Parquet était déjà appliquée pour des coups et blessures dans un tiers des cas » . Ce type de médiation n’interrompt pas les poursuites, la médiation se déroulant de façon indépendante et parallèle à l’instruction. Si les deux parties le souhaitent, « l’accord conclu peut être joint au dossier pénal et le juge peut éventuellement en tenir compte » dans la décision qu’il va rendre à l’occasion du jugement, d’autant qu’il comporte un avis des parties sur l’issue pénale souhaitée. « Nous savons déjà que dans certains cas, cela a entraîné une diminution de la peine », explique Sonja SNACKEN. En l’absence d’accord, le processus de décision judiciaire suit son cours normal. De cette initiative de médiation, à laquelle se sont ajoutés une médiation pour les mineurs et un projet de médiation au niveau de la police, est résultée une loi de 2005 permettant désormais en Belgique « d’engager une médiation à tous les niveaux du système pénal, à partir de la police jusque dans la prison, si les deux parties sont volontaires » .
Une expérience belge
La médiation parallèle aux poursuites en cas d’infraction grave
La « médiation réparatrice » a été initiée en 1993 par le Groupe de recherches pénologiques et victimologiques de l’Université de Louvain, en collaboration avec le ministère public et un service privé d’aide sociale et de médecine légale. Après une période expérimentale de trois ans, le projet a été installé en 1996 au sein du service de médiation de Louvain. En 1997, le projet a été étendu à d’autres circonscriptions judiciaires de Belgique.
« La médiation aux fins de réparation est un service gratuit, qui aide les parties à conclure un accord personnel centré sur la réparation ou le règlement du conflit à travers un processus de communication mutuelle. Une tierce personne neutre conduit la médiation selon un processus structuré. Le ministère public choisit les affaires devant faire l’objet d’une médiation en fonction de critères bien définis. Toutefois, une affaire peut également être renvoyée au service de médiation par le juge d’instruction, ce qui se produit dans à peu près la moitié des cas à Louvain. Néanmoins, le cas des affaires qu’il est proposé de retenir est toujours discuté avec les médiateurs, lesquels peuvent rejeter telle ou telle affaire qu’ils jugent inappropriée à la médiation. Il convient de mentionner le statut indépendant des médiateurs au sein de ce programme : ils sont recrutés par une association privée et leurs locaux situés dans un bâtiment public municipal (...). Pour l’essentiel, le type d’affaires retenues en vue d’une « médiation aux fins de réparation » sont les voies de fait, le vol qualifié, le cambriolage, le vol et les infractions sexuelles. Lorsqu’une affaire est choisie, le procureur adresse à la victime et à l’agresseur une lettre dans laquelle il les invite à participer à la médiation. Dans l’optique de la victime comme de celle de l’agresseur, le fait de savoir qu’une autorité judiciaire a pris l’initiative revêt un sens particulier : c’est en effet reconnaître les besoins de la victime et adopter une approche claire et constructive à l’égard de l’agresseur.
Le médiateur commence par prendre contact séparément avec les deux parties pour organiser avec elles une ou plusieurs entrevues individuelles. Il propose de se rendre au domicile des parties. Pendant les entrevues séparées, le médiateur se concentre sur les besoins et les questions individuelles. Il écoute attentivement afin de mieux connaître la vie personnelle de la victime et l’histoire de toutes les parties concernées. Le médiateur doit montrer qu’il comprend et respecte la victime comme l’agresseur. Ce processus de médiation indirecte (dans lequel les parties ne sont pas mises physiquement en présence) peut, par lui-même, aboutir à un accord. Mais il peut aussi conduire à une rencontre directe entre la victime et l’agresseur.
Dans le processus de communication, les éléments ci-après sont souvent abordés indirectement ou directement par les parties : échange de vues sur ce qui s’est passé, la façon dont l’infraction a été commise et son contexte ; le sens que les deux parties donnent individuellement à l’infraction et à ses conséquences ; l’impact personnel, familial et social sur les autres personnes directement impliquées ; le dommage matériel et moral causé à la victime ; l’idée que chaque partie se fait de l’autre et l’attitude de l’une à l’égard de l’autre ; les questions et possibilités de réparation ou d’indemnisation ; la réaction attendue du tribunal ou la façon dont on préférerait le voir réagir. L’échange de ces sentiments, attitudes et opinions a naturellement beaucoup plus de force si la victime et l’agresseur sont directement mis en présence. Les circonstances de l’infraction, ses conséquences et les besoins de l’une et de l’autre partie prennent un caractère beaucoup plus concret, et la victime comme l’agresseur doivent oublier leurs stéréotypes personnels.
Dans 50 % des cas environ, la médiation débouche sur un accord écrit. Ce document est beaucoup plus qu’un règlement financier pour les dommages matériel et moral ; c’est un rapport sur les entretiens et entrevues qui l’ont précédé. L’accord écrit évoque donc le sens et les conséquences de l’infraction, aux niveaux tant personnel que social. Des excuses sont exprimées et peuvent être acceptées. Des engagements sont pris. Il arrive souvent que la victime retire (symboliquement) sa plainte ou ne formule pas de nouvelle demande d’indemnisation. Dans la majorité des cas, l’accord écrit formule aussi un point de vue sur l’issue pénale souhaitable (le médiateur pose souvent la question : « quelle serait votre décision si vous étiez le juge appelé à se prononcer dans cette affaire ? ») ».
Extraits de l’article de Ivo AERTSEN, « La médiation victime-délinquant en cas d’infraction grave », dans Politique pénale en Europe - Bonnes pratiques et exemples prometteurs, éd. CONSEIL DE L’EUROPE, novembre 2005.
Autre expérience menée en Belgique : celle de la « médiation dans le cadre pénitentiaire », qui a lieu après la condamnation de l’auteur de l’infraction à une peine de prison ferme. Un programme expérimental a été initié en 2001 au sein de trois établissements pénitentiaires, sur la base de la constatation suivante : après le procès pénal, la victime demeure avec ses questions et sa souffrance. La plupart des victimes voudraient « obtenir des réponses aux questions qu’elles se posent sur la nature de l’infraction et les raisons pour lesquelles elle a été commise ». Certaines « ressentent le besoin de parler à leur agresseur », ou encore n’acceptent pas « la façon dont le détenu est logé en prison ou le fait qu’une libération anticipée soit prévue » . Au cours des deux premières années d’expérimentation, 55 demandes de contact avec l’autre partie ont été reçues par le médiateur. La moitié environ concernait des affaires d’homicide, et un cinquième des infractions sexuelles. Le processus de médiation observé est analogue à celui de la médiation parallèle aux poursuites. Lors d’une entrevue exploratoire avec le demandeur (souvent le condamné), « l’offre et la méthode de médiation sont expliquées, la motivation du demandeur est analysée et vérifiée » tout comme la réunion des conditions requises. Sur 55 demandes, 20 n’ont pas abouti, la plupart des demandeurs renonçant ou ajournant leur décision suite à cette entrevue exploratoire. Des demandes ont également été rejetées par le médiateur, par exemple lorsque la motivation était peu précise, si l’agresseur avait maintenu son déni des faits, ou si la demande relevait d’une démarche purement juridique. Lorsque la médiation est mise en œuvre, les parties décident avec l’aide du médiateur de la forme qu’elle va prendre. En cas de médiation directe, la rencontre a lieu dans l’établissement pénitentiaire et les parties peuvent se faire accompagner par des personnes qui leur apporteront un soutien psychologique. Dans ce type de médiation, « l’accent est mis moins sur la conclusion d’un accord que sur la communication » . Bien qu’aucune évaluation ne soit disponible sur cette question, il apparaît probable que les démarches d’un condamné et sa capacité à participer à une médiation puissent être prises en compte par les autorités chargées de décider d’un aménagement de peine.
L’influence de la médiation sur la décision judiciaire. Les expériences belges peuvent donner l’impression de bousculer le principe selon lequel « la médiation doit rester indépendante du prononcé et de l’exécution de la peine » . Si le processus de médiation se déroule de façon totalement indépendante, l’accord passé peut néanmoins avoir une certaine influence sur la décision du juge. Si elle a lieu pendant l’instruction, elle peut avoir un impact sur la décision de jugement. Néanmoins, le juge « conserve une fonction d’homologation, il ne se dépossède pas de toute décision sur l’issue du litige ». Ainsi n’est-il aucunement lié par le souhait exprimé par les parties, « qui peut reproduire des logiques d’emprise d’un individu sur un autre », explique Jacques FAGET, chercheur au CNRS spécialiste de la médiation . Ivo AERTSEN reconnaît que les juges peuvent se « sentir assez mal à l’aise après une décision ayant abouti à un résultat positif dans le cas d’une infraction grave ». Ils peuvent ainsi s’interroger sur la valeur de la sanction : « quelle pourrait être la valeur ajoutée d’un élément de répression une fois que les parties ont conclu un accord et déclaré de concert que le problème a reçu une solution constructive et raisonnable ? » . Néanmoins, l’un des intérêts de ce type de médiation est justement d’apporter une valeur ajoutée à un système pénal présentant certaines défaillances, ne prenant pas véritablement en compte la parole de la victime et de l’auteur et offrant des perspectives de répression souvent peu adaptées à leurs besoins. Ainsi, l’échange de vues des parties sur l’issue judiciaire souhaitable leur offre-t-il « la possibilité de réfléchir à ce qui est socialement acceptable et inacceptable », ainsi que de « jouer un rôle actif et constructif dans le processus de décision pénale sans décider elles-mêmes de l’issue finale ». C’est ainsi que « les parties apprennent également quelque chose au juge » . Il n’en demeure pas moins que la médiation doit être maniée avec d’autant plus de précaution et de professionnalisme qu’il s’agit d’infractions graves. Les risques de motivation opportuniste de la part de l’auteur, de reproduction des logiques de domination et de manque de sécurisation du cadre pour la victime peuvent être contournés par une formation et une supervision de qualité à l’intention des médiateurs, ainsi qu’un cadre juridique offrant des garanties à toutes les parties. S’agissant d’infractions graves pour lesquelles l’on peut s’attendre à un impact éventuel de la médiation sur les décisions judiciaires, « un contrôle ou une supervision judiciaire tant du processus de médiation que de son résultat s’impose assurément » .
Lorsque ces garanties sont réunies, il apparaît que la médiation pénale offre des perspectives de réponses pénales novatrices. En « reconnaissant l’intérêt légitime des victimes à faire entendre davantage leur voix (...), à communiquer avec le délinquant et à obtenir des excuses et une réparation », en renforçant « chez les délinquants le sens de leurs responsabilités » et en leur offrant « des occasions concrètes de s’amender, ce qui facilitera la réinsertion et la réhabilitation », la médiation vient pour le CONSEIL DE L’EUROPE « contribuer à ce que la justice pénale ait des résultats plus constructifs et moins répressifs ». C’est pourquoi, en vertu de ses recommandations, selon lesquelles « la médiation en matière pénale devrait être possible à toutes les phases de la procédure de justice pénale », la CNCDH demande que soient initiés en France des programmes de médiation parallèle aux poursuites et de médiation dans le cadre pénitentiaire, inspirés de ceux mis en place en Belgique.
RECOMMANDATION
La CNCDH demande que les systèmes belges de médiation « parallèle aux poursuites » pour des infractions graves et de médiation « dans le cadre pénitentiaire », dont les résultats peuvent être joints au dossier pénal et pris en compte par les magistrats, fassent l’objet d’une expérimentation dans quelques juridictions françaises, d’une évaluation et d’une éventuelle généralisation. A cet effet, une formation systématique des médiateurs doit être mise en place.
2 - ALTERNATIVES A LA DETENTION PROVISOIRE
Le principe de la présomption d’innocence, selon lequel « toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie », a valeur constitutionnelle (article 9 de la Déclaration de 1789) et supranationale (article 6-2 de la CESDH). Il est affirmé clairement dans le droit français, notamment dans l’article 137 du Code de procédure pénale posant le principe du maintien en liberté de la personne mise en examen, puis par exception la possibilité de la voir soumise à un contrôle judiciaire, et en dernier ressort à une détention provisoire.
Article 137 du Code de procédure pénale
« La personne mise en examen, présumée innocente, reste libre. Toutefois, en raison des nécessités de l’instruction ou à titre de mesure de sûreté, elle peut être astreinte à une ou plusieurs obligations du contrôle judiciaire. Lorsque celles-ci se révèlent insuffisantes au regard de ces objectifs, elle peut, à titre exceptionnel, être placée en détention provisoire ».
La législation française s’inscrit ainsi dans la lignée des principes des droits de l’homme, selon lesquels « aucun prévenu ne doit être placé en détention provisoire, à moins que les circonstances ne rendent cette détention strictement nécessaire. La détention provisoire doit ainsi être considérée comme une mesure exceptionnelle et ne jamais être obligatoire ni utilisée à des fins punitives » .
En dépit de cette reconnaissance de principe, les pouvoirs publics français conservent une tendance à légiférer tantôt dans le sens d’une restriction des possibilités de placement en détention provisoire, tantôt dans le sens inverse. Les deux dernières législatures ont ainsi été le théâtre de revirements des mêmes majorités gouvernementales dans un sens, puis dans l’autre, au gré de mouvements d’émotions suscités par des affaires médiatisées. Le taux de détention provisoire en France demeure à un niveau élevé, l’incarcération étant souvent utilisée à titre de pré-jugement et les possibilités offertes par le contrôle judiciaire apparaissant insuffisamment exploitées. Il est ainsi possible d’affirmer que les pouvoirs publics et la magistrature en France n’ont pas réellement pris la mesure du caractère incontournable des principes régissant la détention provisoire, en dépit des multiples rappels issus des instances européennes. Citons notamment la Résolution du PARLEMENT EUROPEEN sur les aménagements et peines de substitution, qui s’inquiète « de la fréquence des mises en détention provisoire et de leur durée ». Elle rappelle aux Etats membres « avec fermeté le principe général selon lequel toute personne soumise à une procédure pénale est libre et jouit de tous ses droits ; que la détention provisoire représente non seulement une anticipation d’une éventuelle condamnation et un préjudice personnel incontestable, mais constitue également un renoncement au droit fondamental à la présomption d’innocence ; qu’elle n’est donc légitime que si elle est absolument nécessaire » .
2-1 - RECOURS A LA DETENTION PROVISOIRE ET ALEAS LEGISLATIFS
Soumis à de nombreux changements législatifs, l’usage de la détention provisoire oscille également au gré des affaires médiatisées et déclarations politiques. Le nombre d’entrées de prévenus (personnes non jugées définitivement) en détention subit ainsi des variations relativement importantes, puisqu’il est situé entre 50 000 et 70 000 par an.
a) Un usage excessif de la détention provisoire
Au 1er janvier 2006, les prisons françaises comptaient 19 732 prévenus (33,8 % des détenus), alors qu’elles en accueillaient 16 107 (33,2 %) au 1er janvier 2001, chiffre le plus bas atteint depuis 1980 . Plus globalement, le nombre de personnes incarcérées suite à un mandat de dépôt, et non une condamnation, a subi une forte augmentation entre 1976 et 1980, puis de fortes fluctuations jusqu’à la fin des années 1990, « suivies d’une baisse assez nette jusqu’en 2001 et d’une très forte remontée en 2002, avant une stabilisation en 2003-2004 » .
Entrées et population de prévenus
Années Entrées de prévenus Population moyenne de prévenus
1990 63 107 20 222
1992 72 154 20 777
1999 54 590 19 276
2000 50 963 18 172
2001 46 471 16 116
2002 58 410 18 488
2003 59 348 21 301
2004 58 591 20 942
Source : Ministère de la Justice/DAP, « Personnes placées sous main de justice », situation au 1er janvier 2005.
A partir de l’automne 2001, suite à l’affaire dite du « Chinois », le recours à la détention provisoire a ainsi observé une hausse effaçant « en moins d’un an la baisse qui avait probablement anticipé la mise en application de la loi du 15 juin 2000 ». Concernant l’instruction, « le recours à la détention provisoire est revenu en 2002 et 2003 à un niveau sensiblement supérieur à celui de la décennie 1990 » . L’anticipation et la mise en application de la loi du 15 juin 2000, dite « présomption d’innocence », s’étant traduite « par une baisse accrue des entrées en détention engagée depuis 1997 due aux entrées de prévenus », il peut être observé que « les changements législatifs ne restent pas sans effets à court et moyen terme sur le nombre de détenus en France », explique Annie KENSEY, démographe à la direction de l’Administration pénitentiaire . En 2004 et 2005, le nombre de prévenus « diminue de nouveau alors que celui des condamnés continue d’augmenter depuis 2001 ». Il ne retrouve pas pour autant le niveau atteint en 2000 et 2001, « sans nul doute consécutif à la loi du 15 juin 2000 (...) qui a modifié de manière significative les différentes phases de la procédure pénale afin de mieux garantir le droit des personnes mises en cause » .
Détentions provisoires injustifiées. Le problème de la détention provisoire atteint son paroxysme lorsque les personnes incarcérées bénéficient finalement d’un non-lieu, d’un acquittement ou d’une relaxe, situation inévitablement « perçue comme un défaut de protection des libertés individuelles ». Ces cas dits de « détention provisoire injustifiée donnent aujourd’hui droit à réparation financière de plein droit (loi du 15 juin 2000) ». Ils ne peuvent cependant pas être chiffrés en totalité, « en raison de l’absence de suivi statistique des personnes mises en liberté », signale Bruno AUBUSSON DE CAVARLAY, directeur de recherches au CESDIP .
Parmi les détenus soumis à une détention provisoire, la COMMISSION DE SUIVI DE LA DETENTION PROVISOIRE a dénombré 760 non-lieux en 2003, « ce qui est beaucoup ». Concernant le nombre de prévenus détenus libérés suite à un acquittement ou une relaxe, « l’Administration judiciaire nous dit [qu’ils] sont à peu près 300 alors que l’Administration pénitentiaire en compte près de 400 » . Pour le seul cas du non-lieu « la source pénitentiaire donne 87 cas de libérations dues en 2004 directement à la décision de non-lieu là où le répertoire de l’instruction indique globalement 599 cas de détention provisoire suivis d’un non-lieu ! » , précise Bruno AUBUSSON DE CAVARLAY. Si l’appareil statistique présente de nombreuses lacunes, en matière de détention provisoire comme dans les autres phases pénales, il semble en tout état de cause impossible d’affirmer que l’affaire dite « d’Outreau » puisse constituer un cas isolé, plusieurs centaines de personnes par an effectuant de la détention provisoire avant d’être « innocentées » par la justice.
Le cas de personnes condamnées à une peine alternative après avoir effectué de la détention provisoire ou à une peine de prison plus courte que la durée de leur détention provisoire peut également être considéré comme un cas grave d’atteinte aux libertés. Jean-Marie DELARUE, indique ainsi que sur 3 202 personnes condamnées par une Cour d’assises en 2003, « nous en avons trouvé 59 - c’est peu mais c’est trop - qui n’ont pas été condamnées à des peines privatives de liberté mais essentiellement à des mesures assorties de sursis. Pour 122 autres, la durée de la peine privative de liberté a été inférieure à la durée de détention provisoire accomplie » . Bruno AUBUSSON DE CAVARLAY ajoute qu’en 2004, « les condamnations à des peines autres que l’emprisonnement ferme ont représenté 10,6 % des cas de condamnation après détention provisoire et dans 7,3 % des cas, la peine d’emprisonnement ferme a été de durée inférieure à la détention provisoire » .
Effets de la détention provisoire sur le jugement. Outre le problème de principe, il est démontré que la décision de placement ou non en détention provisoire emporte des effets ultérieurs sur le jugement. Une peine d’emprisonnement ferme est plus souvent (dans 86 % des cas) prononcée lorsqu’il y a une période de détention provisoire avant le jugement, a fortiori lorsque le prévenu est encore détenu au moment du jugement (95 %). Pour les chercheurs, les différentes données confirment « l’appréciation selon laquelle les décisions de mise en liberté ou incarcération avant jugement représentent une sorte de pré-jugement » . Ainsi, l’on observe « une prédétermination à la peine d’emprisonnement de ceux qui font l’objet d’une procédure rapide ou qui sont incarcérés lors de l’instruction et détenus jusqu’au jugement ». Tandis que ceux qui se présentent libres « devant une juridiction à juge unique ne sont pas destinés à faire l’objet d’une peine d’emprisonnement » . Or, les années 2002 et 2003 se caractérisent par « une proportion accrue de mis en examen renvoyés devant une juridiction de jugement avec maintien en détention ». Après une baisse continue de cette proportion, passée de 50 % au milieu des années 1990 à 30 % en 2001, elle est en effet remontée à 35 et 34 % en 2002 et 2003 .
b) Evolutions législatives
Alors que depuis la loi du 17 juillet 1970, une vingtaine de lois avaient été adoptées dans le but de restreindre l’usage de la détention provisoire, plusieurs réformes sont venues enrayer ce mouvement depuis 2002, avant que l’affaire dite d’ « Outreau » ne vienne renverser la tendance en rappelant les effets potentiellement dramatiques du manque de garanties entourant le placement et le maintien en détention provisoire.
Derniers reculs législatifs. La CNCDH a déjà déploré certaines dispositions de la loi d’orientation et de programmation de la justice (Perben I) du 9 septembre 2002, risquant « d’atténuer la portée » du principe de la présomption d’innocence et « de stopper les efforts laborieusement entrepris depuis plusieurs années en France pour réduire l’ampleur de la détention provisoire ». Les dispositions particulièrement visées par la Commission concernaient : « l’abaissement généralisé à trois ans du seuil de la peine d’emprisonnement qui doit être encourue pour que la détention provisoire puisse être ordonnée ou prolongée » ; « le rétablissement du critère du trouble à l’ordre public parmi les motifs de la prolongation d’une détention provisoire » ; « la possibilité de prolonger considérablement la durée de cette détention, au risque de banaliser le caractère ‘exceptionnel’ de la prolongation » . S’agissant plus particulièrement du critère du trouble à l’ordre public, la loi du 9 septembre 2002 a supprimé une disposition de la loi du 15 juin 2000, qui limitait ses possibilités d’utilisation comme motif de prolongation à la matière criminelle et aux peines correctionnelles encourues de dix ans d’emprisonnement ou plus.
La CNCDH relevait également l’incompatibilité de l’obligation faite au juge d’instruction de motiver son refus d’incarcération avec le principe de la liberté de la personne présumée innocente. L’institution d’un « référé détention » rétablissant le caractère suspensif de l’appel du Parquet contre une mesure de mise en liberté, soulevait également « un problème de compatibilité avec les exigences de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales relatives à l’intervention nécessaire d’un magistrat du siège en la matière » . A présent mis en place, ce référé détention engendre un taux élevé d’annulations de mises en liberté suite à l’appel du procureur. Pour l’année 2003, le ministère de la Justice recense ainsi 125 procédures de référé détention, dont 35 décisions de confirmation de mise en liberté (28 %) et 90 décisions de maintien en détention (72 %) .
La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la Justice aux évolutions de la criminalité (Perben II) a pour sa part accordé au Parquet le droit de saisir directement le juge des libertés et de la détention (JLD) en matière criminelle ou pour les délits passibles de plus de 10 ans d’emprisonnement, lorsque le juge d’instruction décide de ne pas incarcérer. La COMMISSION DE SUIVI DE LA DETENTION PROVISOIRE voit dans cette mesure une importante modification du rôle du JLD, chargé d’arbitrer « entre un procureur de la République et un juge d’instruction en désaccord, puisque, sur saisine du procureur, il peut désormais placer en détention » .
Lors de son audition devant notre Commission, le directeur des Affaires criminelles et des grâces a déclaré que le garde des Sceaux n’envisageait « pas de modifications de ces dispositions » dont il a rappelé qu’elles avaient été « jugées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel ». Il a ajouté que « la prise en compte des intérêts de la société ne paraît nullement incompatible avec le respect de la présomption d’innocence » . De toute évidence, il apparaît néanmoins impossible de vouloir protéger la présomption d’innocence tout en adoptant des dispositions qui la restreignent. Le président de la République, tout comme en 2000, déclarait dans son discours du 14 juillet 2004 que « nous avons tendance en France à abuser de la détention provisoire ». Cependant, « tous les textes encouragent et facilitent le recours à la détention provisoire depuis cinq ans », s’insurge le procureur du tribunal de grande instance de Marseille. « Nous voyons même apparaître dans la loi sur la récidive l’obligation de motiver la remise en liberté, ce qui est exactement contraire à notre tradition juridique », ajoute-t-il. Et de conclure : « On ne peut pas vouloir à la fois les bénéfices de l’affichage d’une politique de sécurité dont la détention provisoire serait l’une des composantes et reprocher aux juges d’incarcérer » . En ce sens, la CNCDH estime inconcevable que la loi affirme le principe de la liberté du présumé innocent tout en obligeant les magistrats à justifier un refus de placer en détention provisoire ou une remise en liberté.
Pressions contradictoires sur les magistrats. Outre des discours politiques et des changements législatifs ambivalents, les magistrats doivent composer avec une pression sociale volatile. Après « l’affaire du Chinois » en septembre 2000, l’opinion reproche à la justice de ne pas avoir maintenu en détention provisoire deux prévenus qui seront finalement acquittés dans l’affaire pour laquelle ils étaient alors incarcérés. Les syndicats de police mettent en place des « observatoires des bavures judiciaires » assurant une présence dans les tribunaux. Dominique BARELLA, président du premier syndicat de magistrats, rappelle que « dans ce pays, il a ainsi été toléré que les syndicats de police affirment que le fait de maintenir quelqu’un en liberté avant le jugement constituait une bavure judiciaire ». Aujourd’hui, « l’affaire d’Outreau » vient à l’inverse « rappeler que la présomption d’innocence doit avoir un sens » et que les principes énoncés dans les textes devraient surtout être appliqués. Mais une telle instabilité de l’opinion, favorisée par le traitement médiatique des affaires pénales, peut laisser craindre des retournements incessants dans le sens d’un développement ou d’une diminution de la détention provisoire.
Sur le terrain, les magistrats peuvent difficilement rester imperméables à ces différentes pressions. Dans leur juridiction, ils « sont beaucoup plus populaires lorsqu’ils requièrent ou décident un mandat de dépôt », explique Jacques BEAUME, procureur du tribunal de grande instance de Marseille. Autant les critiques concernant un placement en détention sont exceptionnelles, autant les magistrats sont « quotidiennement traînés dans la boue » s’ils ne poursuivent ou n’incarcèrent pas. Les juges subissent ainsi la « très forte pression du principe de sécurité », exigeant d’eux « une absolue certitude de la non réitération immédiate, voire du passage à l’acte plus grave » . Au point que la prison en général et la détention provisoire en particulier, « sont souvent érigées dans ce pays au rang de principe de précaution », ajoute Dominique BARELLA. Lorsqu’une personne est arrêtée, il devient très difficile pour un juge de « prendre le risque de la maintenir en liberté » . Pour ces raisons, les magistrats doivent recevoir de la part du monde politique et du législateur des indications univoques visant au respect de la présomption d’innocence. Le législateur doit ainsi indiquer clairement qu’il prend et assume publiquement la responsabilité d’une politique pénale ne s’autorisant à enfermer des personnes non encore jugées que de manière exceptionnelle.
c) Critères et durée de la détention provisoire
Afin de garantir le caractère exceptionnel de la détention provisoire, le législateur peut principalement agir sur les critères de placement et de prolongation de la détention, les seuils de peines encourues permettant de placer en détention, ainsi que sur la durée maximale de la détention avant jugement.
Critères de placement et de prolongation. Pour nombre de professionnels de la justice et de responsables politiques, faire le choix de la présomption d’innocence requiert en premier lieu une modification des critères de placement en détention provisoire jugés « fourre-tout ». L’article 144 du Code de procédure pénale prévoit ainsi - avant modification par la loi tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale - que la détention provisoire « ne peut être ordonnée ou prolongée que si elle constitue l’unique moyen » :
- de « conserver les preuves ou les indices matériels » ;
- d’empêcher « soit une pression sur les témoins ou les victimes, soit une concertation frauduleuse entre personnes mises en examen et complices » ;
- de « protéger la personne mise en examen » ;
- de garantir le maintien du prévenu « à disposition de la justice » ;
- de « mettre fin à l’infraction ou de prévenir son renouvellement » ;
- de mettre fin à « un trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission ou l’importance du préjudice qu’elle a causé ».
Un consensus se dégage pour remettre en cause le critère du trouble à l’ordre public, uniquement en matière correctionnelle pour les uns, y compris en matière criminelle pour les autres. Il apparaît à tous que la notion d’ordre public dans l’article 144 du CPP est exposée « de façon trop imprécise et ne permet pas d’éviter les utilisations abusives », selon les termes du rapport d’enquête de la Commission parlementaire sur l’affaire d’Outreau . En mai 2006, le directeur des Affaires criminelles et des grâces, Jean-Marie HUET, confirmait à la Commission que le garde des Sceaux envisageait « très sérieusement de supprimer le critère de l’ordre public en matière correctionnelle. Des réflexions se poursuivent en ce qui concerne la matière criminelle » . En fin de compte, le projet de loi tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale ne le supprime pas même en matière correctionnelle. Il est simplement restreint au placement en détention, une prolongation et un maintien en détention ne pouvant plus être motivés par le trouble à l’ordre public.
Plus globalement, le projet de loi conserve les différents critères de placement en détention provisoire, se contentant de les préciser. Ainsi est-il indiqué que pour considérer le trouble à l’ordre public, « le seul retentissement médiatique de l’affaire » ne suffit pas. Ou encore, la protection des preuves ou indices ne vaut que si ceux-ci « sont nécessaires à la manifestation de la vérité ». Des modifications « à la marge » qui ne devraient pas changer fondamentalement les possibilités de placement en détention, alors que le caractère subjectif de l’ensemble des critères de l’article 144 du Code de procédure pénale est largement dénoncé. Ainsi, Dominique BARELLA, représentant l’UNION SYNDICALE DES MAGISTRATS estime-t-il que les critères actuels « doivent être remplacés par des critères objectifs ». Selon lui, ils peuvent s’appliquer à n’importe quelle affaire et ne présentent pas de caractère restrictif. Ainsi, il considère que le trouble à l’ordre public « peut être motivé dans chaque affaire. Puisque le Code pénal vient sanctionner les atteintes les plus graves à nos valeurs sociétales, chaque infraction cause un trouble à l’ordre public. De la même façon, le risque de pression sur les témoins ou sur la victime est toujours possible. Si les magistrats appliquaient strictement ces critères, toute personne arrêtée pourrait être placée en détention provisoire. Quand un critère ne sert pas à effectuer un tri, il est inopérant » .
Il apparaît effectivement à la Commission que les critères de placement et de prolongation doivent être déterminés par le législateur de façon précise et incontournable, afin de « cantonner la détention provisoire dans des limites extrêmement strictes », comme le suggère Jean-Yves MONFORT, président du tribunal de grande instance de Versailles. Le critère de la récidive ne paraît néanmoins pas judicieux dans la mesure où « le mis en cause ne peut pas être considéré comme récidiviste s’il n’a pas encore été condamné » . Dès lors, les solutions doivent être recherchées du côté des quantum encourus et du type d’infractions. Alors que la loi prévoit que la détention provisoire peut être ordonnée lorsque le mis en examen encourt une peine criminelle ou une peine correctionnelle égale ou supérieure à trois ans, ce dernier seuil abaissé par la loi du 9 septembre 2002 pourrait au minimum être rétabli à cinq ans comme l’avait établi la loi du 15 juin 2000. Mais si, comme cela a été affirmé à de nombreuses reprises, le but est de restreindre la détention provisoire à des cas d’exception, la réflexion doit être poussée plus avant.
Limiter la détention à une liste d’infractions. Une équipe de recherche de l’Université de Bruxelles, chargée de déterminer quelles mesures seraient à même de restreindre le recours à la détention provisoire, a établi que la principale mesure à même d’agir de manière significative sur le nombre de prévenus incarcérés serait d’établir dans la loi « une liste d’infractions qui seules pourraient donner lieu à une décision de détention préventive ». Une telle liste pourrait être utilisée « en combinaison avec un seuil d’admissibilité » . Si les chercheurs relèvent que la sélection des infractions appelées à figurer dans une telle liste relève de la seule décision politique « à la mesure de l’ampleur du caractère exceptionnel que l’on veut garantir à la détention préventive », ils ont effectué différentes simulations. Ainsi ont-ils établi une liste des « infractions comportant une atteinte directe à l’intégrité physique » passibles d’une peine d’au moins un an de prison. Les résultats de leur simulation montrent que si la détention provisoire avait été limitée à ces infractions en 2003, « cela aurait théoriquement conduit à une diminution de près de 60% du nombre de mandats d’arrêt délivrés cette année-là » en Belgique .
Cette suggestion rejoint celle, exprimée devant la CNCDH par Martine HERZOG-EVANS, professeur de droit pénal, « d’établir une rupture entre infractions aux biens et infractions aux personnes ». Selon elle, « la détention provisoire n’a pas de sens » pour la majorité des atteintes aux biens. Un tel classement nécessiterait de « distinguer les atteintes aux biens pures de celles qui comportent une atteinte aux personnes » . Cette distinction peut être recoupée avec celle opérée par le garde des Sceaux en avril 2006, estimant que « la prison doit être réservée aux faits les plus graves, ceux qui portent atteinte à la personne, ceux qui mettent en péril le pacte social » . Les auteurs de la recherche belge expliquent qu’une solution aussi radicale n’a pas relevé pour eux « d’un choix posé a priori », mais qu’elle « s’est imposée au cours de l’analyse au regard de l’objectif poursuivi d’une diminution de la détention préventive ». Il est ainsi apparu aux chercheurs que « tout autre scénario moins radical n’aurait que des effets négligeables sur le volume de la population de prévenus » .
RECOMMANDATION
La CNCDH préconise que les critères actuels de placement et de prolongation de la détention provisoire soient entièrement remplacés par des critères objectifs. A cet effet, elle propose qu’une liste d’infractions qui pourraient seules donner lieu à une détention provisoire soit établie, en combinaison avec des seuils de peines encourues rehaussés.
Durée de la détention provisoire. Bien que le nombre d’affaires orientées en comparution immédiate augmente, et celui en instruction diminue, la durée moyenne de la détention provisoire « n’a cessé de s’allonger depuis quinze ans » . Si les observateurs sont là encore confrontés à deux modes de calcul différents de la part des pouvoirs publics, « ces approches indiquent toutes deux une augmentation de la durée moyenne de détention provisoire. Pour les condamnés de 1984, la durée moyenne de détention avant jugement était de 3,7 mois et elle passe à 5,5 mois pour ceux de 2004 » . Cette durée moyenne est bien plus élevée pour les crimes (24,3 mois en 2004) que pour les délits (6,4 mois) .
La France est régulièrement condamnée pour des durées trop longues de détention provisoire par la COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME, en vertu de l’article 5-3 de la Convention posant que « la personne détenue a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure ». Dans le droit français, cette durée est encadrée de façon insuffisamment précise, les délais butoirs d’un an en matière criminelle et de quatre mois en matière correctionnelle souffrant de multiples exceptions, pouvant les porter respectivement jusqu’à quatre ans et 28 mois. Parmi les propositions de la Commission parlementaire chargée de tirer les enseignements de l’affaire d’Outreau, figure celle d’instaurer « des délais butoirs pour la détention provisoire sans renouvellement possible », qui seraient fixés à un an en matière correctionnelle et deux en matière criminelle, sauf pour les infractions relevant de la criminalité organisée comme le terrorisme et pour les personnes ayant déjà été condamnées en état de récidive. Si ces durées maximales de détention provisoire doivent effectivement être imposées et les moyens accordés à l’institution judiciaire pour les respecter, il apparaît nécessaire de se garder de prévoir des exceptions à la règle. « Sinon, la norme sera toujours contournée et l’on attendra tacitement des juges qu’ils jouent sur ces possibilités pour qualifier les faits », explique Jean-Yves MONFORT, président du tribunal de grande instance de Versailles . Les maxima proposés d’un an et deux ans ne devraient donc être assortis d’aucune exception ni de possibilité de prolongation.
RECOMMANDATION
Les durées maximales ou délais butoirs de détention provisoire doivent être ramenés à un an en matière correctionnelle, et deux ans en matière criminelle.
2-2 - CONTROLE JUDICIAIRE ET MOYENS ALTERNATIFS
Parallèlement aux dispositifs juridiques à envisager pour encadrer l’usage de la détention provisoire, les magistrats s’accordent à regretter la « profonde insuffisance de moyens alternatifs à la détention provisoire » . Institué par une loi du 17 juillet 1970, le contrôle judiciaire était destiné « à réduire le nombre des inculpés placés sous mandat de dépôt ou d’arrêt », selon les termes de la circulaire d’application du 28 décembre 1970. En pratique, il apparaît que le contrôle judiciaire (CJ) est en bonne partie utilisé par les magistrats non pas en remplacement d’une détention provisoire, mais d’un simple maintien en liberté.
a) Champ d’application et usage du contrôle judiciaire
La décision de placement sous contrôle judiciaire (CJ) est prise par un juge du siège, à l’égard de personnes majeures ou mineures mises en examen pour délit ou crime. Le contrôle judiciaire peut être prononcé ab initio (sans détention provisoire préalable) ou après une détention provisoire lors d’une remise en liberté. Véritable mesure de probation avant jugement, le contrôle judiciaire peut être assorti d’obligations choisies parmi les 16 figurant à l’article 138 du Code de procédure pénale, parmi lesquelles :
- être assigné à résidence avec ou sans bracelet électronique ;
- avoir l’interdiction de se rendre dans certains lieux ;
- se présenter périodiquement dans des services désignés par le juge ;
- se soumettre aux mesures de contrôle et mesures socio-éducatives destinées à favoriser son insertion sociale et à prévenir le renouvellement de l’infraction ;
- remettre ses papiers d’identité ;
- s’abstenir de conduire ;
- s’abstenir de rencontrer ou entrer en contact avec certaines personnes (victime, complice...) ;
- se soumettre à des mesures d’examen, de traitement ou de soins, y compris sous le régime de l’hospitalisation, notamment à des fins de désintoxication ;
- fournir une caution dont le montant et les délais de versement sont fixés par le juge ;
- ne pas se livrer à certaines activités de nature professionnelle ou sociale ;
- ne pas émettre de chèques ;
- indemniser la victime ;
- justifier de sa contribution aux charges familiales ou au versement d’une pension alimentaire.
Quel usage du contrôle judiciaire ? Le contrôle judiciaire ab initio observe une hausse régulière depuis 2000, atteignant 20 521 mesures en 2003, soit 39,6 % des affaires transmises aux juges d’instruction. Mais parallèlement, le nombre de mandats de dépôt augmente lui aussi. A l’inverse, « le recours accru à la détention en 2002 [n’a] pas fait diminuer d’autant le recours au contrôle judiciaire ab initio » . Il semblerait donc que le développement du contrôle judiciaire ab initio ne vienne pas tant remplacer des détentions provisoires, mais plutôt des maintiens en liberté. Les recherches de Bruno AUBUSSON DE CAVARLAY montrent ainsi que « sur le long terme, un effet de substitution entre les mandats de dépôt et le contrôle judiciaire paraît assez limité. Sur les dix dernières années, la fréquence du contrôle judiciaire ab initio augmente clairement mais cette mesure s’ajoute à la détention provisoire » .
Autre phénomène observé, le prononcé de contrôles judiciaires ab initio fait l’objet d’importantes disparités régionales. Alors que la moyenne nationale se situe entre 35 et 40 % de personnes mises en examen concernées par cette mesure, l’on observe un minimum de 13 % et un maximum de 80 % selon les juridictions. Néanmoins, un plus grand recours au contrôle judiciaire ab initio au sein d’une juridiction ne s’accompagne pas forcément d’un moindre recours à la détention provisoire, ce qui vient également conforter l’hypothèse d’un contrôle judiciaire non « alternatif » . Concernant le contrôle judiciaire socio-éducatif (CJSE), la fédération CITOYENS ET JUSTICE signale un rapport de 1 à 827 « entre le TGI ayant le plus recours à cette mesure et celui qui l’utilise le moins », de tels écarts posant le problème de « l’hétérogénéité de la réponse judiciaire et de l’égalité des justiciables devant la loi » .
Enfin, la hausse du contrôle judiciaire ab initio concerne principalement le contrôle judiciaire « sans autorité de contrôle désignée », à savoir le « contrôle judiciaire pointage souvent dénoncé, qui consiste à ne demander à la personne que d’aller pointer au commissariat ou à la brigade de gendarmerie régulièrement » , alors que sont sans cesse vantés les mérites du contrôle judiciaire dit « socio-éducatif », emportant un véritable suivi par les services pénitentiaires d’insertion ou de probation (SPIP) ou les associations de contrôle judiciaire. Quant aux contrôles judiciaires à l’occasion d’une mise en liberté, ils observent pour leur part une baisse continue depuis 2000. Alors qu’ils avaient atteint le maximum de 11 144 mesures en 2000, ils sont revenus aux niveaux de la décennie 1980, avec 8 445 mesures en 2003. Enfin, le contrôle judiciaire avec placement sous surveillance électronique fait son apparition dans les statistiques en 2003, avec 317 mesures.
Le contrôle judiciaire socio-éducatif (CJSE). Parmi les obligations du contrôle judiciaire, figure celle de « se soumettre aux mesures de contrôle et mesures socio-éducatives destinées à favoriser son insertion sociale et à prévenir le renouvellement de l’infraction » (article 138-6° du CPP). Ce contrôle judiciaire dit « socio-éducatif » a été officialisé par une circulaire du 4 août 1982 et par la loi du 15 juin 2000 dans le Code de procédure pénale. Selon le directeur des Affaires criminelles et des grâces, 13 648 mesures de CJSE ont été ordonnées en 2004, dont 9 269 prises en charge par les associations, 4 195 par les SPIP, et le reste par des personnes physiques. Pour Jean-Marie HUET, « le nombre de mesures est significatif, notamment comparé à celui des détentions provisoires » mais « pas suffisant ». Et d’ajouter : « Nous avons une marge de progression en termes d’impulsion à donner pour que les procureurs de la République requièrent davantage en ce sens » .
Différentes études insistent sur l’intérêt de cette mesure, « qu’il s’agisse de réduire le risque de fuite, d’assurer la représentation en justice de la personne mise en examen, de préserver la bonne marche de l’instruction ou de prévenir la récidive » . S’il est bien appliqué, le CJSE apporte de réelles chances au mis en examen de rompre avec une situation de précarité criminogène. La victime pouvant dès lors obtenir plus facilement l’indemnisation qui lui est due. Il apparaît que chez les « contrôlés », « les risques de rechute en cours de mesure sont quasi inexistants et fortement réduits au-delà, après que le jugement a été rendu » . Le taux d’échec du CJSE est ainsi évalué à 4 % sur la base des mesures ayant pris fin par un placement en détention provisoire. La COMMISSION DE SUIVI DE LA DETENTION PROVISOIRE compare ce taux à celui du retour en prison après une incarcération (condamnés libérés puis de nouveau condamnés à de l’emprisonnement ferme) « qui, en ordre de grandeur, est probablement dix fois plus élevé. Un taux d’échec bien supérieur et pourtant accepté ». Pour en déduire qu’une « prise de risque plus élevée pourrait être attendue s’agissant d’une alternative à l’incarcération » .
Le contrôleur judiciaire a pour fonction d’accompagner le justiciable « dans une démarche d’amendement. Cela passe par une restructuration de la personnalité, une stabilisation de la situation sociale, une lente réforme des habitudes délétères » . La mise en œuvre d’un CJSE implique en principe un suivi exigeant, avec une périodicité de convocation qui peut être hebdomadaire, un travail de responsabilisation par rapport à l’acte commis, un accompagnement social, sanitaire, éducatif et psychologique. En cas de non-respect des obligations fixées par le juge en cours de mesure, le contrôleur judiciaire doit prévenir le magistrat qui peut ordonner un placement en détention provisoire. Le rapport final rédigé à l’attention du magistrat permet de mesurer l’évolution de la personne au cours de la mesure, notamment dans le domaine de l’insertion et des soins, et de ne pas la résumer à l’acte commis au moment du jugement. Enfin, le coût d’un contrôle judiciaire socio-éducatif est bien moindre qu’une incarcération, une année de CJSE étant évaluée à 1 800 euros et une année de prise en charge d’un détenu en maison d’arrêt à 20 367 euros . Les nombreux avantages du contrôle judiciaire se heurtent néanmoins au manque de moyens accordés aux associations et services pénitentiaires d’insertion et de probation chargés de leur mise en œuvre, ainsi qu’aux difficultés à faire évoluer les magistrats dans leurs pratiques. Selon Christophe CARDET, « l’insuffisance flagrante des moyens matériels et humains dégagés » en faveur des associations socio-judiciaires et des permanences d’orientation pénale, « rend bien illusoire une mutation des pratiques actuelles » .
b) Obstacles au développement du contrôle judiciaire
Les principaux obstacles au développement du contrôle judiciaire sont connus. Les magistrats considèrent ces mesures comme insuffisamment crédibles, dans la mesure où elles sont souvent mises à exécution tardivement, avec un contrôle des obligations peu effectif, ainsi qu’un manque d’accompagnement social par défaut de moyens. En outre, la culture judiciaire n’ayant pas intégré le caractère résolument exceptionnel de la détention provisoire, il apparaît toujours plus facile à un magistrat de signer un mandat de dépôt que de rechercher des solutions alternatives, a fortiori dans un contexte de pénurie de structures d’hébergement social.
Manque d’effectivité et de crédibilité du contrôle judiciaire. Les magistrats s’accordent à regretter le manque d’effectivité et de contrôle entourant les mesures de contrôle judiciaire. Ainsi, Jacques BEAUME rappelle qu’à Marseille, la liberté surveillée prononcée à l’encontre d’un mineur est mise en œuvre « entre 6 et 8 mois après la date de comparution. Il peut ainsi être jugé sans avoir jamais vu l’éducateur désigné pour sa liberté surveillée. Le délai de notification de l’ensemble des mesures alternatives se situe entre 4 et 9 mois ». Si les moyens alloués au milieu ouvert « étaient à la mesure de la demande de sécurité » et si les magistrats pouvaient être certains qu’un contrôle judiciaire ou une liberté surveillée sont « pris en charge dans la journée avec un contrôle réel », ils les utiliseraient davantage, affirme Jacques BEAUME . Dans le même sens, l’UNION SYNDICALE DES MAGISTRATS estime que « cette mesure manque de crédibilité, essentiellement pour des raisons budgétaires ». Les magistrats souhaiteraient qu’un contrôle judiciaire puisse être « exercé jour après jour », ce qui ne peut être envisagé « en raison du manque d’éducateurs ». L’idée d’un contrôle judiciaire plus ou moins intensif, mais en tout état de cause effectif, apparaît incontournable. Dans certains cas, un simple suivi éducatif peut être suffisant, avec ou sans contrôle policier. Dans d’autres, il doit être associé à une assignation à résidence, éventuellement avec surveillance électronique, comme la loi le permet.
RECOMMANDATION
Tout comme la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité l’a prévu pour la mise à exécution des peines alternatives, la CNCDH demande au ministère de la Justice d’organiser un système de mise à exécution rapide des mesures de contrôle judiciaire.
Centres d’assignation à résidence et hébergement d’urgence. La pénurie de places en hébergement d’urgence amoindrit considérablement les possibilités d’utilisation des mesures alternatives à la détention provisoire. Selon le représentant de la Chancellerie, Jean-Marie HUET, « nous aurions davantage de mesures si nous disposions de plus de structures d’hébergement tels que les foyers socio-éducatifs ou les CHRS [centres d’hébergement et de réinsertion sociale]. Le CJSE pourrait alors être développé dans de nombreux contentieux, comme celui des violences conjugales, pour lequel le JLD [juge des libertés et de la détention] est conduit à prononcer des mandats de dépôt pour éviter la réitération des faits » .
Pour les cas nécessitant un éloignement du domicile, la création de maisons d’assignation à résidence est proposée, « avec un simple gardien contrôlant les entrées et sorties. Le prévenu serait obligé de résider à cet endroit, pouvant continuer à aller travailler, étant interdit de sortie à certaines heures... » . Le Québec a initié une expérience-pilote en ce sens, face à la montée de la détention provisoire depuis la fin des années 1980 (le pourcentage de prévenus est de plus de 45 % des personnes incarcérées dans les institutions provinciales en 2006). Il s’agit de l’utilisation d’un « Centre résidentiel communautaire », « établissement privé, sans but lucratif, offrant aux personnes contrevenantes des services d’aide et de soutien sur les plans psychosocial et socioculturel, le logement, la nourriture et certains services ou programmes d’activités susceptibles de les aider dans leur démarche de réinsertion sociale, et ce dans un encadrement soutenu » . Au lieu d’être incarcérées, les personnes contrevenantes ont l’obligation de résider dans ce centre jusqu’à leur jugement. Le Centre résidentiel communautaire peut accueillir des personnes faisant « l’objet d’une demande de rapport présentenciel, pour lesquelles le tribunal désire un contrôle sur la personne mais considère toutefois que la détention est excessive », ainsi que des prévenus accusés de violence conjugale ou d’agression sexuelle. Pierre LALANDE, conseiller auprès des services correctionnels du Québec, explique que l’administration judiciaire « évite ainsi l’incarcération tout en fournissant un encadrement à moindres coûts ». Reste à attendre l’évaluation de ce projet-pilote, qui devrait permettre de savoir si ce type de mesures « contribue à diminuer le nombre de prévenus renvoyés en détention ou si elle a plutôt pour effet de surpénaliser des personnes qui, en l’absence d’une telle mesure, auraient en fait été libérées » .
RECOMMANDATION
Pour des cas nécessitant un éloignement du domicile, la CNCDH recommande la création de maisons d’assignation à résidence, à l’image de l’expérience pilote du Québec. Les prévenus seraient obligés de résider dans ces centres, éventuellement jusqu’à leur jugement.
Manque d’accompagnement social. Pour nombre de magistrats, « le manque d’accompagnement social constitue l’obstacle majeur » à l’utilisation du contrôle judiciaire socio-éducatif (CJSE). Nicole MAESTRACCI, présidente du tribunal de grande instance de Melun et de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS), constate qu’au moment de prendre une décision de détention provisoire, les juges manquent « d’un service capable de proposer une solution alternative, disponible le soir jusqu’à la fin des audiences et connaissant bien le dispositif d’insertion sociale du département, à l’image des unités éducatives auprès du tribunal pour enfants (SEAT) grâce auxquelles nous avons évité une explosion des mandats de dépôt pour les mineurs ». Elle estime que les associations de contrôle judiciaire socio-éducatif ont été créées « dans un certain artisanat et avec relativement peu de moyens », sans articulation avec les services d’insertion et de probation (SPIP). Dès lors, il lui apparaîtrait judicieux de rassembler ces moyens éclatés au sein d’un « service public de l’insertion des majeurs, comprenant le SPIP et des associations habilitées à partir d’un référentiel établi » . Des textes devraient également mieux préciser le contenu d’un CJSE, le type de contrôle à effectuer et sa fréquence, la nature de l’aide apportée par l’association, les partenaires avec lesquels elle travaille, etc.
Un décret du 9 janvier 2004 et une circulaire d’application du 12 mars 2004 sont venus modifier à la marge le système des mesures présentencielles confiées aux associations de suivi socio-judiciaire. Au titre des nouveautés, une description précise du contenu des mesures doit en principe être effectuée par voie contractuelle entre juridictions et associations. Est également prévu un système d’évaluation afin d’apprécier les résultats obtenus par rapport aux objectifs fixés. Si ces textes vont dans le bon sens, ils apparaissent insuffisamment précis quant au contenu des mesures, alors qu’ils devraient, pour Nicole MAESTRACCI, « préciser pour quel type de travail les associations sont rémunérées, quelles compétences sont exigées d’elles, quelles sont leurs obligations précises (par exemple, le service public doit-il rester disponible au tribunal jusqu’à la fin des audiences pénales ?) ». Autant de questions qui ont été selon elle « tranchées très clairement » par des circulaires pour le service éducatif auprès du tribunal pour enfants . Le procureur du tribunal de grande instance de Marseille va dans le même sens, en estimant que « la qualité et les moyens des partenaires chargés du suivi socio-éducatif sont très variables ». Il déplore ces dernières années « une restriction budgétaire drastique de la politique associative », des associations de suivi de jeunes majeurs s’étant vues « couper les vivres, y compris pour des mesures qu’elles avaient déjà effectuées au cours de l’année 2005 ». Pour conclure que « si l’on souhaite des prises en charge de qualité, il faut en assumer le coût » . En ce sens, il convient de rappeler qu’en 2006, 25 tribunaux de grande instance sur 181 (en métropole) ne disposent toujours d’aucune association de suivi socio-judiciaire, parmi lesquels d’importants TGI comme celui de Lyon.
Des magistrats peu mobilisés. De leur côté, les associations de suivi socio-judiciaire regrettent que les magistrats aient tendance à utiliser la détention provisoire comme une « solution de facilité », indique Denis l’HOUR, directeur général de la fédération Citoyens et justice. Le contrôle judiciaire socio-éducatif (CJSE) représente en effet une certaine prise de risque, une récidive sous contrôle judiciaire impliquant pour le magistrat d’« assumer sa décision et subir d’éventuels reproches », tandis que la détention provisoire apporte « une réponse fiable et incontestable » . Comme l’ensemble des mesures alternatives à la détention, le contrôle judiciaire se heurte également à des oppositions idéologiques ou culturelles, une partie des magistrats appréhendant « leur fonction non pas dans une optique de cohésion sociale, mais simplement en termes d’application du droit et de décisions juridiques pures », ajoute Denis l’HOUR . Une étude réalisée conjointement par la fédération Citoyens et Justice et l’Université de Nantes montre en effet que « de nombreux magistrats refusent l’idée même d’un accompagnement social dans le cadre d’une décision judiciaire ». De même, l’importance d’éviter des détentions est loin de mobiliser la magistrature. Lorsque les juges ordonnent des mesures de CJSE, il est étonnant de constater à quel point l’objectif d’évitement de la détention « est peu recherché en soi. Il apparaît presque plus comme une conséquence qu’un but » de la mesure, prononcée avant tout dans une optique d’obligation de soins, de réflexion sur sa déviance, d’insertion sociale... Le souci d’« éviter une mise en détention non absolument nécessaire » n’entre en ligne de compte que pour 35 % des magistrats, alors que le fait d’ouvrir une possibilité de se soigner apparaît pour 88 % d’entre eux .
Denis l’HOUR considère enfin que certains magistrats méconnaissent la mesure, « son contenu, son sens, son utilisation, son évaluation » . Le chercheur Christophe CARDET, estime lui aussi que les magistrats ne semblent « pas avoir mesuré la valeur ajoutée que constitue un accompagnement socio-éducatif, en tant que substitut de la détention provisoire et comme outil spécifique d’aide à la réinsertion » . A cet égard, la Chancellerie devrait effectuer un travail d’incitation et de pédagogie pour sensibiliser les magistrats au contrôle judiciaire socio-éducatif, au même titre qu’elle l’a entrepris pour les peines alternatives et les aménagements de peine à travers sa circulaire du 27 avril 2006. Ce texte permettrait également de définir plus précisément le contenu de cette mesure et les obligations des structures chargées de sa mise en oeuvre.
RECOMMANDATIONS
- La CNCDH préconise que soient rassemblés au sein d’un même « service de l’insertion des majeurs » l’ensemble des moyens du secteur social présentenciel. Les services pénitentiaires d’insertion et de probation seraient ainsi chargés de coordonner l’intervention des acteurs socio-judiciaires, notamment sous la forme de conventions avec les associations.
- Le ministère de la Justice devrait effectuer, notamment par le biais d’un texte réglementaire, un travail de sensibilisation pour inciter les magistrats du Parquet à requérir davantage dans le sens d’un contrôle judiciaire socio-éducatif. Ce texte permettrait également de définir plus précisément le contenu de cette mesure et les obligations des structures chargées de sa mise en œuvre (nature et fréquence du contrôle à effectuer, type d’accompagnement, qualification des contrôleurs judiciaires, obligation d’une permanence de travailleurs sociaux jusqu’à la fin des audiences...).
Le CJSE inadapté à des courtes durées. Magistrats et travailleurs sociaux s’accordent sur un seul obstacle concret au développement du CJSE : cette mesure « n’est pas adaptée à des courtes durées d’un ou deux mois, comme cela se pratique de plus en plus dans le cadre de la comparution immédiate ou sur convocation par procès-verbal » . S’agissant d’entreprendre un « véritable travail de recontruction et de soins » avant le procès, le CJSE doit être d’une durée minimale. Or, comme le fait remarquer le procureur du tribunal de grande instance de Marseille, de moins en moins de procédures font l’objet d’une durée d’enquête de quatre ou six mois . Dès lors, la fédération CITOYENS ET JUSTICE propose d’instaurer un minimum de six mois pour les mesures de CJSE, notamment lors de la comparution immédiate avec renvoi. Il s’agirait « d’allonger le délai de renvoi, avec audiencement à six mois au lieu de deux ou quatre ». Un délai qui permettrait de « travailler sur les problématiques lourdes, notamment pour des personnes cumulant des problèmes de toxicomanie, psychiatriques, d’hébergement ou de travail... », ainsi que d’approfondir dès la phase présentencielle la question de « la prise de conscience de l’acte, les dommages occasionnés à la victime et d’engager éventuellement une réparation » . Enfin, deux autres dispositifs sont évoqués par certains spécialistes pour renforcer les possibilités de recours au contrôle judiciaire au lieu d’une détention provisoire. Il s’agit de l’enquête sociale présentencielle et du débat contradictoire différé.
c) L’enquête sociale : un secteur en détresse
La loi Perben II du 9 mars 2004 a rendu l’enquête sociale présentencielle obligatoire avant toute réquisition du Parquet en faveur d’un placement en détention provisoire (article 41 du Code de procédure pénale). Néanmoins, le domaine d’intervention des enquêtes rapides a été étendu sans qu’une évaluation préalable n’ait été effectuée ni les moyens correspondants dégagés, alors que le dispositif était déjà inefficient auparavant. Si elle était réalisée dans de bonnes conditions, l’enquête sociale devrait permettre d’évaluer la situation personnelle et sociale du prévenu, d’informer le juge sur les mesures de nature à favoriser son insertion et à éviter un placement en détention provisoire. Avant la loi du 9 mars 2004, seules quelques juridictions pratiquaient l’enquête de personnalité systématique avant toute réquisition de placement en détention provisoire. Désormais, davantage de juridictions l’ont mise en place, mais certaines ne la pratiquent toujours pas. Jean-Marie HUET explique que les services du ministère de la Justice rencontrent « quelques difficultés dans l’exercice de juridictions dotées de moyens plus modestes. D’autant que cette enquête doit représenter une valeur ajoutée et être effectuée de manière suffisamment rapide » .
Fiabilité des informations. Sur le terrain, le problème majeur réside dans les conditions de réalisation de cette enquête, qui la rendent peu crédible et efficiente dans la plupart des juridictions. Les enquêtes sont souvent effectuées dans des geôles de commissariat ou des couloirs, aucun local spécifique n’étant prévu à leur effet. Les travailleurs sociaux disposent de 15 à 45 minutes pour réaliser l’entretien avec le prévenu, ce qui ne leur permet pas de vérifier les informations fournies par celui-ci. Dans ces conditions, les enquêtes sociales ne permettent pas même aux travailleurs sociaux d’établir, finement et de manière fiable, la situation sociale du prévenu. « Elles peuvent établir si le prévenu se trouve dans une situation de désinsertion la plus totale, ou à l’inverse, s’il est dans une situation économique et familiale « normale ». Mais dans environ 40 % des cas, le délai laissé aux enquêteurs ne permet pas d’établir un diagnostic clair », évalue le procureur du TGI de Marseille . Afin de remédier à ces dysfonctionnements, il apparaît nécessaire de permettre aux travailleurs sociaux ou à d’autres agents auxquels seraient attribuées des fonctions de contrôle, de vérifier les informations transmises par le prévenu sur sa situation de travail, de famille, etc. Au cours des travaux préparatoires de la loi Perben II, la fédération Citoyens et Justice avait proposé une « enquête sociale plus complète, laissant à l’enquêteur trois heures, afin d’approfondir avec l’auteur présumé l’ensemble des problématiques et de vérifier les informations » . Le ministère a élargi le domaine des enquêtes sociales en les rendant obligatoires dans certains cas, mais n’a rien prévu pour améliorer leur dimension qualitative.
Trouver des solutions alternatives. Outre le manque de fiabilité des informations recueillies sur la base des seules déclarations du prévenu, les enquêteurs se trouvent rarement en situation de proposer au magistrat une alternative solide au placement en détention provisoire. Pour Jacques BEAUME, il est « quasiment impossible pour le travailleur social de trouver en 30 à 45 minutes une solution alternative à la détention provisoire, le principal obstacle se situant dans la pénurie de places d’hébergement d’urgence » . Jacques FAGET ajoute qu’il existe néanmoins « quelques expériences d’excellente coordination entre procureurs, juges, et associations très investies, qui sont parvenues à créer un réseau solide en matière d’hébergement ». Mais globalement, il confirme qu’il est rare de voir des réseaux stables de partenaires permettant d’organiser rapidement des hébergements et placements en formation. Les travailleurs sociaux se heurtent inévitablement à l’engorgement des structures sociales d’hébergement d’urgence telles que les CHRS, qui ne peuvent « garder en permanence des places libres à la disposition aléatoire d’individus confrontés à la justice .
RECOMMANDATION
Le domaine des enquêtes sociales, en particulier présentencielles, a été étendu par la loi du 9 mars 2004 sans tenir compte des conditions dans lesquelles elles sont réalisées, ni du temps et des moyens nécessaires. Alors que le mauvais fonctionnement de la permanence d’orientation pénale apparaît comme un obstacle au prononcé de mesures alternatives à la détention, une évaluation doit être réalisée et le dispositif réformé. Les conditions de réalisation de l’enquête doivent être revues afin de permettre aux travailleurs sociaux de recueillir une information fiable et utilisable par les magistrats.
Le débat contradictoire différé. La COMMISSION DE SUIVI DE LA DETENTION PROVISOIRE demande à disposer d’évaluations plus précises concernant le débat contradictoire différé. Cette mesure est ainsi évoquée « par les praticiens comme une voie possible de recours accru aux alternatives à la détention provisoire, en accordant plus de temps au recueil d’informations vérifiées sur la situation de la personne mise en examen », indique la Commission. En effet, malgré la mise en place du juge des libertés et de la détention (JLD), le résultat des débats contradictoires ordinaires serait devenu « aussi prévisible qu’il l’était à la fin des années 1990. La seule évolution qui mérite mention est celle du débat contradictoire différé ». Alors que le débat différé est de moins en moins utilisé (3,5 % de l’ensemble des débats contradictoires en 2003, contre 6 à 7 % entre 1994 et 1998), « les chances de ne pas être placé sous mandat de dépôt à l’issue d’un débat contradictoire différé augmentent quant à elle régulièrement ». Le pourcentage de mandats de dépôt à l’issue d’un débat contradictoire ab initio est de 89,5 % en 2003, contre 67,5 % à l’issue d’un débat contradictoire différé. Reste à savoir si ce pourcentage ne s’explique pas justement par la baisse du recours à cette procédure. Une hypothèse dans laquelle les reports ne seraient « plus demandés que pour les cas où des éléments sont réellement susceptibles d’être apportés par la défense pour éviter le mandat de dépôt » . En ce sens, la présidente du TGI de Melun indique que l’intérêt du débat contradictoire différé dépend en grande partie de la qualité de la défense que peut s’offrir le prévenu. « Si le prévenu dispose d’un avocat motivé et d’une possibilité d’accompagnement social disponible, il devient intéressant pour le magistrat de déclarer que la mise en liberté pourra être envisagée une fois certaines conditions réunies », explique-t-elle. Mais il est évident que « les personnes trop marginalisées demeurent très défavorisées pour rassembler ces conditions » .
 
B - PHASE SENTENCIELLE : MODES DE JUGEMENT ET PEINES ALTERNATIVES
Dans la phase sentencielle, la justice pénale rend des décisions et condamnations à l’encontre des auteurs de délits, de crimes ou de contraventions. Cette dernière catégorie des contraventions ne sera pas étudiée ici, l’emprisonnement ferme n’étant encouru que pour les crimes et délits dans le nouveau Code pénal. Parmi les peines prononcées, seront considérées comme « peines alternatives » toutes celles ne comportant pas d’emprisonnement ferme. De toute évidence, elles visent davantage le domaine des délits, pour lesquels la peine d’emprisonnement maximale est de 10 ans. Néanmoins, les peines d’emprisonnement prononcées à l’égard des faits qualifiés de « crimes » peuvent être entièrement assorties du sursis, et donc entrer dans le champ des peines alternatives. En 2004, 3 264 condamnations ont été prononcées pour crime, dont 357 peines de prison assorties d’un sursis total (soit 10,9 %) et 26 « autres décisions » qu’une peine privative de liberté (soit 0,8 %). En matière correctionnelle (délits), les peines sans emprisonnement ferme représentent 77 % des sanctions prononcées en 2004 (374 134 décisions sur un total de 485 847) .
Après avoir régulièrement augmenté entre 1994 et 2001, le nombre de peines alternatives à l’incarcération a observé une baisse significative au cours des années 2001 et 2002, pour ensuite remonter en 2003 et 2004, observant les mêmes tendances que celles de la détention provisoire. Le taux de peines alternatives parmi l’ensemble des peines correctionnelles prononcées est ainsi passé de 78 % en 2000, à 74 % en 2002 et 77 % en 2004 . La croissance ininterrompue des procédures de comparution immédiate porte largement atteinte à la recherche et au prononcé de peines alternatives, en particulier depuis l’extension de cette procédure aux délits encourant 10 ans d’emprisonnement. Par ailleurs, le champ d’application des peines alternatives pourrait être développé, tandis leur mise à exécution est en voie d’amélioration suite à la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (Perben II).
1 - EXTENSION DE LA COMPARUTION IMMEDIATE : UN MOUVEMENT DEFAVORABLE AUX PEINES ALTERNATIVES
La création ou le développement des procédures de jugement rapide s’inscrit, tout comme les alternatives aux poursuites, dans le cadre du « traitement en temps réel » (TTR), doctrine qui s’est implantée en France à partir de la fin des années 1990 afin de répondre aux mises en cause de l’institution judiciaire. La diffusion au cours des dernières décennies « d’une attaque frontale contre la justice sur le thème de l’inefficacité », celle-ci étant jugée « trop lente », « trop clémente » et « trop prompte à classer les affaires » a amené les responsables politiques à mettre en place le TTR, la justice se dotant ainsi d’un outil effectivement « synonyme de rapidité, d’efficacité, de réponse systématique » . Le souci de célérité répond à une préoccupation légitime et la procédure de comparution immédiate comporte certains avantages. Ainsi, le rapport du sénateur François ZOCCHETTO souligne-t-il l’intérêt d’un audiencement très rapide, quand « les délais de citation pour les COPJ [convocations par officier de police judiciaire] sont aujourd’hui très importants (huit à neuf mois en moyenne, voire douze mois à Paris), et ne permettent pas à la réponse pénale de conserver un sens ». Il indique également que la procédure de comparution immédiate est « très appréciée des services de police et de gendarmerie car (...) elle conforte l’efficacité du travail sur le terrain, (...) possède un effet dissuasif et immédiatement visible sur la délinquance » . Concernant l’effet dissuasif de la comparution immédiate, il convient néanmoins de souligner qu’une telle affirmation ne repose sur aucune évaluation objective.
Par ailleurs, la reconnaissance des avantages de la comparution immédiate n’empêche pas de s’interroger sur les excès observés dans l’utilisation de cette procédure, intervenant notamment aux dépens des principes du procès équitable et du prononcé de peines alternatives à l’emprisonnement. Les modes de saisine rapide du tribunal correctionnel concernent désormais 75 % des contentieux contre 45 % il y a dix ans. Les comparutions immédiates connaissent un accroissement de 45 % entre 2000 et 2005 . L’urgence semble être devenue l’axe principal de la politique pénale, au détriment du questionnement sur l’opportunité des poursuites, de la qualité des enquêtes, du respect du contradictoire et du principe de l’individualisation des peines. Une telle évolution emporte des conséquences directes sur le recours aux peines alternatives. Taxée de « justice d’abattage », la comparution immédiate devient la principale source d’alimentation des prisons en condamnés à de courtes peines. Cette procédure représente une certaine pression en faveur de l’emprisonnement, le temps limité permettant difficilement la recherche de solutions alternatives et les condamnations à des peines de prison de moins d’un an pouvant être assorties de mandats de dépôt.
1-1 - UNE JUSTICE EXPEDITIVE POUR DES FAITS DE PLUS EN PLUS GRAVES
Créée en 1983, la procédure de comparution immédiate est issue de l’ancienne procédure des flagrants délits. Elle permet de juger des personnes mises en cause pour un délit passible de six mois à dix ans d’emprisonnement, à l’exception des mineurs et certains délits particuliers. Les personnes mises en cause sont généralement présentées à l’audience dans les 72 heures. Dès 2002, le nombre d’affaires poursuivies en comparution immédiate (38 300) dépasse celui des affaires faisant l’objet d’une instruction (37 400). Mais « c’est en 2005 que le nombre d’entrées en prison dans le cadre de la procédure rapide (29 500) dépasse celui des entrées « instruction » (28 400) » . C’est ainsi que la comparution immédiate est devenue en quelques années le premier vecteur d’entrées en prison, l’ensemble des réformes et orientations de politique pénale venant favoriser son utilisation.
a) Un champ d’application étendu
Initialement réservée aux flagrants délits, le champ d’application de la comparution immédiate n’a cessé d’être étendu. Dernière en date, la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice (Perben I) a considérablement élargi les possibilités de jugement selon cette procédure, en l’étendant à l’ensemble des délits passibles d’une peine d’au moins deux ans (six mois en flagrant délit) à dix ans d’emprisonnement, contre un an à sept ans antérieurement. Cette extension provoque certaines inquiétudes, puisqu’elle permet de juger dans des délais extrêmement brefs (quatre mois maximum en cas de renvoi) « une personne susceptible d’être condamnée, en cas de récidive, à une peine pouvant aller jusqu’à vingt ans d’emprisonnement » . Une situation également préoccupante pour les victimes, qui auraient souvent besoin d’un délai plus long entre l’infraction et le jugement pour se trouver en état d’organiser leur défense, et que leurs intérêts « soient pris en compte et protégés » .
Des conditions inadaptées à un large éventail d’affaires. La comparution immédiate sert désormais aussi bien à « traiter - en les simplifiant - de gros dossiers qui échappent ainsi à l’instruction, que toutes les petites affaires sensibles de la délinquance de rue », comme l’expliquent les chercheurs Benoit BASTARD, Christian MOUHANNA et Werner ACKERMANN dans une étude sur le traitement en temps réel . Ainsi, la même procédure est-elle marquée d’un double paradoxe. D’une part, elle traite rapidement d’affaires complexes dont certains magistrats considèrent qu’elles « mériteraient une instruction », « ne sont pas en état » et s’avèrent « difficiles à juger ». De l’autre, sont envoyés en comparution immédiate des cas qui « ne méritent même pas de passer en audience » .
L’extension prévue par la loi Perben I accentue encore cet écart en permettant de juger des délits passibles de 7 à 10 ans de prison, tels que des trafics de stupéfiants, des homicides involontaires ou certaines infractions à caractère sexuel. Des avocats citent des affaires comme celle de « deux étrangers, interpellés avec 150 kilos de haschich, condamnés à quatre années de prison en comparution immédiate » . De tels cas demeurent isolés et la majorité des affaires jugées en comparution immédiate sont de moindre gravité et aboutissent à des courtes peines de prison ferme. « La moyenne de la durée des condamnations à des peines d’emprisonnement est de trois à six mois, mais peut être très supérieure en matière d’infractions à caractère sexuel ou d’atteintes aux personnes », indique le rapport du sénateur François ZOCCHETTO. Le plus souvent, les juridictions utilisent la procédure de comparution immédiate pour « des faits simples ayant troublé l’ordre public, commis par une personne ayant des antécédents judiciaires » . La majeure partie des infractions concernées demeure les vols avec violence, les conduites sous état alcoolique en récidive et les violences contre les personnes.
Des affaires de plus en plus mineures se trouvent néanmoins adressées en comparution immédiate (CI). Ainsi, des juridictions en viennent à traiter en CI des affaires « pour des gens qui n’ont jamais été condamnés, et pour des choses qui ne sont pas dramatiques », explique un juge d’instruction . Avec le risque de condamner plus sévèrement des affaires mineures que des faits plus graves jugés dans le cadre d’autres procédures. Ainsi, un magistrat se demande-t-il en évoquant le cas de « deux jeunes de 18 ans condamnés à une peine de prison ferme pour un incendie de poubelle » : « C’étaient pas des délinquants (...) juste des conneries de môme. Est-ce qu’il n’y a pas une disproportion de la mécanique de la comparution immédiate ? » .
Des enquêtes de moindre qualité. Le sociologue Christian MOUHANNA estime qu’en raison d’un temps d’enquête très bref, le système de la comparution immédiate « potentiellement, peut produire beaucoup d’erreurs et présente des lacunes en termes d’exemplarité et de compréhension de la sanction, aussi bien par les auteurs que par les victimes ». Il conteste l’idée selon laquelle ne seraient jugés en comparution immédiate que des affaires dans lesquelles les faits sont avérés, estimant que « nous nous situons dans une sphère plus floue, avec des possibilités d’erreur lorsque l’affaire est plus complexe qu’il n’y paraît » . En ce sens, certains magistrats indiquent que dans le cadre de la CI, « les charges retenues sont parfois minces et les enquêtes peu approfondies » . « Les erreurs judiciaires sont à rechercher dans ces procédures », estime également Martine HERZOG-EVANS, professeur de droit pénal. Les enquêtes policières sont très rapides (le plus souvent 48 heures) ce qui ne permet pas, selon certains avocats, « de garantir en amont que les investigations réalisées l’ont été « à charge et à décharge » . La qualité du travail d’enquête est également mise en cause par certains magistrats, en raison du manque de temps qui lui est réservé. Ainsi les membres du Parquet reçoivent-ils parfois des procédures « sans rapport avec le compte rendu téléphonique » des policiers. Certains juges du siège considèrent dès lors que « l’audience devrait servir à reprendre les éléments présentés et à les contrôler d’une manière systématique », au risque de « remettre en cause les investigations effectuées par les services de police et les décisions prises par le Parquet ». Mais de tels contrôles s’avèrent difficiles à effectuer dans le cadre d’une comparution immédiate. D’autres affirment que le tribunal « ne devrait avoir à trancher que sur la culpabilité », qu’il est anormal « d’avoir à vérifier le travail d’enquête », alors que parfois, « le travail de fond n’est pas fait » par la police et insuffisamment vérifié par le Parquet .
Il est également reproché à la procédure de comparution immédiate « d’inciter les services d’enquêtes parfois pressés d’obtenir une sanction rapide, à boucler les dossiers sans remonter les filières ». Ainsi est-il constaté une « baisse des investigations de la part de la police et du Parquet, notamment en raison de leur coût et de leur longueur » . Cette critique vise essentiellement les affaires de trafic de stupéfiants, qui faisaient auparavant l’objet d’une instruction ou d’une information avec commission rogatoire internationale. Elle s’articule avec une autre crainte manifestée par le monde judiciaire : celle d’une logique de productivité amenant la justice à se concentrer sur des petites affaires simples au détriment d’affaires plus compliquées de criminalité organisée. Selon une étude publiée en juillet 2005, la comparution immédiate, et plus globalement le traitement en temps réel, entraînent « un glissement des priorités des gros dossiers, longs et difficiles à traiter, vers les petites affaires médiatiques, plus simples et qui génèrent une meilleure productivité » .
Un manque d’éléments pour statuer. Certains juges du siège regrettent « le manque d’éléments nécessaires pour statuer », « de renseignements de personnalité, d’enquête sociale » dans le cadre des comparutions immédiates. Ils estiment qu’à l’audience de CI, « la personnalité du mis en cause se trouve réduite à son casier judiciaire » et « le contexte dans lequel les faits allégués prennent place ne peut pas être véritablement considéré » . Martine HERZOG-EVANS explique que les CI n’offrent aux juges et avocats « que des faits à apprécier, en l’absence d’éléments humains », ce qui instaure « une distance psychique avec le prévenu » et encourage à « ne voir à travers lui que son acte ». Et de conclure : « puisque s’ajoute une logique d’abattage liée au nombre de procédures pour un temps limité, tout magistrat deviendrait un pourvoyeur de détention dans ces conditions » . Les enquêtes sociales rapides, rendues obligatoires par la loi du 9 mars 2004 (Perben II) dans le cadre des comparutions immédiates, s’avèrent là encore effectuées trop rapidement pour apporter des éléments fiables.
b) Une procédure malmenant les droits de la défense
La procédure de comparution immédiate se caractérise par un difficile exercice des droits de la défense, avec des conséquences probables, mais non quantifiables, sur la nature des peines prononcées. Nombre d’avocats critiquent ce qu’ils considèrent comme une « justice expéditive, qui automatise les processus de décision et ne donne pas aux personnes mises en cause le temps et les ressources nécessaires à une véritable défense » . Dans un tel contexte, la défense voit réduire ses chances de peser dans le sens d’une utilisation d’alternatives à la détention.
Un difficile exercice des droits de la défense. Concrètement, les avocats prennent connaissance du dossier sur place, disposant généralement de 15 à 45 minutes pour l’étudier. Ils signalent qu’ils ont rarement le temps de « lire complètement une procédure, ni de parler aux gens » . Ils défendent un dossier qu’ils connaissent mal, face à des juges se basant essentiellement selon eux « sur les procès-verbaux de police rédigés exclusivement à charge » et tenus pour vérité . Dans la plupart des juridictions, un seul exemplaire du dossier transmis par les policiers doit être partagé entre le procureur, le magistrat présidant l’audience et l’avocat. Certains Parquets ont mis en place la transmission des copies des procédures aux avocats dès leur orientation, avant même leur notification aux mis en cause. Une pratique dont la généralisation devrait être examinée, comme le préconise le rapport ZOCCHETTO relatif aux procédures accélérées de jugement en matière pénale.
Certains membres du Parquet vont jusqu’à valoriser la comparution immédiate car elle ne permet pas au prévenu d’organiser sa défense : « La comparution immédiate, c’est un coup immédiat. Le délinquant n’a pas le temps de se défendre. Le plus important ici, c’est que les victimes sachent qu’il y a eu une réponse rapide à l’infraction », déclare un vice-procureur dans l’étude de Benoit BASTARD, Christian MOUHANNA et Werner ACKERMANN . Des propos significatifs de certaines dérives observées dans l’utilisation de la comparution immédiate. Selon le procureur de Marseille Jacques BEAUME, qui estime que cette procédure « n’est pas mauvaise en soi », il serait nécessaire de compenser sa rapidité « par des précautions en termes de contradictoire et de droits de la défense ». Il considère ainsi que l’avocat ne doit plus se trouver « en position d’infériorité par le manque de temps dont il dispose pour prendre connaissance du dossier, alors que les contrôles du ministère public sont également moins fiables en raison de l’urgence dans laquelle ils sont effectués » .
Des victimes peu considérées. La défense des victimes s’avère également dans certains cas malmenée dans le cadre des comparutions immédiates. En raison de la rapidité de la comparution après les faits, certaines victimes ne sont pas en état de se présenter à l’audience, voire n’ont pas même été averties des dates et heures de la comparution. Le procureur Jacques BEAUME confirme que « la place de la victime est aussi négligée : en raison de l’urgence, elle n’est pas mise en mesure d’apporter tous les renseignements ». Il ajoute qu’au tribunal de grande instance de Marseille, « une assistante de justice s’occupe de vérifier par téléphone que les victimes aient été prévenues de la date d’audience » . Une démarche évidente et indispensable qui devrait s’imposer à l’ensemble des juridictions, accompagnée des moyens nécessaires à sa mise en œuvre.
Un faible taux d’appels et de demandes de renvoi. Les défenseurs de la comparution immédiate arguent souvent du faible taux d’appel faisant suite aux condamnations prononcées. Par exemple, le tribunal de grande instance de Paris ne compte qu’une dizaine d’appels par mois à l’encontre des jugements en CI, qui se soldent en outre par de nombreux désistements. Le rapport ZOCCHETTO rappelle cependant les « jurisprudences parfois très dissuasives des cours d’appel - aboutissant, comme à Lyon, à une aggravation très significative des peines prononcées en première instance ». De même, les délais d’audiencement devant les cours d’appels (jusqu’à quatre mois) rendent l’appel inutile, puisque « en raison de leur brièveté, les peines sont bien souvent purgées avant d’être examinées » . Autre argument souvent entendu pour estimer que la procédure de comparution immédiate offre suffisamment de garanties au justiciable : celui-ci a la possibilité de demander un renvoi à l’audience, afin de ne pas être jugé immédiatement, mais dans un délai de quatre mois. Or, si le prévenu demande un renvoi, « il a toutes les chances d’être placé en détention provisoire, voire d’être sanctionné plus sévèrement », indique Christian MOUHANNA. Dès lors, « les avocats conseillent à leurs clients d’accepter d’être jugés immédiatement, afin de ne pas « payer » ce qui pourrait apparaître comme une façon « d’embêter » les juges. Le justiciable n’a pas l’impression d’être à égalité avec le magistrat, mais plutôt qu’il doit essayer de réduire les risques d’une situation qui lui sera de toutes façons défavorable » .
1-2 - UNE PROCEDURE POURVOYEUSE D’INCARCERATIONS
L’absence de statistiques nationales empêche d’établir précisément le caractère plus répressif des jugements prononcés dans le cadre de la procédure de comparution immédiate. Néanmoins, les données locales confortent largement cette thèse, avec entre 60 et 80 % de mandats de dépôt prononcés, selon le rapport du sénateur François ZOCCHETTO. Il est également avéré que des faits jugés en comparution immédiate sont « plus souvent sanctionnés par des peines d’emprisonnement ferme que des faits parfois plus graves traités dans le cadre d’autres procédures » . En dehors de quelques juridictions comme Bobigny utilisant massivement la CI, y compris pour des cas « ne méritant pas l’emprisonnement », « les magistrats sont unanimes à répondre que la comparution immédiate mène directement à la prison ferme » indique le chercheur Bruno AUBUSSON DE CAVARLAY. En effet, « la procédure est entièrement conçue en ce sens et elle organise le maintien sous main de justice depuis l’arrestation de la police jusqu’à l’incarcération ». Néanmoins, il ajoute que la comparution immédiate n’a pas favorisé à elle seule le développement des mandats de dépôt, « puisqu’elle a principalement mordu sur le mandat de dépôt du juge d’instruction » .
a) Adapter la gestion des moyens à la sévérité des peines
Le paradoxe de la comparution immédiate est de consacrer très peu de temps aux dossiers pour prononcer essentiellement des peines d’emprisonnement avec mandat de dépôt. Au point que « la justice consacre moins de temps pour incarcérer une personne en comparution immédiate que pour suspendre pendant trois ans un permis de conduire déjà suspendu par l’autorité administrative », signale Bruno AUBUSSON DE CAVARLAY. Parallèlement, les Cours d’assises font face à une disproportion inverse, « un temps considérable étant consacré à chaque affaire, alors que les sanctions ne sont souvent pas si éloignées des sanctions les plus graves prononcées en comparution immédiate ». Dès lors, l’on peut se demander si « la gestion des moyens est bien répartie au regard de la sévérité des peines prononcées » .
Si la célérité de la justice apporte des avancées incontestables, en évitant des jugements très éloignés de la date des faits, de nombreuses voix s’élèvent pour demander qu’il soit mis un terme aux excès issus de la procédure de comparution immédiate. Ainsi, l’UNION SYNDICALE DES MAGISTRATS propose de rechercher « un juste milieu entre des jugements aux Assises cinq ans après les faits et des jugements en comparution immédiate à la sortie de la garde à vue ». Pour Dominique BARELLA, il paraît envisageable de fixer des délais de comparution « entre trois et six mois en fonction de la hauteur de la peine que le Parquet souhaite requérir » . La comparution « immédiate » pourrait dès lors être transformée en une procédure de jugement « rapide », avec un délai de comparution minimal de deux semaines après les faits et maximal de six mois, afin que le prévenu, la victime, le juge du siège et l’avocat soient mis en mesure de préparer l’audience.
b) Favoriser l’utilisation des peines alternatives et aménagements
En théorie, rien n’empêche de prononcer des peines alternatives en comparution immédiate tout autant que dans d’autres procédures correctionnelles. Mais en pratique, les peines de substitution sont très peu utilisées dans ce cadre, même si des variations sont observées selon les juridictions. L’une des principales dispositions favorisant l’emprisonnement est « la possibilité de délivrer un mandat de dépôt à l’encontre des personnes condamnées à des peines d’emprisonnement ferme inférieures à un an - ce qui est par ailleurs impossible » en matière correctionnelle . Dès lors, ces peines sont mises à exécution avant de pouvoir être examinées par le juge de l’application des peines en vue d’un aménagement.
Pressions multiples. Dans le cadre d’une comparution immédiate, « un message subliminal [est] adressé aux juges du siège par le Parquet : « nous passons cette affaire en urgence car nous estimons que le cas est grave et nécessite fermeté », explique Dominique BARELLA, représentant du premier syndicat de magistrats . L’ensemble des acteurs savent que le choix d’une comparution immédiate « inclut l’anticipation d’une peine de prison » par le Parquet, explique la recherche du GIP-justice sur le traitement en temps réel . Côté policier, le choix par le Parquet d’une procédure correctionnelle moins rapide, telle que la convocation par officier de police judiciaire, représente même une sorte d’échec, qui semble « ne pas valoriser notre travail », indique un officier de police judiciaire (OPJ) aux chercheurs. Le Parquet peut même redouter le prononcé d’une peine alternative par le juge du siège. Un substitut l’explique en ces termes : « Quand on fait une comparution immédiate, on veut un mandat de dépôt. Si cela débouche sur une peine d’intérêt général et qu’il y a tous les copains dans la salle, c’est catastrophique » . Certains Parquets reconnaissent également utiliser la comparution immédiate (CI) dans des cas où elle ne se justifie pas, parce qu’ils anticipent le risque d’inexécution des peines prononcées dans le cadre d’une COPJ (convocation par OPJ). Ils ont ainsi recours à la CI afin d’être « sûrs que la personne ira en prison, et non pas parce que la nature du délit ou sa gravité l’exigent » .
Le principe d’indépendance du siège apparaît ainsi de plus en plus malmené par les Parquets, dont les choix tendent à conditionner et prédéterminer les peines. Pour Bruno AUBUSSON DE CAVARLAY, « la mise en place de filières pénales fait désormais partie des orientations nationales. Il suffit de lire les circulaires d’application adressées aux juridictions par le directeur des Affaires criminelles et des grâces, pour voir écrit noir sur blanc que suivant la peine à laquelle on veut aboutir, il faut choisir telle ou telle procédure » . A l’occasion d’événements comme les manifestations contre le CPE (contrat première embauche) ou les « émeutes » de novembre 2005, « la Chancellerie adresse des directives aux Parquets pour que ces affaires soient jugées en comparution immédiate. Une semaine plus tard, elle leur téléphone pour leur demander combien d’affaires ils ont effectivement fait passer en comparution immédiate. Tout dépend alors de la capacité des juges à résister aux pressions », explique Christian MOUHANNA . Or, il leur est de toute évidence plus difficile de résister dans le cadre de la justice rapide, qui amoindrit les possibilités « d’appréhender les faits avec recul et de juger sereinement. Le temps court de la comparution immédiate correspond au temps médiatique. Le temps de la correctionnelle se mesure en trois ou quatre mois, quand la pression hiérarchique se fait moins pesante, le niveau central n’ayant plus la même nécessité d’afficher une réponse au cœur de l’actualité » .
Afin d’agir sur le prononcé de peines alternatives en comparution immédiate, il n’apparaît dès lors pas d’autre solution que des orientations claires et cohérentes émanant des services de la Chancellerie. Le directeur des Affaires criminelles et des grâces affirme en ce sens qu’on « ne doit pas oublier qu’en comparution immédiate peuvent être prononcés des sursis avec mise à l’épreuve ou autres mesures alternatives ». Le garde des Sceaux a ainsi adressé une circulaire du 27 avril 2006 afin d’ « impulser dans toutes les juridictions un usage beaucoup plus fréquent de l’ensemble des mesures alternatives, notamment dans le cadre de la comparution immédiate » . Un texte qu’il convient de saluer, tant il invite de façon pédagogique les Parquets à « prendre, en fonction de la situation personnelle et des antécédents judiciaires des prévenus ou des condamnés, des réquisitions tendant au prononcé de peines alternatives aux peines d’emprisonnement, de mesures d’aménagement de peines, (...) également dans le cadre des procédures de comparution immédiate où le prononcé d’une peine alternative à l’emprisonnement ou d’un aménagement ab initio peut s’avérer adapté » . Jean-Marie HUET rappelle également que la procédure de CI « peut être utilisée non pas exclusivement comme une sorte de SAS à la détention, mais aussi comme une forme d’alerte justifiant une comparution » . Il apparaît en effet que certains Parquets tels que celui de Marseille utilisent déjà la CI « dans une frange basse d’environ 10 % », non pas pour requérir ou souhaiter un mandat de dépôt, mais obtenir « une intervention solennelle rapide, visant à provoquer un choc sur le prévenu » .
Plus généralement, la circulaire du 27 avril 2006 décline les avantages des mesures alternatives tant en termes d’individualisation de la peine, que de « prévention de la récidive par un accompagnement socio-éducatif » et de « meilleure prise en compte des intérêts des victimes » . L’application de cette circulaire devra cependant être évaluée précisément afin d’en mesurer l’impact. En effet, les magistrats du Parquet et du siège se trouvent, en matière sentencielle comme en matière de détention provisoire, confrontés à un manque de cohérence des instructions de politique pénale qui leur sont adressées. Comment un procureur recevant cette circulaire peut-il se positionner quand il est abreuvé dans le même temps de notes et circulaires lui demandant d’orienter vers la comparution immédiate tel ou tel contentieux et d’y requérir avec la plus grande fermeté des peines de prison ferme ?
RECOMMANDATIONS
- Le champ d’application de la comparution immédiate devrait être réduit. La CNCDH préconise en ce sens de supprimer son extension aux délits passibles de peines de dix ans d’emprisonnement, pour rétablir le seuil maximal de cinq ans antérieur aux lois du 8 février 1995 et du 9 septembre 2002. Elle souhaiterait également qu’il soit mis un terme à la pratique consistant à imposer aux Parquets le cadre de la comparution immédiate pour certains contentieux.
- L’impact de la circulaire du 27 avril 2006 relative aux aménagements de peines et aux alternatives à l’incarcération doit faire l’objet d’une évaluation, en particulier concernant la demande adressée aux juridictions de procéder « à un usage beaucoup plus fréquent de l’ensemble des mesures alternatives, notamment dans le cadre de la comparution immédiate ». Des dispositions nouvelles devront être prises sur la base des résultats de cette évaluation.
Des peines assorties de mandats de dépôt. Les textes n’obligent pas non plus les juges du siège à assortir les peines de prison ferme prononcées en comparution immédiate d’un mandat de dépôt, ce qu’ils font dans la plupart des cas, venant empêcher tout aménagement avant mise à exécution (ab initio). « Dans le cadre de la comparution immédiate, la place de l’aménagement est nulle. La majorité des CI se conclue par le prononcé d’une peine d’emprisonnement ferme, qui n’est pas aménagée bien que la loi le permette », explique le président de l’Association nationale des juges de l’application des peines Michaël JANAS . Ainsi, les dispositions de la loi du 9 mars 2004 (articles 474 et 723-15 du Code de procédure pénale), qui prévoient que toutes les peines d’emprisonnement inférieures ou égales à un an doivent être examinées par le juge de l’application des peines (JAP) en vue d’être éventuellement aménagées, ne se trouvent pas appliquées dans le cadre des comparutions immédiates. C’est pourquoi la CNCDH demande que ces dispositions soient explicitement étendues aux comparutions immédiates, afin que toute peine d’emprisonnement ferme d’un an et moins prononcée en CI fasse obligatoirement l’objet d’un passage devant le juge de l’application des peines avant mise à exécution.
Pour Nicole MAESTRACCI, présidente du tribunal de grande instance de Melun, la mise en place du Bureau d’exécution des peines et des différentes dispositions de la loi Perben II améliorant la mise à exécution rapide des peines alternatives devraient également « favoriser le prononcé de peines alternatives dans le cadre de la comparution immédiate » et de peines d’emprisonnement sans mandat de dépôt. Dans le cadre de la mise en place expérimentale de ce bureau au sein de son tribunal, « tous les condamnés se rendent à la sortie de l’audience dans un bureau où ils rencontrent un greffier, qui leur explique ce à quoi ils ont été condamnés ». S’il s’agit d’une peine de prison ferme sans mandat de dépôt, un rendez-vous est immédiatement planifié avec le juge de l’application des peines pour décider d’un aménagement. « Rassurés par cette mise à exécution rapide des peines, les magistrats ont tendance à ne plus ordonner systématiquement de mandat de dépôt en comparution immédiate, permettant ainsi un aménagement des peines de prison », explique la présidente du tribunal de grande instance, pour laquelle « une amélioration de la visibilité de l’exécution des peines devrait changer à terme le regard que portent le Parquet, la police et l’opinion publique sur la sanction » .
c) Enrayer l’inflation de saisines par les Parquets
Pour de nombreux juges du siège ou de l’application des peines, les Parquets auraient tendance à abuser de la comparution immédiate et « devraient être invités à user de cette procédure avec davantage de discernement » . Dans les juridictions, se dessine une tendance à « créer ou augmenter les audiences dédiées spécifiquement aux comparutions immédiates », qui fait craindre un appel d’air et une demande croissante du Parquet. Les chercheurs Benoit BASTARD, Christian MOUHANNA, et Werner ACKERMANN citent le cas d’une juridiction dans laquelle le Parquet fait pression pour instaurer une audience de comparution immédiate quotidienne. Les juges du siège, qui ne s’avèrent pas opposés dans ce tribunal « à l’usage de la comparution immédiate comme mode de réponse » craignent néanmoins « son usage excessif et le risque d’une explosion de ce type de poursuites, si la permanence est mise en place » . En ce sens, Nicole MAESTRACCI, présidente du TGI de Melun, estime que « la plupart des tribunaux pourraient éviter d’attribuer des audiences spécifiques pour les comparutions immédiates ». Elle a ainsi pu observer que « le fait de réserver une plage horaire pour les comparutions immédiates au sein de l’audience correctionnelle normale évite mécaniquement une inflation de saisines, même si cela conduit à prévoir plus d’audiences » . Une proposition qui pourrait faire l’objet de consignes aux Parquets et aux présidents de TGI, les invitant à éviter de créer des audiences spécifiques pour les comparutions immédiates.
RECOMMANDATION
Afin d’éviter une inflation des saisines de comparution immédiate, la CNCDH demande au ministère de la Justice d’étudier les possibilités de généraliser la pratique de certains tribunaux consistant à ne pas attribuer d’audiences spécifiques pour les comparutions immédiates.
2 - PEINES ALTERNATIVES : DECISION ET MISE A EXECUTION
Outre le développement des procédures rapides, le prononcé de peines alternatives à l’emprisonnement se trouve compliqué ou limité par divers obstacles juridiques ou une mise à exécution encore trop aléatoire. Le rapport WARSMANN s’est ainsi scandalisé d’un fréquent délai d’un an entre le prononcé de la mesure et le premier rendez-vous avec un agent de probation . La COUR DES COMPTES est venue confirmer l’étendue du problème : « certaines mesures sont notifiées tardivement par les JAP et les SPIP ne peuvent intervenir qu’avec retard. Parfois, ce sont les SPIP eux-mêmes qui tardent à se saisir de dossiers parce que les travailleurs sociaux sont déjà mobilisés par d’autres affaires. Dans le Val d’Oise, par exemple, le SPIP estime à environ 250 le stock de dossiers en attente d’affectation » . Selon Dominique BARELLA, représentant du premier syndicat de magistrats, cette situation entraîne deux types de réaction parmi les juges : « Certains continuent à prononcer des peines alternatives, parce que la loi le prévoit et que ce n’est pas leur problème si la mesure n’est pas appliquée. Avec pour conséquence une perte de crédibilité de l’Etat, notamment aux yeux des délinquants. L’autre position consiste à prononcer les seules peines « efficaces », donc l’emprisonnement » . Face à de tels constats, la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité est venue proposer de nombreuses réponses pertinentes visant à accélérer la mise à exécution des différentes peines alternatives. Des mesures dont il conviendra de mesurer les effets dans une phase ultérieure, certaines d’entre elles n’étant entrées en vigueur qu’à la fin de l’année 2006.
2-1 - LES PEINES PROBATOIRES
Les peines probatoires (comportant une mise à l’épreuve) permettent de suspendre le prononcé ou l’exécution d’une peine de prison au respect par le condamné d’un certain nombre d’obligations. En cas de non-respect de ces contraintes, la peine d’emprisonnement pourra être exécutée. Appliquées de façon rigoureuse, ces peines offrent de nombreuses possibilités, aussi bien en termes de sanction que de réinsertion.
a) Sursis avec mise à l’épreuve
Le sursis avec mise à l’épreuve (SME) peut être défini comme « la suspension de l’exécution d’une peine d’emprisonnement sous conditions de respecter un certain nombre d’obligations durant un temps d’épreuve ». Institué en 1958 en inspiration des systèmes anglo-saxons de probation, il a pour objectif d’éviter les effets désocialisants d’une peine de prison, tout en ne se contentant pas d’accorder une seconde chance au condamné comme le sursis simple, mais de l’y « encourager en l’accompagnant dans ses efforts de resocialisation à l’aide d’un régime probatoire » . Véritable peine alternative à l’emprisonnement ferme, il est classé dans la catégorie juridique des « modes de personnalisation de la peine ».
Champ d’application. Le SME est applicable aux condamnations à une peine d’emprisonnement d’une durée de cinq ans au plus, en raison d’un crime ou délit de droit commun (article 132-41 du Code pénal). Depuis la loi du 12 décembre 2005, lorsque la personne est en état de récidive légale, le SME peut être appliqué aux condamnations à l’emprisonnement pour une durée de dix ans au plus. Cette modification apportée par la loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales vient ainsi étendre le champ d’application de cette peine alternative aux condamnations plus lourdes prononcées pour les mêmes faits lorsque la personne se trouve en état de récidive. Néanmoins, le critère de la récidive n’apparaissant pas pertinent comme nous l’expliquerons ci-dessous, il eut été préférable d’étendre le champ d’application du SME à l’ensemble des infractions passibles d’une peine de dix ans de prison, voire de supprimer l’idée d’un tel seuil afin de laisser au juge sa liberté d’appréciation.
RECOMMANDATION
Le champ du SME ayant été élargi par la loi du 12 décembre 2005 aux condamnations à des peines de 10 ans en cas de récidive légale, il apparaîtrait plus opportun d’élever ce seuil de cinq à dix ans pour l’ensemble des condamnations, le critère de la récidive n’apparaissant pas pertinent.
SME et récidive. Ni le Code pénal ni le Code de procédure pénale n’excluaient plus depuis 1975 les personnes en état de récidive du domaine d’application du SME. En pratique, les juridictions de jugement avaient tendance à le réserver « à des condamnés qui apparaissent encore socialement récupérables » . Une liberté d’appréciation à laquelle la loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 sur le traitement de la récidive des infractions pénales est venue mettre un terme. Ainsi a-t-il été ajouté à l’article 132-41 du Code pénal une disposition interdisant à la juridiction pénale de prononcer un SME à l’encontre d’une personne ayant « déjà fait l’objet de deux condamnations assorties du SME pour des délits identiques » ou considérés par le Code pénal comme de même nature. Sont ainsi considérés comme une même infraction, au regard de la récidive, « le vol, l’extorsion, le chantage, l’escroquerie et l’abus de confiance » (article 132-16 du CP), ou encore « les délits d’agressions sexuelles et d’atteintes sexuelles » (art.132-16-1 du CP), alors qu’on sait combien ils peuvent être de nature et de gravité différentes.
Cette disposition venant supprimer la possibilité d’une troisième condamnation à un SME a d’ores et déjà été considérée par la CNCDH comme portant atteinte au principe de la personnalisation de la peine, en empêchant systématiquement une mesure qui pourrait s’avérer adéquate dans certains cas. La peine de SME peut en effet revêtir des aspects très différents à chaque condamnation, en fonction des mesures de contrôles et des obligations choisies par le juge. Dans son avis sur la proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales, la CNCDH a ainsi regretté que l’octroi du sursis avec mise à l’épreuve soit de la sorte subordonné « à des conditions prenant en compte le passé judiciaire du délinquant », le législateur interdisant « le recours à une mesure qui constitue, dans nombre de situations qui le justifient, l’ultime moyen d’éviter l’emprisonnement ferme ». La Commission déplorait alors cette orientation de la loi venant restreindre « les pouvoirs d’appréciation du juge, quant au choix de la peine et à ses modalités, alors que le principe de personnalisation de la peine a conduit, depuis longtemps, et notamment dans le nouveau Code pénal, le législateur à renoncer à toute idée de systématisation, voire d’automaticité, de la sanction ». Elle rappelait également que « l’une des priorités dans la prévention de la récidive réside moins dans un recours accru à l’emprisonnement que dans un renforcement des moyens qui permettraient un accompagnement socio-éducatif en milieu ouvert, notamment pour les services d’insertion et de probation » . Le CONSEIL DE L’EUROPE invite pour sa part les Etats à initier un mouvement inverse à celui engagé par la loi du 12 décembre 2005, en estimant que « la possibilité de revoir et d’élaguer les textes officiels qui empêchent l’utilisation de sanctions et mesures appliquées dans la communauté pour des délinquants récidivistes ou ayant commis des infractions graves devrait être envisagée » .
De plus, la philosophie de la loi du 12 décembre 2005 ignore les travaux des criminologues, selon lesquels si les faits ne s’aggravent pas, mais ont tendance à diminuer en fréquence et en intensité, la récidive peut faire partie intégrante du processus de sortie de la délinquance. Sonja SNACKEN, professeur de criminologie à l’Université de Bruxelles et présidente du Conseil de coopération pénologique du CONSEIL DE L’EUROPE, l’explique ainsi : « la littérature du « désistance » montre que les délinquants n’arrêtent du jour au lendemain de commettre des délits. Il s’agit d’un processus, au sein duquel des facteurs sociaux tels que la formation d’une famille et le fait de trouver un emploi jouent un rôle important. C’est ainsi que les délinquants parviennent à se construire une identité non criminelle » . Si une personne se trouve en voie de sortie de la délinquance, le fait de lui refuser un troisième SME et de l’incarcérer a ainsi toutes les chances d’enrayer le processus amorcé, notamment par la coupure des liens avec la famille, l’interruption des programmes de formation, de soins ou d’accompagnement social.
Alors que la sortie de la délinquance commence par « une diminution de la fréquence, de l’intensité et de la gravité des actes », la culture pénale « n’intègre pas cette dimension progressive, la première récidive étant sanctionnée par une incarcération » . Sonja SNACKEN compare ainsi les logiques des psychothérapeutes et des pénalistes : « En vertu d’une conception à plus long terme de « réduction des dommages », le thérapeute estime que le toxicomane se trouve sur le bon chemin s’il apprend à contrôler sa dépendance. Il continuera à travailler avec lui, même si le toxicomane rechute une fois ». Elle relève la difficulté de l’institution judiciaire à tirer enseignement de l’apport des autres disciplines, alors qu’elle « prend conscience un peu partout que la peine de prison ne peut pas résoudre les problèmes criminogènes et fait appel à des thérapeutes ou des services extérieurs ». Pour autant, la justice pénale cherche souvent à leur imposer « sa propre philosophie », notamment en exigeant « du thérapeute qu’il fasse rapport de toute récidive, de tout manquement aux conditions ». Selon elle, « le système pénal pourrait faire preuve de plus de modestie et notamment se demander pourquoi un thérapeute estime qu’une certaine forme de récidive ne signifie pas l’échec total de la mesure » .
RECOMMANDATION
La CNCDH demande la suppression de l’interdiction de prononcer un troisième SME à l’encontre d’une personne déjà condamnée à deux SME pour des faits de même nature. Cette disposition, instaurée par la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, vient en effet porter atteinte au principe de personnalisation de la peine, alors qu’une peine de SME peut chaque fois revêtir un contenu très différent selon les obligations qui l’assortissent.
Le SME en chiffres. Le SME arrive largement en tête des mesures de milieu ouvert suivies par les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), avec 108 528 mesures au 1er janvier 2005, soit 78 % de l’ensemble. Au stade des condamnations, le SME a baissé au cours des années 2001 et 2002, puis est remonté en 2003 et 2004. Au stade de l’exécution, le nombre de mesures suivies a atteint son point culminant en 2001 (119 764), puis observé une baisse pendant trois ans et de nouveau une hausse en 2005 .
En matière correctionnelle, le SME « pur », sans que la peine de prison comporte une partie ferme, représente 52 915 condamnations en 2004, soit 10,8 % du total des condamnations pour délits. Le sursis assorti d’un travail d’intérêt général (dit « sursis-TIG ») compte 10 055 condamnations, soit 2 %. Enfin, le sursis simple compte 136 756 condamnations, soit 28 % du total, ce qui en fait la première des condamnations en matière délictuelle, avant l’emprisonnement ferme (111 713 condamnations, soit 23 %). En matière criminelle, le SME représente 150 mesures (4,6 %), le sursis simple 357 (11 %), et le sursis-TIG 207 (6,3 %). L’emprisonnement ferme représente pour sa part 2 881, soit 88 % de l’ensemble .
Obligations et mesures de contrôle. La mise à l’épreuve consiste à imposer au condamné de respecter certaines obligations et mesures de contrôle, durant une période de 12 mois (18 mois jusqu’au 31 décembre 2006) à trois ans maximum. Ce maximum de trois ans apparaît limiter le développement de la peine de SME, d’autant qu’elle peut concerner désormais des peines de prisons allant jusqu’à dix ans. En pratique, la durée moyenne des SME suivis par les services de probation (SPIP) se situe entre 23 et 27 mois selon les années (27 mois en 2002, 23,3 en 2003) . L’on peut ainsi constater que le maximum de 36 mois prévu par les textes doit être fréquemment prononcé, pour que la moyenne des durées s’en rapproche autant. S’il faut se garder de systématiser de longs temps d’épreuve car « une mesure éducative trop longue est toujours difficile à suivre » , il serait intéressant d’en ouvrir la possibilité pour des infractions d’une certaine gravité, que les magistrats peuvent hésiter aujourd’hui à sanctionner par un SME.
Au titre des mesures de contrôle, le condamné à un SME peut être astreint à :
- répondre aux convocations du juge de l’application des peines ou d’un travailleur social ;
- recevoir les visites d’un travailleur social et lui remettre les documents justifiant de ses moyens d’existence et du respect de ses obligations ;
- prévenir de ses changements d’emploi, de résidence ou autre déplacement...
Au titre des obligations, le condamné peut être astreint à :
- exercer une activité professionnelle ;
- suivre un enseignement ou une formation ;
- établir sa résidence en un lieu déterminé ;
- se soumettre à des mesures d’examen médical ou de soins ;
- réparer les dommages causés par l’infraction ;
- justifier qu’il contribue aux charges familiales ou qu’il s’acquitte des pensions alimentaires ;
- justifier du paiement d’amendes dues au Trésor public ;
- s’abstenir de conduire certains véhicules, de fréquenter certains lieux ou personnes ;
- remettre ses enfants aux personnes auxquelles la garde a été confiée...
Le SME peut également prendre la forme d’un sursis assorti de l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général (sursis-TIG) de 40 à 210 heures, venant s’ajouter aux autres contraintes identiques à celles du SME (art. 132-54 et suiv. du Code pénal). La loi du 9 mars 2004 a ajouté deux nouvelles obligations à cette liste. D’une part, celle d’accomplir un stage de sensibilisation à la sécurité routière ou un stage de citoyenneté, d’autre part celle de s’abstenir de diffuser une œuvre dont le condamné serait l’auteur et portant sur l’infraction. Cette dernière obligation s’applique uniquement en cas de condamnation pour crime ou délit d’atteinte volontaire à la vie, d’agressions ou atteintes sexuelles.
L’Administration pénitentiaire ne diffuse pas de données sur les personnes condamnées à des SME (ni aux autres peines alternatives) ou sur les obligations les plus fréquemment prononcées dans le cadre de cette sanction. Selon des études locales, « près de 40 % des probationnaires doivent respecter une obligation de soins, obligation la plus fréquemment prononcée », avant celle « d’indemniser la victime », puis celle de travailler. Dans plus de la moitié des cas, les probationnaires reconnaissent « avoir des problèmes avec l’alcool ». Lorsqu’il s’agit de condamnés pour vols, « une fois sur deux le diagnostic de toxicomanie est posé ». Les probationnaires les plus jeunes (18-21 ans) sont ceux qui ont vécu le plus fréquemment des « événements familiaux traumatisants (décès d’un parent, abandon à la naissance, violences graves, désunion parentale) ». Enfin, la situation socio-économique des probationnaires est fréquemment très précaire : « moins de la moitié ont une activité professionnelle et moins de la moitié habite dans un logement qui leur est personnel » .
Notification et mise à exécution du SME. Comme d’autres peines alternatives, le sursis avec mise à l’épreuve (SME) pâtit de délais de mise en oeuvre extrêmement lents. Ainsi, le rapport WARSMANN a-t-il relevé que certains SME voient le début de leur exécution intervenir à la moitié du délai d’épreuve fixé par le juge.
Afin d’accélérer le processus, la loi du 9 mars 2004 a prévu que la notification de ses obligations au condamné ait lieu dès l’audience (article 132-40 du Code pénal), ce qui permet d’éviter un passage devant le juge de l’application des peines (JAP). Auparavant, un rendez-vous avec le JAP devait obligatoirement précéder la mise à exécution du SME. Or, les juges de l’application des peines expliquaient chaque année devant l’assemblée générale des juridictions qu’ils n’avaient « pas les moyens de prendre en charge les mesures, rencontrant même des difficultés pour notifier les obligations en matière de SME » . Au cours de la phase d’expérimentation de la notification des obligations par le tribunal, certaines juridictions ont rencontré des difficultés à mettre en œuvre cette disposition, particulièrement dans le cadre des comparutions immédiates. Le rapport ZOCCHETTO signale ainsi que la notification des SME en audience publique « peut décourager certains juges de les prononcer [en comparution immédiate], en raison du temps nécessaire à l’explication de la procédure et des difficultés d’impression du procès-verbal dans des salles d’audience non informatisées » . C’est ainsi qu’une mesure visant à accélérer la mise en œuvre du SME et à le crédibiliser en arriverait à produire un moindre recours à cette peine alternative. Néanmoins, cette difficulté semble davantage symptomatique des excès accompagnant les procédures de comparution immédiate que d’une remise en cause de l’intérêt du dispositif prévu par la loi du 9 mars 2004. Il apparaît pour autant nécessaire de doter la justice des moyens informatiques adaptés permettant aux juridictions d’appliquer les dispositions novatrices dans des conditions décentes.
La notification du SME doit également, à partir du 31 décembre 2006, comporter la première convocation du condamné devant le service pénitentiaire d’insertion et de probation (article 474 du Code de procédure pénale). A cette date, tous les tribunaux devraient être dotés de bureaux d’exécution des peines (BEX), chargés de « mieux expliquer au condamné la peine qui vient d’être prononcée, de l’informer sur ses recours et sur les modalités d’exécution de sa peine en milieu ouvert ». Le BEX aura aussi pour fonction de délivrer au condamné à une mesure de TIG ou de SME une date rapide (entre 10 et 30 jours) de convocation devant le SPIP, le tout afin « d’éviter une trop grande césure entre les poursuites et l’exécution de la peine, en organisant un commencement d’exécution juste après l’audience, de manière à raccourcir les délais » . Ce délai de 10 à 30 jours représente pour la France une avancée considérable, qui devra cependant continuer à être raccourci. En effet, la comparaison avec le Québec nous montre qu’il est possible d’atteindre des délais de prise en charge par les services de probation de l’ordre de 48 heures, comme l’indique Pierre LALANDE, conseiller auprès des services correctionnels québécois. Une personne condamnée à une peine alternative au Québec doit ainsi « se présenter pour une première prise de contact (entrevue d’accueil) [dans les] 48 heures (ou deux jours ouvrables) suivant l’entrée en vigueur de l’ordonnance » .
Pour améliorer les délais de prise en charge des mesures, les autorités françaises ne devront pas se contenter d’une notification de la peine et d’un rendez-vous rapide devant le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). En effet, si celui-ci est surchargé, il pourra assurer un premier rendez-vous d’accueil à la date fixée par le tribunal, mais la mise en oeuvre effective de la mesure ne suivra pas. Afin d’« inciter à une exécution plus rapide du SME de courte durée », la loi du 9 mars 2004 a modifié la durée minimale du délai d’épreuve pouvant être fixé par la juridiction, la faisant passer de 18 à 12 mois. Si le juge du siège fixe le délai d’épreuve à 12 mois, le SME doit en effet avoir été pris en charge dans cette période par le SPIP. Encore faut-il que les SPIP soient eux-mêmes dotés des moyens nécessaires, faute de quoi il arrive encore que les SME ne soient tout bonnement pas pris en charge ou de façon extrêmement minimaliste (cf. 2ème partie de l’étude).
Concernant le sursis-TIG, la loi « Perben II » a prévu que les autres obligations imposées au condamné puissent perdurer au-delà de l’accomplissement du travail, le tout dans un délai qui ne peut excéder un an. Cette disposition a pour but « d’exiger que l’accomplissement du TIG intervienne dans le délai d’un an » , ce qui était généralement déjà le cas en pratique. Mais surtout, elle permet d’éviter que l’accomplissement souvent rapide du travail dédouane le condamné de remplir d’autres obligations telles que le remboursement de la victime.
Non avenu et révocation du SME. Les différentes possibilités de mettre un terme au SME ont été transférées avec la loi du 9 mars 2004 de la juridiction de jugement au juge de l’application des peines. Ainsi, la disposition permettant de mettre fin prématurément à la mesure lorsque les obligations ont été respectées et que le reclassement paraît acquis s’avérait très peu appliquée en pratique, certains SME encombrant inutilement les SPIP. Depuis le 1er janvier 2005, c’est le juge de l’application des peines - et non plus la juridiction de jugement - qui est compétent pour déclarer « non avenue » la décision de SME. De même, l’article 132-47 du Code pénal dispose désormais que le SME peut être révoqué en totalité ou partie par le JAP, d’office ou sur réquisition du Parquet. Il s’agit des cas où le condamné ne se soumet pas aux mesures de contrôle et aux obligations qui lui sont imposées ou lorsqu’il a commis une infraction suivie d’une condamnation à l’occasion de laquelle le sursis n’a pas été révoqué.
b) Ajournement avec mise à l’épreuve
Véritable justice en deux temps, l’ajournement de peine permet à la juridiction de se prononcer sur la culpabilité du prévenu lors de l’audience, et de différer le prononcé de la peine, si le « reclassement du coupable est en voie d’être acquis, le dommage causé en voie d’être réparé et que le trouble résultant de l’infraction va cesser » (article 132-60 du Code pénal). Entre temps, l’auteur des faits aura été placé sous le régime de la mise à l’épreuve, et sous le contrôle du juge de l’application des peines (JAP), pour vérifier le respect d’obligations spécifiques à remplir en termes de réinsertion et d’indemnisation de la victime. Ce temps d’épreuve peut être d’une durée maximale d’un an.
Le nombre ajournements avec mise à l’épreuve (AME) reste marginal, avec 391 mesures suivies par les SPIP au 1er janvier 2005. Après avoir atteint le maximum de 1 003 mesures en 2002, ce chiffre n’a cessé de baisser par la suite . Pourtant, de nombreux acteurs judiciaires vantent les intérêts de cette mesure incarnant « le contrat absolu » , permettant la reconnaissance de culpabilité, puis d’obtenir notamment l’indemnisation de la victime ou la mise en place de soins, tout en évitant finalement le prononcé d’une peine en tenant compte de l’évolution de l’auteur des faits. « Le juge demande au prévenu une preuve de son bon comportement et la sanction en dépendra. Il faut avoir un objectif précis à fixer au condamné. Mais le champ de cette mesure est très large », explique le juge Michaël JANAS. Pour Eric MARTIN, « Les magistrats qui pratiquent l’AME sont unanimes à vanter son efficacité. Il est dès lors incompréhensible que cette mesure soit aussi peu utilisée, alors qu’elle est adaptée à beaucoup de contentieux, lorsque les préjudices matériels ou corporels sont assez minimes. Pour le SPIP, cette mesure constitue un puissant levier en termes de suivi et de réparation du préjudice » .
Une seule audience au lieu de deux. Alors que la mesure avait pour principal inconvénient d’imposer deux audiences correctionnelles dans un contexte de gestion de flux de plus en plus difficile pour les tribunaux, la loi du 9 mars 2004 est venue permettre au JAP de prononcer lui-même la dispense de peine lorsque les obligations ont été remplies, ce qui permet d’éviter un deuxième passage devant le tribunal (article 132-65 du Code pénal). Le JAP prend sa décision après un débat contradictoire, 30 jours avant la date prévue pour l’audience de renvoi. Cette extension des pouvoirs du JAP le conduit « à intervenir dans le domaine réservé des juridictions répressives. Le pas est considérable si l’on songe que, dans le droit antérieur, le JAP ne pouvait pas même modifier les obligations particulières imposées au condamné, précisément parce que celui-ci n’était pas encore condamné », commente Martine HERZOG-EVANS .
Dans l’immédiat, il ne semble pas que cette disposition suffise à relancer cette mesure. En premier lieu, les juridictions font face à un afflux de changements législatifs et Nicole MAESTRACCI remarque que les magistrats « n’ont pas encore bien intégré le changement apporté par la loi Perben II permettant d’éviter de repasser en audience correctionnelle une deuxième fois » . Une observation confirmée par Michaël JANAS, qui ajoute : « Peut-être les juges ont-ils l’habitude de prononcer toujours les mêmes peines (prison, SME ou TIG) et il faudrait les sensibiliser à l’intérêt de l’AME ». Enfin, « la loi encadre strictement la possibilité d’éviter une seconde audience : l’intéressé doit avoir rempli entièrement ses obligations, les obligations doivent donc avoir été très clairement énoncées. Le juge doit décider, en accord avec le Parquet, de ne pas retourner devant le tribunal. Peut-être les magistrats trouvent-ils cette procédure trop compliquée » . Une hypothèse confirmée par Martine HERZOG-EVANS, selon laquelle « cette mesure est très peu utilisée en raison de sa complexité juridique ». Elle estime ainsi que les juridictions préfèrent prononcer un SME « comportant le même temps de probation » et « ne nécessitant pas une seconde audience » supprimée par la loi Perben II uniquement « dans certaines circonstances » . Dès lors, il apparaît nécessaire que le législateur fasse montre non seulement de pédagogie, mais simplifie encore la procédure entourant l’AME.
Enfin, l’obstacle du manque d’informations sur la situation sociale du prévenu affecte particulièrement le prononcé d’un ajournement avec mise à l’épreuve : la mesure implique en effet de pouvoir demander au prévenu de remplir en un temps limité une ou des obligations très précises ayant un sens au regard de l’infraction. Ainsi, le fait de prononcer un AME nécessite tout particulièrement « de disposer d’éléments fiables sur la situation sociale du prévenu. Par exemple, si l’objectif fixé est l’indemnisation d’un préjudice, il faut connaître avec certitude le niveau des revenus de la personne » . A défaut de tels éléments, la mesure est vouée à l’échec et le magistrat ne souhaitera pas imposer au prévenu une mission impossible. Les défaillances du système des enquêtes sociales présentencielles apparaissent, là encore, comme un obstacle majeur au prononcé d’une mesure alternative.
2-2 - LE TRAVAIL D’INTERET GENERAL
Créée par la loi n° 83-466 du 10 juin 1983, la peine de travail d’intérêt général (TIG) a longtemps été considérée comme « la star des sanctions pénales [alternatives], ses représentations mélangeant les avantages de la rétribution, de l’utilitarisme et de la pédagogie individuelle et sociale », explique Jacques FAGET. Adoptée à l’unanimité par le Parlement, sa création a bénéficié d’un large soutien politique et populaire. C’est la seule mesure de milieu ouvert à « être connue et massivement approuvée par le public » .
La sanction consiste en l’accomplissement d’un travail non rémunéré au profit d’une collectivité, d’un établissement public ou d’une association, pour une durée comprise entre 40 et 210 heures (article 131-8 du Code pénal). La durée maximale du TIG vient d’être abaissée de 240 à 210 heures par la loi du 9 mars 2004 (Perben II), correspondant désormais à 30 journées de travail de 7 heures. Cette disposition visant à faciliter l’exécution d’un TIG ne fait pas l’unanimité. Philippe POTTIER, directeur du SPIP de l’Essonne à la date de son audition par la CNCDH, considère ainsi qu’une « fourchette plus large de durées offre davantage de possibilités pour proportionner la sanction à la gravité des faits » .
Le TIG peut être utilisé que l’infraction ait causé un dommage à une victime particulière ou non. « Mais c’est toujours au profit de la société qu’est effectué » le TIG, constituant « une sorte de réparation symbolique envers la société » . L’activité en elle-même peut être proposée par la juridiction de jugement, ou comme c’est le cas plus fréquemment, par le juge de l’application des peines une fois le nombre d’heures décidées par la juridiction.
Après avoir été la peine alternative phare des années 1990, le nombre de TIG pris en charge par les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) a diminué entre 2001 et 2005, passant de 25 411 à 16 885 mesures . Néanmoins, au plan des condamnations par les tribunaux correctionnels, les TIG observent une remontée depuis 2003, avec 8 350 condamnations en 2002, 9 059 en 2003 et 10 225 en 2004. Le sursis-TIG observe également une hausse en 2004, avec 10 055 condamnations, pour 8 822 l’année précédente. Si l’on additionne les peines de TIG et de sursis-TIG en 2004, cette sanction représente un peu plus de 4 % des condamnations par les tribunaux correctionnels . Le TIG présente aujourd’hui davantage de difficultés au stade de l’exécution de la mesure, qui s’est largement bureaucratisée (cf. deuxième partie).
a) Champ d’application
Dans le droit français, le travail d’intérêt général peut être prononcé à titre principal lorsqu’un prévenu a commis un délit passible de l’emprisonnement, quel que soit son passé pénal. Ainsi, le TIG n’apparaît-il pas dans les textes comme « un ultime avertissement avant une sanction plus lourde », mais comme « une sanction déjà considérée comme suffisamment sérieuse pour pouvoir valablement intervenir en cas de récidive » . Une optique qui vient renforcer le caractère inadapté de l’interdiction du sursis avec mise à l’épreuve (SME) au bout de la troisième récidive, quand celui-ci peut être assorti de contraintes et obligations autrement plus lourdes que le seul travail d’intérêt général, pouvant lui-même figurer parmi les obligations du SME.
Un TIG probatoire pour des infractions plus graves. En créant le travail d’intérêt général, l’objectif du législateur était de « lutter contre les seules courtes peines d’emprisonnement ». Mais il n’a pas choisi pour autant de fixer un plafond des peines de prison ferme auxquelles il peut se substituer, comme il l’a fait pour le SME limité aux peines de moins de cinq ans. Ainsi, le souci de « laisser aux juridictions de jugement une liberté importante a prévalu », explique Martine HERZOG-EVANS .
Pour être applicable en pratique à des infractions plus graves, la peine de travail d’intérêt général peut difficilement être utilisée dans sa forme actuelle. En effet, la simple exécution d’un travail ne paraît pas à même de répondre à des dommages importants ni d’enrayer des trajectoires délinquantes, a fortiori lorsque le travail consiste à ramasser des feuilles mortes pour une municipalité. Dès lors, il apparaîtrait nécessaire d’élargir la peine de travail d’intérêt général dans sa dimension probatoire. Le TIG devrait pouvoir figurer parmi d’autres obligations et mesures de contrôle, dans le cadre d’un délai d’épreuve courant au-delà de l’accomplissement du travail. Martine HERZOG-EVANS développe cette proposition d’un « TIG probatoire », « à savoir un travail accompagné d’un temps de suivi, d’autres obligations et garanties pour la victime ». Il pourrait « s’appliquer à des infractions plus graves », même s’il ne s’agit pas « d’aller jusqu’au meurtre comme au Rwanda, nous avons de la marge ». Elle cite l’exemple d’un multirécidiviste de conduite en état alcoolique ayant causé des atteintes aux personnes, qui pourrait « cumuler un temps de travail dans un hôpital, des stages obligatoires de formation et sensibilisation, une obligation de soins aux alcooliques anonymes, la garantie qu’il n’ait plus accès à un véhicule, des contrôles d’urine fréquents, qu’il peut faire lui-même à son domicile et envoyer au laboratoire... » . Le TIG deviendrait ainsi un élément d’une peine de probation, incluant un suivi socio-éducatif ainsi que la participation à différents stages ou modules. Ce « TIG probatoire » pourrait se voir accompagné des mêmes mesures de contrôle et obligations que celles du sursis avec mise à l’épreuve, selon un mécanisme juridique plus simple à mettre en œuvre que le sursis-TIG. D’autre part, la durée de la peine (ou temps d’épreuve) pourrait être plus longue que le temps nécessaire à l’accomplissement du travail, pouvant aller d’un an à cinq ans, contre trois ans actuellement pour le SME. Si la loi Perben II a ajouté que « la juridiction peut décider que les obligations imposées au condamné perdureront au-delà de l’accomplissement du TIG, dans un délai qui ne peut excéder douze mois » (article 132-54 du Code pénal), un TIG probatoire pourrait permettre de prolonger l’accompagnement au-delà du délai d’un an, l’intensité du suivi pouvant varier tout au long du temps d’épreuve en fonction de la situation et l’évolution du condamné.
RECOMMANDATION
La CNCDH préconise de créer un « TIG probatoire », afin de faciliter le prononcé d’un TIG parmi d’autres obligations telles que l’indemnisation de la victime, le suivi d’un stage obligatoire, le fait de répondre aux convocations du travailleur social... le tout dans le cadre d’un délai d’épreuve pouvant être porté jusqu’à cinq ans. L’exécution du travail pourrait ainsi ne constituer qu’un élément d’une peine plus globale intervenant sur différentes problématiques criminogènes du condamné.
b) Une prise de décision facilitée
La loi du 9 mars 2004 a d’ores et déjà prévu des dispositions visant à faciliter la décision en matière de travail d’intérêt général, qu’il s’agisse des possibilités de convertir une courte peine de prison en TIG ou de sanctionner l’inexécution de cette mesure.
Extension des possibilités de conversion par le JAP. Depuis la loi du 9 mars 2004, le juge de l’application des peines (JAP) peut décider lui-même de convertir une peine d’emprisonnement ferme de six mois au plus en sursis-TIG (article 132-57 du Code pénal). Lorsque la condamnation n’est plus susceptible de recours, le JAP peut, sur demande du Parquet ou du condamné, ordonner la suspension de l’exécution de la peine d’emprisonnement, puis ordonner éventuellement qu’il soit sursis à l’exécution de cette peine, et que le condamné accomplisse un travail d’intérêt général.
La loi du 9 mars 2004 accorde également au JAP le pouvoir de remplacer une peine de travail d’intérêt général ou un sursis-TIG par une peine de jours-amende (article 733-1 du CPP). Cette mesure peut intervenir d’office, à la demande du condamné ou sur réquisitions du procureur. Cette disposition vient répondre aux préconisations du rapport WARSMANN, attirant l’attention sur le caractère inapplicable de certaines condamnations à un TIG suite à un changement de situation du condamné. Elle concerne exclusivement le cas d’une personne sans travail au moment de la condamnation ayant trouvé un emploi par la suite, ainsi qu’une personne n’étant plus en capacité d’accomplir un TIG pour des raisons de santé. La personne ayant retrouvé un emploi ne dispose en effet plus du temps « d’effectuer aisément sa peine », sauf à trouver des heures de TIG le week-end, ce que les SPIP estiment très difficile. Elle est au contraire « en mesure de payer une amende à laquelle elle aurait pu être condamnée par le tribunal si elle n’avait pas été au chômage » . En principe, le nombre de jours-amende doit correspondre à la durée de l’emprisonnement avec sursis pour le sursis-TIG ou à la durée de l’emprisonnement annoncée par la juridiction en cas d’inexécution du TIG (cf. chapitre suivant sur les peines pécuniaires).
Sanction de l’inexécution. La loi du 9 mars 2004 donne la possibilité à la juridiction qui prononce le TIG (ainsi que le stage de citoyenneté ou une peine restrictive de droits) de fixer dès la condamnation la durée de l’emprisonnement à exécuter ou de l’amende à payer par le condamné s’il ne respecte pas ses obligations (article 131-9 du Code pénal). Si le condamné n’accomplit par les heures de TIG auxquelles il a été condamné, le JAP peut décider de mettre à exécution, après débat contradictoire, une peine d’emprisonnement ou une amende prédéterminée par le tribunal. Il apparaît ainsi que « la crédibilité de la sanction est renforcée, puisque le condamné sait à l’avance ce à quoi il s’expose s’il ne respecte pas la décision judiciaire ». Par ailleurs, « le caractère de substitution est mis en évidence », dans la mesure où l’équivalent en peine de prison ou d’amende que vient remplacer le TIG est précisément établi. Enfin, il s’agit de gagner en crédibilité en facilitant la sanction de l’inexécution de la peine alternative, « qui n’exige plus de nouvelles poursuites » devant le tribunal correctionnel mais peut être mise en œuvre par le JAP . Le législateur a néanmoins maintenu le délit de violation des obligations résultant de la peine de travail d’intérêt général, passible de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende (article 434-42 du Code pénal).
2-3 - LES PEINES PECUNIAIRES
L’amende représente la troisième peine la plus prononcée en matière correctionnelle, après le sursis simple et l’emprisonnement ferme, avec 101 029 condamnations en 2004, soit 20,7 % de l’ensemble. Elle a observé une forte baisse depuis le début des années 1980, mais augmente de nouveau dans des proportions importantes depuis 2002. La peine de jours-amende, créée en 1983, n’a quant à elle jamais connu de véritable succès, stagnant autour des 12 000 condamnations par an, même si elle observe une légère augmentation depuis 2002, avec 15 276 peines prononcées en 2004 . Il semblerait que les juges aient préféré au mécanisme complexe du jour-amende une peine combinant le sursis simple et l’amende. Selon Bruno AUBUSSON DE CAVARLAY, « au moins une fois sur trois, le sursis simple à l’emprisonnement est accompagné d’une peine d’amende ferme ». Celle-ci n’apparaît pas dans les statistiques, la peine principale prononcée étant l’emprisonnement avec sursis simple. Les juges auraient eu tendance à « accompagner de plus en plus fréquemment la sanction pécuniaire de cette menace d’emprisonnement en raison de la moindre portée symbolique de l’amende et des risques de non-recouvrement dont elle est suspectée » .
a) Amende simple
Le rapport WARSMANN avait dénoncé un faible taux de recouvrement des amendes correctionnelles (21,8 % pour 2002), ainsi que d’importants délais précédant l’envoi pour recouvrement par les services du Trésor public. A titre d’illustration, il expliquait que les « condamnés soucieux de s’acquitter immédiatement après l’audience de l’amende par laquelle ils viennent d’être sanctionnés se voient répondre qu’ils doivent attendre de recevoir un avis de paiement émanant du Trésor public », qui leur parviendra dans un délai de 6 mois à un an . Afin d’améliorer le taux de recouvrement des amendes, un décret du 2 septembre 2005 a prévu une diminution de 20 % de leur montant jusqu’à un maximum de 1 500 euros, en cas de paiement volontaire dans le délai d’un mois . Le rapport WARSMANN avait pour sa part préconisé le principe d’une diminution de 30 % pour un paiement dans les trois jours suivant l’audience. Un relevé de condamnation pénale peut également être remis au condamné à une amende dès l’issue de l’audience, afin de lui permettre de s’acquitter de l’amende directement auprès du Trésor, sans attendre un avis de paiement. Un greffier du service de l’exécution des peines doit également préciser au condamné « les modalités pratiques selon lesquelles il peut s’acquitter du paiement de l’amende » (article D.49-2 du CPP).
Il semblerait que la proposition de la mission WARSMANN de généraliser la possibilité d’un paiement immédiat directement auprès de la régie du tribunal n’ait pour sa part pas été retenue. Néanmoins, dans les 48 heures qui suivent la décision, « les juridictions sont dans l’obligation de remettre à la Trésorerie un extrait simplifié l’informant que l’intéressé peut s’acquitter de cette amende avec une réduction de 20 % ». Cet ensemble de mesures semble entraîner d’ores et déjà des effets positifs, puisque le directeur des Affaires criminelles et des grâces indique qu’ « au cours du dernier trimestre 2005, nous avons observé une augmentation significative du taux de recouvrement des amendes, en particulier dans les sites pilotes pour le bureau d’exécution des peines » .
b) Jours-amende
Lorsqu’un délit de droit commun est puni d’une peine de prison, la juridiction peut prononcer à sa place une peine de jours-amende consistant pour le condamné à « verser au Trésor public une somme dont le montant global résulte de la fixation par le juge d’une contribution quotidienne » . Un nombre de jours-amende (360 au maximum) est fixé par la condamnation, chaque jour « payé » venant remplacer une journée de prison. La loi du 9 mars 2004 a rehaussé le montant maximal de chaque jour-amende de 300 à 1000 euros (article 131-5 du Code pénal). La circulaire d’application rappelle néanmoins que ce montant « doit être déterminé en tenant compte des ressources et des charges du prévenu » . Le montant global dû par le condamné est exigible à l’expiration du délai correspondant au nombre de jours-amende prononcés, procédure complexe nuisant à la lisibilité de la mesure. Quant au défaut de paiement, il pouvait entraîner avant la loi du 9 mars 2004 l’incarcération du condamné pour une durée correspondant à la moitié du nombre de jours-amende impayés. Depuis le 1er janvier 2005, « le principe d’un jour d’incarcération pour un jour-amende non payé » est entré en vigueur sur préconisation du rapport WARSMANN (article 131-25 du Code pénal).
2-4 - DE NOUVELLES PEINES ALTERNATIVES ?
La loi du 9 mars 2004 crée quelques nouvelles peines alternatives telles que l’interdiction d’entrer en contact avec la victime ou le stage de citoyenneté. L’éventail des peines alternatives à l’emprisonnement à disposition du juge français apparaît globalement suffisamment large. Le système présente davantage de défaillances dans l’organisation de la mise en œuvre de ces mesures. Lorsque de nouvelles peines sont créées, la réflexion sur leur contenu autant que les moyens nécessaires à leur exécution sont largement insuffisants, ce qui les rend peu opérationnelles.
a) Création de nouvelles peines
La loi du 9 mars 2004 est venue ajouter de nouvelles peines restrictives de droit à la liste déjà fournie de l’article 131-6 du Code pénal. Chacune de ces peines peut être prononcée à la place de l’emprisonnement pour un délit passible d’une peine de prison. Le juge peut également cumuler plusieurs d’entre elles, ce qui offre un éventail de possibilités assez important. Outre la suspension du permis de conduire, l’interdiction de détenir ou porter une arme ou l’interdiction d’exercer certaines activités... la loi « Perben II » est venue ajouter :
- l’interdiction, pour une durée de trois ans au plus, de paraître dans certains lieux ou catégories de lieux déterminés par la juridiction et dans lesquels l’infraction a été commise ;
- l’interdiction, pour une durée de trois ans au plus, de fréquenter certains condamnés spécialement désignés par la juridiction, notamment les auteurs ou complices de l’infraction ;
- l’interdiction, pour une durée de trois ans au plus, d’entrer en relation avec certaines personnes spécialement désignées par la juridiction, notamment la victime de l’infraction.
Si ces obligations existaient déjà dans le cadre du sursis avec mise à l’épreuve, il apparaît pertinent de les avoir prévues à titre de peines autonomes, lorsque « l’intervention du JAP ou du SPIP n’apparaît pas nécessaire » . En particulier, la nouvelle peine restrictive de liberté consistant à empêcher d’approcher la victime « manquait dans l’arsenal juridique », même si de véritables interrogations se posent quant à « la réalité de son suivi », le contrôle de ce type d’obligations apparaissant difficile à mettre en œuvre selon la juriste Martine HERZOG-EVANS .
La loi du 9 mars 2004 a également instauré la possibilité pour le tribunal de prononcer une semi-liberté ou un placement extérieur à titre de peines alternatives à une peine d’emprisonnement maximale d’un an, à l’égard de condamnés apportant la preuve de l’exercice d’une activité professionnelle, de leur assiduité à un enseignement, un stage ou d’une formation, de la nécessité de leur participation à la vie de famille ou de leur besoin de suivre un traitement médical (article 132-25 du Code pénal).
Enfin, une peine de « stage de citoyenneté » est créée à titre de peine alternative pour tout délit passible d’une peine d’emprisonnement. Il s’agit pour le condamné d’accomplir un stage ayant pour objectif « de lui rappeler les valeurs républicaines de tolérance et de respect de la dignité humaine sur lesquelles est fondée la société » (article 131-5-1 du Code pénal). Il est indiqué que cette peine paraît « particulièrement adaptée pour sanctionner des délits commis dans un contexte de racisme, et notamment des actes antisémites » . La durée du stage, fixée par la structure chargée de sa mise en oeuvre, ne peut excéder un mois. La peine ne peut être prononcée contre un prévenu absent à l’audience ou qui la refuse. D’autant que le coût du stage, qui ne peut excéder celui des amendes contraventionnelles de 3ème classe, s’avère à la charge du condamné. Cette prise en charge par le condamné fait l’objet de contestations au sein de certaines associations, qui « hésitent dès lors à les mettre en œuvre », indique Denis L’HOUR, directeur général de CITOYENS ET JUSTICE . Cette disposition s’inscrit en effet à l’encontre des préconisations du CONSEIL DE L’EUROPE, qui estime que « les frais d’exécution ne doivent pas, en principe, être mis à la charge du délinquant » dans le cadre de la mise en oeuvre des sanctions alternatives .
S’agissant du contenu du stage, les articles R.131-35 et suivants du Code pénal précisent qu’en cas d’infraction avec circonstance aggravante de racisme, il doit inclure un rappel de « l’existence des crimes contre l’humanité » ou autres « principales persécutions et discriminations (...) au cours de l’histoire ». Le contenu du stage n’est pas davantage précisé, et doit être « élaboré par la personne ou le service chargé de procéder au contrôle de sa mise en œuvre » . Une pratique courante selon Denis L’HOUR, pour lequel « il est habituel de la part du ministère de la Justice de créer des dispositifs et de définir dans un second temps leur contenu. Ainsi en est-il des stages de citoyenneté, que les associations mettent dorénavant en oeuvre » .
b) Manque d’inventivité ou de moyens d’exécution ?
En dépit de la création de ces nouvelles peines, certains reprochent au législateur de faire montre de peu d’inventivité concernant la création de peines adaptées à l’évolution de la criminalité et des moeurs. Ainsi, le juge Dominique BARELLA (UNION SYNDICALE DES MAGISTRATS) évoque l’exemple de la confiscation d’un objet important pour un jeune délinquant et se demande « pourquoi ne pas prononcer à titre de peine principale des confiscations de téléphones portables ou d’ipod ? », en rappelant qu’il n’est « pas toujours nécessaire de taper fort pour marquer la sanction ». Il propose également de développer « l’assignation à résidence à titre de sanction » . Le CONSEIL DE L’EUROPE invite en effet les Etats membres à « mettre en place un éventail de sanctions et mesures appliquées dans la communauté qui soit suffisamment large et varié ». Il indique, à titre d’exemple, « la probation en tant que sanction indépendante imposée sans que soit prononcée une peine d’emprisonnement », ou encore le « recours à une surveillance intensive pour les catégories de délinquants pour lesquels cette mesure est adaptée » .
Si ces deux dernières peines pourraient effectivement être instaurées en France, l’urgence réside davantage dans le fait de simplifier le dispositif existant et, surtout, de dégager les moyens pour l’appliquer. Autant la loi du 9 mars 2004 a prévu les modalités juridiques facilitant une mise à exécution plus rapide et effective des peines alternatives, autant le manque de moyens dévolus à la mise en œuvre de ces peines peuvent les rendre tout bonnement inapplicables. Nicole MAESTRACCI, présidente du tribunal de grande instance de Melun et de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS), déplore ainsi le caractère peu opérationnel de la condamnation à différents stages, qui « ne sont pas toujours effectivement mis en place, sauf pour les délits routiers, faute de temps ou de moyens donnés aux SPIP ». Elle souligne également « les difficultés rencontrées pour mettre en place les obligations de soins, compte tenu de la pénurie de psychiatres et des délais d’attente dans les services spécialisés dans le domaine des addictions ». En particulier, elle indique que les préconisations du psychiatre Roland COUTANCEAU qui, dans un rapport récent, recommande « l’instauration systématique de groupes de paroles dans le cadre des affaires de violences, notamment conjugales » sont particulièrement intéressantes, « à la condition que les pouvoirs publics s’en saisissent et qu’on dépasse le stade de l’expérimentation dans le seul service de psychiatrie légale dirigé par l’auteur du rapport » .
 
C - PHASE POSTSENTENCIELLE : LES AMENAGEMENTS DE PEINE
Différentes perceptions de la délinquance et de la libération anticipée viennent s’opposer sur la question des aménagements de peine. D’un côté, une opinion publique souvent mal informée très réticente à l’idée d’érosion de la peine, en particulier lorsque l’auteur d’un crime grave récidive alors qu’il a bénéficié d’une libération conditionnelle. De l’autre, des professionnels qui peinent à faire entendre que ces cas très médiatisés sont statistiquement exceptionnels et que les libérations en fin de peine s’avèrent contre-productives en termes de protection de la société. Entre les deux, la loi du 9 mars 2004 (Perben II) est venue trancher sous l’impulsion du député Jean-Luc WARSMANN, parvenu à convaincre sa majorité de l’intérêt de limiter les « sorties sèches » pour mieux lutter contre la récidive. La loi affirme désormais « le principe selon lequel les peines d’emprisonnement ont vocation à être aménagées » . Ainsi, « l’individualisation des peines doit, chaque fois que cela est possible, permettre le retour progressif du condamné à la liberté et éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire » (article 707 du Code de procédure pénale).
Un choix « révolutionnaire », s’il n’était compensé par une difficulté des responsables politiques à l’assumer publiquement et une propension à légiférer rapidement en sens inverse. Ainsi, « la loi Perben II du 9 mars 2004 n’a pas fait l’objet d’une importante communication sur les mesures alternatives, alors qu’elle marque une grande avancée dans ce domaine », explique Michaël JANAS . Selon les juges de l’application des peines, ce « grave déficit de communication institutionnelle » vient s’ajouter à une pression insupportable des pouvoirs publics leur interdisant « de se tromper, en vertu d’un risque zéro de récidive impossible à atteindre ». Une pression qui encourage « les JAP à limiter les aménagements » , quand bien même la loi ne les a jamais invités aussi clairement à en prononcer.
1 - UN BILAN DE L’UTILISATION DES AMENAGEMENTS DE PEINE
Déduction faite des réductions de peine et grâces collectives, l’écrasante majorité des détenus condamnés sont libérés en fin de peine, sans bénéficier d’aucune mesure d’aménagement. La situation tend néanmoins à s’améliorer légèrement depuis l’adoption de la loi du 9 mars 2004. Le directeur de l’Administration pénitentiaire explique que « le bloc des aménagements de peine progresse entre 2004 et début 2006. Cette augmentation est liée au développement du bracelet, mais également, dans une certaine mesure, du placement à l’extérieur. La semi-liberté et la libération conditionnelle sont pour leur part en régression, notamment en raison d’un probable effet de porosité en faveur du bracelet électronique » .
1-1 - DES AMENAGEMENTS D’EXCEPTION
Plus de 80 % des condamnés libérés sortent de prison sans avoir bénéficié d’un aménagement de peine, qu’il s’agisse d’une libération conditionnelle, d’une semi-liberté ou d’un placement extérieur. Tels sont les résultats de la dernière étude publiée sur la question des modes de libération, à distinguer du nombre de mesures octroyées chaque année . Parmi les condamnés libérés, 1,5 % ont bénéficié d’un placement extérieur, 7,5 % d’une semi-liberté et 11,5 % d’une libération conditionnelle. Des chiffres qu’il conviendrait de réactualiser, puisqu’ils ont été calculés sur la base d’un échantillon de condamnés libérés en 1997. Néanmoins, les praticiens s’accordent pour estimer que ce taux de 80 % de « sorties sèches » a probablement légèrement diminué, mais dans de faibles proportions. Il serait nécessaire que l’Administration pénitentiaire engage une nouvelle étude sur cette question, afin d’obtenir une vision globale et actualisée de la proportion de détenus libérés dans le cadre d’un aménagement de peine.
a) Les raisons de l’enlisement
Au titre des explications du faible taux d’octroi d’aménagement de peines figurent la durée de la peine et le moment auquel la libération anticipée devient possible. Lorsque qu’un aménagement ne peut être accordé que peu de temps avant la fin de peine, les démarches pour rassembler des conditions d’insertion difficiles apparaissent vaines et le condamné préfère souvent attendre la fin de sa peine. Pour les longues peines, la pression exercée sur les magistrats et la méconnaissance du phénomène de la récidive constituent également des obstacles majeurs. En outre, l’apparition de mesures de sûreté après la peine de prison fait craindre une perte d’intérêt pour l’aménagement avant la fin de peine. Enfin, les critères d’octroi des aménagements apparaissent inadaptés à un public très désocialisé et à un contexte socio-économique défavorable.
Des obstacles dépendant de la durée de la peine. Plus la peine prononcée est longue, plus les condamnés ont de chances de bénéficier d’un aménagement de peine, dans des proportions demeurant néanmoins très limitées. Ainsi, la part de condamnés libérés sans aménagement de peine varie de 61,5 % pour les infractions d’homicide volontaire à 87,6 % pour les vols sans violence, voire 93 % pour les infractions à la police des étrangers. Mais cette dernière catégorie fait souvent l’objet d’un traitement défavorable en matière d’octroi des aménagements de peine, notamment en raison d’une interdiction de territoire.
Pour les courtes peines, la date à partir de laquelle les aménagements deviennent possibles intervient de façon trop proche de la sortie, ce qui peut dissuader aussi bien le juge de l’application des peines (JAP) que le condamné d’entamer les démarches nécessaires. D’une part, la préparation du dossier (trouver un employeur, un hébergement...) nécessite un certain temps. D’autre part, le JAP peut considérer que l’érosion d’une courte peine est déjà suffisante au travers des réductions de peine et grâces collectives. Enfin, le condamné peut préférer sortir libre de tout mandat judiciaire lorsque l’aménagement de peine ne lui permet d’être libéré que peu de temps avant la fin de peine .
Pour les longues peines, d’autres facteurs viennent freiner l’octroi d’aménagements de peine. Il s’agit là, dans le cas d’infractions plus graves, de la crainte d’une récidive et des difficultés à évaluer un tel risque au terme d’années de détention. La pression s’exerçant sur les juridictions de l’application des peines et la recherche d’un risque zéro aboutissent le plus souvent à une absence d’aménagement (dans 60 % des cas pour les auteurs d’homicide, et 74 % pour les auteurs d’agression ou atteinte sexuelle de nature criminelle sur mineur) .
Le danger des mesures de sûreté. Plus récemment, l’apparition dans la loi de mesures de sûreté pouvant s’appliquer après la peine telles que le suivi socio-judiciaire créé en 1998, et surtout la surveillance judiciaire en 2005, fait craindre aux juges de l’application des peines une perte d’intérêt de l’aménagement de peine à l’égard des publics concernés. Si les personnes considérées comme dangereuses sont de toutes façons suivies après la fin de leur peine, « la peine n’a plus aucune raison d’être aménagée », s’inquiète Michaël JANAS . L’aménagement de peine ayant pour intérêt de ne pas laisser les condamnés sortir sans aucun suivi ni encadrement, les mesures de sûreté après la fin de peine pourraient en effet permettre de repousser l’échéance de la libération avec encadrement.
Des critères d’octroi révolus. De nombreux magistrats rappellent que les mesures alternatives dans leur ensemble, et les aménagements de peine en particulier, ont été pensés pour un public relativement bien inséré, alors que les personnes parvenant devant les tribunaux se trouvent généralement dans « des situations économiques très défavorisées, avec de graves problèmes d’insertion » . Ainsi, les aménagements de peine se voient-ils accordés aux condamnés présentant les meilleures garanties en termes d’insertion professionnelle, de situation familiale et d’hébergement. Dans la mesure où « l’on n’a pas suffisamment pris conscience de la nécessité de prévoir un accompagnement social dans le cadre des mesures alternatives, en sont de fait exclus ceux qui devraient le plus en bénéficier » signale Nicole MAESTRACCI, présidente du tribunal de grande instance de Melun . Dans un contexte socio-économique défavorable, il devient en outre très compliqué pour les condamnés « d’organiser un projet de sortie », car il est « de plus en plus difficile de trouver des moyens de subsistance et un hébergement », ajoute Michaël JANAS, président de l’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP) .
Dès lors, il apparaît que les critères d’octroi des aménagements de peine utilisés aussi bien par les juges de l’application des peines (JAP) que par les services de probation (SPIP), doivent nécessairement évoluer. « Le temps est révolu de pouvoir exiger d’un condamné un contrat de travail à durée indéterminée et un logement fixe. Or, les JAP et les SPIP restent souvent enfermés dans ces critères, ne parvenant pas à imaginer autre chose », explique Eric MARTIN, secrétaire général de l’ANJAP. Il rappelle que les textes permettent d’ores et déjà de préparer et d’accorder un aménagement « dans le cadre d’une recherche d’emploi, d’une responsabilité familiale ou d’un projet de soins » . En ce sens, la circulaire du 27 avril 2006 souligne la nécessité d’étendre le bénéfice des aménagements de peine aux « personnes en difficulté », qui ont « besoin d’un accompagnement socio-éducatif renforcé ». La circulaire invite d’une part les SPIP à faire connaître aux juridictions les accords passés avec les centres d’hébergement et associations « en vue d’étendre les possibilités d’hébergement dans le cadre du placement sous surveillance électronique ou du placement à l’extérieur ». D’autre part, la possibilité d’aménagements de peine « dans le cadre d’un retour à l’emploi » est rappelée, une convention du 1er janvier 2003 entre l’Administration pénitentiaire et l’ANPE visant à permettre aux détenus « de bénéficier de droits similaires aux autres demandeurs d’emploi » . Si la circulaire du 27 avril effectue des rappels indispensables afin de mobiliser magistrats et SPIP sur les possibilités d’extension des aménagements de peine, il apparaît nécessaire de poursuivre plus loin dans cette voie, d’une part en inscrivant dans la loi que l’absence de logement fixe ou de travail ne peuvent constituer des critères d’exclusion des aménagements de peine, et d’autre part en permettant la prise en compte d’autres types de projets présentés par les condamnés (engagement humanitaire, création d’activités...). S’agissant des personnes en grande difficulté sociale, elles pourraient également se voir accompagnées dans un programme d’insertion spécifique visant à leur assurer des moyens de subsistance de base, notamment dans le cadre du RMI, la justice pénale n’ayant pas pour fonction de remédier aux défaillances sociales, mais de s’assurer que les personnes sont libérées dans des conditions minimisant les risques de récidive.
RECOMMANDATION
Les critères d’octroi des aménagements de peine doivent être révisés. Ainsi, la CNCDH demande que soit inscrit dans la loi ou le règlement que l’absence de logement fixe ou de travail ne peuvent constituer des critères d’exclusion des aménagements de peine. Le ministère de la Justice doit également favoriser l’utilisation des nouveaux critères existants (programme de recherche d’emploi, responsabilité familiale ou projet de soins) mais également autoriser la prise en compte d’autres types de projets présentés par les condamnés (action humanitaire, création d’activité...).
b) Des réformes sans effet majeur
Plusieurs réformes ont tenté ces dernières années de réactiver les mesures d’aménagement de peine et d’en améliorer les procédures de décision. Ainsi, la juridictionnalisation des aménagements de peine a été engagée par la loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes et achevée par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. Les décisions d’aménagement de peine ont intégré les procédures de droit commun telles que le débat contradictoire et les possibilités de recours. Les compétences se répartissent désormais entre le juge de l’application des peines (JAP) et le tribunal de l’application des peines (TAP), la compétence du garde des Sceaux en matière de libération conditionnelle pour les longues peines lui ayant été retirée. Les décisions du JAP et TAP peuvent désormais faire l’objet d’un recours devant la chambre de l’application des peines de la Cour d’appel, dont les décisions sont elles-mêmes susceptibles d’un pourvoi devant la Cour de cassation. Si elle apporte des garanties essentielles au justiciable et une plus-value qualitative des procédures, la juridictionnalisation n’a pas véritablement « entraîné le développement attendu des aménagements de peine prononcés par les juges », comme l’explique Philippe POTTIER .
C’est pourquoi la loi du 9 mars 2004 a instauré une « nouvelle procédure d’aménagement de peine » (NPAP), qui accorde au service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) un large pouvoir de proposition d’aménagements pour les condamnés en fin de peine. Ainsi, le SPIP doit-il examiner tous les dossiers de détenus auxquels il reste trois mois d’emprisonnement à subir en raison d’une peine de six mois à deux ans, ainsi que ceux auxquels il reste six mois à subir pour une peine comprise entre deux et cinq ans. Le directeur du SPIP (DSPIP) peut alors proposer une semi-liberté, un placement à l’extérieur ou un placement sous surveillance électronique au JAP, qui dispose d’un délai de trois semaines pour accepter ou rejeter la proposition (articles 723-20 à 723-27 du Code de procédure pénale).
Les faibles résultats de la nouvelle procédure d’aménagement de peine. Les premiers résultats de la NPAP apparaissent peu concluants. De novembre 2004 à mai 2006, l’Administration pénitentiaire indique que 1 474 requêtes concernant des personnes éligibles à la nouvelle procédure ont été transmises aux JAP sur l’ensemble du territoire. Sur ces 1 474 requêtes, 565 aménagements ont été accordés par le JAP et 200 ont été refusés. 53 aménagements ont été mis à exécution par le DSPIP en l’absence de réponse du JAP dans les délais. 4 aménagements ont été accordés par la Cour d’appel suite à un recours des condamnés concernés ou du Parquet . L’Administration pénitentiaire n’est pas en mesure de calculer le taux d’aménagements proposés par les SPIP au regard du nombre de personnes éligibles. En effet, elle ne dispose pas de statistiques fiables sur les détenus concernés par la nouvelle procédure, ce qui témoigne une fois de plus des défaillances de l’évaluation et de l’appareil statistique concernant les mesures pénales. Concernant le seul tribunal de grande instance d’Argentan, Eric MARTIN indique que 350 personnes ont été vues et entendues par le SPIP en 2005, pour 55 propositions d’aménagements au JAP et 32 ordonnances d’homologation. Des chiffres « révélateurs du déséquilibre entre le temps investi et les résultats obtenus ». Selon lui, cette nouvelle procédure a « toutefois l’avantage de dégager du temps pour le JAP, puisque le dossier lui parvient complet. Il n’a plus qu’à prendre une décision, ce qui lui prend 30 à 45 minutes » .
L’ensemble des données confirme le caractère « chronophage » de la nouvelle procédure pour les SPIP, qui rencontrent un nombre de détenus important pour un faible nombre de dossiers proposés au JAP. Ce dernier valide la proposition dans plus d’un tiers des cas, mais il peut également faire passer le dossier proposé dans le cadre de la procédure habituelle du débat contradictoire, dans de meilleures conditions de délai. C’est pourquoi la direction de l’Administration pénitentiaire estime que la NPAP emporte tout de même des conséquences positives, que les chiffres ne reflètent pas. Jean-Luc WARSMANN précise que, grâce à l’existence de cette nouvelle procédure qu’il nomme « sas de sortie », « un travail systématique - certes chronophage - sur le profil des détenus et leur capacité à bénéficier d’une mesure d’aménagement a été initié par les SPIP ». Ce travail ne serait selon lui « vraisemblablement pas sans lien avec la forte augmentation du nombre des mesures d’aménagement constatée en 2004 (+ 16 %) par rapport à 2003 ». Il explique le faible résultat quantitatif de la NPAP par deux difficultés principales. En premier lieu, il déplore le fait « qu’un nombre important de condamnés refusent toute mesure d’aménagement de peine, quel que soit son fondement juridique, et préfèrent demeurer plus longtemps en détention que de se soumettre à un contrôle en milieu ouvert ». A cette occasion, le député omet de préciser que ce refus des condamnés s’explique en partie par les délais tardifs dans lesquels la libération anticipée peut avoir lieu, souvent très proche de la fin de peine dans le cadre de cette nouvelle procédure. En second lieu, Jean-Luc WARSMANN analyse les faibles résultats de la NPAP par « l’habitude des JAP de recourir à d’autres procédures, le « SAS » ne recueillant pas toujours leur faveur » . Si ces deux facteurs interviennent dans les faibles résultats de la NPAP, les défauts de la nouvelle procédure et la mauvaise préparation de sa mise en œuvre sont également en cause, et ne manquent pas d’être développés par l’ensemble des acteurs concernés, qu’il s’agisse des juges de l’application des peines, mais aussi des personnels des services de probation.
Les défauts de la NPAP. Pour Philippe POTTIER, directeur de SPIP au moment de son audition par la Commission, l’intérêt de la NPAP était de ne plus réserver « les aménagements de peine à ceux qui présentent les meilleures conditions d’insertion, [et] de prendre en charge les cas les plus difficiles de façon volontariste, en passant des conventions avec des organismes ou des missions locales », et en examinant l’ensemble des dossiers sans attendre une demande émanant des détenus . Une optique venant compenser la forte tendance des travailleurs sociaux à considérer que la personne détenue doit être le maître d’œuvre de son aménagement de peine, qu’elle « doit se prendre en charge, effectuer elle-même les démarches, écrire les courriers, constituer un dossier » . Martine HERZOG-EVANS rappelle en effet que nombre de personnes incarcérées « sont illettrées ou incapables de faire ces démarches. Au même titre que des SDF, si personne ne va les chercher, il ne se passera rien » . Le public concerné explique d’ailleurs en partie les mauvais résultats de la NPAP, puisqu’il est de toute évidence plus difficile de trouver une activité, des moyens de subsistance et un hébergement pour des personnes particulièrement désocialisées. L’idée d’obliger les SPIP à étudier le cas de ces personnes qui ne les sollicitent jamais, « qui ne savent pas comment procéder, n’ont pas d’entourage ou d’aide extérieure et se laissent un peu aller dans l’assistanat » s’avère pertinente. Mais il apparaît qu’un tel objectif « aurait pu émerger autrement qu’en créant cette procédure chronophage », comme l’affirme Martine HERZOG-EVANS .
Le principal défaut de la nouvelle procédure réside dans le fait d’intervenir très tardivement dans l’exécution des seules peines de moins de cinq ans. La plupart des intervenants s’accordent ainsi à reconnaître que le champ d’application de cette nouvelle procédure est inadapté, dans la mesure où les délais de proposition par le SPIP interviennent bien trop tard dans l’exécution de la peine (trois et six mois avant la fin de peine). A ce stade, d’autres aménagements ont déjà pu être demandés par les condamnés, généralement dès la mi-peine. Selon Jean-Pierre BAILLY, « ils ne l’ont pas obtenu à ce stade, soit parce qu’ils n’avaient pas de projet, soit parce que leur projet n’était pas solide » . Le même projet proposé dans le cadre de la NPAP a donc peu de chances d’être admis. Philippe POTTIER regrette lui aussi que cette procédure ait été « conçue de façon limitée en termes de conditions de délai. Le législateur a voulu éviter d’interférer avec les décisions des juges, qui peuvent intervenir plus tôt dans l’exécution de la peine » . Dans le même sens, Michaël JANAS estime que la NPAP « intervient trop tardivement dans l’exécution des peines. Les mesures interviennent de manière tellement proche de la fin de peine, que le temps de suivi en milieu ouvert est très court, ne permettant pas de mettre en place un véritable accompagnement. Dès lors, ces mesures perdent de leur sens et apparaissent davantage comme des mesures d’érosion de la peine » .
Autre reproche majeur à l’adresse de la nouvelle procédure : elle ne concerne que les mesures de placement extérieur, semi-liberté et placement sous surveillance électronique, excluant la libération conditionnelle. Le juge de l’application des peines Michaël JANAS regrette ainsi que la libération conditionnelle soit exclue du dispositif « alors qu’il s’agit d’une des mesures les plus intéressantes. Notamment, elle permet de prolonger le suivi jusqu’à un an au-delà de la fin de peine, ce qui peut être utile pour donner du sens à la mesure » , a fortiori lorsqu’elle intervient de manière si proche de la fin de peine. Pour Philippe POTTIER, le législateur s’est ainsi concentré sur des mesures beaucoup plus compliquées à organiser : « il n’a pas voulu intégrer la libération conditionnelle, alors qu’il est bien plus compliqué d’organiser un placement extérieur, une semi-liberté ou une surveillance électronique (PSE). Le placement à l’extérieur nécessite un organisme d’accueil, la semi-liberté une place dans un centre et le PSE n’est pas adapté à n’importe qui. Le champ de la libération conditionnelle est beaucoup plus vaste et dénué d’obstacle matériel » .
Une lutte de pouvoirs ? Généralement, les services pénitentiaires regrettent les réticences des magistrats à l’idée d’un accroissement de leur pouvoir de décision en matière d’aménagements de peine. Ils dénoncent le refus de certains juges de l’application des peines à répondre favorablement aux propositions du SPIP dans le cadre de la nouvelle procédure (NPAP). Philippe POTTIER affirme ainsi que « le plus souvent, [le juge de l’application des peines] refuse ou reprend le dossier à son compte dans le cadre d’un débat contradictoire effectué rapidement », ce qui « décourage les CIP [conseillers d’insertion et de probation] d’y consacrer toute l’énergie nécessaire » . Au regard des données fournies par l’Administration pénitentiaire, il apparaît que dans plus de 38 % des cas, le juge de l’application des peines accepte la proposition du SPIP. Il la refuse dans 13,5 % des cas, et reprend le dossier dans le cadre de la procédure avec débat contradictoire dans 44 % des cas . Bien qu’aucun chiffre ne soit disponible sur le nombre total de condamnés concernés, le nombre de 1 474 propositions de SPIP en 19 mois apparaît extrêmement faible. Dès lors, il semble que le principal filtre se situe entre l’examen de la situation des condamnés concernés par les SPIP et le peu de propositions d’aménagement aux JAP qui en résultent. Les SPIP seraient ainsi confrontés aux mêmes difficultés que les JAP pour constituer des dossiers solides d’aménagements de peine et trouver des solutions d’insertion à l’égard des personnes les plus désocialisées. Ainsi, la question du développement des aménagements de peine ne dépendrait pas tant de l’autorité chargée de les accorder que de leurs conditions d’octroi et de mise en œuvre dans un contexte de pénurie d’hébergement et de possibilités d’insertion.
Cette analyse n’est pas partagée au sein de l’Administration pénitentiaire. Philippe POTTIER, ancien directeur de SPIP en poste au sein de la direction de l’Administration pénitentiaire, soutient que les aménagements de peine ne pourront pas se développer « si nous décidons que ces questions ne peuvent être tranchées que par un juge. Le pouvoir de décision pourrait être transféré au SPIP, avec toutes les voies de recours qui peuvent s’exercer à l’encontre d’une décision administrative. Dans la plupart des pays du monde, les aménagements de peine ne relèvent pas d’un juge. Il est estimé que ces mesures n’aggravent pas la situation de la personne mais l’améliorent ». Il considère que les juges sont plus « sensibles aux pressions publiques et à la prise de risque », le critère d’ordre public devenant « prédominant dans leurs décisions, les conditions d’insertion (logement, activité) étant loin de suffire », tandis que les SPIP « étant par définition tournés vers l’insertion, ils seraient plus enclins à prendre ce type de décisions » . Un discours en phase avec celui du directeur de l’Administration pénitentiaire, Claude D’HARCOURT, qui indique lui aussi que « dans certains pays, le SPIP peut prendre lui-même les décisions d’aménagement de peine, considérer qu’une personne peut sortir ou non ». Et de regretter qu’en France, « le simple pouvoir de proposition du SPIP provoque un débat parmi les magistrats. Nous sommes restés dans une logique où le juge doit décider de tout, alors que dans certains domaines, la maîtrise de l’ouvrage peut être à mon sens déléguée, quitte à effectuer des contrôles aléatoires » .
De leur côté, la plupart des magistrats et des juristes n’envisagent pas une telle hypothèse. En effet, ils estiment que toute décision portant atteinte aux libertés - tel est le cas d’une mesure d’aménagement de peine, qui implique des contraintes et des obligations - ne peut relever que de la décision d’un magistrat. En effet, seule la décision juridictionnelle présente des garanties suffisantes pour le justiciable, notamment en termes de contradictoire et de recours. En outre, les juges sont très attachés à l’audience avec débat contradictoire instaurée par la loi du 15 juin 2000, qui n’est pas prévue dans le cadre de la NPAP. Le débat contradictoire « apporte une garantie qualitative essentielle. Il renforce la symbolique de la décision, après que la personne ait été entendue, qu’elle-même ait entendu les différents avis, une sorte d’engagement se fait jour » . Selon Martine HERZOG-EVANS, les procédures juridictionnalisées avec débat contradictoire se sont « imposées comme les seules valables », avec un « bon niveau, une vérification des éléments, une écoute du condamné, la présence d’un avocat... » . Le juge de l’application des peines Eric MARTIN indique qu’il ne se passe pas un débat contradictoire sans qu’il ne « change d’avis, dans un sens ou l’autre, par rapport à l’idée [qu’il s’était] faite du dossier ». Il explique le caractère essentiel du débat contradictoire avant de prendre des décisions aussi importantes que les aménagements de peine, ainsi que sa « vertu pédagogique, notamment lorsque le directeur de l’établissement pénitentiaire expose sa position au condamné, qui peut lui répondre » .
1-2 - PERMISSION DE SORTIR, PLACEMENT A L’EXTERIEUR ET SEMI-LIBERTE
Permissions de sortir, placement extérieur et semi-liberté représentent des mesures intermédiaires au cours desquelles le condamné demeure sous écrou. Les permissions de sortir autorisent le condamné à s’absenter de l’établissement pénitentiaire pour une raison et une destination précises. Dans le cas d’un placement extérieur sous surveillance ou d’une semi-liberté, le condamné demeure hébergé en totalité ou partiellement dans un établissement pénitentiaire, mais l’essentiel de ses activités se déroulent en milieu ouvert. Le placement extérieur sans surveillance se rapproche davantage d’une libération conditionnelle très encadrée, avec un hébergement à l’extérieur sans retour en prison. Ces différents aménagements trouvent tout leur sens lorsqu’ils sont engagés rapidement après la condamnation, afin d’entamer un retour progressif vers la sortie de prison, avec la libération conditionnelle en perspective comme ultime mesure de contrôle et d’accompagnement.
a) Les permissions de sortir
Une permission de sortir est une autorisation d’absence temporaire de l’établissement pénitentiaire accordée à la personne condamnée par le juge de l’application des peines. La durée de la permission s’impute sur la durée de la peine en cours d’exécution. Elle a pour objet de « préparer la réinsertion professionnelle ou sociale du condamné, de maintenir ses liens familiaux ou de lui permettre d’accomplir une obligation exigeant sa présence » (article 723-3 du Code de procédure pénale).
Champ d’application. Seuls les condamnés à perpétuité, les condamnés en cours de période de sûreté, et ceux poursuivis pour une autre affaire ne peuvent pas bénéficier de permissions de sortir. Pour les autres, différentes sortes de permissions peuvent être accordées dans des conditions de délai spécifiques. Tout condamné à une peine inférieure à cinq ans d’emprisonnement ou tout autre ayant effectué la moitié de sa peine peut demander une permission d’une journée pour accomplir une obligation à l’extérieur : il peut s’agir de rencontrer un employeur éventuel, de se présenter aux épreuves d’un examen, de se rendre dans un centre de soins, de participer à un événement sportif... (article D.143 du CPP). Des permissions de sortir d’une durée maximale de trois jours peuvent également être accordées en vue du maintien des liens familiaux ou de la préparation de la réinsertion. Certains condamnés comme ceux purgeant des peines d’un an ou moins peuvent les demander dès leur condamnation. En maison d’arrêt ou maison centrale, les condamnés à des peines de plus d’un an doivent avoir effectué la moitié de leur peine et avoir un temps de détention restant à subir inférieur à trois ans. En centre de détention, les condamnés doivent avoir effectué plus du tiers de leur peine (article D.145 et D.146 du CPP). Ces seuils ont été rehaussés aux deux tiers de la peine pour les récidivistes par un décret du 13 décembre 2004 ayant inséré un article D.146-2 au Code de procédure pénale. Lorsque le condamné est en état de récidive légale, la condition d’exécution de la moitié ou du tiers de la peine pour accorder une permission est ainsi remplacée par la condition d’exécution des deux tiers de la peine. Dès lors, « le délai d’octroi d’une permission de sortir pour un récidiviste est similaire à celui de l’octroi d’une libération conditionnelle » . Si une dérogation est possible par ordonnance du JAP spécialement motivée, cette nouvelle disposition vide néanmoins de son sens la mesure de permission de sortir, qui n’a d’intérêt que si elle intervient en amont d’une préparation d’un projet d’aménagement de peine. « Il ne sert plus à rien de demander une permission pour aller rencontrer un employeur à ce stade d’exécution de la peine. Le temps d’obtenir la permission, la LC n’aura plus d’intérêt pour le condamné », explique Michaël JANAS . Une telle restriction venant indirectement exclure les récidivistes de tout aménagement de peine, ce qui s’inscrit en contradiction avec le principe affirmé dans la loi du 9 mars 2004 selon lequel toute peine d’emprisonnement a vocation à être aménagée, la CNCDH estime que cette disposition devrait être supprimée.
Une modalité ordinaire de préparation d’un aménagement de peine. Plus largement, les conditions de délai pour pouvoir demander une permission de sortir apparaissent trop restrictives. Les permissions devraient en effet constituer le moyen ordinaire de préparer un retour à la vie extérieure pour la plupart des condamnés, d’autant que les juridictions de l’application des peines considèrent souvent qu’il est nécessaire d’apprécier comment le condamné se comporte en permission avant de prononcer une mesure d’aménagement. Or, les permissions de sortir restent accordées avec parcimonie et généralement en fin de peine. Après avoir observé une baisse quasiment continue entre 1996 et 2002, le nombre de permissions augmente légèrement en 2003 avec 33 786 permissions, 35 589 en 2004 et 35 411 en 2005. Ce chiffre ne permet pas de mesurer l’évolution du taux d’octroi au regard du nombre de demandes ou de condamnés admissibles. En effet, les permissions sont souvent octroyées aux mêmes détenus et nombre d’entre eux n’en bénéficient jamais. Ainsi, il s’avère que « très souvent, les condamnés arrivent en fin de peine en n’ayant pas eu ou très peu de permissions, alors qu’elles font office de test. Dès lors, la juridiction de l’application des peines craint de prononcer un aménagement », explique Martine HERZOG-EVANS, professeur de droit pénal .
Une pratique contestable, alors que le taux « d’évasion » au cours d’une permission de sortir, au sens d’une non réintégration de la prison dans les 48 heures après le délai imparti, est de 0,29 % en 2005 (105 cas), soit moins d’une personne sur 300. C’est pourquoi il conviendrait d’en banaliser l’usage dans le cadre d’un système progressif d’aménagement de la peine, commençant par des permissions de sortir dès la condamnation définitive pour les peines de moins de cinq ans, dès le tiers de la peine pour les peines de moins de 10 ans et dès la mi-peine pour les peines plus longues, sauf appel du Parquet. La fréquence des permissions devrait en outre être accélérée en l’absence d’incident et leurs modalités diversifiées. A titre d’exemple, Martine HERZOG-EVANS propose ainsi de développer les permissions « d’une journée hebdomadaire pour aller voir ses proches » .
RECOMMANDATION
Dans le cadre d’un système progressif d’exécution de la peine, les conditions de délai pour pouvoir demander une permission de sortir devraient être revues. Pour les condamnés à des peines de moins de cinq ans, la permission de sortir pourrait être demandée dès la condamnation définitive, dès le tiers de la peine pour les peines de moins de 10 ans et dès la mi-peine pour les peines plus longues. Ces délais ne devraient souffrir d’aucune distinction selon que la personne est récidiviste ou non. La fréquence des permissions devrait en outre être accrue en l’absence d’incident.
b) Le placement à l’extérieur
Le placement extérieur permet à un condamné d’être employé en dehors d’un établissement pénitentiaire à des activités contrôlées par l’administration (articles 723 et suiv. du Code de procédure pénale). Certains placements, dits « chantiers extérieurs », se déroulent sous la surveillance du personnel pénitentiaire. Parmi les 2 310 personnes placées à l’extérieur en 2005, 40,6 % restaient ainsi hébergées dans un établissement pénitentiaire, les autres étant accueillies dans des centres d’hébergement non pénitentiaires ou une location d’appartement . Les placements sans surveillance, qui représentent 67,6 % des mesures en 2004, sont généralement mis en œuvre par des associations . Dans les deux cas, le condamné bénéficiant de cette mesure demeure officiellement « écroué », donc comptabilisé parmi les détenus.
De facto, la mesure de placement extérieur n’est pas octroyée uniquement pour permettre au condamné d’exercer un travail à l’extérieur (61,2 % des cas en 2004), mais également de suivre une formation rémunérée (26,8 %), une activité non rémunérée (6,1 %), des soins ou le cadre insertion du RMI (5,9 %). La mesure a l’avantage de constituer une sorte de palier intermédiaire très encadré entre la détention et la vie libre, autant qu’une forme de test préalable à l’octroi d’une libération conditionnelle. Elle peut également être utilisée comme mode d’exécution d’une courte peine d’emprisonnement, qui peut être décidé dès la condamnation par la juridiction de jugement. La loi du 9 mars 2004 a également prévu que le placement extérieur, au même titre que la semi-liberté ou les permissions de sortir, puisse être assorti des mesures de contrôle et obligations du sursis avec mise à l’épreuve (article 723-4 du CPP). Désormais, le placement extérieur peut donc être accompagné, par exemple, d’une obligation de soins et d’une interdiction d’entrer en contact avec la victime. Ces nouvelles dispositions viennent ainsi enrichir les possibilités d’application et d’individualisation de la mesure.
Selon le rapport WARSMANN, le placement à l’extérieur représente une mesure particulièrement adaptée « aux personnes les plus désocialisées, qui n’ont ni logement ni emploi, et qui rencontrent des difficultés d’insertion importantes », de plus en plus nombreuses au sein de la population pénale. La mission WARSMANN évoque notamment des expériences de placement extérieur à destination des personnes toxicomanes, pour lesquelles les sorties sèches entraînent « un risque très élevé de récidive » . Les mérites du placement extérieur sont également vantés par les associations qui les mettent en œuvre, estimant qu’il « permet une véritable individualisation de la peine et obtient de bons résultats sur les taux de récidive » . Pourtant, le placement extérieur observe une baisse quasiment continue depuis 1994, année ayant vu 3 477 mesures accordées, le minimum ayant été atteint en 2004 avec 2 230 mesures. Une hausse a été observée en 2003 avec 2 733 mesures et, plus légèrement, en 2005 avec 2 478 mesures (2 310 selon l’Annuaire statistique de la Justice, édition 2006, p. 219). Le nombre de condamnés placés à l’extérieur représente ainsi « une part de la population des condamnés encore plus faible que celle des ‘semi-libres’ et elle est en diminution : 1,3 % en 2006 (2,1 % en 1994) », précise Annie KENSEY .
Placement extérieur « prévention des incendies »
Initiés par le tribunal de grande instance (TGI) de Draguignan en octobre 2004, les chantiers « prévention incendies » permettent à des condamnés en fin de peine d’exercer une activité d’utilité publique valorisante dans une région durement marquée par les incendies de forêt. Selon l’initiateur de ce projet, le juge de l’application des peines du TGI, ces mesures permettent à des détenus « souvent pour la première fois de leur vie, de contribuer à l’intérêt général en oeuvrant à la prévention des incendies ». Les maires des communes concernées soulignent pour leur part le travail « en tout point remarquable » de ces détenus, prenant même parfois « la peine de leur adresser des lettres individuelles de félicitations » .
Par groupe de deux ou trois, les condamnés effectuent pendant quelques mois des travaux de débroussaillement et de réhabilitation du patrimoine forestier. Ils sont encadrés par un employé municipal ou un membre de l’association chargée de coordonner la mise en œuvre de la mesure. Au préalable, ils bénéficient d’une véritable formation dispensée par l’Office national des forêts, portant sur les différentes espèces forestières ainsi que sur les techniques de maniement, d’entretien et de sécurité des débroussailleuses et tronçonneuses. Les condamnés se voient également remettre un équipement de protection dont ils deviennent propriétaires et qu’ils conserveront à l’issue de leur peine. Chaque matin, ils sortent de l’établissement pénitentiaire pour se rendre sur le chantier et le réintègrent le soir à l’issue de leur travail. Ils passent également leurs week-ends à l’extérieur dans le cadre de permissions de sortir. Lors de leurs déplacements, les détenus peuvent être véhiculés par l’association ou utiliser les transports en commun. Les condamnés ainsi employés perçoivent un salaire légèrement supérieur au SMIC, à raison de 35 heures hebdomadaires réparties sur quatre jours. Ils doivent respecter les obligations fixées par le juge de l’application des peines, comme celle de reverser une partie de leur revenu à la victime de l’infraction ou encore de suivre des soins.
La mesure apparaît particulièrement adaptée à des condamnés désocialisés et isolés n’ayant ni logement ni emploi. Tel était le cas de Pierre, condamné à trois ans et demi de prison ferme et de Jean-Pierre, purgeant une peine de sept ans et demi, tous deux en rupture familiale depuis leur incarcération. Désormais, personne ne les attend à leur sortie et le chantier leur permet de bénéficier d’un sas de sortie et d’une formation professionnelle. « En travaillant six mois pour le SMIC, on peut préparer notre sortie, il y a aussi la satisfaction de travailler en pleine nature jusqu’à 15h30, de manger son pique-nique dans la forêt », explique l’un d’eux (Var informations, novembre 2004). Les condamnés sélectionnés se trouvent généralement en fin de peine. Ils doivent être volontaires et aptes au difficile exercice du débroussaillement. Lorsqu’un reliquat de peine subsiste à l’issue du chantier, une nouvelle décision d’aménagement de peine est prise afin d’éviter la réincarcération, notamment à des fins de recherche d’emploi.
Ces placements extérieurs sont financés à hauteur de 80 % par les subventions « incendies » des Conseils général et régional, 10 % par la commune concernée, et 10 % par le ministère de la Justice à travers la maigre subvention de 25 euros par jour de placement extérieur. Ils nécessitent la signature d’une convention entre la direction du centre pénitentiaire, la direction du SPIP, le maire de la commune et l’association d’insertion chargée de suivre la bonne exécution du projet. Selon le juge de l’application des peines du TGI de Draguignan, le montage d’une telle opération s’avère « très chronophage », mais également « très utile en termes de réinsertion » , puisque parmi les 25 premiers condamnés en ayant bénéficié, 80 % ont trouvé un emploi au terme de cette expérience professionnelle. Le tout contribuant à « re-mobiliser, et donc à prévenir la récidive, de condamnés qui s’investissent particulièrement dans un travail valorisé, reconnu d’utilité publique ». Quant au président du Conseil général du Var, il vante « l’intérêt social de ce dispositif pouvant aider à la réinsertion des prisonniers », ainsi que le bénéfice retiré pour le département au regard de la quantité de travaux à réaliser dans la forêt varoise .
Une mesure insuffisamment définie. Comme la plupart des mesures alternatives, le contenu du placement extérieur n’est pas défini suffisamment précisément (déroulement, suivi socio-éducatif, public visé...). Dès lors, les juges du siège et de l’application des peines manquent « de lisibilité sur le déroulement de cette mesure », explique Denis L’HOUR, directeur de la fédération CITOYENS ET JUSTICE. Il informe qu’un groupe de travail a été mis en place par l’Administration pénitentiaire sur « la définition de cette mesure, la typologie des différents accompagnements, les financements, ainsi que l’évaluation du travail effectué dans le cadre d’un placement extérieur » . Il apparaît également nécessaire de préciser le public visé par les différentes formes de placement extérieur : courtes ou longues peines, personnes en très grande difficulté sociale, sanitaire, psychologique ? En effet, comme pour la plupart des aménagements de peine, « le repérage des publics n’est pas effectué assez tôt pour permettre de travailler sérieusement sur le projet et faire sortir la personne suffisamment longtemps avant sa libération, afin que la mesure représente un gain pour elle », indique Denis L’HOUR. Il déplore ainsi que les associations chargées de mettre en œuvre des placements extérieurs ne puissent souvent intervenir qu’au cours du dernier mois de détention pour préparer la mesure. A ce stade, « soit le détenu refuse, soit le placement à l’extérieur n’a plus aucun intérêt. Il faut repérer le plus en amont possible pour faire bénéficier ces publics d’un véritable accompagnement » .
Un dispositif « lourd à gérer » et coûteux. Selon les praticiens, le dispositif du placement à l’extérieur est « extrêmement lourd à gérer » , puisqu’il implique de prévoir un emploi ou une formation, ainsi qu’un hébergement. Le directeur des Affaires criminelles et des grâces, « très favorable au placement extérieur », attire l’attention sur l’importance de l’encadrement qu’il suppose de la part du personnel pénitentiaire et des partenaires : « il ne faut pas sous-estimer l’énergie considérable nécessaire ». Pour ces raisons, le fait d’augmenter le nombre de mesures nécessiterait de « mobiliser des moyens financiers relativement importants » . D’autant que le versement actuel « du prix de journée par l’Administration pénitentiaire ne correspond pas au coût réel de la mesure », indique Jean-Pierre BAILLY, directeur du SPIP des Yvelines . Le président de l’Association nationale des juges de l’application des peines déplore également le décalage entre le discours et les moyens accordés pour le placement extérieur : « Les pouvoirs publics nous incitent à développer cette mesure. Mais sur le terrain, les moyens ne sont pas développés en ce sens. Ce n’est donc pas une priorité au plan budgétaire » . En outre, l’argument financier tient difficilement au regard du coût d’une journée de détention évitée par une journée en placement extérieur. Ainsi, la comparaison du prix de revient journalier d’un détenu en maison d’arrêt (55,80 Euros) et du coût de revient moyen d’un placement extérieur (12 à 18 Euros par jour) devrait suffire à pallier l’argument du coût du placement extérieur, quand bien même il serait sous-évalué. D’autant que le prix d’une journée en maison d’arrêt est lui aussi sous-évalué, puisqu’il n’intègre pas les charges patronales et frais d’amortissement. Enfin, le coût de construction d’une nouvelle place de prison évalué à 106 400 Euros permet de calculer que le renoncement à une seule nouvelle place en maison d’arrêt permettrait de financer 5 911 jours de placements extérieurs, sur la base d’une journée à 18 Euros.

RECOMMANDATION
La CNCDH demande qu’un programme de développement des placements extérieurs soit initié par l’Administration pénitentiaire. Il devrait définir précisément le contenu de cette mesure, en ce qui concerne son déroulement, la typologie des différents accompagnements, son financement et son évaluation.
c) La semi-liberté
Comme le placement à l’extérieur sous surveillance, la semi-liberté permet à un condamné d’exercer des activités à l’extérieur, et de réintégrer un établissement pénitentiaire chaque soirée et week-end. Les « semi-libres » sont détenus dans des centres ou des quartiers de semi-liberté au sein d’un établissement pénitentiaire ordinaire. Les condamnés pouvant bénéficier d’une semi-liberté sont ceux auxquels il reste à purger un maximum d’un an de prison, ou pour lesquels une libération conditionnelle à été accordée sous condition d’avoir été soumis à une semi-liberté à titre probatoire (art.723-1 du Code de procédure pénale). Cette semi-liberté probatoire est même obligatoire, pendant une période comprise entre un et trois ans, pour les condamnés avec période de sûreté supérieure à 15 ans (article 720-5 du Code de procédure pénale). Enfin, la semi-liberté peut être prononcée ab initio par la juridiction de jugement comme mode d’exécution d’une peine d’emprisonnement de moins d’un an. Ses modalités d’exécution devront alors être fixées par le juge de l’application des peines dans un délai de 4 mois, qui peut alors la convertir en placement extérieur ou placement sous surveillance électronique (loi du 9 mars 2004).
En pratique, la semi-liberté est très faiblement utilisée pour les longues peines, alors qu’elle constitue un facteur augmentant nettement les chances d’obtention d’une libération conditionnelle ainsi qu’un régime intermédiaire de réadaptation à la vie libre. La semi-liberté concerne davantage les courtes peines, soit dès le jugement sur décision de la juridiction (rarement), soit selon le principe d’une conversion par le juge de l’application des peines (plus souvent). Dès lors, les infractions concernées sont en premier lieu les infractions routières et les escroqueries, filouteries, abus de confiance, pour lesquelles entre 10 et 20 % des condamnés libérés bénéficient de ce régime. En matière criminelle, les pourcentages sont largement inférieurs, avec 0,96 % de bénéficiaires parmi les libérés condamnés pour agression ou atteinte sexuelle sur mineur, et 3,4 % parmi les condamnés pour homicide volontaire . Les « semi-libres » représentent « 3,1 % de la population des détenus condamnés, soit une part mineure. Depuis 1981, l’évolution, peu marquante, est faiblement à la hausse », précise Annie KENSEY . Le nombre de semi-libertés accordées a atteint son maximum en 1999 avec 7 300 mesures et son minimum en 2003 avec 6 261 mesures, puis 6 842 en 2004 et 6 619 en 2005.
Un manque de places. Le rapport WARSMANN impute cette situation au manque de places de semi-liberté (2 013 en 2004) dans certaines régions, notamment en Ile-de-France. Il estime ainsi que les juridictions de jugement prononcent peu de semi-libertés ab initio (150 par an environ), « faute de places disponibles ou connues par la juridiction, qui recule de ce fait devant la complexité du dispositif » . Un avis de la COUR DE CASSATION de décembre 2005 viendrait encore « compliquer les choses » selon Michaël JANAS, président de l’Association nationale des juges de l’application des peines. La Cour a estimé qu’en l’absence de places de semi-liberté au sein de l’établissement pénitentiaire, « les JAP ne peuvent pas prononcer ou mettre à exécution cette mesure. Il s’agit d’un recul important provoquant une rupture d’égalité des justiciables » . En effet, si le taux d’occupation moyen des centres ou quartiers de semi-liberté est de 60,6 % en 2004, il varie considérablement d’un établissement à un autre. Certains sont sous-utilisés comme Montargis ou Limoges, avec des taux d’occupation de l’ordre de 20 %, d’autres véritablement surpeuplés comme Rochefort (300 %) ou Evreux (150 %) . Les juges de l’application des peines confirment également que les quartiers ou centres de semi-liberté sont « souvent très mal situés, notamment dans les départements ruraux », ce qui empêche de les utiliser alors que les condamnés ont une activité dans un lieu fixe . En outre, nombre de ces locaux se trouvent « dans un état de délabrement avancé : ce sont des espèces de chauffoirs dans lesquels les détenus s’entassent à 6 ou 7, comme à Alençon ». Eric MARTIN cite le cas d’Argentan, où un projet de construction de 20 places « avait démarré, mais a été abandonné. 40 places de détention vont être créées à la place, pour un coût bien supérieur. Il s’agit donc de véritables choix politiques, pas de problèmes budgétaires » . Le fonctionnement de certains centres ou quartiers de semi-liberté peut également représenter un frein au bon déroulement des mesures, et donc à leur développement. Ainsi, les heures de fermeture des cellules entre 20 heures et 6 heures, en vigueur dans la plupart des établissements, ne conviennent pas aux besoins de flexibilité de certains emplois occupés par des « semi-libres ». De même, les quelques heures de permanence de travailleurs sociaux des SPIP sont souvent organisées en journée la semaine, obligeant les « semi-libres » exerçant un travail à demander une autorisation d’absence pour les rencontrer .
Des critères d’octroi inadaptés. Les critères d’octroi sont également en cause dans le faible nombre de semi-libertés. Ainsi, les activités extérieures pouvant justifier l’obtention d’une semi-liberté sont l’exercice d’une activité professionnelle (81,5 % des motifs d’octroi en 2004), la participation à un enseignement, une formation ou un stage rémunéré ou non (13 %), la participation à la vie de famille (3,7 %) ou le suivi d’un traitement médical (1,8 %). Comme pour la libération conditionnelle, la prédominance du critère de l’insertion professionnelle explique en partie le faible recours à cette mesure, alors que la population pénale apparaît de plus en plus désocialisée.
Une mesure intermédiaire. Malgré tout l’intérêt de mesures telles que le placement à l’extérieur sous surveillance et la semi-liberté, les praticiens s’accordent à penser qu’elles « ne sont pas viables sur une longue durée et, plus précisément, que quelques mois sont un maximum ». En effet, le retour chaque soir et week-end en détention après des journées de vie « libre » peut rapidement générer « des tensions très fortes et une difficulté croissante à retourner en prison », selon Martine HERZOG-EVANS . C’est pourquoi il convient d’aborder ces mesures comme des dispositifs intermédiaires de retour à la vie libre pour les longues peines, ne devant pas excéder six mois. Pour les courtes peines, l’alternance entre les deux modes de vie apparaissant plus tenable en l’absence d’incarcération préalable, le dispositif peut être envisagé jusqu’à un an. Au cours de l’exécution de la mesure, une progressivité du régime devrait également être envisagée. Une première phase pendant laquelle les horaires de sortie sont limités par le juge de l’application des peines à l’exercice des activités. Une seconde phase au cours de laquelle des permissions peuvent être accordées les week-ends. Une troisième phase au cours de laquelle le condamné « semi-libre » devrait simplement respecter un temps de présence minimum par jour (en général 9 heures, correspondant au temps de sommeil) au sein de « structures légères, intégrées au tissu urbain et faiblement sécurisées » . Ces structures pouvant accueillir de 20 à 80 personnes devraient organiser en leur sein des réunions obligatoires de soutien social, dans un souci de prévention de la récidive. Les « maisons d’assignation à résidence » envisagées pour certains contrôles judiciaires au lieu d’une détention provisoire pourraient également être utilisées pour mettre en œuvre certaines semi-libertés, en remplacement des modalités d’hébergement actuelles en maison d’arrêt.
RECOMMANDATION
Les conditions d’exécution de la semi-liberté doivent être harmonisées sur l’ensemble du territoire, en termes de places disponibles, de localisation des quartiers ou centres de semi-liberté, de régime et de conditions de détention. La semi-liberté devrait également pouvoir être exécutée en tout ou partie dans le cadre de « maisons d’assignation à résidence » - aussi utilisées pour le contrôle judiciaire - légèrement sécurisées et intégrées au tissu urbain.
1-3 - LE PLACEMENT SOUS SURVEILLANCE ELECTRONIQUE
Le placement sous surveillance électronique (PSE) est la seule mesure d’aménagement de peine en forte progression ces dernières années en France. Peu à peu admis par la plupart des professionnels de la justice, le PSE semble néanmoins se résumer dans la pratique à une simple mesure de contrôle dénuée de dimension socio-éducative. Un risque de déperdition en « accompagnement humain » contre lequel des recherches menées au Canada nous mettent en garde.
a) Le bracelet électronique fixe en plein essor
Mis en place à partir d’octobre 2000, 130 placements sous surveillance électronique (PSE) ont été accordés en 2001, 359 en 2002, 948 en 2003, 2 915 en 2004 et 4 128 en 2005. Cette évolution permet au bloc des aménagements de peine (semi-liberté, placement extérieur, PSE) d’observer une hausse de 4,5 % entre 2002 et 2006, indique la chercheuse Annie KENSEY . Le PSE est une modalité d’exécution d’une peine d’emprisonnement, qui implique pour le condamné l’interdiction de s’absenter de son domicile ou d’un autre lieu aux heures fixées par le juge de l’application des peines. Le condamné porte à la cheville ou au poignet un bracelet électronique relié à une ligne téléphonique, qui émet une alarme s’il se trouve absent de son domicile à une heure non autorisée. Cette alarme est transmise à un centre de surveillance implanté dans l’établissement pénitentiaire dont relève le condamné. Ce bracelet électronique « fixe » actuellement en vigueur ne permet donc pas de suivre l’ensemble des déplacements du condamné. Les personnes sous surveillance électronique demeurent officiellement « écrouées », donc comptabilisées parmi les détenus.
Un essor au détriment des autres aménagements ? Le développement du PSE s’effectue en partie au détriment des autres mesures d’aménagement de peine. L’Association nationale des juges de l’application des peines signale ainsi que le placement sous surveillance électronique « a augmenté au détriment d’autres aménagements de peine, essentiellement la semi-liberté » . Le directeur de l’Administration pénitentiaire estime également que le bracelet électronique « peut paraître plus attractif, son développement s’effectuant peut-être en partie au détriment des autres mesures. Il ne s’agit pas d’un jeu à somme nulle, puisque le bloc des alternatives et des aménagements de peine observe dans son ensemble une progression. Mais il y a probablement des effets de porosité d’une mesure à l’autre » . Ainsi, comme l’ensemble des mesures alternatives, le PSE ne vient pas en totalité s’ajouter aux mesures existantes, mais en partie les remplacer. Il s’applique néanmoins en partie à des personnes qui n’auraient pas obtenu d’autre mesure d’aménagement de peine. Pour Martine HERZOG-EVANS, le PSE est ainsi appelé à se développer plus fortement « d’une part en raison d’une volonté politique, d’autre part en raison du manque de places de semi-liberté et de placements à l’extérieur, qui nécessitent des moyens immobiliers et humains importants » . Au terme de six ans de pratique, il apparaît néanmoins urgent d’évaluer plus précisément l’effet alternatif du bracelet électronique fixe. Ainsi, le député Georges FENECH estime-t-il que « le placement sous surveillance électronique ne s’est pas révélé comme étant, encore aujourd’hui, le meilleur moyen de lutte contre la surpopulation carcérale, sauf à le voir se généraliser dans l’avenir » .
Champ d’application. La mesure est réservée aux condamnés à des peines d’emprisonnement n’excédant pas un an, aux condamnés dont le reliquat de peine à purger n’excède pas un an, ou comme condition préalable à l’octroi d’une libération conditionnelle. La loi du 9 mars 2004 a étendu les possibilités d’application du PSE non plus à titre d’aménagement, mais de peine, au même titre que la semi-liberté et le placement à l’extérieur, prononcé par la juridiction de jugement à la place d’une peine d’emprisonnement égale ou inférieure à un an (article 132-26-1 du Code pénal). Jusqu’à présent, seul un bilan de la phase d’expérimentation (octobre 2000 - mai 2002) fournit des informations sur les premiers condamnés concernés par un PSE. Ainsi, parmi les placements terminés au 1er mai 2002, plus de 80 % concernaient des condamnés à des courtes peines, 13 % des condamnés en fin de peine (reliquat de moins d’un an), et seulement 2 % des mesures probatoires à la libération conditionnelle . Dans le cadre de l’aménagement d’une peine d’emprisonnement de moins d’un an, le PSE apparaît en effet plus attrayant qu’une semi-liberté ou un placement extérieur, car il « permet de ne pas connaître du tout l’univers carcéral ». Dès lors « les avocats encouragent leurs clients à le demander », explique le juge de l’application des peines Michaël JANAS .
Motifs d’octroi. Les motifs justifiant l’octroi d’un PSE ont été limitativement énumérés par le Code pénal (art. 132-26-1). Il s’agit de l’exercice d’une activité professionnelle, de la participation à un enseignement, une formation professionnelle ou un stage, d’une participation essentielle à la vie de famille ou de la prescription d’un traitement médical. Le juge de l’application des peines détermine les horaires auxquels le condamné peut se trouver à l’extérieur et ceux auxquels il doit être rentré chez lui. Il peut également soumettre le condamné aux mesures et obligations du sursis avec mise à l’épreuve (art. 132-26-2 du Code pénal), qu’il s’agisse de mesures de contrôle (visites à domicile, convocations du JAP...), d’obligations particulières (ne pas fréquenter les débits de boisson ou tout autre lieu, suivre des soins, s’abstenir d’entrer en relation avec certaines personnes...) ou encore de mesures d’assistance sociale (art. 132-43 à 132-46 du CP). L’enquête d’évaluation sur la phase d’expérimentation du PSE nous fournit là aussi des premiers éléments sur l’utilisation de la mesure. La condition d’octroi la plus fréquente est l’exercice d’une activité professionnelle (70 % des cas). Trois fois sur quatre, les condamnés disposaient déjà d’un emploi. L’obligation de suivre un stage ou un emploi temporaire en vue d’une insertion intervient dans 7 % des cas, l’obligation de participer à la vie familiale dans 6 % des cas, de suivre un traitement médical dans 5 % des cas, un enseignement ou une formation dans 2 % des cas. Lorsque plusieurs conditions se cumulent, les combinaisons les plus fréquentes sont l’exercice d’une activité professionnelle avec le suivi d’un traitement médical ou la participation à la vie familiale. Le juge de l’application des peines soumet également environ un quart des personnes sous PSE à des obligations du sursis avec mise à l’épreuve. Mais il n’est pas fait mention des mesures d’assistance .
Durée du PSE. Dans tous les cas, la durée du placement sous surveillance électronique ne peut juridiquement être supérieure à un an. Or, dès la période d’évaluation, « il a été montré que le PSE pouvait difficilement être supporté au-delà de six mois » rappelle l’Association nationale des juges de l’application des peines . Le rapport FENECH émet lui aussi des réserves quant à la durée de la mesure, qui ne devrait pas dépasser quatre ou cinq mois selon lui, au-delà desquels la contrainte imposée par le respect des horaires d’assignation devient trop « difficile à supporter » pour le condamné, celui-ci commençant à commettre de plus en plus d’entorses au « contrat » passé . Le juge Michaël JANAS explique qu’en détention, « le condamné subit sa peine par la force des murs. Sous PSE, il tient lui-même les barreaux. Le stress relatif au respect des horaires est très important ». A ce titre, il lui paraît « indispensable d’accorder des marges horaires au condamné pour rentrer chez lui », des délais très serrés accentuant trop fortement la pression jour après jour . L’expert suédois Norman BISHOP regrette quant à lui que « nous ne disposions pas d’étude de qualité sur la question de la durée maximum du bracelet électronique à l’heure actuelle ». En Suède, il a néanmoins été « observé que les résultats sont un peu moins bons pour les périodes de trois mois que pour celles de deux mois » . En France, une étude de l’Administration pénitentiaire a établi que pour les placements sous surveillance électronique effectués en octobre 2000 et juillet 2003, la durée moyenne du PSE était de 76 jours, soit environ deux mois et demi. La durée maximale effective a été de 257 jours, soit huit mois et demi .
Un nécessaire accompagnement social. L’intérêt de la mesure réside dans la crédibilité du contrôle qu’elle représente aux yeux des magistrats et du public. Néanmoins, s’il n’est pas associé à des mesures d’assistance et de suivi, le placement sous surveillance électronique risque de présenter un faible intérêt en termes de prévention de la récidive et de réintégration dans la société. Pour Norman BISHOP, « lorsque le bracelet électronique est utilisé sans prise en charge intensive, il s’agit d’une espèce d’assignation à résidence dont on ne peut pas attendre de bons résultats. Le fait de rester en permanence à la maison sans aucun encadrement ou support expose l’individu et sa famille à des tensions énormes » . En France, un suivi social des personnes sous PSE est en principe effectué par le service d’insertion et de probation, mais il ne semble pas avoir perduré au-delà de la période d’expérimentation. Le bilan de la phase d’expérimentation (octobre 2000 - mai 2002) avait pourtant confirmé l’importance de l’accompagnement social parallèle à la surveillance électronique. Ainsi, avait-il été constaté que « le caractère « positif » de la mesure, tel que les divers acteurs, et les condamnés eux-mêmes, l’ont reconnu, réside principalement dans l’accompagnement social et l’engagement humain des acteurs » . Au cours de cette phase expérimentale, il a été observé un investissement, avec des moyens importants en personnels de surveillance (un surveillant référent pour 20 placés) et des moyens constants de prise en charge socio-éducative. Au point d’en conclure que « de manière peut-être imprévue, le PSE induit une prise en charge des condamnés en milieu ouvert plus intensive que les autres mesures » . Un tel constat demande à être réévalué, l’ensemble des conseillers d’insertion et de probation (CIP) rencontrés par la CNCDH ayant déclaré qu’aucun accompagnement social n’était prévu par leurs services pour les personnes placées sous surveillance électronique. Un CIP du SPIP de Melun (77) indique que « l’accompagnement éducatif n’a pas été intégré dans l’exécution du PSE » . « En pratique, le suivi socio-éducatif s’arrête souvent après la mise en place du PSE », signale un autre CIP de région parisienne. Ensuite, il s’agit « d’un dossier stocké dans l’armoire, dans lequel on va récolter les alarmes ». Le travailleur social précise qu’il « est un peu compliqué de convoquer une personne sous PSE, il faut prévoir avec le magistrat des plages horaires. Alors que je voulais convoquer une personne pour un deuxième entretien après la pose du bracelet, un de mes chefs de service m’a demandé de ne pas le faire afin de ne pas compliquer la vie de la personne, déjà soumise au port d’un bracelet » .
Le rapport FENECH insiste au contraire sur le fait que la surveillance électronique « n’est qu’un outil de l’aménagement de peine et non une fin en soi. Il faut éviter l’écueil d’une technicité qui aurait comme corollaire le risque d’un désinvestissement de l’humain tant il est clair que le suivi est indispensable à la réussite de la mesure » . Il signale également l’intérêt des possibilités d’adaptation progressive de la mesure, avec des permissions de sortir accordées les week-ends au terme d’un temps d’observation et de respect de ses obligations par le condamné. Plusieurs études canadiennes ont également soulevé ce risque de voir la surveillance électronique se développer aux dépens d’un suivi humain. Ainsi, les services correctionnels du Québec « ont envisagé la possibilité d’utiliser le bracelet électronique, mais après analyse des coûts et des enjeux reliés à leur utilisation, ils ont jusqu’ici fait le choix de ne pas implanter la SE et de miser sur le contact humain pour le suivi des personnes soumises à des conditions de couvre-feu ou d’assignation à domicile dans le cadre de l’emprisonnement avec sursis (voir Kaminski, Lalande, Dallaire, 2001). Ce choix était basé sur une étude qui avait conclu qu’il existait encore trop d’incertitude quant à l’efficacité et la rentabilité financière de la surveillance électronique » . Or, si le PSE se développe en France essentiellement au détriment de la semi-liberté et surtout, du placement extérieur, sans être accompagné d’un suivi socio-éducatif, il y a tout lieu de s’interroger sur la perte subie en termes d’accompagnement et de prévention de la récidive. Pour ces raisons, une évaluation de l’usage du PSE devrait être réalisée, portant notamment sur les questions suivantes : à quelles mesures le PSE vient-il se substituer, et en particulier, vient-il éviter du temps de détention ? Le PSE est-il associé dans les faits à un accompagnement socio-éducatif ? Le législateur devrait également prévoir que l’accompagnement dans le cadre du PSE soit obligatoire, afin que la surveillance électronique ne soit pas uniquement une mesure de contrôle, mais aussi de prévention de la récidive et d’insertion, notamment au moyen d’un travail sur le passage à l’acte effectué avec le conseiller d’insertion et de probation. Le PSE doit également être accompagné d’un suivi permettant de veiller à ce que le dispositif soit supporté autant par la personne condamnée que par son entourage. A cet effet, les visites à domicile et les contacts téléphoniques qui peuvent être initiés par le conseiller d’insertion et de probation dans le cadre de tout accompagnement s’avèrent particulièrement adaptés au PSE, plus que les rendez-vous au sein du service de probation.
RECOMMANDATION
Il convient d’inscrire dans la loi ou le règlement que le placement sous surveillance électronique doit être obligatoirement accompagné d’un suivi socio-éducatif, notamment au moyen de visites à domicile et de contacts téléphoniques.
b) Des réticences face à l’arrivée du bracelet électronique mobile
La loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales a introduit la mesure de placement sous surveillance électronique mobile (PSEM), qui peut être prononcée dans le cadre d’une libération conditionnelle, d’un suivi socio-judiciaire ou d’une surveillance judiciaire. Ces deux dernières mesures s’ajoutant à la peine de prison, nous ne nous intéresserons qu’au PSEM dans le cadre d’une libération conditionnelle, seul cas de figure à même de réduire le temps passé en détention. Sans que le décret en Conseil d’Etat n’ait été publié, la phase d’expérimentation a démarré le 1er juin 2006 avec 40 bracelets mobiles, et 150 sont prévus pour l’année 2007 .
Tout comme lors de l’adoption du PSE, les réticences sont nombreuses face à l’arrivée du PSEM. A la différence du PSE fixe, la personne sous PSEM ne sera pas contrainte de respecter des horaires de présence à son domicile ou tout autre lieu, la technologie GSM permettant d’identifier chacun de ses déplacements a posteriori. Cette moindre contrainte permet de l’envisager pour des durées plus longues, ce qui a incité le législateur dans le premier projet de loi à proposer des durées de contrôle de 20 ans en matière délictuelle et 30 ans en matière criminelle ! La durée maximale a finalement été ramenée à deux ans, renouvelables une fois en matière délictuelle et deux fois en matière criminelle. La durée totale de la mesure pourra donc s’élever jusqu’à six ans.
Le vague critère de la dangerosité. Le PSEM pourra s’appliquer à des personnes majeures condamnées à une peine d’emprisonnement d’une durée d’au moins 7 ans, « dont une expertise médicale a constaté la dangerosité, lorsque cette mesure apparaît indispensable pour prévenir la récidive à compter du jour où la privation de liberté prend fin » (article 131-36-10 du Code pénal). Pour les juges de l’application des peines, la mesure pourrait être intéressante afin de « toucher des catégories de personnes à risque, actuellement exclues des aménagements alors qu’elles en ont le plus besoin ». Néanmoins, ils s’inquiètent sur le critère de la « dangerosité », dont la définition manque totalement de clarté « y compris dans l’esprit du législateur ». Quand bien même la notion de dangerosité serait mieux définie, « les psychiatres se disent compétents pour se prononcer sur la dangerosité psychiatrique, mais pas sur le risque de récidive », indique Eric MARTIN, secrétaire général de l’Association nationale des juges de l’application des peines . De leur côté, les services de probation français sont totalement dépourvus d’outils criminologiques pour établir des diagnostics de risque de récidive. Selon Norman BISHOP, expert scientifique suédois au CONSEIL DE L’EUROPE, il faudrait tout bonnement « éviter d’employer ce type de notion émotionnelle dénuée de fondement scientifique ». Il explique ainsi que « beaucoup d’études démontrent que la dangerosité n’existe pas isolément d’un contexte et d’une situation. Ainsi certains détenus s’avèrent très dangereux dans une prison et pas du tout dans une autre. En outre, cet état de « dangerosité » n’est pas définitif, il peut être tout à fait limité dans le temps. C’est pourquoi il faut régulièrement réexaminer la situation des condamnés à de longues peines » . Face à une notion si floue et difficile à établir scientifiquement, les JAP français s’inquiètent de voir le bracelet électronique mobile utilisé pour d’autres personnes que « le public ciblé, qui seul légitime la création de cette mesure très attentatoire aux libertés. Dans les réunions préparatoires sur l’expérimentation du PSEM, il était déjà envisagé de le tester sur des personnes non dangereuses », s’indigne Eric MARTIN .
Un outil d’enquête et de dissuasion. Tout le monde s’accorde à reconnaître que le PSEM ne pourra pas empêcher une personne de commettre une infraction. Néanmoins, les enquêteurs sauront a posteriori « que la personne se trouvait sur les lieux. En ce sens, le PSEM peut avoir un certain effet dissuasif », estime la juriste Martine HERZOG-EVANS . Outre un éventuel effet dissuasif, que confirme le psychiatre Roland COUTANCEAU s’agissant des auteurs d’infraction sexuelle, le PSEM apparaît essentiellement comme un outil d’enquête de police. En fin de compte, « le seul intérêt indéniable du PSEM sera pour les enquêteurs. Lorsqu’une infraction sera commise, ils identifieront facilement après coup si un porteur du PSEM était à proximité », confirme Michaël JANAS .
1-4 - LA LIBERATION CONDITIONNELLE
Instaurée en 1885, la libération conditionnelle permet, sous certaines conditions d’assistance et de contrôle, la libération anticipée d’un condamné manifestant « des efforts sérieux de réadaptation sociale » (art. 729 du Code de procédure pénale). Cette mesure, reconnue internationalement comme le meilleur mode de libération pour prévenir la récidive, traverse pourtant une crise en France, puisqu’elle est de moins en moins accordée, dans un contexte de forte pression pesant sur les juges chargés de la prononcer.
a) Une mesure en baisse en dépit de son efficacité
Le taux de libérations conditionnelles octroyées a été divisé par deux en trente ans. Le nombre d’admis par rapport aux condamnés proposables est ainsi passé de 29,3 % en 1973 à 15 % en 1999, soit une diminution de moitié. « Le nombre de proposables n’est plus disponible après 1999, aussi ce calcul n’est-il plus réalisable », explique la démographe Annie KENSEY . Le nombre de libérations conditionnelles (LC) stagne aujourd’hui autour de 6 000 par an (5 916 en 2005), voire continue de régresser quand on rapporte ce chiffre au nombre de détenus condamnés. Annie KENSEY note cependant « une progression de la LC pour les longues peines depuis 2001 sans doute du fait de la loi du 15 juin 2000 : tant pour les LC accordées par le TAP pour les peines supérieures à 10 ans (qui passent de 167 en 2001 à 245 en 2005) que celles accordées par le JAP pour les peines supérieures à 5 ans (290 en 2000 à 867 dès 2001 et 774 en 2005). En revanche, les LC concernant les peines de moins d’un an diminuent » .
Champ d’application. Les condamnés peuvent demander une libération conditionnelle lorsqu’ils ont exécuté au moins la moitié de leur peine s’ils ne sont pas en état de récidive légale. Pour les récidivistes, ce délai est porté aux deux tiers de la peine. De même que pour les permissions de sortir et les autres aménagements de peine, cette distinction entre primaires et récidivistes n’apparaît pas judicieuse au plan criminologique. Ces délais se calculent en intégrant les réductions de peine et grâces accordées, qui viennent modifier la date de fin de peine. Les condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité ne peuvent prétendre à une libération conditionnelle (LC) avant d’avoir purgé quinze années de détention. Si une période de sûreté supérieure à quinze ans a été prononcée, ils doivent en attendre le terme ou en obtenir le relèvement avant toute demande de LC. La décision d’octroi d’une libération conditionnelle relève du juge de l’application des peines lorsque la ou les condamnations prononcées n’excèdent pas dix ans d’emprisonnement ou lorsque la durée de détention restant à subir ne dépasse pas trois ans. Au-delà, le tribunal de l’application des peines est compétent depuis le 1er janvier 2005.
Le condamné en libération conditionnelle doit se soumettre au même régime qu’une personne placée en sursis avec mise à l’épreuve, la juridiction de l’application des peines choisissant parmi des obligations comme le fait de résider à tel endroit, de répondre aux convocations du service d’insertion et de probation (SPIP), de suivre un programme de soins, de porter un bracelet électronique.... En 2004, les principales obligations auxquelles doit se soumettre le libéré conditionnel sur décision du JAP sont : l’indemnisation de la partie civile (17,9 %), le suivi d’un stage ou d’une formation (14,8 %), le suivi de soins médicaux (14,1 %), l’expulsion ou l’extradition (10,1 %)... Une prolongation du suivi - ne pouvant excéder un an - au-delà de la fin de peine est décidée dans 62,6 % des cas.
Une mesure prévenant la récidive. Alors que la libération conditionnelle est en baisse, elle est unanimement reconnue par les experts comme une mesure permettant de réduire les effets néfastes d’une sortie « sèche » sans suivi ni contrôle, notamment en termes de récidive. C’est pourquoi le CONSEIL DE L’EUROPE encourage les Etats membres à développer cette mesure considérée comme l’une des « plus efficaces et les plus constructives pour prévenir la récidive et pour favoriser la réinsertion sociale des détenus dans la société, selon un processus programmé, assisté et contrôlé » . En France, deux études menées par l’Administration pénitentiaire et le CNRS ont montré l’impact du mode de libération sur la récidive. Ainsi, le taux de « retour en prison » varie-t-il du simple au double selon le mode de libération : 23 % pour les libérés conditionnels, contre 40 % pour ceux sortis en fin de peine. Ces taux sont réduits à 29 et 37,5 % par une comparaison à structures équivalentes d’âge, d’infraction, de condamnations antérieures... Quant au taux de « nouvelle affaire », il est de 54,5 % pour les libérés en fin de peine et de 39,6 % pour les libérés conditionnels. Lorsque l’infraction initiale est un meurtre, le taux de nouvelles affaires (tous types d’affaires confondus, il ne s’agit pas à nouveau d’un meurtre) est de 41,1 % pour les libérés en fin de peine et de 24,6 % pour les libérés conditionnels. Ces taux sont de 37 et 12,5 % lorsque l’infraction initiale est une agression sexuelle. La démographe Annie KENSEY précise que ces résultats ne s’expliquent qu’en partie par la sélection des « bons dossiers » opérée par les juridictions de l’application des peines : « la sélection des détenus bénéficiaires d’une libération conditionnelle est significative, mais n’explique pas complètement un taux de récidive moins élevé. La supervision des détenus après leur libération est sans doute encore plus déterminante » .
b) Explications d’une crise
Malgré plusieurs réformes censées favoriser sa relance - essentiellement la juridictionnalisation et le retrait de compétence au garde des Sceaux - la crise de la libération conditionnelle demeure. La mesure commence à être délaissée par les pouvoirs publics, le ministère de la Justice ayant axé tout son programme de relance des aménagements de peine issu de la loi du 9 mars 2004 sur le placement extérieur, la semi-liberté et le bracelet électronique. « La recommandation de 2003 [du CONSEIL DE L’EUROPE] sur la libération conditionnelle a été superbement ignorée, la loi Perben II ne traitant quasiment pas de cette mesure, en dépit d’un important volet sur l’aménagement des peines », relève Pierre Victor TOURNIER .
Critères d’octroi. Au même titre que d’autres aménagements de peine, il apparaît que les critères d’octroi de la libération conditionnelle demeurent dans le texte, et surtout dans la pratique, inadaptés à l’évolution des populations placées sous main de justice. Le critère des « des efforts sérieux de réadaptation sociale » implique en pratique pour le condamné d’apporter la preuve qu’un emploi l’attend à l’extérieur, que sa participation à la vie de famille est essentielle ou qu’il doit subir un traitement médical. Il doit témoigner de conditions favorables d’insertion, d’un logement fixe et de moyens de subsistance propres. 
Pour des praticiens comme Jean-Pierre BAILLY, directeur du SPIP des Yvelines, ces conditions d’octroi « sont restées formatées aux normes de « l’insertion bourgeoise », à savoir le travail et le logement fixe ». Il estime ainsi qu’une « importante partie de la population pénale est sans doute capable de ne plus commettre d’actes délinquants, mais pas d’entrer dans ce schéma d’insertion ». Or, les solutions « plus marginales » qu’elle peut proposer se voient refusées par les magistrats . Dans le même sens, Philippe POTTIER estime que la fonction de la sanction et la mission de l’Administration pénitentiaire « n’est pas de normaliser les gens selon des critères d’insertion dans lesquels certaines personnes ne pourront jamais rentrer, sans récidiver pour autant ». Il relève en outre le caractère absurde « de demander aux détenus d’avoir trouvé un travail pour obtenir une LC, alors que s’ils travaillaient avant, l’incarcération leur a fait perdre leur emploi ». C’est ainsi que la justice adresse un message selon lui totalement contradictoire aux condamnés : « il faudra trouver du travail pour sortir, mais avant, on vous envoie en prison afin d’être sûrs que vous n’ayez plus d’emploi » .
Une mesure assimilée à une faveur. Plus encore que les autres aménagements de peine, la libération conditionnelle est assimilée à un cadeau, comme s’il s’agissait d’une remise en liberté anticipée sans contrepartie, d’une faveur accordée aux condamnés les plus méritoires au détriment de la chose jugée. Une conception que l’on retrouve parmi des membres influents de l’Administration pénitentiaire, puisque Jean-Pierre BAILLY, directeur de SPIP ayant accompagné le directeur de l’Administration pénitentiaire lors de son audition devant la CNCDH, a déclaré que « les réductions de peine et la libération conditionnelle constituent des cadeaux par rapport à la peine prononcée, et le condamné est investi de la responsabilité de les gérer » . Le juge Michaël JANAS explique ainsi que « la libération conditionnelle pâtit d’une conception archaïque qui l’assimile à un cadeau, une super réduction de peine » alors qu’elle constitue en réalité « une véritable contrainte permettant une accélération de la peine en termes d’efficacité et de prévention de la récidive » . Au contraire d’un « cadeau », il s’avère que la libération conditionnelle représente souvent le premier acte exigeant à l’égard du condamné, lui demandant de se prendre en charge et de remédier à ses difficultés criminogènes.
Pressions sur les magistrats. Principale cause de la régression des libérations conditionnelles, la pression exercée sur les magistrats explique en bonne partie que 87 % des LC concernent des peines de moins de 5 ans. Pour les longues peines, donc les infractions plus graves, le risque est grand de subir la réprobation générale, en particulier en cas de récidive du libéré conditionnel. A cet égard, il convient d’exhorter les hommes politiques et les médias à faire œuvre de pédagogie plutôt que de surenchère à l’occasion d’affaires aussi exceptionnelles que dramatiques. Au sein même des juridictions, la pression sociale se trouve largement relayée par certains Parquets. Aujourd’hui, il est à déplorer que « l’examen obligatoire de tous les dossiers à mi-peine [soit] effectué de façon formelle, sans rencontrer le détenu, ce qui ne permet pas de solliciter efficacement les détenus qui ne demandent rien » explique Nicole MAESTRACCI, présidente du tribunal de grande instance de Melun. Et d’ajouter : « L’avis défavorable du Parquet sur les mesures de libération conditionnelle proposées est en outre la plupart du temps la règle ». Ainsi, elle estime que les JAP doivent « faire preuve d’un certain courage pour prononcer une libération conditionnelle, dès lors qu’en l’absence d’instructions de politique pénale claires de la Chancellerie aux procureurs de la République, ils sont seuls à porter le poids de ces décisions » .
Les juges s’estiment « livrés à la vindicte »
« Après les déclarations réitérées du ministre de l’Intérieur réclamant que le magistrat ayant accordé une libération conditionnelle au meurtrier présumé de Nelly CREMEL paye pour ses fautes », l’ensemble des associations de magistrats se sont regroupées pour rappeler que « les magistrats ont simplement appliqué la loi ». « La décision de libération conditionnelle a été prise par une juridiction collégiale », ayant « statué après avoir notamment entendu le procureur de la République, le condamné et son conseil » et après avoir « effectué de nombreuses investigations, notamment sous forme d’expertises psychiatriques. Ce n’est donc pas un juge « laxiste et irresponsable » qui a décidé de libérer de façon inconséquente un dangereux criminel ».
« Juger n’est pas une science exacte. Au contraire, le droit de contester la décision est tout particulièrement protégé. Assimiler toute divergence d’appréciation entre juridictions à une faute ou à un dysfonctionnement revient à rendre impossible l’activité même de juger. De même, livrer les juges à la vindicte risque de les conduire à renoncer à l’exercice de leur rôle de protection des libertés fondamentales ».
« Des études récentes établissent en outre l’effet positif des libérations conditionnelles sur la prévention de la récidive. Ainsi, le taux de nouvelle infraction identique pour les meurtriers après leur libération de prison est de 0,5 %. Pourtant, le nombre de libérations conditionnelles a été divisé par trois en trente ans. Il appartient au pouvoir politique d’assumer les lois votées plutôt que de les défaire à peine l’encre séchée et de critiquer systématiquement et sans mesure les décisions prises par les magistrats ».
Extraits d’un appel intitulé « Halte à la démagogie », signé des organisations professionnelles USM, SM, ANJAP, USMA et SJA, juin 2005.
Une méconnaissance du phénomène de la récidive. La France apparaît extrêmement en retard concernant l’étude de la récidive, comme l’explique Jean-Pierre BAILLY, directeur du SPIP des Yvelines, en évoquant « l’acculturation » de notre pays sur cette question. Selon lui, ce manque de connaissance du phénomène de la récidive explique qu’il fasse « démesurément peur », alors que les professionnels peuvent constater que « certaines récidives ne constituent que des rechutes » à l’occasion desquelles le parcours de réinsertion engagé ne doit pas systématiquement être interrompu .
La France a même poussé le paradoxe jusqu’à adopter une loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales après des débats parlementaires ayant mis en lumière la méconnaissance du phénomène en France. Le directeur des Affaires criminelles et des grâces reconnaît ainsi qu’ « au cours du débat parlementaire sur la loi sur la récidive, j’ai pu mesurer notre difficulté à nous référer à des outils pertinents d’évaluation de la récidive. En effet, les analyses statistiques de spécialistes divergent un peu, avec des définitions différentes de réitération ou recondamnation » . C’est pourquoi les parlementaires ont adopté en deuxième lecture la création d’une COMMISSION D’ANALYSE ET DE SUIVI DE LA RECIDIVE, chargée de « procéder à une évaluation tout à fait légitime de la réalité de la récidive, notamment par secteurs d’infractions » et d’ « identifier plus précisément les causes de la récidive », ajoute-t-il . Le député André VALLINI n’a pas manqué de relever l’absurdité de la situation : « si cette commission « s’attache à déterminer les outils fiables pour mesurer la récidive » : c’est donc que vous n’en disposez pas, « à analyser son évolution » : c’est donc que vous n’en avez pas idée, et « à formuler des préconisations pour la combattre » : c’est donc que vous êtes dans le flou » . En effet, la pratique consistant à légiférer dans un premier temps, et à engager des études sur le problème ciblé dans un second temps, apparaît hautement contestable. Le démographe Pierre Victor TOURNIER ajoute, qu’au lieu d’une commission indépendante réclamée par plusieurs amendements parlementaires, le garde des Sceaux a préféré « une commission placée sous son autorité, ne disposant d’aucun moyen et rassemblant des personnes pour la plupart dénuées d’expérience en matière d’observation de la récidive ». C’est pourquoi « un appel des 115 a été lancé en février 2006 afin de demander la création d’une structure d’études et de recherches sur les infractions pénales, leur prévention, leur sanction et leur réparation » .

2 - AMENAGEMENT DES COURTES PEINES, SYSTEME PROGRESSIF
D’EXECUTION DES PEINES, ET LIBERATION CONDITIONNELLE D’OFFICE
Afin de sortir de l’impasse du faible nombre de sorties dans le cadre d’un aménagement de peine, en dépit de l’utilité des sorties « sous contrôle » pour la réinsertion des condamnés et la prévention de la récidive, trois voies sont proposées par une majorité d’experts et de praticiens. La première consiste en un examen systématique des possibilités d’aménagement des courtes peines de prison (moins d’un an). La seconde consiste en un système progressif d’aménagement des moyennes et longues peines engagé rapidement après la condamnation, commençant par des permissions de sortir régulières, puis une semi-liberté ou un placement extérieur, puis une libération conditionnelle. Enfin, il apparaît désormais incontournable pour beaucoup d’expérimenter un système de libération conditionnelle d’office, tel qu’il est déjà en vigueur dans certains pays.
2-1 - EXECUTION DES COURTES PEINES EN MILIEU OUVERT
Les courtes peines de prison suscitent régulièrement de vives critiques, dans la mesure où elles sanctionnent des infractions de moindre gravité pour un résultat peu probant en termes de réinsertion et prévention de la récidive. Jean-Paul CÉRÉ, directeur du Master de « Droit de l’exécution des peines et droits de l’homme » de l’Université de Pau, nous rappelle ainsi que « la doctrine la plus avertie constate leur inefficacité depuis le XIXe siècle, aussi bien pour les délinquants d’habitude que pour les primaires. « Les courtes peines d’emprisonnement [...] sont accompagnées de si graves inconvénients, qu’on doit leur préférer d’autres procédés d’intimidation » (V. not. P. Cuche, Traité de science et de législation pénitentiaires, LGDJ, 1905, p. 191 et s.) » . Le rapport WARSMANN a pour sa part insisté sur la nécessité « d’admettre que l’auteur d’une infraction de faible gravité, comme une dégradation volontaire de véhicule (même s’il s’agit d’une récidive) sera plus utilement sanctionné par un placement en semi-liberté lui permettant de rembourser les dégâts causés par l’infraction que par une incarcération en maison d’arrêt ». Il avait ainsi préconisé qu’une fois la condamnation prononcée, le juge de l’application des peines soit saisi « afin d’aménager l’exécution des courtes peines d’emprisonnement » . La loi Perben II du 9 mars 2004 s’en est directement inspirée en organisant un système novateur d’examen systématique des peines d’emprisonnement d’un an et moins avant leur mise à exécution. Mais le dispositif ne s’applique ni aux comparutions immédiates, ni aux personnes jugées alors qu’elles étaient incarcérées. Dès lors, en janvier 2006, plus de 10 000 condamnés purgeaient encore des peines de moins d’un an en détention.
 a) Courtes peines prononcées et exécutées
En 2004, les juridictions françaises ont prononcé 91 865 peines privatives de liberté comportant un emprisonnement ferme de moins d’un an, ce qui représente 80,2 % de l’ensemble des condamnations à un emprisonnement ferme . Au 1er janvier 2006, 12 172 personnes condamnées à une peine d’un an et moins étaient comptabilisées parmi les personnes écrouées, dont 1 178 (10%) purgeant leur peine en milieu ouvert (placement extérieur ou surveillance électronique) et 10 994 en détention. Si l’ensemble de ces peines étaient aménagées, le nombre total de détenus écroués (58 344) serait réduit de 18,8 % et la surpopulation des établissements pénitentiaires en grande partie résorbée, selon un calcul effectué par Annie KENSEY et Pierre V. TOURNIER. En aménageant les peines de tous les condamnés à un an ou moins dans chaque prison surpeuplée, 6 496 détenus seraient libérés, soit une baisse de 70% du surnombre . Pierre Victor TOURNIER explique que « sur l’ensemble des courtes peines d’emprisonnement en cours d’exécution, le pourcentage des peines aménagées est seulement de 10 %. Si l’esprit de la loi Perben II était appliqué, à savoir aménager l’ensemble de ces courtes peines, la surpopulation serait réduite de 70 % ». Il ajoute qu’un grand nombre de personnes condamnées à de courtes peines d’emprisonnement ont déjà effectué un temps de détention provisoire « dans des conditions invraisemblables, donc si on voulait les sanctionner, c’est déjà fait ». Plus globalement, il interpelle sur l’intérêt pour la société de voir ces courtes peines mises à exécution : « est-ce efficace d’imposer à ces personnes de subir leur reliquat en maison d’arrêt en termes de préparation à la sortie, de réinsertion ? Est-ce rentable pour la société en termes de sécurité ? N’aurait-on pas intérêt, non pas à effacer la peine, ce qui serait perçu comme du laxisme, mais à aménager cette peine à l’extérieur sous mandat judiciaire avec une prise en charge ? » .
Des courtes peines qui n’en valent pas le prix
« La construction d’une nouvelle place en maison d’arrêt coûte 106 400 euros, alors qu’une place en établissement du type centre de semi-liberté ou centre pour peines aménagées revient au tiers de ce montant. Le prix de revient journalier d’un détenu en maison d’arrêt s’élève à 55,80 euros ; il s’agit d’un coût de fonctionnement calculé sur l’effectif de référence de l’établissement et ne tenant pas compte des charges patronales et des frais d’amortissement. Dans un centre de semi-liberté, un objectif de coût de 20 à 30 euros par jour peut être raisonnablement atteint. Par comparaison, le prix d’un matériel destiné à la surveillance électronique est, dans la phase de lancement actuel, de 22 euros par jour. Enfin, le coût moyen d’un placement extérieur est de 12 à 18 euros par jour.
Il est nécessaire d’adapter le coût de la sanction au risque que représente le condamné pour la société. (...) Aujourd’hui, la prise en charge de tous les malades en milieu hospitalier nous paraîtrait absurde et inutile. De la même manière, le recours quasi exclusif à l’enfermement en maison d’arrêt pour traiter la délinquance est inefficace et néfaste. Dans l’intérêt même de la société, il est clair qu’actuellement, un nombre important de condamnés ne devraient pas se trouver en maison d’arrêt ».
Extrait du Rapport de Jean-Luc WARSMANN, Les peines alternatives à la détention, les modalités d’exécution des courtes peines, la préparation des détenus à la sortie de prison, avril 2003.
Si une courte peine peut revêtir une dimension symbolique au moment de la condamnation, son exécution ne fait généralement en pratique qu’aggraver la situation du condamné, qui rencontrera davantage d’obstacles à sa réinsertion après un séjour en maison d’arrêt, avec un risque de récidive aggravé. Le juge Michaël JANAS raconte que, dans le cadre des comparutions immédiates, « la question de savoir si la peine d’emprisonnement ferme doit être assortie d’un mandat de dépôt [n’est] pas toujours suffisamment abordée ». Il lui apparaît pourtant essentiel d’examiner systématiquement au cours des débats si la « courte peine de prison envisagée [peut] être plus intéressante sans mandat de dépôt. Les actes peuvent être ainsi sanctionnés fermement par une juridiction de jugement, puis la peine immédiatement aménagée en mesure alternative afin de la rendre plus efficace à prévenir la récidive » . Dans le même sens, la juriste Martine HERZOG-EVANS, estime que « la courte peine de prison trouve d’ailleurs son sens véritable dans ce cadre ». Une fois que la personne s’est vue signifier une incarcération potentielle à l’audience, au cours de laquelle elle a rarement compris le sens de sa peine, « le JAP prend le temps de lui expliquer ce qui s’est passé, c’est le moment de se projeter dans l’avenir, les condamnés peuvent se demander ce qu’ils vont faire de cette peine » .
 b) Généraliser l’examen systématique par le JAP
La loi du 9 mars 2004 a prévu l’examen systématique des possibilités d’aménagement pour les peines égales ou inférieures à un an d’emprisonnement prononcées contre une personne libre. Ce qui n’était qu’une possibilité au titre de l’article D. 49-1 du Code de procédure pénale est ainsi devenu la règle à partir du 1er janvier 2005. Cette procédure qui constitue, selon la juriste Martine HERZOG-EVANS, « l’une des plus belles procédures de l’application des peines », a ainsi été élevée par la loi Perben II du domaine décrétal au domaine législatif. Elle permet d’envisager un aménagement ab initio de la peine avant mise à exécution, afin de « sauver les condamnés de la désocialisation causée par l’incarcération » .
Un progrès considérable. L’article 723-15 du Code de procédure pénale implique désormais pour le juge de l’application des peines (JAP) de déterminer à l’égard du condamné avant toute mise à exécution « les modalités d’application de sa peine en considération de sa situation personnelle ». Il peut alors envisager l’octroi de réductions de peine ab initio absorbant un reliquat d’emprisonnement ferme, dans le cas où le condamné a effectué un passage en détention provisoire. Le JAP peut également prononcer un aménagement de peine, avant et à la place de l’incarcération : placement à l’extérieur, semi-liberté, fractionnement ou suspension de peine, placement sous surveillance électronique, libération conditionnelle. Enfin, le JAP peut convertir les peines inférieures ou égales à six mois d’emprisonnement en sursis-TIG (sursis avec obligation d’accomplir un TIG) ou peine de jours-amende.
Selon l’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP), le nouvel article a permis que les saisines du Parquet deviennent automatiques et que les situations soient examinées beaucoup plus rapidement. Avant la mise en place de cette disposition, l’aménagement des courtes peines dans le cadre de l’article D. 49-1 était en effet résiduel, le rapport WARSMANN citant le chiffre de 10 peines aménagées sur 203 au sein d’un échantillon étudié. En outre, les Parquets ne transmettaient pas toujours l’original de l’extrait de jugement, « se réservant ainsi la possibilité de mettre à exécution la peine ferme alors même que le juge de l’application des peines [avait été] saisi » . Aujourd’hui, les nouvelles dispositions encadrent « très fortement l’action du Parquet qui doit saisir le JAP, même en cas d’urgence, alors qu’auparavant les juridictions ne le faisaient pas toutes », indique Eric MARTIN, secrétaire général de l’ANJAP. Ces dispositions ne posent pas « de difficulté quant à leur application, hormis des problèmes d’organisation, qui seront peut-être résolus avec la mise en place des bureaux d’exécution des peines » . Les juridictions se heurtent cependant au problème des personnes qui ne comparaissent pas et sont condamnées par jugements contradictoires à signifier. Quand les personnes ne se présentent pas à l’audience, « les pratiques des Parquets sont très variables, certains ne saisissant pas systématiquement le JAP », signale Nicole MAESTRACCI. Dès lors, elle propose que le texte précise que « pour les peines de moins d’un an, quelles que soient les conditions d’interpellation, le JAP doit obligatoirement être saisi » .
Elargir le champ d’application. La procédure d’aménagement ab initio a pour seul défaut un champ d’application encore limité. Aujourd’hui, il apparaît nécessaire de généraliser l’examen automatique en vue d’un éventuel aménagement à l’ensemble des courtes peines d’emprisonnement (un an et moins). En premier lieu, la condition d’une condamnation prononcée contre des condamnés libres, et non incarcérés, n’apparaît pas justifiée. Pour Martine HERZOG-EVANS, cela revient à considérer que si le prévenu est en détention provisoire, il « est déjà trop tard » pour éviter l’effet désocialisant d’une courte peine. Cela ne paraît pas cohérent, puisqu’une personne « qui a été en détention provisoire puis libérée peut bénéficier de l’article 723-15. Pourtant, elle a été désocialisée par la détention provisoire » . Dès lors, il apparaît nécessaire d’élargir le champ d’application de l’examen des possibilités d’aménagement aux personnes ne comparaissant pas libres à l’audience.
De même, l’essentiel des courtes peines étant prononcées en comparution immédiate, il apparaît urgent, outre les nécessités déjà évoquées de réformer cette procédure, de « réfléchir aux façons de rendre le mandat de dépôt à l’audience exceptionnel » pour les courtes peines. Certains proposent d’inverser le principe actuel : les courtes peines d’emprisonnement doivent être obligatoirement aménagées, sauf exception spécialement motivée. Jean-Paul CÉRÉ suggère ainsi de faire figurer « l’obligation d’aménager les courtes peines de prison dans le Code de procédure pénale ». Néanmoins, le juge (juridiction de jugement et juge de l’application des peines) « pourrait décider quand même d’une incarcération par décision spécialement motivée » . Plus simplement, le champ d’application de l’article 723-15 du CPP, rendant obligatoire l’examen des peines d’un an et moins par le juge de l’application des peines, pourrait être étendu aux peines prononcées en comparution immédiate, avec ou sans mandat de dépôt. Afin que cet aménagement ab initio puisse s’appliquer à l’ensemble des courtes peines, un système de progressivité devrait également être rendu possible dans les textes. Ainsi, la juridiction de l’application des peines devrait pouvoir substituer à une peine d’un an d’emprisonnement une première mesure de suivi intensif, telle que la semi-liberté, le placement extérieur, ou le placement sous surveillance électronique. Puis, la juridiction devrait pouvoir prévoir un assouplissement graduel du régime de surveillance et de suivi, notamment en décidant d’une mesure de libération conditionnelle.

RECOMMANDATIONS
- L’examen systématique par le JAP des possibilités de convertir la peine de prison d’un an et moins doit être étendu aux personnes incarcérées, ainsi qu’à celles condamnées dans le cadre d’une comparution immédiate.
- Dans le cadre de cette possibilité de convertir les courtes peines d’emprisonnement, le JAP devrait avoir la possibilité de prononcer en premier lieu un aménagement de type placement extérieur, semi-liberté ou placement sous surveillance électronique, puis de décider dans un deuxième temps, notamment sur proposition du SPIP, d’une libération conditionnelle comportant un assouplissement progressif de l’intensité du suivi et du contrôle.
Suède : exemple d’exécution des courtes peines en milieu ouvert
La Suède nous donne l’exemple d’un pays ayant réussi à faire chuter le nombre d’entrées en détention par une politique volontariste d’aménagement des courtes peines. Norman BISHOP explique ainsi que la Suède est parvenue « à réduire le nombre d’entrées en prison grâce à la « prise en charge intensive » associée à un contrôle électronique. Le système fonctionne car nous avons un nombre important de courtes peines d’emprisonnement. L’investissement initial dans l’équipement technique coûte cher, mais il est rapidement amorti par les emprisonnements évités. Nous avons démarré par les peines allant jusqu’à deux mois d’emprisonnement. Presque tous les détenus concernés demandent à subir leur peine de prison sous ce régime de prise en charge intensive dans la communauté. Nous l’acceptons pour la plupart d’entre eux, à l’exception des personnes violentes et des toxicomanes graves. La mesure se termine de façon satisfaisante dans 96 % des cas ». De ce fait, la Suède a « réduit de presque 3 000 le nombre de détenus entrant dans les prisons chaque année, passant de 12 000 à 9 000 ». « Cela signifie que nous avons là une mesure remplaçant réellement la prison ». Suite au succès de l’expérience, la Suède l’a étendue aux peines de trois mois et elle envisage d’aller jusqu’à six mois en 2007.
Norman BISHOP insiste sur le fait que la surveillance électronique ne permet pas à elle seule le suivi des personnes condamnées. « En Suède, le bracelet électronique ne constitue qu’un aspect d’une « prise en charge intensive », aux côtés d’une série de mesures concernant les problèmes de toxicomanie, d’alcoolisme, etc. La plupart des condamnés sous contrôle électronique se trouvent à l’extérieur de chez eux 40 heures par semaine. Ils peuvent continuer à travailler, étudier, gagner de l’argent, et surtout avoir des contacts avec des personnes non criminelles ». « Les agents de probation définissent un plan détaillé d’exécution de la peine pour chaque condamné, avec lequel ils entretiennent des contacts fréquents. Lorsqu’un condamné dispose d’un faible niveau scolaire, le suivi d’études fait partie du programme à suivre. Le plan d’exécution de la peine indique également les horaires auxquels le condamné doit se trouver à l’école ou au travail. Des programmes de traitement inspirés des méthodes cognitives sont également utilisés. En effet, ces méthodes offrent pour la première fois une réelle possibilité d’influencer les comportements délinquants. Les condamnés suivent donc des programmes obligatoires contre la violence, les drogues, l’alcool... De telles méthodes sont également proposées aux prévenus volontaires ».
Norman BISHOP, ancien chef des recherches à l’Administration pénitentiaire et probationnaire suédoise, expert scientifique au CONSEIL DE L’EUROPE, audition CNCDH, 4 avril 2006.
2-2 - L’AMENAGEMENT PROGRESSIF DES MOYENNES ET LONGUES PEINES
Le CONSEIL DE L’EUROPE, « préoccupé par l’augmentation dans de nombreux pays du nombre et de la longueur des peines d’emprisonnement de longue durée », préconise une « évolution progressive » du détenu dans le système pénitentiaire « dans des conditions progressivement moins restrictives jusqu’à une étape finale, qui, idéalement se passerait en milieu ouvert » . En ce sens, il conviendrait de repenser l’exécution des moyennes et longues peines en termes de progressivité, comme le propose également l’universitaire Jean-Paul CÉRÉ. Selon lui, elle devrait permettre « un retour progressif vers la sortie, dont la libération conditionnelle serait l’ultime étape ». Un tel dispositif nécessitant de « créer une échelle des mesures d’aménagement de la peine, en fonction des contraintes pesant sur le détenu » .
a) L’unanimité autour de la nocivité des « sorties sèches »
Si des chercheurs tels que Pierre Victor TOURNIER alertaient depuis de nombreuses années sur la nocivité des sorties « sèches » en fin de peine, sans accompagnement ni suivi, c’est bien le rapport du député Jean-Luc WARSMANN qui a marqué un tournant décisif en ce sens. Il a ainsi rappelé que la sortie de prison, quelle que soit la durée de la peine purgée, constitue « un moment difficile à vivre », particulièrement pour la personne libérée « sans préparation ni accompagnement », qui risque de se retrouver à nouveau « dans un environnement familial ou social néfaste, voire criminogène, ou bien au contraire dans un isolement total, alors qu’elle aurait besoin de soutien pour se réadapter à la vie libre ». Pour Jean-Luc WARSMANN, il apparaît clairement que le public des sortants de prison, de plus en plus précarisé, cumulant souvent problèmes d’addictions et troubles psychologiques, « sans prise en charge après la sortie de prison, aura un risque de récidive élevé, les mêmes causes produisant les mêmes effets ». Au point d’alerter les pouvoirs publics en ces termes : « On peut craindre une flambée de délinquance, en raison des récidives commises par des sortants de prison non suivis, si l’on ne parvient pas à limiter le nombre des sorties sèches » .
Une idée peu défendue publiquement. Après une telle mise en garde, l’idée d’une peine de prison exécutée obligatoirement pour partie en milieu ouvert, défendue par Pierre Victor TOURNIER, séduit aujourd’hui de nombreux praticiens et responsables politiques. « Par principe, l’idée d’une partie d’exécution de peine en milieu fermé puis en milieu ouvert pour éviter des sorties sèches souvent criminogènes ne peut qu’être approuvée », affirme Jean-Marie HUET, directeur des Affaires criminelles et des grâces . Néanmoins, il apparaît qu’elle a été peu défendue et expliquée au grand public, ce qui explique que perdure le manque d’adhésion aux différents modes de libérations anticipées et une pression inverse sur les magistrats. Pour convaincre l’opinion publique, la présidente du tribunal de grande instance de Melun, Nicole MAESTRACCI, estime que « nous n’avons pas suffisamment dit à quel point notre système reposant sur la crainte de toute prise de risque produit en fait plus d’insécurité que des mesures de libération anticipée. Plusieurs études indiscutables ont montré que les sorties sèches entraînaient bien plus de risque que les libérations conditionnelles. La question est de savoir pourquoi personne n’ose en tirer les conséquences » .
Réductions de peine et grâces collectives. Pierre Victor TOURNIER défend également une forme de peine « incompressible », à savoir sans réductions de peine ni mesures de grâce. Ainsi, expose-t-il le cas d’une personne condamnée à trois ans d’emprisonnement ferme et écrouée le 1er janvier 2000 : « L’intervalle de trois ans jusqu’au 1er janvier 2003 ne devrait pas être remis en cause. Le condamné demeure sous main de justice pendant ce laps de temps, mais il effectue une partie en milieu fermé et une autre en milieu ouvert. L’avantage de cette durée de peine fixe est d’affirmer le principe de la chose jugée, autant pour le tribunal que pour les victimes » . L’unanimité se fait sur la suppression des grâces présidentielles, système automatique de gestion des flux de prisonniers sans individualisation, hérité du pouvoir monarchique. Pour l’UNION SYNDICALE DES MAGISTRATS, les grâces collectives et lois d’amnistie devraient « être réservées à des circonstances totalement exceptionnelles tenant à la vie de la Nation. Mais il faut les refuser comme moyen de gestion de la surpopulation pénitentiaire chaque 14 juillet. Elles n’ont aucun sens et portent atteinte à la personnalisation de la peine » .
Mais la suppression du système de réductions de peine n’emporte pas l’adhésion générale. D’une part, il apparaît qu’il « serait impossible de faire tenir la détention sans ces mesures », explique notamment Dominique BARELLA . Les réductions de peine permettent en effet de « mobiliser les détenus dans un environnement qui incite plutôt à la passivité », confirme Nicole MAESTRACCI . D’autre part, elles font partie de l’aménagement des peines et ne sont pas totalement automatiques, surtout depuis l’instauration du système de crédit de réductions de peine (RP) par la loi du 9 mars 2004. Celui-ci entraîne en effet « un renversement du mécanisme des réductions de peine, qui peuvent être désormais conditionnelles et donner lieu à retrait en cas de nouvelle infraction après la libération pendant la période équivalente aux RP obtenues », explique Jean-Marie HUET . Au titre des améliorations apportées par le nouveau système, l’Association nationale des juges de l’application des peines indique que le crédit de peine « est maintenu en fonction du bon comportement en détention » et peut être « transformé en temps de suivi en milieu ouvert à la fin de la peine, y compris sans l’accord du condamné ». Néanmoins, Michaël JANAS ajoute que les réductions de peine supplémentaires sont plus intéressantes, puisqu’elles sont accordées « au cas par cas sur la base d’efforts particuliers fournis en détention » .
b) Un aménagement progressif jusqu’à la libération conditionnelle
Une fois acquis le principe d’une peine d’emprisonnement dont une partie est exécutée en milieu fermé, l’autre en milieu ouvert, il s’agit de dérouler le parcours d’un condamné à une peine de plus d’un an depuis le prononcé de sa peine jusqu’à sa libération conditionnelle.
Selon la longueur de la peine, les phases seront plus ou moins nombreuses. Ainsi, un condamné à une peine d’un an à cinq ans pourrait très rapidement se voir accorder des permissions de sortir afin de préparer sa réinsertion, maintenir des liens avec sa famille, et atténuer les effets désocialisants de sa détention. Si les permissions de sortir se déroulent correctement, le condamné pourrait rapidement accéder à une semi-liberté ou à un placement extérieur, et enfin une libération conditionnelle. Pour Martine HERZOG-EVANS, la partie de la peine exécutée en milieu ouvert « pourrait selon les cas commencer par un placement extérieur avec surveillance, puis sans surveillance, puis une semi-liberté, puis une libération conditionnelle avec surveillance électronique (PSE), puis sans PSE... Le PSE lui-même pourrait être évolutif, avec des plages horaires de plus en plus souples. Au début, le placé peut n’être autorisé à sortir que pour travailler, puis pour voir des amis mais avec un contrôle d’alcoolémie... Il y a une audience à l’origine pour le prononcé du placement extérieur, puis une nouvelle audience pour passer sous un autre régime, avec une évaluation, un nouveau débat. Il peut y avoir des retours en arrière sans que le processus soit totalement remis en cause. Ce système progressif devrait être précédé de permissions de sortir beaucoup plus fréquentes au cours de la détention » .
Pour les condamnés à de plus longues peines, le même processus serait engagé, mais moins rapidement et de manière plus intensive. En outre, la période de suivi en milieu ouvert pourrait dès lors être longue, si l’on estime qu’un condamné à une peine de 20 ans pourrait purger 10 ans en milieu ouvert. Ainsi, « un suivi en milieu ouvert peut gagner à être long, mais son intensité doit être adaptée selon différentes phases : au début, le contrôle est intensif, puis de moins en moins. En cas de rechute, le niveau d’intensité est rehaussé. La rechute peut faire partie du traitement. Il faut l’intégrer tant que possible comme un élément du parcours plutôt que de renoncer et incarcérer », estime Martine HERZOG-EVANS .
RECOMMANDATION
Le principe de l’aménagement progressif des moyennes et longues peines de prison devrait être inscrit dans la loi, impliquant une partie de l’exécution des peines en milieu fermé, l’autre en milieu ouvert. Le projet d’aménagement de peine devrait être entamé avec les travailleurs sociaux dès le début de l’exécution de la peine. Dans ce cadre, le condamné devrait passer par différentes phases, plus ou moins longues selon la durée de sa peine : une première phase d’élaboration d’un projet comportant des permissions de sortir, une seconde phase en semi-liberté ou placement extérieur et une troisième phase en libération conditionnelle, assortie éventuellement d’un placement sous surveillance électronique dans un premier temps.
c) L’obstacle de l’allongement des peines et des périodes de sûreté
En matière de durée des longues peines (celles de plus de 5 ans) et de périodes de sûreté, la France s’est dotée d’une des législations les plus répressives d’Europe. Le CONSEIL DE L’EUROPE indique que la plupart des pays disposent dans leur droit pénal d’une peine perpétuelle, à l’exception de 5 pays : l’Espagne, le Portugal, la Norvège, la Slovénie et la Croatie. Dans ces pays, la peine maximale encourue se situe entre 21 et 40 ans. En Croatie, la condamnation la plus lourde est une peine de 20 à 40 ans, qui ne peut être infligée que « dans des circonstances exceptionnelles » (trois personnes condamnées entre 1998 et 2001). En outre, la libération conditionnelle est envisageable pour ces longues peines dès la mi peine, ou le tiers de la peine à titre exceptionnel. En Norvège, la peine la plus élevée est de 21 ans, la libération conditionnelle étant alors possible à partir de 12 ans de détention. Au Portugal et en Espagne, la peine maximale est de 30 ans d’emprisonnement .
En France, le nombre de détenus purgeant une peine de cinq ans et plus a été multiplié par 2,5 entre 1980 et 2005, passant de 5 662 à 14 039 (+ 150 %). Leur proportion parmi l’ensemble des détenus condamnés est passée de 28 à 35,9 % . Quant aux condamnés à perpétuité, ils effectuent des durées de détention de plus en plus longues. Une étude d’Annie KENSEY montre que les condamnés à perpétuité libérés entre 1995 et 2005 ont effectué en moyenne 20 ans de détention, alors que dans les enquêtes précédentes (1961-1980 et 1989), ils avaient en moyenne passé 17,2 ans derrière les barreaux. Cette tendance risque encore de s’accentuer, puisque 31 % des condamnés exécutant cette peine au 1er mai 2005 ont une période de sûreté supérieure ou égale à 20 ans. Parmi les 662 condamnés purgeant une peine à perpétuité au 1er mai 2005, 131 sont détenus depuis au moins 20 ans (23 %), 17 depuis 30 ans ou plus, dont 3 depuis 40 ans ou plus .
Opposition entre droits des victimes et aménagement des longues peines. Les opposants à la mise en place d’un système favorisant les libérations anticipées font valoir que celui-ci serait contraire aux droits des victimes d’infractions très graves, qui verraient leur agresseur libéré. Dans ses travaux sur les questions pénales, la CNCDH n’a pas ignoré cette question essentielle. Les Réflexions sur le sens de la peine, adoptées le 24 janvier 2002, signalaient ainsi que « Le scandale de l’infraction fige une situation insupportable que seule l’audience pénale permet de dénouer. Le processus répressif suppose pour ce faire que se succèdent deux temps : celui de la séparation (non seulement, comme on l’a dit, de l’auteur et de la victime jusque-là liés par la commission de l’acte délictueux, mais aussi du délinquant par rapport au corps social à travers la condamnation même), puis celui de la réinsertion, de la réintégration du condamné par la prise de conscience de son acte qui lui permet d’assumer sa responsabilité pénale, par l’effectuation de la peine qui n’a d’intérêt social que si elle le ramène dans le champ du " normal " et assure le dépassement de la situation initiale de mise à l’écart. (...) En d’autres termes, il y a un temps pour la condamnation et un temps pour l’exécution de la peine, et l’on ne peut impunément ni faire l’économie de l’un de ces deux temps, ni soumettre le second aux seules considérations qui affectent le premier (notamment en refusant de reconsidérer le traitement pénal du condamné au vu de l’évolution de sa personnalité et de son comportement au long de l’exécution de la peine) » .
Dans la lignée des Réflexions sur le sens de la peine, il est nécessaire d’affirmer de nouveau que le respect des droits des victimes à reconnaissance et réparation, de même que la protection de la société, sont compatibles avec une politique d’aménagement de peine permettant une anticipation de la libération, ainsi qu’un suivi social et thérapeutique en milieu ouvert. « Un jour, il va falloir intégrer que la prison n’élimine pas, elle ne peut que mettre à l’écart provisoirement des personnes qui retourneront dans la société. Le discours selon lequel on ne pourrait placer les personnes considérées comme « dangereuses » en libération conditionnelle ne tient pas debout quand on sait qu’elles vont de toutes façons sortir dans quelques mois », interpelle Philippe POTTIER .
Des criminels moins récidivistes que les petits délinquants. En ce sens, il apparaît nécessaire de rappeler les études sur la récidive des sortants de prison, qui démontrent que ce ne sont pas les personnes condamnées pour les infractions les plus graves qui récidivent le plus. Ainsi, « les condamnés pour atteinte aux biens ont un taux de nouvelles affaires nettement supérieur aux condamnés pour atteintes aux personnes », indiquent les chercheurs Annie KENSEY et Pierre V. TOURNIER . Les taux de nouvelle affaire les plus faibles se retrouvent parmi les condamnés pour homicide volontaire (28 %) et agression sexuelle ou autre atteinte sexuelle sur mineur (30 % pour les délits, 23 % pour les crimes). En outre, ces nouvelles affaires ne sont presque jamais d’une gravité équivalente à la précédente, puisque la récidive criminelle des condamnés pour homicides volontaires ou de crimes sexuels sur mineurs se situe entre 0 et 1 %. Les taux de nouvelle affaire les plus élevés sont le fait des condamnés pour vol sans violence (75 %) et vols avec violence (72 %) .
Des périodes de sûreté à la française. Le droit pénal français définit, pour certaines infractions, une période durant laquelle aucun aménagement de peine ne peut intervenir, à l’exception de la suspension de peine médicale et des autorisations de sortie sous escorte. Cette « période de sûreté » est systématique pour certaines infractions comme le meurtre aggravé si la peine prononcée est supérieure ou égale à dix ans d’emprisonnement ferme. Dans ces cas, la durée de la période de sûreté est de la moitié de la peine prononcée. Cette mesure est également automatique pour tous les faits passibles de la réclusion criminelle à perpétuité. Elle est alors d’une durée de 18 ans. Dans les cas d’assassinat ou de meurtre précédé d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie sur un mineur de moins de 15 ans, la période de sûreté peut être fixée à 30 ans, voire être « perpétuelle » si la réclusion criminelle à perpétuité est prononcée. La seule possibilité pour le condamné de ne pas passer le restant de ses jours derrière les barreaux sera alors d’obtenir le relèvement de sa période de sûreté. Par ailleurs, une période de sûreté facultative peut également être décidée par la juridiction de jugement pour n’importe quelle infraction, si la peine prononcée est supérieure à 5 ans d’emprisonnement ferme. La période de sûreté est dans ce cas d’une durée maximale des deux tiers de la peine, ou de 22 ans pour les condamnés à perpétuité.
Peu de pays ont recours comme la France à un système de périodes de sûreté, y compris pour les crimes les plus graves. Comme l’explique la criminologue Sonja SNACKEN, « tous les pays ayant une libération conditionnelle connaissent une peine minimale à subir avant de pouvoir être libéré. En Finlande, cette part incompressible est de 15 jours, en Belgique de 3 mois. Mais seule la France a énoncé une législation spécifique à l’égard de certains groupes de délinquants pour lesquels on a augmenté cette période minimale de façon importante, jusqu’à 30 ans ». Même le système anglais de « tarif » apparaît totalement individualisé, dénué de caractère d’automaticité. Ainsi, « le juge détermine pour un cas individuel le tarif qui doit être obligatoirement exécuté par le détenu, à titre de rétribution et de dissuasion. Le reste de la peine est prononcé à titre de protection de la société. Une fois le tarif subi, une nouvelle décision détermine s’il faut encore protéger la société ou si l’on peut relâcher ce délinquant. Si le tarif est à vie, une décision intervient au bout de 25 ans » .
Le système le plus contestable du droit français semble être celui des périodes de sûreté automatiques, que l’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP) propose de transformer en périodes de sûreté facultatives. « Nous sommes favorables à la suppression des périodes de sûreté de plein droit, celles qui ne sont pas prononcées. Elles sont automatiques pour certaines infractions et lorsque la peine est supérieure à dix ans. Ce sont les plus fréquentes. Souvent, les jurés, le condamné et même l’avocat ignorent qu’une période de sûreté assortira automatiquement la peine. La période de sûreté doit être spécialement souhaitée car une dangerosité toute particulière a été évaluée » explique son président Michaël JANAS . L’ANJAP propose également de supprimer la distinction de durée pendant laquelle aucune libération conditionnelle ne peut être sollicitée entre primaires et récidivistes. Le délai des deux tiers de la peine instauré pour les récidivistes apparaît absurde, « car les personnes se trouvent quasiment en fin de peine et ne demandent plus de LC ». Or, les juges de l’application des peines expliquent combien la société a intérêt à « surinvestir ces personnalités à problèmes, donc à les libérer dans le cadre d’un aménagement avec suivi et contrôle » .
Une prédiction aléatoire du comportement futur. Le système de périodes de sûreté relève, comme le rappelle le CONSEIL DE L’EUROPE, d’une doctrine selon laquelle la peine ne doit pas seulement sanctionner le crime commis, mais aussi empêcher « ceux qui pourraient être commis à l’avenir » par des personnes dont on pense « qu’ils continueront de commettre des crimes abominables ». Or, de nombreux travaux attestent du caractère extrêmement aléatoire de la « prédiction du comportement futur » . L’expert criminologue suédois Norman BISHOP rappelle, en outre, que la notion de dangerosité est « une notion émotionnelle dénuée de fondement scientifique » : l’état de dangerosité n’étant pas définitif, « il faut régulièrement réexaminer la situation des condamnés à de longues peines » . Dans le même sens, le CONSEIL DE L’EUROPE estime qu’il « ne faut pas ôter aux détenus condamnés à vie l’espoir d’obtenir une libération conditionnelle », parce qu’on ne peut pas « raisonnablement soutenir que tous les condamnés à perpétuité resteront toujours dangereux pour la société » et aussi parce que la gestion par l’Administration pénitentiaire de détenus sans espoir de libération « pose de graves problèmes, qu’il s’agisse de les inciter à coopérer et à brider leur comportement perturbateur, de proposer des programmes de développement personnel, d’organiser la planification de la peine ou d’assurer la sécurité » .
La CNCDH s’est inquiétée en 2002 de l’usage des périodes de sûreté, estimant que « la dialectique de la séparation et de la réunion (s’agissant de la situation du délinquant par rapport au corps social) suppose que la sanction pénale ne soit jamais définie initialement ne varietur, mais au contraire soit susceptible de redéfinition permanente en fonction de l’évolution des condamnés ». (...) On touche là à une question essentielle : le " formatage " et surtout la fixité de la peine, le recours aux périodes de sûreté et aux peines incompressibles, compromettent gravement l’atteinte des objectifs qu’est censée poursuivre l’institution pénitentiaire. (...) La phase de séparation (du délinquant d’avec le reste du corps social) doit culminer au jour de la condamnation ; dès le lendemain, c’est le retour vers la vie commune qui doit s’amorcer. C’est dans cette perspective que doit être aménagé l’ensemble du régime d’exécution des peines (préférence pour les peines alternatives à l’enfermement, pour les régimes de semi-liberté et autres aménagements assouplissants, etc.) ».
La recommandation du CONSEIL DE L’EUROPE sur la libération conditionnelle ne se prononce pas précisément sur le système des périodes de sûreté mais, comme le relève la criminologue Sonja SNACKEN, « elle indique que la période fixe qui doit être subie ne peut pas être aussi longue que l’objectif de la libération conditionnelle ne pourrait plus être atteint. Or, une partie incompressible de 20 ou 30 ans représente, selon elle, évidemment une durée trop longue pour que l’idée de réintégration reste envisageable » . Il apparaît en la matière nécessaire de ne pas opposer protection de la société et intérêt du condamné, mais de définir une orientation pragmatique qui permette à la personne condamnée d’envisager les conditions d’une libération et de sa préparation dans les meilleures conditions. Comme l’explique Philippe POTTIER, « nous savons qu’à un certain moment dans l’exécution de la peine, il y a plus à perdre en maintenant une personne en prison qu’en la libérant ». En effet, « après une longue période d’instruction, puis le jugement, le condamné doit d’abord encaisser, puis s’adapter à la vie en détention... Mais au bout d’un moment, il s’adapte tellement à la prison qu’il ne sera plus « réintégrable » à l’extérieur. En outre, il est impossible de préparer une sortie à échéance de dix ans ou plus. En l’absence d’horizon à échelle humaine, on ne peut plus demander à une personne de présenter des conditions d’insertion » .
2-3 - VERS UN SYSTEME DE LIBERATION CONDITIONNELLE D’OFFICE
Plusieurs réformes ont déjà tenté de favoriser une relance de la libération conditionnelle en maintenant un système d’octroi discrétionnaire (à la discrétion du juge ou du tribunal de l’application des peines). Mais il apparaît que le modèle discrétionnaire, en vigueur dans la plupart des pays européens, soit lui-même en cause et génère une baisse progressive des mesures accordées par des juges sous pression, auxquels une éventuelle récidive en libération conditionnelle sera reprochée tandis qu’elle ne fera pas l’objet des mêmes protestations si elle intervient après une libération en fin de peine. C’est pourquoi nombre de spécialistes et praticiens des mondes judiciaire et pénitentiaire préconisent désormais le passage à un système de libération conditionnelle d’office.
 a) Modèles discrétionnaire, d’office ou mixte
Dans le modèle discrétionnaire, les détenus peuvent demander une libération conditionnelle à des moments différents de leur peine selon les pays (à partir du tiers, de la mi-peine ou des deux tiers). Face aux demandes des condamnés, les juridictions sont libres d’accorder ou non une libération conditionnelle. Dans le modèle de libération d’office, la plupart des condamnés ont droit à une libération conditionnelle à un certain seuil d’exécution de leur peine (généralement deux tiers de la peine), l’autorité décisionnaire restant libre d’accorder la mesure avant ce seuil, ainsi que d’en déterminer les conditions d’application. Ce système considère la libération conditionnelle comme le mode normal de libération pour la majorité des détenus, dans la mesure où il permet un retour encadré en milieu ouvert. Enfin, certains modèles dits « mixtes », combinent un système discrétionnaire pour les longues peines et d’office pour les courtes peines. Ainsi, la Belgique a-t-elle mis en place une libération d’office pour les peines de moins de trois ans, et l’Angleterre pour les peines de moins de quatre ans, le système discrétionnaire étant maintenu pour les peines plus longues.
Suède et Canada : deux modèles de LC d’office
Le système de libération en vigueur en Suède concerne tous les condamnés, à l’exception de ceux purgeant de courtes peines ou une peine à perpétuité. Il est ainsi décrit par Norman BISHOP, l’un de ses concepteurs : « La libération conditionnelle est automatique en Suède aux deux tiers de la peine. Pour les condamnés à des peines supérieures à deux ans, il est possible de sortir dans les quatre mois précédant cette date, afin de faciliter la transition entre la détention et la communauté. Pendant ces quelques mois, le détenu reste à la charge de l’Administration pénitentiaire, sous le régime de la prise en charge intensive et du contrôle électronique. Une fois les deux tiers de la peine passés, le condamné passe sous le régime de la libération conditionnelle, donc sous la responsabilité de l’autorité probationnaire. Celle-ci n’utilisant pas le contrôle électronique pour les libérés conditionnels » .
Le système de libération canadien est mixte, comme le décrit Pierre LALANDE : « Dans le cas des peines d’emprisonnement de six mois à deux ans, le système d’octroi de la libération conditionnelle est discrétionnaire. C’est-à-dire que la Commission québécoise des libérations conditionnelles décide de l’octroi ou non de la libération, généralement au tiers de la peine. Si la personne est refusée, ou qu’elle a renoncé à sa libération conditionnelle, elle est libérée en raison de sa réduction de peine aux deux tiers de sa peine, et ce sans surveillance. Au niveau fédéral (Canada), donc pour les peines de deux ans et plus, il existe plusieurs types de libération conditionnelle, qui sont discrétionnaires jusqu’aux deux tiers de la peine, et une libération d’office, mais avec surveillance, après les deux tiers de la peine » .
Dans le cadre du système fédéral (peines de deux ans et plus), la décision d’octroi est discrétionnaire jusqu’au deux tiers de la peine. Dans ce cadre, les condamnés peuvent obtenir une « libération conditionnelle totale », « forme de mise en liberté sous condition qui permet au délinquant de purger le reste de sa peine dans la collectivité. C’est le point culminant d’un programme de liberté graduelle, structurée et contrôlée. Un délinquant en liberté conditionnelle totale peut vivre avec sa famille et occuper un emploi, devenant ainsi un membre utile de la société. Bien qu’il ne soit plus obligé de retourner à l’établissement, il demeure sous surveillance et doit continuer de respecter certaines conditions. En général, un détenu condamné à une peine d’une durée déterminée devient admissible à la libération conditionnelle totale lorsqu’il a purgé le tiers de sa peine, ou sept ans si cette période est plus courte ».
Pour les condamnés n’ayant pas obtenu de libération conditionnelle ou d’autre aménagement de peine avant les deux tiers de leur peine, le régime de la libération d’office s’applique, sauf exceptions : « La plupart des détenus ont le droit d’être libérés aux deux tiers de leur peine en vertu de la loi. Ils peuvent ainsi, tout comme les délinquants en liberté conditionnelle, finir de purger leur peine sous surveillance dans la collectivité, pourvu qu’ils respectent certaines conditions. Ceux qui ne peuvent bénéficier de cette forme de mise en liberté sont les condamnés à perpétuité, les détenus qui purgent une peine d’une durée indéterminée, ceux que la Commission nationale des libérations conditionnelles a décidé, après audience, de maintenir en incarcération jusqu’à la fin de leur peine ainsi que ceux dont la libération d’office a été révoquée et qui avaient été maintenus en incarcération pendant un certain temps avant de bénéficier de cette libération ou qui, en vertu d’une décision de la Commission, n’y avaient droit qu’une seule fois ».
Dans un certain nombre de cas, la Commission nationale des libérations conditionnelles peut refuser le bénéfice du régime de libération conditionnelle d’office. « La Commission nationale des libérations conditionnelles examine les cas de délinquants purgeant une peine d’au moins deux ans pour une infraction figurant à l’annexe I (infraction contre la personne) ou II (infraction grave en matière de drogue) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition qui lui sont renvoyés par le Service correctionnel du Canada, afin de déterminer s’il y a lieu de maintenir ces délinquants en incarcération. Elle examine également tout cas que lui renvoie le commissaire du Service correctionnel parce qu’il estime que le délinquant commettra (avant la fin de sa peine) une infraction causant la mort ou un dommage grave, une infraction d’ordre sexuel à l’égard d’un enfant ou une infraction grave en matière de drogue. Lorsque la Commission est convaincue que le délinquant commettra vraisemblablement l’une ou l’autre des infractions susmentionnées s’il est mis en liberté avant l’expiration de sa peine, elle peut ordonner que le délinquant soit maintenu en incarcération jusqu’à la fin de sa peine. (...)
La Commission réexamine tous les ans le cas de chaque délinquant maintenu en incarcération. À l’issue de ce réexamen, elle peut soit confirmer l’ordonnance de maintien en incarcération, soit annuler cette ordonnance et permettre la libération d’office du délinquant, assortie ou non de l’obligation de résider dans un établissement communautaire. La Commission peut également décréter que cette libération d’office sera « unique » .
Trois propositions françaises. Parmi les partisans d’une libération conditionnelle d’office, les systèmes proposés varient. Ainsi, Pierre V. TOURNIER, dont les recherches ont mis en évidence l’intérêt de la libération conditionnelle pour prévenir la récidive, propose un système mixte variant selon le quantum initial de la peine : « Les peines d’un an et moins seraient aménagées dès la condamnation, non pas sous forme d’une libération conditionnelle, mais d’un placement extérieur, d’une semi-liberté ou d’une surveillance électronique comme le prévoit la loi Perben II. Pour les peines intermédiaires de un an à cinq ans, la libération conditionnelle serait automatique à mi peine. Pour les peines de cinq à dix ans et de dix ans et plus, la décision d’octroi resterait discrétionnaire » . Cette proposition s’inscrit dans la lignée des recommandations du CONSEIL DE L’EUROPE, qui suggère que les pays recourent « à une combinaison de systèmes de libération en fonction de la durée de la peine d’emprisonnement infligée ». Ainsi estime-t-il que le coût et l’effort consacrés à l’évaluation et la prise de décision pour des courtes et moyennes peines ne produisent généralement qu’un « changement mineur de la date de libération », et gagneraient par conséquent à être investis « dans l’amélioration d’un système de libération d’office qui permettrait de gérer la planification de la peine avant et après la libération » .
Philippe POTTIER, ancien directeur de SPIP actuellement en poste au sein de la direction de l’Administration pénitentiaire et président de l’Association française de criminologie, propose pour sa part un système calqué sur celui de la Suède : « Je suis favorable à un système de libération conditionnelle d’office aux deux tiers de la peine, à l’image de celui de la Suède. La personne condamnée et tous les acteurs judiciaires sauraient dès le départ qu’une partie de la peine sera exécutée en prison et l’autre sous conditions à l’extérieur. Nous éviterions que des détenus cherchent à obtenir une LC uniquement pour sortir plus tôt ou la refusent pour éviter d’être contrôlés à l’extérieur. La LC pourrait néanmoins être accordée avant les deux tiers de la peine par un juge » .
Enfin, Nicole MAESTRACCI, présidente du tribunal de grande instance de Melun, estime qu’une libération conditionnelle d’office serait « la seule solution pour développer cette mesure réduite à peau de chagrin alors que son efficacité en termes de prévention de la récidive est avérée. Je suis favorable à une libération conditionnelle d’office à mi-peine. Je pense que ce système doit s’appliquer non seulement aux peines de moins de cinq ans, mais à celles de cinq à dix ans. Il s’agirait de renverser la règle : le principe est la libération conditionnelle et l’exception doit être motivée spécifiquement. Dans des situations où le risque apparaîtrait démesuré, le Parquet pourrait s’opposer à la LC devant le tribunal de l’application des peines. En dehors des cas où le Parquet utiliserait cette voie, la LC serait automatiquement accordée, mais ses conditions examinées au cas par cas. Les obligations du libéré conditionnel, ses conditions d’hébergement et d’activité, seraient fixées par le JAP. Il faudrait également prévoir une audience obligatoire avec le JAP un an avant la mi-peine afin de déterminer un calendrier de permissions de sortir et autres mesures préalables à la LC. Cette réforme ne peut cependant s’envisager sans un renforcement significatif des moyens qui permette, dans les cas les plus lourds un suivi intensif, et qui rende dans tous les cas le suivi des libérés plus crédible. Dans les pays où la libération conditionnelle est automatique (Canada, Suède) les moyens dédiés à la prise en charge en milieu ouvert sont autrement plus solides et structurés qu’ils ne le sont en France. Il faut que nous parvenions à faire admettre que la prise d’un risque calculé protège mieux la société que l’abstention. Il ne faudrait plus entendre, à l’occasion d’une récidive criminelle grave : ‘personne n’a commis de faute puisqu’il est sorti en fin de peine’ » .
RECOMMANDATION
La CNCDH propose la mise en place d’un système de libération conditionnelle d’office s’inspirant de celui de la Suède ou du Canada. Elle demande au ministère de la Justice d’examiner les modalités pratiques d’un tel système adapté à la France.
 b) Des objections au système de LC d’office
Si l’idée d’un système de libération conditionnelle d’office fait son chemin, elle soulève encore de nombreuses objections, en termes d’adhésion du condamné et d’individualisation de la peine.
L’adhésion du condamné. La principale objection entendue contre l’idée d’un système de libération conditionnelle d’office concerne la « nécessaire » adhésion du condamné à la mesure de libération conditionnelle. Jean-Marie HUET, directeur des Affaires criminelles et des grâces, estime ainsi que la libération conditionnelle « suppose intrinsèquement l’adhésion de l’intéressé à un projet de réinsertion ». Puisqu’un certain nombre de condamnés refusent « le projet qui leur est soumis car ils ne veulent pas être suivis en milieu ouvert », la libération conditionnelle ne pourrait selon lui pas être automatique . Cet argument n’est pas apparu recevable à la Commission. En premier lieu, il ignore le caractère faussé du consentement d’une personne enfermée en établissement pénitentiaire. Parmi les détenus faisant la demande d’une libération conditionnelle, il est évident que certains peuvent manifester un consentement que Norman BISHOP estime « donné sous contrainte » et dont on peut « se demander quelle est la valeur pour le comportement post-pénitentiaire ». S’agissant des détenus ne souhaitant pas accéder à une libération conditionnelle - en dehors des cas où le délai pour accéder à une LC est très proche de la fin de peine - il s’agit souvent, selon Norman BISHOP, « de délinquants très criminels qui souhaitent échapper au contrôle et à l’assistance en milieu ouvert ». Le système discrétionnaire leur donne la possibilité de choisir d’échapper aux mesures de suivi pour pouvoir « continuer leurs activités criminelles ». En second lieu, il apparaît plus réaliste d’accepter que le système d’exécution de la peine, qu’il s’agisse du milieu fermé ou du milieu ouvert, « est un système coercitif ayant le pouvoir de décider sous quel régime et selon quelles conditions le condamné doit subir sa peine » . Autant il n’est pas demandé au condamné incarcéré d’adhérer à sa peine pour la lui imposer, autant la libération conditionnelle ne nécessite pas l’accord du condamné, mais peut être considérée par les autorités judiciaires et pénitentiaires comme la meilleure manière pour lui de terminer d’exécuter sa peine. Enfin, nous avons déjà évoqué les limites d’une culture du travail social estimant que tous les condamnés doivent prendre eux-mêmes en charge leur projet d’insertion, lorsqu’il s’agit de personnes tellement démunies et désocialisées qu’elles ne sont parfois pas capables d’entreprendre la moindre démarche. Des travailleurs sociaux dont il ne faut pas non plus sous-estimer la capacité à amener le condamné à adhérer progressivement à la mesure qui lui est imposée, comme c’est le cas pour une obligation de soins ou d’autres obligations imposées dans le cadre du régime de probation sans le consentement du condamné.
Le principe d’individualisation des peines. L’idée d’une libération conditionnelle d’office se heurte également aux craintes légitimes de magistrats attachés à leur pouvoir d’appréciation en matière d’individualisation des peines. Ainsi, l’UNION SYNDICALE DES MAGISTRATS estime qu’une automatisation des aménagements de peine « aboutirait rapidement à une explosion du système et l’opinion publique aurait du mal à l’admettre. De telles logiques reviendraient en outre à faire disparaître le juge » . La juriste Martine HERZOG-EVANS émet également des réserves contre l’automaticité à une date fixe dans l’exécution de la peine, « certains condamnés n’étant pas prêts à mi-peine, d’autres l’étant avant » . De tels arguments n’ont pas non plus été retenus par la Commission. D’une part, le pouvoir d’individualisation des peines des juges aboutit aujourd’hui à un nombre de libérations conditionnelles réduit à son minimum et au refus d’une prise de risque jugée excessive au regard du contexte social. D’autre part, si une personne condamnée est prête avant le délai fixé pour être libéré d’office, rien n’interdit au magistrat d’accorder la LC plus en amont. Les systèmes suédois et canadiens font ainsi intervenir la libération conditionnelle d’office aux deux tiers de la peine, pour les condamnés auxquels les autorités d’octroi ne l’ont pas accordée plus tôt. Dans le cadre de l’instauration d’un système de libération conditionnelle d’office, la loi devrait donc également prévoir les conditions d’octroi de la LC par les juridictions de l’application des peines avant la date de libération d’office. Enfin, le fait que l’octroi d’une libération conditionnelle devienne automatique à mi peine ou aux deux tiers de la peine n’implique pas que la mesure ne soit pas individualisée, la juridiction de l’application des peines conservant pleinement son rôle de détermination du régime d’exécution de la mesure. La tâche essentielle du juge serait dès lors de déterminer le niveau de surveillance, l’intensité de l’accompagnement social, d’établir si un suivi thérapeutique est nécessaire ou encore de veiller au bon déroulement de la mesure et de procéder à sa révocation en cas d’incident...
Un système égalitaire privilégiant l’individualisation du suivi. Les partisans de la libération conditionnelle d’office, tels que Pierre V. TOURNIER, expliquent que « pour éviter l’arbitraire et la très grande diversité des décisions en fonction des attitudes de ceux qui les prennent, mieux vaut mettre tout le monde à la même enseigne. Toute l’attention doit alors porter sur la personnalisation de la supervision (mesures de contrôle et d’assistance), aux conditions qui devront être respectées par le détenu après sa sortie de prison » . Ainsi, les facteurs de risque de récidive identifiés chez la personne condamnée ne sont-ils plus utilisés, comme c’est le cas actuellement en France, pour refuser l’octroi d’une LC, mais pour mieux adapter la surveillance et le suivi nécessaires. Comme l’explique Norman BISHOP, expert scientifique suédois au CONSEIL DE L’EUROPE, « les services pénitentiaires canadiens disposent d’instruments estimant les risques de récidive, mais il ne s’agit que de probabilités. Si la probabilité de récidive est estimée à 10 %, il est impossible de savoir si un individu ne va pas justement s’inscrire dans ces 10 % ou dans les 90% qui ne récidivent pas ». Globalement, « les critères déterminant le passage à l’acte sont extrêmement difficiles à prédire. Il ne faut donc jamais se contenter d’estimer les risques de récidive pour prendre des décisions, mais toujours associer à ces probabilités des mesures cherchant à réduire le risque « prédit ». Ainsi, les techniques évaluant les probabilités de récidive semblent davantage utilisables lorsqu’elles indiquent que le risque est accru pendant telle période après la sortie de prison. Dans ce cas, les agents de supervision peuvent accentuer leur vigilance et leur encadrement sur ces « moments à risque », à titre préventif » .
Dans le même sens, la criminologue Sonja SNACKEN insiste sur l’importance d’opter pour une vision dynamique et constructive de la prévention des risques de réitération. Elle rappelle que les criminologues connaissent certains facteurs de risque de récidive et certains éléments à même de les réduire. Les facteurs de risque sont l’âge (« plus les délinquants sont jeunes, plus ils ont tendance à récidiver »), le type de délit (« contrairement à une idée répandue, les délits contre les biens connaissent un taux de récidive beaucoup plus élevé que les délits violents et de type sexuel »). Le troisième facteur est le casier judiciaire : « plus il est important, plus il y a de récidive. Mais ce facteur est compensé par celui de l’âge au bout d’un certain temps ». Parallèlement à ces facteurs dits « statiques », des facteurs « dynamiques » interviennent, au premier rang desquels le fait d’avoir un emploi : « Les détenus libérés sans emploi ayant moins de possibilités légales de subsister, ils se trouvent davantage sous pression pour revenir à leurs pratiques délinquantes ». De même, nombre d’études démontrent que les deux premières années suivant la libération sont les plus à risque . Selon Pierre V.TOURNIER, ces facteurs de risque identifiés doivent être utilisés afin « non pas de décider s’il faut accorder ou non un aménagement, mais d’ajuster le contenu et l’intensité du suivi ». Ainsi, apparaît-il contreproductif d’utiliser ces critères pour « réserver les aménagements de peine à ceux qui présentent le moins de risque. La méthode suédoise nous montre qu’il faut au contraire concentrer les moyens et l’accompagnement intensif sur les catégories présentant le plus de risques, au lieu de les libérer en fin de peine quand il n’y a plus de mandat judiciaire et de moyens de contrôle. Des mêmes techniques probabilistes, deux usages très différents peuvent être faits : l’un contraire aux droits de l’homme et l’autre au service de tous » .
RECOMMANDATION
Dans le cadre d’un système de libération conditionnelle d’office, les juridictions de l’application des peines seraient chargées d’adapter de manière discrétionnaire le contenu de la libération conditionnelle à chaque condamné. Ainsi, les facteurs de risque de récidive devraient-ils être utilisés pour adapter la nature de l’accompagnement, l’intensité du suivi et du contrôle.
 
2EME PARTIE
Exécution des mesures alternatives :
outils et moyens du milieu ouvert
Le CONSEIL DE L’EUROPE incite les Etats à développer les mesures et sanctions dans la communauté en créant de « meilleures conditions de soutien et d’aide au délinquant ainsi que de supervision de celui-ci ». Pour que ces mesures soient davantage considérées par les magistrats et le public comme « des options constructives et responsables », le CONSEIL DE L’EUROPE recommande aux Etats de leur consacrer plus de moyens et de recherches. Ainsi, préconise-t-il le développement de « programmes de traitement des délinquants en vue de leur réinsertion », assortis de mesures de contrôle et de supervision afin d’ « assurer la protection du public » . Pour mettre en œuvre cette recommandation, un pays comme la France rencontre différents types d’obstacles : en premier lieu, un manque d’intérêt pour le contenu des mesures alternatives et une tendance à privilégier leur dimension quantitative, plus que qualitative. En second lieu, les services de probation français pâtissent d’une quasi absence de recherche criminologique et d’un manque d’outils professionnels. Enfin, le milieu ouvert fait figure de parent pauvre de l’Administration pénitentiaire, bien que d’importants recrutements de conseillers d’insertion et de probation soient en cours. Il peut dès lors difficilement répondre aux demandes d’accompagnement intensif et de contrôles plus rigoureux émanant de magistrats jugeant les mesures alternatives insuffisamment crédibles.
A - CONTENU ET QUALITE DES MESURES ALTERNATIVES
Le travail réalisé dans le cadre de la probation demeure largement méconnu en France, y compris au sein du monde judiciaire. Or, les conseillers d’insertion et de probation réalisent un travail unique sur la question centrale du « passage à l’acte » avec la personne qu’ils suivent. Le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) représente ainsi le seul cadre judiciaire permettant d’identifier avec la personne les origines et facteurs déclencheurs de son acte, afin d’y apporter des réponses et de prévenir sa récidive. Pour autant, les travailleurs sociaux doivent assumer cette fonction dans un contexte de désintérêt généralisé à l’égard du contenu des mesures et d’une pression quantitative de rentabilité. Dès lors, la mise en oeuvre de mesures telles que le travail d’intérêt général a tendance à se bureaucratiser et les programmes thématiques restent peu développés. Des programmes innovants réalisés à l’initiative d’un seul SPIP ne sont pas diffusés aux autres services, ni évalués, et encore moins généralisés par les directions régionales ou la direction centrale de l’Administration pénitentiaire.
1 - DEFINITION D’UN TRAVAIL DE PROBATION EFFICACE
La recherche criminologique internationale a établi ces dernières décennies un certain nombre de critères d’une intervention efficace sur les trajectoires délinquantes. En réaction à la théorie selon laquelle « rien ne marche », les criminologues ont ainsi développé des recherches sur « ce qui marche ». En France, malgré l’absence d’information et de formation sur ces apports de la criminologie, les SPIP ont acquis un savoir empirique leur permettant d’effectuer un travail en profondeur sur le passage à l’acte et d’organiser un accompagnement social des personnes les plus en difficulté.
1-1 - DU “NOTHING WORKS” AU “WHAT WORKS”
Après l’essor de la théorie du « rien ne marche » (Nothing Works), justifiant pendant des années un délaissement des programmes de probation considérés comme inefficaces dans le « traitement » des délinquants, le courant du « ce qui marche » (What Works) vient apporter aux services de probation du monde entier des outils et concepts leur permettant d’améliorer leurs pratiques. Selon Sonja SNACKEN, présidente du Conseil de coopération pénologique du CONSEIL DE L’EUROPE, le « Nothing Works » signifiait que « rien ne marche pour tout le monde », dans le sens où il n’existe pas une solution miracle applicable à tous les délits et tous les délinquants ». Tandis que le « What Works », en développement aujourd’hui, montre que « certaines choses marchent pour certaines personnes dans certaines circonstances » . La recherche criminologique internationale établit ainsi qu’il n’est point de mesure pénale systématiquement efficace, le « traitement » devant être adapté à chaque délinquant et situation.
a) Les enseignements de la criminologie internationale
En 1974, le sociologue américain Robert MARTINSON publiait un article qui devait servir de fondement à la théorie du « Nothing Works », dans lequel il estimait que les « programmes de réhabilitation » « à de rares exceptions près n’ont pas d’effet sur la récidive » . Ces conclusions largement récupérées allaient « modifier pour des décennies le paysage criminologique », avec pour effet « d’annihiler l’idée même qu’il était faisable de réhabiliter les contrevenants, pour laisser la place à un nouveau dogme punitif en matière pénale et correctionnelle », explique Pierre LALANDE dans une revue du ministère de la sécurité publique du Québec . En 1979, Robert MARTINSON tente de rectifier le tir en publiant un autre article dans lequel il affirme : « Contrairement à ma position précédente, certains traitements ont des effets appréciables sur la récidive. De nouveaux faits tirés de notre recherche me conduisent à rejeter ma conclusion originale ». Il souligne également son rejet du « slogan ‘Nothing Works’ utilisé par les médias » pour résumer ses travaux antérieurs . En vain. Pendant trente ans, les Etats-Unis développeront une politique d’incarcération de masse (sentences minimales obligatoires, abolition ou restriction de la libération conditionnelle, réclusion à perpétuité pour toute 3ème récidive...) pour atteindre un taux de détention record de 737 détenus pour 100 000 habitants en 2005, talonnés par la Russie avec 606 détenus pour 100 000 habitants en 2006.
Taux de détention pour 100 000 habitants en Europe (au 1er septembre 2004)
PAYS TAUX DE DETENTION
Royaume-Uni 140,4
Espagne 140,3
Pays-Bas 123,5
Italie 96,9
Allemagne 96,5
France 90,5
Suisse 81,8
Suède 81,7
Danemark 69,7
Finlande 66
Norvège 65
Source : CONSEIL DE L’EUROPE, SPACE 2004
Lorsque le modèle de réhabilitation est discrédité, le modèle rétributif prend généralement le dessus. La punition a alors pour fonction de faire payer sa faute au coupable afin de rétablir un équilibre moral et la sanction n’a pas de valeur « utilitaire ». D’une part, la personne est punie parce que c’est une obligation morale de punir. D’autre part, la sanction intervient en fonction de ce qui s’est passé antérieurement. Dans une perspective utilitariste, la peine doit au contraire avoir une certaine utilité pour l’avenir, qu’il s’agisse de dissuader, neutraliser ou réhabiliter. Par exemple, avec le modèle de réhabilitation, il s’agit de « comprendre pourquoi l’individu a commis le geste, agir ensuite sur les causes en vue de modifier son comportement, et prévenir sa récidive » . L’ensemble des mesures et peines alternatives s’inscrivent dans une telle perspective, tout en conservant une dimension rétributive d’une autre nature que l’enfermement, l’auteur des faits étant tenu à des obligations de travail, de réparation, d’indemnisation des victimes...
De nouveaux fondements théoriques. Dès 1979, des chercheurs canadiens rejettent l’idée que les « traitements », aussi bien en milieu ouvert qu’en milieu fermé, puissent n’avoir aucun effet sur les personnes et travaillent à « discerner ce qui marche pour changer les contrevenants » . Sous leur leadership, émerge le courant du « What Works » (ce qui marche), qui fournit peu à peu des indicateurs aux services de probation du monde entier en définissant les critères d’une intervention efficiente sur les trajectoires délinquantes. Ces méthodes testées dans un premier temps au Canada et en Grande-Bretagne sont aujourd’hui utilisées dans plusieurs pays d’Europe comme la Belgique, la Suède, la Finlande, la Norvège, l’Allemagne ou la Slovénie . Quatre facteurs de réussite des programmes sont ainsi vérifiés scientifiquement :
1) Le principe du risque : il est nécessaire de bien évaluer le risque de récidive du contrevenant afin d’adapter l’intensité du suivi et du contrôle nécessaires à son égard. Non seulement il apparaît essentiel de déployer un suivi intensif à l’égard des délinquants à risque élevé, mais il faut se garder d’appliquer un suivi trop intensif aux délinquants à faible risque, sous peine de l’accroître.
2) Le principe du besoin : il s’agit d’identifier les « besoins criminogènes » des contrevenants qui, lorsqu’ils sont modifiés, entraînent des changements sur le plan de la récidive. Sont ici visés des facteurs tels que la toxicomanie, le chômage ou la violence. Des programmes spécifiques d’accompagnement tels que des stages obligatoires adaptés aux problèmes d’alcoolisme, de drogue, de précarité sociale... peuvent permettre d’agir sur les trajectoires délinquantes.
3) La réceptivité du délinquant : il s’agit d’adapter les modes d’intervention des services de probation aux possibilités d’apprentissage et de réactivité du délinquant.
4) L’intégrité du programme : ce principe signifie que la mesure prévue pour chaque personne doit être rigoureusement appliquée telle qu’elle a été conçue et par du personnel qualifié .
Ce qui ne marche pas. Les chercheurs du mouvement « What Works » identifient également le type de programmes qui ne marchent pas, en termes de réhabilitation et prévention de la récidive. Ainsi, estiment-ils que les interventions axées exclusivement sur la dissuasion des contrevenants par « la surveillance serrée et la menace de punition en cas de manquement » ne sont pas efficaces. Ils citent les résultats des programmes tels que les « Scare Straight », dont le principe est d’organiser des rencontres entre des jeunes et des détenus, ces derniers étant chargés de les effrayer par des récits sur la violence en détention. Les « Boot Camps », programmes de type militaire visant à « briser les contrevenants pour ensuite les reconstruire », obtiennent également de faibles résultats sur les délinquants à risque. Les recherches ont montré que « les valeurs que l’on tente d’inculquer dans les « Boot Camps » (la bonne forme, la bonne hygiène, l’ordre domestique, la discipline, l’obéissance à l’autorité) n’étaient pas des facteurs de prédiction valides de comportement criminel. Pourquoi ? Parce que beaucoup de criminels possèdent toutes ces qualités ! » . Plus globalement, ces programmes ne fonctionnent pas car ils ne tiennent « aucunement compte des facteurs de prédiction de la récidive pas plus que du niveau de réceptivité de l’individu » .
b) Une seule étude en France
En France, nous ne développons pas de recherches équivalentes sur les critères d’efficacité de l’intervention judiciaire sur les trajectoires délinquantes. Nous disposons d’études sur la récidive des sortants de prison, qui s’avère plus élevée pour les détenus libérés en fin de peine que ceux libérés en conditionnelle (avec des taux de « retour en prison » variant du simple au double) . Pour la première fois, une étude de Françoise LOMBARD, Annie KENSEY et Pierre Victor TOURNIER vient également attester que les condamnés à des peines alternatives récidivent moins que ceux condamnés à de l’emprisonnement ferme. Cette étude compare le devenir judiciaire de 5 234 personnes condamnées pour un délit, soit à une peine de prison ferme, soit au sursis simple, au sursis avec mise à l’épreuve, au TIG ou encore au sursis-TIG. Ainsi, 61 % des sortants de prison sont à nouveau condamnés dans les 5 ans qui suivent leur libération, tandis que pour les condamnés à une peine alternative, les taux de nouvelle condamnation varient de 19 % pour le sursis simple à 41 % pour le sursis-TIG. Si l’on ne considère que des condamnés ayant commis la même infraction et ayant le même passé judiciaire, les écarts se réduisent parfois de façon très importante (passant à des taux situés entre 36 et 52 % pour les peines alternatives), mais ils restent toujours en défaveur de la prison . Et Pierre V. TOURNIER de rappeler : « même lorsque les écarts sont faibles, nous savons que la prison coûte bien plus cher économiquement et humainement que les peines alternatives » .
L’étude montre aussi, confirmant de nombreux travaux internationaux, que la nature de la peine infligée ne constitue pas le facteur le plus déterminant du risque de récidive. Même si les écarts existent entre condamnés à l’emprisonnement ferme et aux peines alternatives, « la nature de l’infraction et le passé judiciaire constituent des facteurs plus déterminants », quelle que soit la peine initiale. Au sein d’un même groupe de condamnés pour des vols ou recels simples, « les critères du passé judiciaire, de l’âge, de la profession déclarée et de la sanction font ainsi varier le taux de récidive de 16 à 92 % » .
1-2 - LE SAVOIR EMPIRIQUE DES SERVICES DE PROBATION
Généralement peu informés des outils et méthodologies déployés par la recherche criminologique, les jeunes services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) français, accumulent de leur côté un savoir empirique sur le passage à l’acte et la prévention de la récidive, ainsi que sur l’accompagnement social indispensable à l’égard de personnes placées sous main de justice accumulant les handicaps sociaux, sanitaires et familiaux.
a) Le travail sur le passage à l’acte
Tout l’intérêt du suivi en milieu ouvert réside dans la possibilité d’agir sur les causes de la délinquance, d’intervenir sur l’origine du passage à l’acte afin de mieux prévenir la récidive. Ainsi, le difficile travail de probation va-t-il consister en une identification du contexte et des motifs du passage à l’acte, résultant d’une combinaison complexe de facteurs individuels et sociaux.
Une intervention plus efficace en milieu ouvert. S’ils ne disposent pas comme leurs voisins anglo-saxons ou scandinaves d’outils scientifiques d’évaluation du risque, les personnels de probation français se disent en mesure, lorsqu’ils suivent une personne, « d’identifier les facteurs de risque qui lui sont propres » . L’un des facteurs de réussite identifié par le mouvement du « What Works » se trouve ainsi en partie appliqué en France, puisque dans la plupart des SPIP, la fréquence des entretiens et l’intensité du suivi sont adaptés au risque de récidive ainsi identifié. Une telle intervention peut également avoir lieu en détention, mais d’une manière moins efficace, faussée par un contexte de survie, des enjeux liés à la libération et une déconnection des réalités. Christine LE ROCH, chef de service au SPIP de Fleury-Mérogis ayant exercé en milieu fermé et en milieu ouvert, l’explique en ces termes : « A mon sens, nous sommes plus efficaces lorsque les personnes sont libres, car elles peuvent agir. La prison a pour inconvénient de tronquer tout suivi, dans la mesure où les détenus ont pour seul objectif de sortir, ce qui est normal. Mais nous voyons souvent les projets s’écrouler après la libération car les difficultés apparaissent une fois à l’extérieur. La prison a d’autres fonctions (protéger, neutraliser) mais pas celle de réinsérer » . Une observation corroborée par la recherche internationale, qui indique qu’il est possible de « mener efficacement à bien des programmes dans le cadre des prisons, [mais que] les programmes de proximité sont plus efficaces. Ceci pourrait s’expliquer par le fait que l’apprentissage peut être immédiatement mis à l’épreuve dans le monde réel et non dans l’environnement hautement artificiel et inhabituel de la prison » . Le chercheur Christian MOUHANNA évoque un autre avantage du milieu ouvert : « les délinquants ne peuvent pas se vanter d’être suivis dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve, alors que la prison peut apparaître dans leur Curriculum Vitae comme un titre de gloire » .
Un objectif de lutte contre la récidive. Loin de l’angélisme dont ils sont parfois taxés, les conseillers d’insertion et de probation (CIP) rencontrés par la Commission assument parfaitement le cadre judiciaire de leur intervention et leur fonction première de lutte contre la récidive. Pour Nathalie GIGOU, CIP à Melun, les personnels de probation interviennent « dans le cadre particulier d’un mandat judiciaire. Ce cadre va peut-être nous servir à influer sur la situation sociale des personnes, mais ce n’est pas notre objectif premier. Notre objet est le passage à l’acte » . Jean-François BOULARD, CIP à Versailles, explique lui aussi que « le travail sur le passage à l’acte est incontournable, il constitue le point de départ de notre intervention » . Les conseillers d’insertion de probation accumulent ainsi, au terme de milliers d’entretiens, une véritable connaissance du phénomène. Jean-François BOULARD fait ainsi observer que le passage à l’acte « intervient dans un certain contexte favorable différent selon les individus ». Il invite à « se garder de généraliser en la matière, y compris au sein d’une même catégorie de délits » . Nathalie GIGOU ajoute que le passage à l’acte s’avère toujours « symptomatique de quelque chose, d’un mal être, d’une histoire difficile, quelle que soit la nature de l’infraction ». Pour autant, elle indique qu’elle ne rencontre pas uniquement des cas sociaux ou des personnes qui ont été maltraitées dans leur enfance : « il y a parfois des temps de vie plus courts au cours desquels un passage à l’acte est révélateur d’un certain malaise ». La fonction du CIP est alors « d’essayer de comprendre et faire comprendre à la personne pourquoi, dans sa trajectoire de vie, ce passage à l’acte est intervenu à ce moment là » . Concrètement, Jean-François BOULARD explique qu’il demande « dès le premier entretien aux personnes comment elles expliquent leur passage à l’acte ». Mais certaines d’entre elles se trouvent dans « une telle immaturité, une telle confusion psychologique, familiale et sociale, qu’elles mettent un certain temps à prendre conscience des faits, des conséquences pour la victime. Cela ne va pas de soi » .
b) L’accompagnement social
Hormis l’influence d’un contexte particulier sur le passage à l’acte, les recherches criminologiques établissent plus globalement que « le risque criminogène a un caractère à la fois social et psychologique » . Ainsi, le professeur canadien Alan W. LESCHIED explique-t-il que les deux dimensions (sociale et psychologique) doivent être prises en compte dans le « traitement » de la délinquance et la prévention de la récidive. Selon lui, un individu pourra notamment traiter « sur le plan cognitif certaines conditions de son milieu qui font naître ou récompensent » des comportements « antisociaux » .
Le traitement social des problèmes sociaux. Une fois les facteurs sociaux identifiés, la réponse à y apporter varie entre ceux qui privilégient une approche thérapeutique et ceux qui rappellent l’importance du traitement social des problèmes sociaux. Ainsi, plusieurs criminologues alertent sur le risque d’abandonner tout accompagnement social au bénéfice d’une approche uniquement psychologique de la délinquance. Sonja SNACKEN, présidente du Conseil de coopération pénologique du CONSEIL DE L’EUROPE, reconnaît d’une part que « la tendance des Anglo-saxons à développer des programmes comportementalistes apporte des résultats positifs ». Mais elle regrette aussi que toute la politique de libération conditionnelle en Angleterre soit « axée sur les sciences comportementales, le travail social traditionnel de probation étant mis de côté ». Elle estime que l’apport des sciences comportementales ne doit pas faire oublier que « la population délinquante est généralement une population socio-économiquement défavorisée » et qu’il est donc nécessaire de « travailler autant sur le capital social que sur le capital individuel » . Dans le même sens, Jacques FAGET, chercheur au CNRS spécialiste du milieu ouvert et de la médiation, rappelle que « la délinquance n’est pas nécessairement l’expression d’une maladie mentale ». Dès lors, il estime que « l’étayage ne doit pas se concevoir uniquement dans le sens psychologique mais aussi sous la forme d’un accompagnement par l’intégration dans des réseaux de solidarité » . Enfin, Nicole MAESTRACCI, présidente du tribunal de grande instance de Melun, observe que « la relation entre pauvreté et délinquance est insuffisamment prise en compte », alors que « l’essentiel de la production pénale dans un tribunal moyen concerne des personnes aux situations économiques très défavorisées, avec de graves problèmes d’insertion ». Au sein des centres d’hébergement et de réinsertion de la Fédération nationale des associations de réinsertion sociale (FNARS), une étude de Serge PAUGAM a montré que « 25 % de personnes ont fait l’objet d’une condamnation pénale », et que « pour 20 % d’entre elles, le passage en prison a été l’origine du basculement vers la précarité » .
Quelle action sociale des CIP ? Concrètement, les CIP effectuent un certain nombre de démarches pour aider les personnes à régler leur situation en termes de logement, papiers d’identité, moyens de subsistance... Ne disposant pas de moyens propres, ils font appel à cet effet aux services sociaux de l’Etat et des collectivités territoriales, dits « de droit commun ». La seule étude sociologique sur le milieu ouvert publiée en décembre 1999 a dressé un bilan positif de l’activité déployée par les anciens Comités de probation et d’assistance aux libérés (CPAL), juste avant leur remplacement par les Services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) . L’étude a ainsi relevé que les conseillers d’insertion et de probation (CIP) exercent une fonction de « conseil juridique auprès des condamnés sur de multiples aspects de leur existence, tant sur le plan pénal qu’en matière de droit de la famille et de droit du travail ». Elle a également souligné l’importance du rôle de conseil des travailleurs sociaux s’agissant de la situation financière des personnes suivies, notamment en cas d’endettement ou surendettement. Pour les personnes dépourvues de pièce d’identité ou de protection sociale en début de mesure, l’étude a établi que l’intervention des SPIP « a permis de réduire de moitié cette carence en fin de peine ». Il était également constaté une « diminution du nombre de chômeurs de 15 % » en fin de mesure. Les deux tiers des personnes suivies ayant des difficultés de logement « trouvent une solution, que ce soit un logement, un foyer, ou parfois un appartement thérapeutique ». Enfin, les deux tiers des personnes suivies « ont satisfait à leur obligation de réparation pécuniaire » à l’égard des victimes et les deux tiers des personnes soumises à une obligation de soins « consultent régulièrement ou commencent à consulter en fin de mesure » . Christian MOUHANNA rappelle qu’il était ressorti de cette étude que « les mesures de milieu ouvert ne sont pas forcément ressenties comme plus légères que les peines de prison ». D’une part, certaines peines comme le TIG sont « plus systématiquement mises à exécution que des courtes peines de prison », D’autre part, « nous avions été surpris par la consistance des suivis, avec des personnes venant aux convocations, respectant des obligations très pesantes pour eux, telles que des obligations de soins pour problèmes d’alcool ou de toxicomanie » . Dès lors, les personnels de probation comprennent mal le scepticisme répandu à l’égard du milieu ouvert. « La majorité des personnes sous main de justice sont suivies en milieu ouvert, avec des résultats, des parties civiles indemnisées, des condamnés inscrits dans des processus de soins... », interpelle Christine LE ROCH, chef de service au SPIP de Fleury-Mérogis .
2 - LE CONTENU NEGLIGE DES MESURES ALTERNATIVES
Depuis la création des Comités de probation et d’assistance aux libérés (CPAL), qui sont venus accompagner celle des juges de l’application des peines en 1958, les pouvoirs publics français, ainsi qu’une partie du monde judiciaire, se sont illustrés par un désintérêt à l’égard du contenu des mesures alternatives, réduites à leur seule fonction de substitution à la prison. Malgré une attention soudaine portée à ces mesures au travers de la loi Perben II du 9 mars 2004, celle-ci se concentre davantage sur les moyens de les développer et de les exécuter rapidement, sans véritable réflexion sur leur contenu, leur qualité et leur impact sur la délinquance.
2-1 - DU DESINTERET AU PRODUCTIVISME
En dehors du cercle des professionnels de la probation et des juges de l’application des peines, le contenu des mesures alternatives semble susciter peu d’intérêt, si bien que leur dimension qualitative apparaît négligée. Un désintérêt qui frappe même certains juges du siège, qui auraient, selon Patrick MADIGOU, « quelquefois tendance à croire que leurs missions s’arrêtent au moment du jugement et que la suite ne les concerne pas » .
a) Des mesures dont la seule fonction serait « alternative » ?
« Les pouvoirs publics commencent tout juste en France à s’interroger sur ce qui est fait dans le cadre de ces mesures. Depuis 1958, les mesures alternatives ont été uniquement considérées comme des moyens d’éviter des incarcérations », explique Philippe POTTIER, ancien directeur de SPIP en poste au sein de la direction de l’Administration pénitentiaire . Appréhendées comme des mesures permettant de gérer d’importants flux d’affaires parvenant devant les tribunaux ou de libérer des places de prison dans des périodes de surpopulation carcérale, les alternatives à la détention pâtissent d’un manque de réflexion et de créativité s’agissant de leur déroulement, leur contenu, leur sens pour le délinquant et la victime. Ce manque de réflexion se traduit concrètement par une absence ou un manque de définition des mesures, d’outils méthodologiques, d’évaluation des programmes, de séminaires de formation continue, d’espaces d’échanges professionnels, de communication et de sensibilisation du grand public.
Cette tendance à appréhender les mesures alternatives uniquement dans leur fonction de substitution est selon certains renforcée par l’utilisation du terme de peines ou mesures « alternatives ». Le chercheur Jacques FAGET estime qu’il faudrait « cesser de parler d’ « alternatives à l’emprisonnement » car il s’agit d’une définition par le manque ». Afin de reconnaître à ces mesures une dimension propre, leur donner « une visibilité sociale et une légitimité », il faudrait pouvoir les « nommer en positif, à partir de ce qu’elles sont et non en référence à la prison ». Ainsi, préfère-t-il le terme consacré par le CONSEIL DE L’EUROPE de « sanctions et mesures appliquées dans la communauté » .
Le criminologue canadien Maurice CUSSON soutient pour sa part le concept anglo-saxon de « peines intermédiaires », dont il estime qu’elles ont été « ‘vendues’ comme des moyens de contenir la surpopulation carcérale et de réaliser des économies », alors qu’elles ont également un intérêt propre dans l’échelle des peines. Selon lui, « elles sanctionnent plus équitablement les délinquants intermédiaires » que la prison ou le sursis simple. Contrairement à la prison, les mesures de probation sont en effet à même d’allier une dimension punitive (rétributive) et une dimension réhabilitante (réinsérante). Elles peuvent associer diverses obligations telles que la réparation du dommage causé (indemnisation, excuses, médiation...), l’obligation de soins (psychothérapie, cure de désintoxication...), l’assignation à résidence à certaines heures (avec ou sans surveillance électronique), le suivi d’une formation, un travail d’intérêt général... Ce type de mesures a en outre plus de chances de répondre aux besoins des victimes d’infractions de moyenne gravité, le préjudice subi étant, selon Maurice CUSSON, « annulé ou du moins compensé » dans le cadre de l’exécution d’une « peine intermédiaire ». En effet, ces mesures incluent généralement une indemnisation de la victime, contrôlée par des services de probation qui aident le condamné à prendre conscience des conséquences de son acte. Le criminologue canadien explique que cette dimension de « réparation garde le criminel en contact avec son crime et l’interpelle sur sa responsabilité vis-à-vis de sa victime ». Et de conclure : « Obligé de réparer, soumis à des contrôles stricts, forcé de rester à la maison le soir, ce dernier encours de véritables désagréments tout en échappant à l’univers carcéral. Les peines moyennes donnent le moyen de punir sans détruire » .
b) Une tendance à préférer le quantitatif au qualitatif
Un important volet de la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (Perben II) s’est donné pour objectif de crédibiliser les peines alternatives, notamment en favorisant leur mise à exécution systématique et rapide. Cet apport essentiel n’a pas à ce jour été complété par une attention et une réflexion sur le contenu de ces mesures. Certains vont dès lors jusqu’à reprocher aux pouvoirs publics, dans leur attention nouvelle au milieu ouvert, de se focaliser sur une perspective quantitative, sans tenir compte de la dimension qualitative. Ce choix s’inscrit dans une tendance globale du ministère de la Justice à développer « une logique gestionnaire », non seulement à l’égard des services pénitentiaires, mais aussi des tribunaux, comme l’indique Christian MOUHANNA. Il explique combien la Chancellerie « a de plus en plus tendance à demander des comptes aux procureurs et à juger l’efficacité d’un tribunal en fonction du nombre de décisions rendues » .
Dans le cadre de la loi Perben II et de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), des objectifs chiffrés ont été assignés aux services de probation en matière d’aménagements de peine accordés dans le cadre de la NPAP (nouvelle procédure d’aménagement de peine). Le directeur de l’Administration pénitentiaire, Claude d’HARCOURT, informe qu’un objectif de progression de 25 % avait été fixé pour 2006. Un chiffre qui lui « paraît trop ambitieux et que nous n’atteindrons probablement pas », ajoute-t-il. Cet objectif volontariste marque selon lui la volonté de l’Administration pénitentiaire de « mobiliser toute [son] efficacité et [son] intelligence afin de développer les aménagements de peine » et s’explique par « l’importance des moyens alloués par la représentation nationale, notamment en personnel, dont nous devrons rendre compte lors du débat budgétaire » .
Si l’intention semble louable, visant à mobiliser les SPIP et à inscrire des ordres de priorités parmi l’ensemble des tâches qui leur incombent, les objectifs chiffrés peuvent s’avérer quelque peu artificiels lorsqu’ils ne s’inscrivent pas dans un programme cohérent et réaliste au regard des moyens dont disposent les services. Nathalie GIGOU, conseillère d’insertion et de probation à Melun, fait ainsi remarquer que « les objectifs chiffrés qui ont été assignés étaient plutôt absurdes et n’ont pas été atteints. Il a été quelque peu oublié que les magistrats étaient souverains dans leurs décisions » . Du côté des juges de l’application des peines, Michaël JANAS déplore lui aussi que « les pouvoirs publics [aient] tendance à trop raisonner en termes quantitatifs. Ainsi, le ministre a déclaré dans son dernier discours qu’il souhaitait passer de 18 000 à 25 000 aménagements de peine en 2006. Nous aurions avant tout besoin que le nécessaire soit mis en oeuvre pour en prononcer et en exécuter davantage » . Dès lors, la tendance des pouvoirs publics à demander au personnel de probation de concentrer toute son action sur les nouvelles procédures, ne tenant pas compte de l’ensemble des mesures à prendre en charge et ne résultant pas d’une politique globale en matière de mesures alternatives, est-elle parfois perçue sur le terrain comme productiviste et gestionnaire. Ainsi, les démarches de rationalisation et d’efficacité de la part de l’Administration pénitentiaire viennent-elles se heurter à l’« absence de politique pénale nationale en matière d’alternatives à l’incarcération, sujet difficile et électoralement peu rentable », comme l’explique Jacques FAGET .
Des évaluations purement administratives. Autant des exigences de transparence et d’efficacité à l’égard des SPIP peuvent entièrement se justifier, autant une exigence de rentabilité à l’égard de services mal lotis en termes d’effectifs et d’outils méthodologiques peut entraîner des effets pervers. Ainsi, ne faudrait-il pas « se contenter d’évaluations purement administratives », comme le craint Philippe POTTIER dans le cadre de la LOLF . Le risque serait d’induire une exécution des mesures alternatives comme « la gestion d’un temps de contrainte, qui doit produire des résultats immédiats dont on doit pouvoir rendre compte », en décalage complet avec la réalité du suivi en milieu ouvert, estime Jean-François BOULARD, conseiller d’insertion et de probation au SPIP de Versailles . En effet, personne ne gagnerait à voir s’installer au sein des SPIP une pratique consistant à exécuter les mesures le plus rapidement possible en désinvestissant la dimension socio-éducative et le travail sur le passage à l’acte, garanties d’une intervention effective sur les trajectoires délinquantes. De manière générale, le risque d’une excessive bureaucratisation guette les services pénitentiaires. Le directeur de l’Administration pénitentiaire alerte lui-même sur le fait que « la loi organique est un texte merveilleux et intelligent, gâché par une avalanche de contrôles de toutes parts, à tous les niveaux entre le sommet et la base ». Il estime que « les réformes, quand elles sont bureaucratisées, génèrent un coût administratif pas acceptable ». Et pour illustrer son propos, Claude D’HARCOURT explique qu’avec les directeurs régionaux des services pénitentiaires, ils consacrent « entre le tiers et la moitié de [leur] temps à traiter des problèmes de gestion » .
2-2 - TIG : L’EXEMPLE D’UNE BUREAUCRATISATION
Le travail d’intérêt général constitue le principal exemple d’une mesure dont le contenu et le sens socio-éducatif ont peu à peu été désinvestis par les services de probation, au point de parler de « bureaucratisation du TIG ». Après avoir provoqué un engouement particulier au cours de sa première décennie d’existence (1984-1994), le TIG a été quelque peu dévoyé dans son utilisation par les magistrats et dans son exécution par les SPIP.
a) Une mesure dévoyée
Dans une étude réalisée au terme des dix premières années d’existence du TIG, Jacques FAGET, chercheur au CNRS, concluait déjà que « comparativement à la dynamique des débuts, la mesure [s’était] bureaucratisée ». L’application du travail d’intérêt général s’est selon lui « modélisée non pas sur ses aspects pédagogiques, mais sur les possibilités structurelles de l’institution judiciaire à le mettre en œuvre ». A titre d’exemple, le chercheur relève « une standardisation des critères d’affectation des condamnés qui sont orientés vers les structures les plus proches de leur domicile, mais pas nécessairement les plus adaptées à leurs problématiques », ainsi qu’une disparition de l’aspect éducatif de la sanction, le travail étant considéré en soi comme éducatif et la tâche étant organisée « de manière à être accomplie dans le délai le plus bref possible » . Jean-Pierre BAILLY, directeur du SPIP des Yvelines, constate lui aussi que « le dispositif du TIG a été délaissé par les différents services, qui se sont contentés de gérer du flux, l’important étant que les heures de travail soient effectuées » .
Ces observations rejoignent celles de certains conseillers d’insertion et de probation sur le terrain. Ainsi, Nathalie GIGOU estime-t-elle que cette « mesure a été quelque peu dévoyée ces dix dernières années » et « a perdu de sa dimension socio-éducative ». Elle remarque que, dans son service, la tendance est « de plus en plus à faire exécuter le seul travail », la mise en oeuvre du TIG intervenant de moins en moins « dans le cadre d’une prise en charge plus globale de la situation sociale et personnelle du condamné ». Ainsi, les CIP se focalisent-ils sur « les contingences matérielles de l’exécution de la peine : les horaires de la personne, si elle travaille ou non, si le TIG peut être exécuté rapidement, si le travail doit être exécuté en semaine ou le week-end... ». Une évolution des pratiques professionnelles qu’elle estime « probablement due à une plus grande exigence d’efficacité et de rentabilité » à l’égard des SPIP .
b) Un difficile partenariat
L’une des explications avancée face au délaissement du travail d’intérêt général (TIG) par les services de probation réside dans la difficulté à trouver ou pérenniser des postes au sein des structures d’accueil, notamment du fait du contexte socio-économique, mais aussi du temps nécessaire pour instaurer et entretenir des partenariats de qualité. Dans certains départements, la situation de l’emploi rend difficile la création de postes de TIG, les collectivités territoriales et associations étant préoccupées par la gestion de leur propre personnel et peu disposées à former un personnel d’encadrement spécialisé pour accueillir des condamnés. Philippe POTTIER, ancien directeur du SPIP de Charente, explique que dans cette région, « toutes les mairies et associations sont prêtes à prendre des TIG » car il s’agit d’un des départements « les moins délinquants et dont la situation économique et sociale est la plus facile ». Mais en Ile-de-France, à Lyon, à Marseille, ainsi que dans de nombreuses zones rurales, « le contexte social et psychologique est beaucoup plus difficile. L’offre de postes est beaucoup plus limitée et les possibilités de privilégier la qualité restreintes » . Le directeur des Affaires criminelles et des grâces, Jean-Marie HUET, souligne lui aussi que « dans ce contexte de chômage, nous avons plus de difficultés à trouver des postes de TIG en adéquation avec les profils des condamnés » quand il lui apparaît « contreproductif de placer des jeunes sur des projets de TIG qui ne leur correspondent pas » .
Dès lors, dans la plupart des SPIP, les travailleurs sociaux « s’usent à solliciter des partenaires pour les convaincre de prendre des tigistes », comme l’explique Nathalie GIGOU, conseillère d’insertion et de probation (CIP) en région parisienne. La création de relations de partenariat avec les collectivités territoriales et les associations demande du temps, de la pédagogie, et une attention particulière aux difficultés que peuvent rencontrer les personnes accueillant des « tigistes ». Or, les démarches doivent être sans cesse renouvelées « car des personnes qui avaient adhéré à la mesure, avec lesquelles nous avions mis en place un fonctionnement satisfaisant, quittent leur poste et leur successeur n’est pas forcément intéressé » . Il semble également que les partenaires potentiels deviennent plus difficiles à convaincre, du fait de la dégradation du contexte socio-économique, mais aussi du sentiment d’insécurité grandissant face au phénomène délinquant. Ainsi, le directeur du SPIP de Paris, Patrick MADIGOU, affirme-t-il qu’il est « devenu plus difficile de trouver des postes », les personnels de probation se heurtant « à la peur du personnel des structures d’accueil vis-à-vis des délinquants » . Dans sa pratique quotidienne, le conseiller d’insertion et de probation Jean-François BOULARD constate lui aussi que « progressivement, les ouvriers et les services municipaux ont de moins en moins envie d’intégrer des TIG ». Il raconte son entretien avec le nouveau directeur des ressources humaines d’une petite commune, qui avait jusqu’ici l’habitude de réserver un poste de TIG. Le nouveau DRH lui a expliqué qu’il ne souhaitait plus accueillir de « tigistes », car « il avait dû faire des choix et avait donné la priorité à des gens venant faire des stages ou des formations. Son équipe a considéré que c’était plus porteur et vendable auprès du personnel et de la population » .
Concernant les collectivités territoriales ou autres services de l’Etat, il pourrait être envisagé de définir par voie réglementaire un certain nombre de postes qui devraient être réservés à des « tigistes » dans différents secteurs. Il apparaît en effet anormal que des services pénitentiaires aient à consacrer autant de temps à convaincre constamment des partenaires publics. Le fait d’automatiser l’accueil de quelques « tigistes » en fonction de la taille du service et du secteur d’activités permettrait de déplacer l’énergie investie par le SPIP sur la qualité d’exécution de la mesure et la relation avec ses partenaires, notamment associatifs.
S’agissant des structures d’accueil associatives, le sociologue Jacques FAGET regrette en effet que « l’accueil de tigistes souvent perturbés et compliqués [demandant] beaucoup d’énergie aux membres des associations, les juridictions ne les [aient] pas suffisamment gratifiées ». Les SPIP se seraient selon lui peu à peu désintéressés du bon déroulement de la mesure pour le « tigiste » et ses « tuteurs », alors que les associations continuent à « collaborer à l’action judiciaire si elles se sentent utiles, obtiennent des retours valorisants et peuvent échanger sur leurs activités » . Les associations se désengageant de l’accueil de « tigistes », l’exécution de TIG au sein des collectivités territoriales a été privilégiée. Or, ces structures proposent selon Jacques FAGET des postes moins formateurs, généralement des tâches d’entretien telles que le ramassage des feuilles ou le nettoyage des fossés, peu à même de permettre aux condamnés d’acquérir une formation et de trouver une place valorisante au sein du corps social. Jacques FAGET signale qu’il arrive même que certaines communes « instrumentalisent les condamnés au titre de main-d’œuvre bon marché et se plaignent qu’on ne leur envoie pas assez de tigistes ! ». De leur côté, les associations incarnent selon lui « une démarche d’accompagnement plus humaniste » et « proposent des activités plus gratifiantes ». Pour les condamnés, la rencontre avec les « permanents associatifs s’avère plus porteuse », les obligeant « à effectuer un travail sur eux-mêmes afin de s’insérer dans des réseaux de socialisation qu’ils ne connaissent pas ». C’est pourquoi il lui apparaît nécessaire que les SPIP cherchent à renouveler le réseau de postes au sein des associations, en consacrant plus de temps à établir des liens de qualité, ainsi que des espaces d’échange et de formation sur les pratiques . Une perspective éminemment souhaitable, qui nécessite néanmoins du temps et des moyens supplémentaires. Les SPIP réussissant à développer un réseau de postes de TIG important le font en effet au prix d’un investissement considérable. Ainsi, le SPIP des Yvelines est-il parvenu à développer un réseau de 400 postes, pour lequel ses services ont « investi beaucoup de temps avec les tuteurs TIG et les collectivités ». Son directeur estime que si un objectif d’augmentation des TIG est fixé au plan national, « les SPIP devront y consacrer beaucoup plus de temps qu’aujourd’hui » . En outre, il s’avère que la tâche est loin d’être accomplie une fois le réseau de postes de TIG mis en place. En effet, les 400 postes des Yvelines ne sont utilisés par les magistrats qu’à 60 ou 70 %, ceux-ci ne souhaitant pas « en prononcer davantage car ils pensent que nous ne réussirons pas à les mettre à exécution, alors que nous y parvenons dans 99,7 % des cas, selon les chiffres de l’année dernière », regrette Jean-Pierre BAILLY .
RECOMMANDATION
Concernant les collectivités territoriales ou autres services de l’Etat, il est recommandé de définir par voie réglementaire un certain nombre de postes qui devraient être réservés à des condamnés à un TIG dans différents secteurs tels que la santé, la police, la culture, l’environnement... Des stages de formation devraient alors être dispensés par les SPIP au personnel volontaire pour encadrer les « tigistes ».
c) Un TIG à rénover
En dépit d’une certaine usure des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) et des structures d’accueil, le système judiciaire gagnerait à redonner à la peine de travail d’intérêt général (TIG) un nouvel élan, du fait des importantes potentialités qu’elle recèle. Ainsi, le TIG reste-t-il de l’avis de tous « une très bonne mesure », alliant « une lisibilité de la sanction et une action d’insertion », comme l’explique Patrick MADIGOU. Le directeur du SPIP de Paris évoque des « jeunes en échec systématique, y compris dans la « carrière » délinquante », qui ont une « image tellement dégradée du système social, du service public et du travail », pour lesquels l’expérience du TIG permet une « confrontation à ces milieux [qui] les fait changer de point de vue ». Et d’ajouter : « Ils nous disent en fin de TIG que ce n’était pas si difficile de travailler. A partir de cette expérience, nous pouvons plus facilement les aider à s’insérer et à chercher du travail » .
Le contenu du travail. Afin de renouveler le TIG, une attention particulière sur le contenu du travail et son adéquation avec les problématiques du condamné apparaît nécessaire. En vertu de l’article R.131-19 du Code pénal, le juge de l’application des peines doit en principe habiliter les postes de TIG en fonction de leur « utilité sociale » et des « perspectives d’insertion sociale ou professionnelle qu’ils offrent aux condamnés ». Autant le ramassage des feuilles mortes « très fréquemment usité lors de la création du TIG, n’était pas la meilleure manière de donner goût au travail » , autant de nombreuses activités au sein de services publics ou d’associations apparaissent empreintes de sens dès lors qu’elles interviennent en relation avec l’infraction commise ou les difficultés sociales des condamnés. Dans le département des Yvelines, le SPIP est parvenu à convaincre les municipalités de « l’intérêt d’ouvrir des emplois plus spécialisés », par exemple pour assurer la sécurité à la sortie des écoles. « Il s’agit d’adresser symboliquement au condamné un message signifiant que nous allons lui faire confiance », explique Jean-Pierre BAILLY . De même, l’accompagnement d’un chauffeur de bus, d’un gardien d’immeuble, d’un agent de la circulation, le travail dans un hôpital accueillant des accidentés de la route, tout autant que l’activité au sein d’une association de quartier ou d’une structure à dimension caritative, peuvent permettre à une personne délinquante d’envisager une autre place sociale, comme le montre le module « dialogue citoyen », mis en place dans quelques SPIP de la région parisienne. Ce module devrait encore « être étendu à d’autres SPIP de la région parisienne, en lien avec la direction régionale » selon Philippe POTTIER. Mais de manière générale, « les expériences de « bonnes pratiques » circulent très mal » au sein de l’Administration pénitentiaire . Une conseillère d’insertion et de probation de région parisienne alerte en outre sur la diminution des moyens qui seraient accordés à ce module, « qui tend à devenir plus rare pour des raisons de temps et d’argent » . Il apparaît en effet comme une tendance que les expériences innovantes émanant des services de probation fassent l’objet de peu de soutien de la part de l’Administration pénitentiaire, alors qu’elles offrent un vivier unique d’expérimentation de nouvelles pratiques. La Commission invite dès lors les pouvoirs publics, non seulement à évaluer, valoriser et financer de telles expériences, mais également à s’en inspirer afin d’élaborer des modules généralisables à l’ensemble des services intéressés.
Le module « dialogue citoyen »
Le module « dialogue citoyen » a été initié fin 1999 dans le département des Yvelines face à l’augmentation des affaires dites de « violences urbaines » (condamnations pour dégradation des biens publics, outrages à des personnes dépositaires de l’autorité publique, violences verbales ou physiques dans les transports...). Pour de tels faits, les postes de TIG ne semblaient pas adaptés, « les jeunes condamnés exécutant mécaniquement et passivement leur peine, cette dernière ayant peu de sens et un effet très faible en terme de prévention de la récidive »1. Le module dialogue citoyen est issu de la recherche d’une peine adaptée à l’infraction, visant à réconcilier les jeunes avec les institutions et à mieux prévenir la récidive. Concrètement, il s’agit pour des groupes de 8 à 10 jeunes, condamnés généralement à un TIG ou un SME, de participer à un stage de trois jours en début d’exécution de peine visant à instaurer un dialogue avec les services publics victimes de ces infractions. Ainsi peuvent-ils rencontrer un commissaire de police, un magistrat, un délégué du médiateur de la République, un chauffeur de bus, etc., le contenu de chaque module étant adapté au public accueilli, aux ressources locales et aux partenaires spécifiques. Le programme de chaque module est conçu par le SPIP et deux sociologues extérieurs - qui assurent la fonction de « régulateur animateur » au cours du stage - autour de trois questions : Pourquoi les condamnés participent-ils à ce module (réflexion sur le délit, la peine et la notion de victime) ? ; Quel est le sens de la peine ? ; Pourquoi a-t-on besoin de règles ?
La première journée est généralement l’occasion d’échanges avec des intervenants issus de la police, de la justice, du Barreau et des associations d’aide aux victimes, avec pour objectif d’amorcer une déconstruction des représentations préfabriquées de part et d’autre. La deuxième journée fait davantage intervenir des élus, des professionnels tels que des agents de médiation dans les transports publics ou des gardiens d’immeuble, ainsi que des militants associatifs. Il s’agit là de montrer d’autres façons d’utiliser sa « révolte sociale », en considérant les jeunes comme des « citoyens de pleine responsabilité » et en évitant de les maintenir dans le statut de victimes dans lequel ils se sont souvent installés. Le dernier jour est consacré aux trajectoires personnelles et aux possibilités d’effectuer des choix individuels, avec la participation d’associations d’insertion et de « personnes issues des quartiers apportant leurs témoignages autour de réussites professionnelles »2.
L’ensemble des interventions se déroule sous la forme d’un échange et non d’un cours magistral, les intervenants étant invités à dialoguer réellement, sans langue de bois et de façon personnelle. Ainsi peut-on lire dans le compte-rendu de l’un de ces stages : « Le rôle du juge est expliqué, ainsi que l’objectif des peines alternatives. De même est abordée la possibilité de recours » judiciaires et administratifs « face aux agressions de la police qu’ils dénoncent ». Enfin, « un témoignage d’un parcours de vie militante sert d’exemple de comment il est possible de se construire à partir de la même situation de marginalité dans laquelle ils se trouvent »3.
A l’issue du stage, les participants condamnés à un TIG sont affectés à un poste au sein de l’une de ces institutions : commissariat, gendarmerie, transports publics, office HLM... Certains pourront par exemple se voir chargés par la police municipale de la surveillance à la sortie des écoles, d’autres d’assister des gardiens d’immeuble pour le compte d’un office HLM... Des postes chargés de sens et adressant « symboliquement au condamné un message signifiant qu’on va lui faire confiance »4.
(1) « Module dialogue citoyen », Fiche d’analyse d’expérience présentée par le SPIP des Yvelines, 2006.
(2) Fiche d’analyse d’expérience présentée par le SPIP des Yvelines, op. cit., 2006.
(3) L. HERVIEUX, E. VALENZUELA, Evaluation Module dialogue citoyen, Mantes-la-Jolie, juin 2005.
(4) Jean-Pierre BAILLY, directeur du SPIP des Yvelines, audition CNCDH, 4 avril 2006.
Le TIG peut également fournir l’occasion d’immerger des condamnés dans des milieux qui leur sont inconnus et parfois peu accessibles. Ainsi, le SPIP du Val de Marne a-t-il mis l’accent sur les structures culturelles telles que les musées et les théâtres, en passant une convention avec 16 d’entre elles : « Chaque fois qu’elles intervenaient à la maison d’arrêt de Fresnes, elles devaient nous proposer un poste de TIG en milieu ouvert », explique Patrick MADIGOU, ancien directeur de ce SPIP . Le SPIP de Paris vient quant à lui d’ouvrir un poste de TIG au musée du Louvre. Un véritable symbole pour des personnes ayant souvent peu accès à la culture, par manque de moyens ou d’initiation. Et Patrick MADIGOU de rappeler que « l’accès à la culture fait partie de l’insertion, dans la perspective d’ouvrir les personnes à ‘autre chose’ ». Le SPIP de Paris a également mis en place le module « dialogue citoyen », comportant trois jours organisés en collaboration avec la mairie de Paris, « pendant lesquels les tigistes entrent dans le monde de la citoyenneté, de la justice... », ainsi qu’une journée au musée du Louvre et une journée portant sur les notions de secourisme .
Les facteurs humains. Au-delà du contenu du travail, certains insistent sur l’importance de la qualité des rencontres sur le lieu d’activité. Patrick MADIGOU, directeur du SPIP de Paris, explique que pour impulser « une nouvelle dynamique » dans le parcours des condamnés, « il s’agit surtout de les mettre en situation de travailler en équipe. Le fait de côtoyer des personnes qui travaillent, d’être formé et intégré dans un groupe avec des règles à respecter, des horaires... cela peut être gratifiant » . Un conseiller d’insertion et de probation va plus loin, en estimant que « les facteurs humains jouent davantage que le contenu du travail ». Ainsi, pour Jean-François BOULARD, « le TIG fonctionne si une rencontre a lieu entre le tigiste et le référent » avec lequel il travaille directement. Il évoque le cas d’un poste de balayage dans un service de voierie, dont il disposait il y a plusieurs années, « ce qui ne serait plus possible aujourd’hui, tellement la fonction est perçue comme dégradante ». Le référent de ce poste était tellement « exceptionnel, avec une qualité de relation et de contact tellement hors du commun que le tigiste en oubliait qu’il était en train de balayer », raconte-t-il. Aujourd’hui, l’échec de certains TIG lui semble souvent lié à une dégradation des relations sur les lieux de travail, marquées par un manque de « reconnaissance, de convivialité », et une « intolérance de plus en plus grande aux incidents, aux retards, aux mots de travers, qui entraînent immédiatement l’arrêt de la mesure » .
Le TIG associé à un suivi socio-éducatif. Au terme de plus de vingt années de pratique, il apparaît de plus en plus évident que la simple réalisation d’un travail ne peut que rarement suffire à elle seule à intervenir durablement sur les trajectoires délinquantes. En premier lieu, il apparaît que le TIG, comme toute mesure alternative, ne trouve son sens que s’il est accompagné d’un suivi socio-éducatif. La nécessité de faire exécuter un travail à la personne condamnée ne devrait pas exonérer d’un questionnement sur le passage à l’acte, d’un accompagnement dans l’exécution du travail, ainsi que d’un contrôle des autres obligations. Si Jean-François BOULARD constate depuis vingt ans que « l’un des bienfaits du TIG est de mettre en situation de travailler des personnes qui parfois ne l’ont jamais été », il souligne que la confrontation avec des lieux, des équipes, des rythmes de travail « peut également être d’une grande violence pour des personnes très désinsérées, qui n’arrivent pas à se lever le matin, n’ont pas d’argent et se retrouvent avec des personnes ayant des revenus fixes, un certain confort social et personnel » . L’accompagnement de ce type de problématiques doit donc impérativement être assuré dans le cadre d’entretiens réguliers avec un conseiller d’insertion et de probation.
En second lieu, de plus en plus de SPIP ne se contentent plus de la simple exécution du travail et intègrent des stages dans le cadre de l’exécution de la peine de TIG, tels que le module « dialogue citoyen » visant à créer un dialogue entre institutions et délinquants, ainsi qu’à donner du sens au travail qui sera ensuite effectué par le condamné. Le TIG peut aussi être utilisé pour effectuer avec le condamné un bilan de ses compétences et intérêts professionnels. Ainsi, le SPIP des Yvelines a-t-il mis en place dans certaines communes un « module d’orientation » intervenant à mi-parcours de l’exécution du TIG. Le « tigiste » interrompt son travail afin de « réaliser un bilan de la mesure avec son tuteur, ainsi qu’un bilan de compétences ». Ce module apporte « énormément de résultats », selon le directeur du SPIP Jean-Pierre BAILLY, le TIG offrant « l’occasion d’imposer au condamné de rencontrer différents services », alors que 60 % des « tigistes » des Yvelines « ne sont jamais passés dans les circuits d’aide à l’emploi et d’assistance » .
RECOMMANDATION
Une redéfinition du contenu de la peine de travail d’intérêt général doit être effectuée par voie règlementaire. L’attention doit être notamment portée sur le contenu du travail et son sens pour le condamné. Le TIG devrait également être impérativement associé à un suivi socio-éducatif pouvant s’étendre au-delà de l’exécution du travail. Des modules tels que le « TIG dialogue citoyen » ou le « module d’orientation » doivent être généralisés par la direction de l’Administration pénitentiaire à l’ensemble des SPIP.
2-3 - LES PREMIERS PAS DES PROGRAMMES THEMATIQUES
La France s’avère particulièrement en retard dans la mise en place de programmes thématiques adaptés aux problèmes spécifiques des délinquants (addictions, violence, déviances sexuelles...) en relation avec certains passages à l’acte. Si ces outils ne peuvent être utilisés en remplacement, mais en complément des autres modes d’intervention des services de probation, ils semblent étonnamment peu explorés et expérimentés en France, à la différence de pays comme le Canada, la Belgique ou la Suède. Pour exemple, les services de probation suédois sont eux-mêmes chargés « d’élaborer des programmes basés sur la psychologie cognitive et l’apprentissage social ». Un certain nombre d’agents de probation ont ainsi « reçu une formation à cet effet, où il leur était demandé de concevoir et de mettre en œuvre ces programmes » .
a) Les balbutiements d’une pratique
En France, quelques expériences novatrices de programmes adaptés à certaines personnes ou certains délits sont menées par quelques SPIP particulièrement entreprenants. Mais ces initiatives reposent sur le volontarisme et ne relèvent pas d’une politique nationale ou régionale en matière de traitement de la délinquance en milieu ouvert.
Stages sécurité routière. Les stages liés à la sécurité routière sont les seuls à avoir été développés sur l’ensemble du territoire. La loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière a même érigé au rang de peine complémentaire l’obligation d’accomplir un stage de sensibilisation à la sécurité routière, qui est alors exécuté aux frais du condamné (article 131-35-1 du Code pénal). Pour rappel, cette disposition est contraire aux Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté définies par le CONSEIL DE L’EUROPE, selon lesquelles « les frais d’exécution ne doivent pas, en principe, être mis à la charge du délinquant » .
Le SPIP du Morbihan, région très affectée par l’alcoolémie au volant, a mis en place depuis 2001 un programme « conduites addictives et route » particulièrement intéressant. Au terme de ce stage, les personnes condamnées à un TIG pour conduite en état alcoolique ou infraction à la législation sur les stupéfiants, deviennent elles-mêmes des acteurs de prévention auprès d’un public scolaire. Un premier entretien individuel avec une assistante éducative spécialisée dans la sécurité routière vise à expliquer le programme et à évaluer les motivations et aptitudes de la personne. Si sa candidature est retenue et validée par le juge de l’application des peines, la personne condamnée assiste à une sensibilisation théorique aux notions de sécurité routière, puis à une sensibilisation pratique « permettant une prise de conscience réelle des dangers des conduites addictives sur la sécurité routière (centre de rééducation fonctionnelle, pompiers...) » . Elle est ensuite accompagnée dans la préparation d’une intervention de sensibilisation dans un lycée. A ce titre, elle bénéficie d’un module de 12 heures consacré à la prise de parole en public. Elle présente finalement cette intervention devant une classe de Seconde de la région, aux cotés de l’assistante éducative. Suite à ce programme, plusieurs stagiaires ont souhaité poursuivre bénévolement des actions de sensibilisation et, en raison d’une forte demande, l’ensemble des lycées de la région bénéficient de cette action . Ces stages sur l’alcool et la sécurité routière n’ont pas pour fonction de « traiter les problèmes d’alcoolisme des personnes au sens de la santé publique », précise Philippe POTTIER. Le traitement médical ou psychologique relève en effet de professionnels de la santé et peut s’inscrire dans le cadre d’une obligation de soins. L’objectif du SPIP est pour sa part de faire intégrer à ces personnes « le rapport entre l’alcool et la loi, l’interdiction d’en consommer à certaines occasions » .
Quelques programmes sur des problématiques lourdes. D’autres stages sont expérimentés sur des problématiques criminogènes plus lourdes, telles que la toxicomanie, la délinquance sexuelle ou la violence. Mais ils ne concernent qu’un nombre limité de personnes, font rarement l’objet d’une évaluation scientifique, et ne bénéficient d’aucune diffusion ni généralisation au plan national. Ainsi, le SPIP de Paris a-t-il créé un groupe de parole pour les auteurs de violences conjugales, en partenariat avec une association de lutte contre la violence. Le directeur du SPIP constate d’emblée que « le travail collectif apporte une dimension supplémentaire par rapport à ce qui peut se dire dans le cadre de la relation duale avec le travailleur social » . Ce travail en groupe peut être proposé à tout auteur de violences conjugales pris en charge par le SPIP, quelle que soit la mesure pénale dont il fait l’objet (SME, contrôle judiciaire...). « Si les personnes ont donné leur accord au départ, elles ont ensuite l’obligation de se rendre au groupe de parole tous les quinze jours », précise Patrick MADIGOU. Il évoque également un groupe de prévention du risque qui avait été mis en place pour les toxicomanes délinquants dans le Val de Marne, ainsi que la réflexion « beaucoup plus compliquée » sur ce qui pourrait être développé à l’égard des délinquants sexuels, avec lesquels « il faut souvent travailler sur la dimension d’acceptation du délit ». Il considère que « nous en sommes actuellement au même point sur la délinquance sexuelle que sur la toxicomanie dans les années 1970. Il va falloir du temps, que des recherches soient effectuées, que les institutions s’impliquent... » .
Philippe POTTIER, ancien directeur du SPIP de Charente, a pour sa part expérimenté dès 2000 un groupe de parole à l’intention des délinquants sexuels, inspiré des expériences canadienne et belge. L’initiative est venue de la recrudescence d’auteurs d’infractions sexuelles pris en charge et du constat selon lequel « les entretiens de type socio-éducatif n’apportaient pas grand chose dans leur cas ». Le principe du groupe de parole est de ne pas se substituer à un programme de soins, car il ne traite « que du délit, du passage à l’acte et des moyens de l’éviter », l’objectif n’étant pas de « rechercher en profondeur les causes de la déviance, de demander aux participants de raconter la façon dont cela s’est passé ou de révéler des éléments intimes de leur histoire » . Ce programme inspiré de la méthode de « guidance », bien connue des services de probation belges et canadiens, permet de remédier au fait que « nombre de délinquants sexuels refusent d’aller voir un psychologue ou respectent leur obligation de soins de façon très formelle », explique Philippe POTTIER. Il a ainsi pu constater que dans un travail de groupe, les délinquants sexuels « participent davantage, ils échangent entre eux et pour la première fois, ils ne se sentent pas jugés ». D’un respect formel d’une obligation de soins, sans travail en profondeur sur les causes et circonstances de leur infraction, les délinquants sexuels passent à une véritable réflexion et expression sur leur passage à l’acte, dans un cadre rassurant et exempt de jugement. Au point que le SPIP de Charente se retrouve obligé « de limiter les séances car ils voudraient continuer » .
Cette expérience montre tout l’intérêt de rechercher de nouveaux modes d’intervention dans les cas où le suivi socio-éducatif ordinaire se révèle inadapté ou insuffisant. Philippe POTTIER estime que « ce type de stages pourrait être décliné sur de nombreuses problématiques ». Il précise que le service d’insertion et de probation (SPIP) peut prendre ces programmes en charge « seul ou en partenariat avec d’autres, ou encore le confier à des structures extérieures, l’essentiel étant que les dispositifs existent et que le conseiller d’insertion et de probation puisse y envoyer les personnes concernées » . Cette proposition nécessiterait l’élaboration de programmes sur la base des expériences éparses de quelques SPIP et des pratiques étrangères, leur diffusion par l’Administration pénitentiaire à l’ensemble des services et leur financement par les pouvoirs publics. L’utilisation de tels programmes apparaît urgente et nécessaire en France, alors qu’ils sont pratiqués depuis une vingtaine d’années dans d’autres pays. Or, il apparaît que l’expérience du groupe de parole du SPIP de Charente n’ait pas bénéficié du soutien nécessaire de la part de l’Administration pénitentiaire qui, non contente de ne pas diffuser et généraliser ce programme, a montré certaines réserves à le financer. Ainsi Philippe POTTIER explique que le projet a été « soumis avec insistance à la direction régionale des services pénitentiaires de Bordeaux », et a obtenu le financement nécessaire à son démarrage en 2000. Par la suite, « des problèmes de financement aboutirent à une interruption momentanée de ce travail en 2002. Ces problèmes résolus, le travail a repris en 2003, où deux nouveaux groupes ont été constitués et sont en cours de fonctionnement, l’un en milieu fermé et l’autre en milieu ouvert » . En 2004, une cinquantaine de délinquants sexuels avaient participé à ces groupes.
RECOMMANDATION
La CNCDH recommande la généralisation dans chaque département de groupes de parole pour les délinquants sexuels, ainsi que pour les auteurs de violences, notamment conjugales. L’Administration pénitentiaire, en collaboration avec le secteur psychiatrique, devrait être chargée d’assurer la mise en place de ces programmes sur la base des expériences existantes en France et à l’étranger.
Premier groupe de parole pour délinquants sexuels dans un SPIP
Genèse d’un projet. « Les personnels d’insertion et de probation de Charente ont été amenés à construire, à partir de 1998, un projet original. Intervenant à la maison d’arrêt et en milieu ouvert, ils se retrouvaient chaque semaine avec une psycholoque-psychanalyste en supervision (...) pour évoquer les dossiers posant problèmes ». Les cas de délinquants sexuels occupant une place de plus en plus importante dans leurs réflexions, ils aboutirent aux constats suivants : « La psychiatrie a des difficultés à inclure la délinquance sexuelle dans un cadre théorique » ; « Les processus défensifs développés par les délinquants sexuels (déni, minimisation, résistance à l’intégration des valeurs sociales...) font obstacle à l’adhésion aux soins. L’obligation de soins du cadre judiciaire se résume trop souvent à une contrainte administrative » ; « Les travailleurs sociaux du SPIP éprouvent des difficultés à aborder en face à face les problèmes liés à la sexualité, les tabous sociaux relayant le déni des faits des personnes suivies ». « L’entretien individuel trouve ainsi rapidement ses limites. L’idée de travailler à partir de groupes avait été évoquée », mais était restée latente, ce type d’intervention étant « peu développé en France, et pratiquement inexistant dans les SPIP, particulièrement en milieu ouvert ». L’idée s’est concrétisée suite à une formation organisée par la direction régionale au cours de laquelle est intervenu le Centre de recherche-action en sexo-criminologie de Bruxelles. La méthode présentée par ce centre « s’est peu à peu imposée ».
La méthode de « guidance ». Un premier projet a été rédigé par l’ensemble du service avec pour fondement : « le délinquant sexuel n’est pas d’abord un malade mais d’abord un délinquant ». « Le « groupe de parole de prévention de la récidive des délinquants sexuels de Charente » fut construit autour du concept de « guidance », peu fréquenté par les travailleurs sociaux français, mais beaucoup plus courant dans d’autres pays francophones. La guidance se trouve située dans le champ du traitement pénal, sa visée n’est pas le soin, ou la guérison, ou l’insertion sociale, mais explicitement la prévention de la récidive. Autrement dit, ce n’est pas le mieux-être de la personne qui est recherché, mais le développement de ses aptitudes à s’inclure dans les valeurs fondatrices de la société, basées sur le respect de l’autre et de sa liberté. La guidance n’est ni le contrôle, ni le traitement. Elle est une autre posture qui peut s’ajouter à celles-ci. Elle fonctionne avec une participation de la personne à ce qui lui est proposé. Elle intègre totalement, et de façon indispensable, le dossier judiciaire. Les animateurs du groupe de parole interviennent clairement au nom de la société, et non suite à une demande d’aide ».
Fonctionnement du groupe. Chaque groupe est animé par deux personnels d’insertion et de probation. Quinze séances d’1h30 sont programmées, à raison d’une toutes les trois semaines. « Les rencontres se déroulent au SPIP, ce qui signifie clairement que l’on est dans un lieu d’exécution de peine ». Après chaque séance, une réunion de bilan se tient entre les personnels du SPIP et la psychologue-psychanalyste, qui n’intervient pas dans les groupes.
« Les groupes sont constitués initialement de douze personnes, sélectionnées par le SPIP. (...) Les séances se déroulent selon un schéma prédéfini. Les animateurs accueillent les participants. Chacun s’installe en libre choix sur des chaises disposées en cercle. Le travailleur social en position d’animateur choisit alors sa place au milieu des participants, le co-animateur se plaçant debout, à proximité d’un tableau » sur lequel tous les échanges du groupe sont retranscris, y compris le nom des présents et des absents. « La participation au groupe est la seule information transmissible aux autorités judiciaires, le contenu des séances restant confidentiel. Les sujets abordés dans les séances sont définis à partir d’une trame générale, en fonction de l’évolution des réflexions du groupe. Citons comme exemples de thèmes : la loi, les idées ayant précédé le passage à l’acte, la chaîne délictuelle, la position de victime... ».
Le succès de la méthode. « Le délinquant est impliqué dans un travail collectif s’opposant au passage à l’acte individuel, aux non-dits et au silence imposé aux victimes. Il fonctionne par identification aux pairs : compréhension du discours de l’autre, respect de l’autre, et intégration des règles de fonctionnement du groupe, comme mini-société. Les délinquants sexuels viennent très régulièrement aux séances. Les rappels pour absence sont exceptionnels bien que le rythme des séances soit bien plus dense que celui des convocations individuelles. Le groupe est le seul lieu où ils peuvent évoquer les faits sans peur d’être « jugés », sans se heurter aux préjugés, afin de réfléchir sur leur passage à l’acte. Lors des bilans, ils disent avoir acquis une confiance en eux-mêmes, l’histoire des autres venant souvent éclairer leur propre histoire. Ils précisent avoir été surpris par leurs propos. Ce que permet le groupe, c’est la circulation de la parole. L’animateur n’est plus celui qui en connaît le plus sur le problème, ce sont les participants qui ont cette connaissance et la partagent. Les rappels à la loi ou à la réalité sont effectués par les participants eux-mêmes. Le SPIP n’est plus vécu comme un censeur, leur regard sur la justice change. Le sujet est désigné comme responsable, non du problème, mais des solutions qu’il peut y apporter. Les dénis s’estompent. Les bilans ont aussi fait ressortir que le respect des autres obligations (comme le remboursement des parties civiles ou l’obligation de soin) ont été respectées sans difficultés ».
Extraits de Philippe POTTIER, « Prévenir la récidive des délinquants sexuels, la pratique du SPIP de la Charente », AJ Pénal, Dalloz, février 2004.
b) Du côté des obstacles...
Au premier rang des obstacles au développement des programmes thématiques, les personnes auditionnées par la Commission évoquent le manque de moyens. A la question « pourquoi les stages thématiques ne se développent-ils pas plus ? », Patrick MADIGOU répond directement : « Tout est question de moyens ». Il ajoute que les SPIP ne peuvent développer des stages avec leurs partenaires sociaux, les moyens accordés à ceux-ci étant également « insuffisants, alors que sans eux, nous ne pouvons rien faire de plus que du suivi individuel » . Christine LE ROCH, chef de service au SPIP de Fleury-Mérogis, suggère en ce sens que les programmes thématiques soient davantage développés en tant que dispositifs de droit commun, dans lesquels pourraient s’inscrire notamment des personnes placées sous main de justice. Elle estime qu’un « groupe de parole sur l’alcool et la route pourrait intégrer toute personne orientée par un médecin, un psychiatre ou un CIP » . Il apparaîtrait en effet cohérent de généraliser dans l’ensemble des départements, après avoir procédé à une évaluation des besoins, des programmes ayant fait leurs preuves en France ou à l’étranger en matière de traitement de problématiques « criminogènes »... Ainsi en va-t-il au Québec où, pour la clientèle des juridictions provinciales (peines de prison de moins de deux ans et mesures en milieu ouvert), ce ne sont pas les services correctionnels qui développent de tels « programmes et services spécialisés », mais les différents ministères concernés. Ceux-ci développent et dispensent des programmes adaptés, « que ce soit pour le citoyen ordinaire ou pour la personne contrevenante », comme l’explique Pierre LALANDE, conseiller à la Direction du développement et du conseil en services correctionnels au Québec. « Ce sont donc les ressources de la communauté qui vont offrir ces programmes et services spécialisés en matière de violence conjugale, de déviance sexuelle, de pédophilie, d’alcoolisme et de toxicomanie », précise-t-il. Dans le cadre d’ententes avec un ministère ou un organisme, « des services adaptés aux besoins des personnes contrevenantes sont également dispensés, notamment en matière de traitement, de formation scolaire et d’emploi » .
Enfin, l’organisation de tels stages ou programmes nécessite de bien connaître son public et ses besoins. Or, le manque de diagnostics systématiques rassemblés dans une banque de données empêche les SPIP d’identifier quels seraient les programmes adaptés à leur public. « Des bilans cliniques permettraient de dégager des tendances globales, afin de développer des programmes adaptés aux problématiques criminogènes », explique Philippe POTTIER. Il estime ainsi que les SPIP éviteraient de « mettre en place des programmes à l’aveugle, sans savoir s’ils correspondent à [leur] public. Et de nous apercevoir qu’un programme de placement extérieur mis en œuvre pour remédier aux problèmes d’hébergement ne concerne que 2 % du public que nous suivons » .
Le risque de programmes systématiques. Hormis l’obstacle des moyens, certains professionnels de la probation redoutent un développement excessif des outils dits « comportementalistes », qui deviennent dans des pays comme le Royaume-Uni l’unique mode d’intervention des services de probation, en vertu d’une approche que l’on peut estimer « psychologisante », ou tout au moins partielle. Les personnels de probation entendus par la Commission reconnaissent que ces outils « peuvent très bien fonctionner pour certaines personnes, mais pas pour toutes » . Ils considèrent que « ces stages sont des outils qui peuvent correspondre à un moment donné, à une personne donnée. Mais nous devons adapter notre intervention à chaque personne afin d’avoir le plus d’impact possible » . Autant ils reconnaissent que certains stages peuvent être adaptés à certaines personnes dans certaines circonstances, autant ils récusent l’idée de « les proposer comme réponse systématique, ni comme solution exclusive de toute autre forme de suivi » . Ces outils devraient donc être utilisés parmi d’autres modes d’intervention dans le cadre du suivi socio-éducatif d’une personne, et non pas comme trame de l’ensemble de l’accompagnement.
Plus globalement, certains estiment que « l’approche comportementale tend à détourner l’attention des causes du passage à l’acte et à figer les personnes dans leurs symptômes » . Pour Jean-François BOULARD, conseiller d’insertion et de probation, les « outils comportementalistes utilisés au Canada dans le cas des agressions sexuelles apparaissent intéressants », car « le suivi individuel est très difficile et nous ne pouvons travailler que dans la contrainte ». En dehors de ces cas, l’utilisation de ces outils lui semble inadaptée, s’inscrivant dans une « tendance plus globale à désigner les justiciables comme seuls responsables de leurs actes, ignorant les facteurs socio-économiques. Comme nos sociétés souhaitent de moins en moins financer l’aide à l’insertion, est véhiculée l’idée selon laquelle l’activité délinquante résulte de la seule volonté des individus ». Ce conseiller d’insertion et de probation observe souvent une telle approche lorsqu’il assiste à des audiences pénales, au cours desquelles il estime que de nombreux substituts du procureur et juges du siège réduisent « la personne à son passage à l’acte et à sa « bonne » ou « mauvaise volonté » », ce qui relève selon lui d’une certaine ignorance « des réalités sociales et psychologiques qui génèrent les délits ». Ce CIP estime pour sa part que l’on ne peut réduire l’acte délinquant au « choix de commettre des délits ou aux efforts accomplis ». Plus précisément, il considère que « les gens ont beau être largement partie prenante de leur échec, cela ne signifie pas qu’ils ont la volonté d’échouer » .
Si l’ensemble de ces réserves émises par les personnels de probation doivent être prises en compte, il apparaît néanmoins à la Commission que la France est particulièrement éloignée du risque d’une utilisation abusive des outils comportementalistes ou des programmes thématiques. Alors que ces outils peuvent apporter des résultats très positifs lorsqu’ils sont bien utilisés, il pourrait être dommageable d’en priver les services de probation, ainsi que les « contrevenants », s’ils peuvent permettre d’amorcer la résolution de problèmes associés à leur délinquance. Cependant, il convient de les utiliser dans le cadre d’un suivi plus global intégrant les problématiques sociales, et non pas comme réponse exclusive. Le CONSEIL DE L’EUROPE encourage les Etats membres en ce sens, en estimant qu’une « attention particulière devrait être accordée à la conception de programmes et d’interventions destinés aux délinquants qui ont gravement récidivé ou qui risquent de le faire. Au vu de récents travaux de recherche, ces programmes et interventions devraient faire appel notamment aux méthodes cognitivo-comportementales, qui consistent à apprendre aux délinquants à réfléchir aux conséquences de leur conduite criminelle, à les amener à mieux se connaître et à mieux se contrôler, à reconnaître et à éviter les situations qui précèdent le passage à l’acte, et à leur donner la possibilité de mettre en pratique des comportements prosociaux » .
Exemples canadiens de programmes « efficaces »
La recherche criminologique canadienne fourmille d’exemples de programmes utilisant des techniques comportementalistes, avec un impact intéressant sur les taux de récidive. Le premier extrait est issu d’un article de trois universitaires évoquant des programmes développés au cours des années 1980. Le second extrait expose les fondements théoriques d’un programme destiné aux auteurs de violences familiales.
Une diminution de la récidive de 20 à 60 %. Au cours des années 1980, « certains services offerts aux délinquants en probation et en liberté conditionnelle suivaient un modèle de réadaptation dynamique selon lequel il était gratifiant de trouver des programmes bien conçus et intègres sur le plan thérapeutique. Certains de ces programmes avaient pour résultat une diminution de 20 à 60 % de la récidive chez les participants. (...) En quoi consistaient ces programmes ? Tout d’abord, le personnel appliquait les principes et les techniques des thérapies suivies. Deuxièmement, le personnel était surveillé de près par les concepteurs des programmes, qui possédaient eux-mêmes d’excellentes connaissances en traitement du comportement, et participait souvent à des séances de formation permanente. Troisièmement, on tenait également compte des différences individuelles entre les délinquants pour déterminer la façon de procéder. Enfin, les programmes étaient intensifs : les délinquants et leurs thérapeutes avaient des contacts fréquents et axés sur l’acquisition de compétences sociales. »
Extraits de Paul GENDREAU, Claire GOGGIN, Francis T. CULLEN, Donald A. ANDREWS, « Les effets des sanctions communautaires et de l’incarcération sur la récidive », dans Compendium 2000 des programmes correctionnels efficaces, dirigé par Laurence L. MOTIUK et Ralph C. SERIN, service correctionnel du Canada, Ottawa, 2001.
Un programme pour des auteurs de violences familiales. « Une intervention efficace doit reposer sur un modèle théorique exhaustif qui précise les objectifs du traitement afin d’agir sur les facteurs multiples qui influent sur la violence dans une relation. En ce qui concerne les délinquants maltraitants, nous croyons que l’intervention doit présenter les caractéristiques générales propres aux programmes correctionnels les plus efficaces pour réduire la récidive. D’après les méta-analyses et les examens théoriques, l’approche cognitivo-comportementale constitue la méthode de traitement la plus efficace pour réduire la récidive criminelle (Lipton, 1998 ; Lösel, 1995 ; Andrews & Bonta, 1994). (...) En outre, des méta-analyses ont révélé que les programmes correctionnels sont plus efficaces si :
- Ils sont structurés et bien ciblés, comportent des composantes de traitement multiples, visent le perfectionnement d’habiletés (sociales, scolaires et professionnelles) et utilisent des méthodes comportementales et cognitivo-comportementales (comportant des renforcements pour des comportements manifestes et clairement identifiés) ;
- Ils comportent des contacts utiles et constructifs entre le personnel de traitement et les participants (Sherman et al., 1997) ;
- Les programmes visent des objectifs de traitement qui sont des facteurs dynamiques liés au risque (dans ce cas, les attitudes et les compétences, la toxicomanie entrant aussi en ligne de compte) ;
- On a recours à des interventions basées sur des approches actives et participatives, comme le jeu de rôles, plutôt que des exposés didactiques passifs ;
- L’accent est mis non seulement sur le comportement inadapté des clients mais aussi sur le remplacement de celui-ci par un comportement prosocial. (...)
Les principaux objectifs du changement dans le contexte d’une intervention cognitivo-comportementale destinée aux agresseurs sont les suivants :
- Les attitudes et convictions irrationnelles ou déformées qui influent sur la manière d’évaluer la situation ou qui permettent à l’agresseur de nier ou de réduire sa responsabilité pour son comportement de violence. Les techniques cognitivo-comportementales servent à apprendre aux participants à analyser leurs modes de pensée puis à changer les fondements, hypothèses et attitudes qui les sous-tendent (Edleson, 1996). Après que les participants ont appris à reconnaître les convictions à l’origine d’un comportement sexiste et de violence, on leur présente des convictions, actions et comportements de rechange. (...)
- Les participants apprennent à surveiller leur niveau d’excitation et à reconnaître les indices d’une réaction de colère dans leurs relations. Ils apprennent ensuite à appliquer des techniques de maîtrise de la colère ou de l’excitation comme la relaxation, l’autopersuasion et le recadrage.
- Les problèmes d’autocontrôle. Depuis le milieu des années 1980, on enseigne aux délinquants, dans le cadre de programmes correctionnels, à prévoir des situations difficiles et à se prémunir contre des expériences négatives en appliquant des techniques de prévention des rechutes (Pithers, 1990). (...) Ce modèle aide le délinquant à reconnaître les facteurs qui ont contribué à son comportement violent et le dirige vers ses ressources internes (sa capacité modifiée à évaluer une situation et les habiletés d’adaptation qu’il a acquises) et vers les ressources externes (réseau de soutien) auxquelles il peut faire appel lorsqu’il fait face à des situations stressantes (à risque élevé). »
Extraits de Lynn STEWART, Jim HILL et Janice CRIPPS, « Le traitement de la violence familiale dans les milieux correctionnels  », dans Compendium 2000 des programmes correctionnels efficaces, dirigé par Laurence L. MOTIUK et Ralph C. SERIN, service correctionnel du Canada, Ottawa, 2001.
3 - UNE PRATIQUE « ARTISANALE »
Au regard des méthodes et moyens déployés au Canada et dans certains pays d’Europe, la pratique française en matière de probation apparaît encore « artisanale », en dépit de sérieux efforts de professionnalisation. Le personnel d’insertion et de probation accumule un savoir empirique, mais celui-ci ne peut s’appuyer sur des travaux scientifiques - presque inexistants en France - ni sur des outils méthodologiques qui auraient été élaborés à leur intention. La France a très peu développé la filière de criminologie, discipline quasiment inexplorée et peu enseignée. Enfin, le manque d’évaluation nuit fortement à la lisibilité du suivi en probation et à l’ajustement des pratiques professionnelles.
3-1 - UN MANQUE DE METHODES ET D’OUTILS PROFESSIONNELS
L’occasion de la création des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) en 1999 n’a pas été saisie pour élaborer un cadre méthodologique qui faisait déjà défaut aux Comités de probation et d’assistance aux libérés (CPAL). Les SPIP en sont juste à acquérir une culture de l’écrit, qui représente un pas important vers la professionnalisation. Enfin, les services de probation français ne disposent quasiment d’aucun écrits et outils professionnels, notamment en termes d’évaluation du risque de récidive.
a) L’apparition de l’écrit
La réforme de 1999 ayant entraîné une autonomisation des services de probation à l’égard des juges de l’application des peines, une série d’écrits supplémentaires ont été imposés aux travailleurs sociaux, afin de maintenir un contrôle du juge sur l’exécution des mesures et de mieux protéger le justiciable. Le Code de procédure pénale précise que les travailleurs sociaux doivent « fournir au magistrat mandant, à sa demande ou de leur propre initiative, tous éléments d’information lui permettant de prendre en compte les mesures adaptées ». Ils doivent également adresser au juge « un rapport d’évaluation », « chaque semestre à compter de la saisine du service et à l’issue de la mesure de suivi » (article D.575 du CPP). La judiciarisation des procédures d’application des peines a également entraîné une augmentation des écrits demandés au SPIP, qui viennent s’ajouter aux rapports d’audience demandés en cas de nouvelle comparution d’une personne connue du service de probation.
Les apports de l’écrit. L’ensemble des professionnels de la probation rencontrés par la Commission considèrent le développement de l’écrit au sein de leur profession comme une avancée. Ils reconnaissent généralement comme légitime l’exigence de transparence à l’égard de leurs activités. Philippe POTTIER, directeur de SPIP, constate que « désormais, tout passe par des écrits. Il s’agit d’une avancée, les procédures étant plus transparentes et respectant mieux les droits des personnes, qui doivent savoir qui a donné quel avis » . Christine LE ROCH, chef de service au SPIP de Fleury-Mérogis, estime de son côté que « la part administrative a pris une place beaucoup plus importante dans le métier de CIP. Beaucoup d’écrits nous sont demandés désormais, ce qui n’est pas un mal en soi » . Certains relèvent même combien l’écrit leur permet d’apporter des améliorations à leur exercice professionnel. Jean-François BOULARD estime ainsi que « la réforme a permis d’instaurer un système d’écrits qui fonctionne bien, alors qu’aucun compte nous était demandé auparavant, ce qui entraînait certains abus ». Il ajoute que, pour les personnels eux-mêmes, l’introduction de l’écrit « permet de mieux évaluer [leur] propre travail et de clarifier [leurs] interventions » . Les juges de l’application des peines vantent également les mérites d’une introduction de l’écrit qui a permis « d’accélérer la professionnalisation du milieu ouvert, les travailleurs sociaux étant obligés d’objectiver leurs rapports en n’étant plus en contact direct et permanent avec le JAP ». Michaël JANAS explique ainsi que les SPIP sont passés, avec la réforme de 1999, « d’une culture de l’oralité très subjective à une culture de l’écrit, dans laquelle il faut tout justifier ». Cette évolution représente une véritable « garantie pour la qualité des décisions du JAP et les droits du justiciable » .
Trop d’écrits tue l’action ? Les mêmes professionnels de la probation alertent néanmoins sur le risque pour eux de passer plus de temps à rédiger des rapports qu’à effectuer le travail de suivi des personnes. Ainsi, plusieurs CIP disent consacrer les trois-quarts de leur temps de travail à de « la paperasserie et des réunions », et un quart aux entretiens . Patrick MADIGOU, directeur du SPIP de Paris, souligne que « le travail de ‘rendu compte’ est devenu très important depuis la création des SPIP », ce qui implique qu’un travailleur social « ne peut pas rencontrer plus de vingt condamnés par semaine parce qu’il a aussi des rapports, comptes-rendus et convocations à effectuer » . Dès lors, certains CIP peuvent avoir tendance à rédiger des rapports-type qui n’apportent pas un niveau d’information satisfaisant. D’autres se refusent à privilégier les rapports semestriels au détriment du temps passé en entretien avec les personnes suivies. Nathalie GIGOU explique que, dans son service, « la priorité est de prendre en charge les personnes avant de faire des rapports. Nous essayons de faire entendre aux JAP qui se plaignent de ne pas recevoir les rapports semestriels dans les temps la chose suivante : pour faire les rapports il faut que nous puissions voir les personnes, et le temps que nous passons à rédiger les rapports, nous ne le passons pas avec les personnes » . Pour Philippe POTTIER, les écrits demandés sont trop nombreux et les rapports semestriels pourraient être supprimés, dans la mesure où « le moindre problème dans l’exécution d’une mesure est signalé au JAP par le travailleur social, qui n’attend pas de rédiger le rapport semestriel ». Un rapport semestriel pour 140 000 personnes suivies représente à son sens « beaucoup de paperasse inutile et de temps perdu, alors que les rapports d’incident n’interviennent par définition qu’en cas d’incident, soit dans 20 % des cas de mise à l’épreuve ». Il considère qu’à l’époque de la réforme des SPIP, ces rapports « ont été maintenus pour que les JAP conservent une forme de contrôle sur l’activité du service, passant sous la responsabilité pénitentiaire. Aujourd’hui, il me semble que nous pourrions passer à autre chose » .
Les différents rapports (semestriels, d’incident, d’audience...) interviennent en outre dans le cadre de la mise en place d’un nouveau logiciel « APPI » dans les services pénitentiaires, qui apparaît pour le moment « chronophage » selon Christine LE ROCH. Elle explique qu’il faut « intégrer un grand nombre d’éléments dans l’ordinateur, c’est beaucoup plus long que d’écrire dans un dossier le compte-rendu d’un entretien ». Et de conclure : « L’on en vient à une bureaucratisation du métier un peu excessive » .
L’ensemble de ces critiques ne vient pas remettre en cause l’intérêt de demander aux CIP de rendre compte de leur action et d’informer les JAP de l’évolution de la personne suivie. Cependant, il apparaît nécessaire d’envisager des dispositions visant à rationaliser et simplifier la dimension de compte-rendu dans le travail de probation.
RECOMMANDATION
Afin de rationaliser et simplifier la part de compte-rendu dans le travail de probation, la CNCDH propose à la direction de l’Administration pénitentiaire de procéder, avec les directeurs de SPIP et les représentants des juges de l’application des peines, à un accord visant à identifier les écrits indispensables et ceux qui pourraient être supprimés ou modifiés.
b) Une culture professionnelle peu développée
La comparaison avec les outils mis à disposition des services de probation de certains pays met en lumière le retard accumulé par la France s’agissant de la réflexion sur le suivi des personnes en milieu ouvert. Les SPIP ne disposent que rarement d’espace de communication sur leurs pratiques ou d’outils professionnels, notamment concernant le diagnostic et l’évaluation du risque de récidive. Ils pâtissent aussi d’un manque de diffusion et d’enseignement des résultats de la recherche internationale, ainsi que des « bonnes pratiques » développées par d’autres SPIP.
L’absence de culture professionnelle. C’est le cri du cœur d’un conseiller d’insertion et de probation : « Notre métier souffre d’une grande pauvreté d’écrits de fond. Par exemple, nous n’avons pas de charte professionnelle. Les circulaires méthodologiques publiées par l’administration renvoient à des aspects très bureaucratiques, expliquant quel type de rapport effectuer dans telles circonstances » . Pour le CONSEIL DE L’EUROPE, l’activité des services de probation devrait pourtant « reposer sur une déclaration de principes qui en décrive la fonction, les objectifs et les valeurs fondamentales ». Cette déclaration devrait notamment traiter des « obligations et droits des délinquants », de « l’offre efficace d’interventions et de programmes favorisant la réinsertion des délinquants », ou encore de « la responsabilité opérationnelle de ces services en matière de sécurité de la communauté » .
Outre l’absence de charte professionnelle, les conseillers d’insertion et de probation ne disposent pas de revue professionnelle ni d’informations officielles sur les pratiques des autres SPIP. Les séminaires de formation se font rares, une fois les CIP sortis de l’Ecole nationale de l’Administration pénitentiaire. La « faiblesse des débats professionnels » à l’intérieur des services avait été particulièrement soulignée par l’étude d’Antoinette CHAUVENET, Catherine GORGEON, Christian MOUHANNA et Françoise ORLIC sur le milieu ouvert en 1999. Néanmoins, il apparaît que les débats « internes » sur les pratiques se soient nettement développés depuis la création des SPIP. Les chercheurs avaient également constaté que « les travailleurs sociaux abordent très peu les références techniques et théoriques, la formation, les lectures, l’éthique qui guident leur pratique ». D’autre part, ils avaient relevé le manque de groupes de réflexion sur certains cas ou certaines problématiques, soit que les tentatives de mise en place de tels groupes n’aboutissent pas, soit que les personnels y participent peu. Alors que tous les travailleurs sociaux interrogés par les chercheurs « déplorent cette situation » et considèrent « comme indispensable et fondamental le débat », c’est à l’extérieur de l’institution qu’ils vont rechercher « les lieux de formation, de réflexion critique, de supervision ou de contrôle de l’éthique de leur pratique ». Entre collègues, les personnels de probation échangent peu dans certains services, jusqu’à développer une « véritable imperméabilité des pratiques des uns au regard des autres » ainsi qu’une « norme implicite qui impose le respect de ‘l’autonomie’ de chacun ». Et les chercheurs de conclure que l’institution « ne peut aujourd’hui fonctionner comme un lieu de débat et n’est plus un lieu d’apprentissage collectif », ce qui relève d’un phénomène de « déprofessionnalisation collective ou de déculturation institutionnelle » . De tels constats perdurent probablement dans certains services, mais les personnels de probation rencontrés par la Commission déplorent davantage aujourd’hui le manque de débats entre services, ne permettant pas de connaître les pratiques des autres SPIP, ainsi que le manque d’écrits de fond et de références théoriques. Comme nous l’avons signalé à propos du « module dialogue citoyen » mis en place dans les Yvelines, ou du groupe de parole pour délinquants sexuels en Charente, les directions régionales et la direction centrale de l’Administration pénitentiaire n’assument pas leur rôle de diffusion, d’évaluation, et de généralisation des « bonnes pratiques » initiées par certains SPIP. Alors qu’elles devraient également chercher à les susciter, les autorités pénitentiaires pourraient dans un premier temps organiser un système de diffusion des expérimentations réussies, et systématiser un processus d’évaluation et de généralisation.

RECOMMANDATION
La Commission estime nécessaire que la direction de l’Administration pénitentiaire organise la diffusion, l’évaluation et la généralisation éventuelle des « bonnes pratiques » de certains services d’insertion et de probation (SPIP) à l’ensemble du milieu ouvert.
L’exemple des outils d’évaluation du risque. Alors que les criminologues canadiens insistent sur la nécessité d’évaluer le risque de récidive et d’y adapter la nature du suivi et l’intensité du contrôle, les services de probation et juges de l’application des peines français « ne disposent pas d’autre outil que leur bon sens » pour évaluer et prévenir le risque de récidive, déplore Jean-Pierre BAILLY . Lorsqu’on interroge un conseiller d’insertion et de probation (CIP) sur ses techniques d’identification d’un tel risque, il répond avoir pour seul critère « son expérience de milliers d’entretiens. Il s’agit d’essayer de comprendre le pourquoi de l’infraction, le désir de la personne de s’en sortir et les efforts qu’elle fournit pour ce faire, l’investissement dans sa thérapie en cas d’obligation de soins... » . Jean-Pierre BAILLY rappelle qu’un service de probation québécois travaille pour sa part avec de véritables « outils et indicateurs d’évaluation du risque et de prévention de la récidive » , à propos desquels Christine LE ROCH indique qu’« aucune information n’est diffusée [aux CIP] par [leur] administration, pas même au cours de [leur] formation » . Patrick MADIGOU, qui estime lui aussi que les SPIP manquent « surtout d’outils professionnels », indique ainsi que « des grilles de diagnostic ont été créées, mais sans être basées sur des études scientifiques, dont nous aurions besoin pour affiner l’évaluation du risque de récidive et sa prévention » .
Des outils diagnostiques adaptés à chaque programme
Outre des grilles de diagnostic « généralistes », les Canadiens développent de plus en plus des outils d’évaluation du risque de récidive spécifiques pour chaque programme mis en oeuvre en direction d’une catégorie de personnes ou d’infractions. Ainsi, des programmes de « traitement » des auteurs de violences familiales utilisent un outil spécifique pour évaluer le risque de réitération.
« Le Spousal Assault Risk Assessment Guide (SARA) est un outil qui a été élaboré expressément pour évaluer le risque de violence conjugale future (Kropp, Hart, Webster & Eaves, 1995). Les éléments ont été choisis à partir d’une analyse rétrospective des antécédents de conjoints violents connus. L’outil aide le gestionnaire de cas à examiner le dossier et les renseignements provenant des entrevues. À l’heure actuelle, il n’existe pas de seuils permettant de classer le risque. Cependant, une fois que le sujet a répondu aux questions, l’évaluateur doit déterminer s’il présente un risque faible, moyen ou élevé de violence future contre son conjoint ou d’autres personnes. SARA est composé d’éléments qui appartiennent à quatre grandes catégories : antécédents criminels, antécédents de violence conjugale, caractéristiques de l’infraction à l’origine de la peine actuelle et adaptation psychosociale. Généralement, les trois premières catégories sont relativement statiques, même si certains aspects, comme la minimisation ou la dénégation des antécédents de violence conjugale, peuvent changer avec le temps. Dans la catégorie de l’adaptation psychosociale, nombre d’éléments gravitent autour du fonctionnement récent (par exemple, problèmes récents dans une relation), tandis que quelques-uns portent sur des aspects passés (par exemple, le fait d’avoir été témoin/victime de violence familiale dans l’enfance). SARA permet de cerner des aspects critiques qui aident le clinicien à noter des aspects qu’il estime essentiels dans son évaluation finale du risque. Même si seulement quelques éléments sont cochés dans le protocole d’une personne, cette dernière peut être jugée à risque élevé à cause d’un ou de deux éléments critiques. Inversement, une personne peut avoir un score total élevé mais être jugée à faible risque parce que tous les éléments se rapportent à des incidents survenus il y a plusieurs années ».
Extraits de Lynn STEWART, Jim HILL et Janice CRIPPS, « Le traitement de la violence familiale dans les milieux correctionnels », dans Compendium 2000 des programmes correctionnels efficaces, dirigé par Laurence L. MOTIUK et Ralph C. SERIN, service correctionnel du Canada, Ottawa, 2001.
Les services de probation français ne manquent pas seulement d’outils de mesure du risque de récidive, mais aussi d’outils permettant de mieux évaluer la nature du suivi à mettre en œuvre pour chaque personne. Là encore, les services de probation québécois disposent d’un outil scientifique essentiel au démarrage de la prise en charge d’une personne en milieu ouvert. Tous les agents de probation du Québec utilisent depuis peu une nouvelle version d’un outil « actuariel » d’évaluation intitulé Level of Service/Case Management Inventory (LS/CMI), servant à mesurer le risque et les besoins de la personne contrevenante ainsi qu’à élaborer un « plan d’intervention correctionnel » adapté en termes de modalités d’encadrement, en fonction des résultats obtenus et de l’appréciation du professionnel. En ce qui concerne les pratiques du service correctionnel du Canada (pour la clientèle fédérale), Ralph C. SERIN indique qu’ « avant et après une intervention, il faut soumettre les délinquants à une batterie complète de tests d’évaluation basés sur diverses méthodes », permettant d’évaluer les domaines qui « constituent des cibles raisonnables de traitement » et serviront ensuite de base « pour évaluer les gains accomplis au cours du traitement ». D’autres types d’outils, les « mesures du processus » permettent ensuite d’évaluer quels sont les aspects du programme qui contribuent au changement de la personne suivie .
Le manque d’outils à disposition des services de probation français s’explique en grande partie par le manque de recherches criminologiques et de programmes de « recherche-action » entre SPIP et universités. Les recherches en sciences sociales portent presque exclusivement sur le milieu fermé, ce qui relève, selon les personnels de probation rencontrés par la Commission, d’un manque d’intérêt général pour le milieu ouvert : « La prison attire plus que le milieu ouvert », regrette Patrick MADIGOU .
3-2 - UN MANQUE D’EVALUATION ET DE RECHERCHE CRIMINOLOGIQUE
L’exécution et l’impact des mesures de milieu ouvert ne fait quasiment l’objet d’aucune évaluation. Hormis quelques données statistiques et les observations des professionnels de terrain, nous ne savons rien en France sur ce qui fonctionne et ne fonctionne pas dans la prise en charge des mesures alternatives à la détention. De même, l’effet « alternatif » ou non de ces mesures telles qu’elles sont utilisées par les magistrats a attiré l’attention de quelques chercheurs, mais pas celles des responsables politiques. Plus globalement, la définition des politiques pénales semble rarement s’inspirer des résultats de la recherche et les passerelles entre les mondes de la recherche et de la politique apparaissent peu développées.
a) Culture et pratiques d’évaluation
La France est connue pour son absence de culture d’évaluation des politiques publiques, ce en quoi la politique pénale ne fait pas exception. Le chercheur Christian MOUHANNA explique qu’en France, « seule la décision est valorisée. Les gouvernants annoncent un projet de loi, mais se préoccupent peu de savoir si elle sera bien appliquée. Ce n’est pas propre à l’institution judiciaire ». Il précise que « le système éducatif et politique issu du modèle de l’ENA valorise la décision, la conceptualisation, mais pas l’application concrète, appréhendée comme une question d’intendance » . Dès lors, il n’est pas étonnant de voir le député Jean-Luc WARSMANN constater, dans son rapport sur les mesures alternatives, que « l’évaluation systématique des dispositifs mis en place dans un domaine précis n’est pas encore vraiment rentrée dans les mœurs, spécialement au sein de l’institution judiciaire » . Au sein du secteur pénal, le milieu ouvert fait en outre office de parent pauvre comparativement au milieu fermé. Un certain nombre de statistiques sont disponibles et l’Administration pénitentiaire tente d’améliorer le recueil de données. Mais au plan qualitatif, il est possible d’affirmer que nous ne disposons quasiment d’aucune donnée scientifique. Or, il apparaît évident que « le manque de recherches participe au peu de connaissance et de crédibilité des mesures de milieu ouvert », comme le rappelle Patrick MADIGOU .
Evaluations quantitatives. Les seules données chiffrées disponibles sur le milieu ouvert concernent le nombre de personnes suivies par les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), mesure par mesure. Or, l’une des premières interrogations des professionnels de la justice, et des juges du siège en particulier, concerne le taux de mise à exécution des mesures alternatives. Un tel chiffre n’est ni disponible au plan national, ni systématiquement au plan local. Si bien que certains magistrats restent convaincus que ces mesures ne sont pas mises à exécution, en dépit de nets progrès réalisés ces dernières années. La proportion de décisions judiciaires en cours d’exécution, de celles qui n’ont pas été suivies d’un envoi à exécution et de celles ayant entraîné l’ouverture d’un casier judiciaire n’est pas suffisamment connue. De même, il est impossible de savoir combien de mesures et peines alternatives ont été menées à terme, combien ont été interrompues ou combien d’inexécutions ont été sanctionnées par une incarcération. La COUR DES COMPTES souligne en particulier que le « sursis avec mise à l’épreuve (SME) qui, à lui seul représente quantitativement l’essentiel des mesures alternatives à l’incarcération (80 %) ne fait l’objet d’aucun suivi particulier par l’Administration pénitentiaire qui n’est même pas en mesure de préciser la proportion de sursis remis en cause » .
Par ailleurs, la principale source de données que constitue l’inscription au casier judiciaire a tendance à s’appauvrir au fil des années, certaines variables disparaissant des statistiques. Des indicateurs tels que la catégorie socioprofessionnelle des condamnés ou le type de procédure ont disparu. « Alors qu’il serait essentiel de prendre en compte à la fois comment le prononcé des mesures évolue dans le temps, comment les pratiques pénales varient géographiquement et aussi selon les personnes concernées, nous ne disposons que de quelques informations sur chacune de ces dimensions », regrette le chercheur Bruno AUBUSSON DE CAVARLAY. De même, « nous disposons des condamnations par types d’infractions et de peines mais nous ignorons lesquelles ont été prononcées en comparution immédiate ou dans le cadre d’une autre procédure » . Enfin, les données sur la récidive comme les taux de nouvelle condamnation ou de nouvelle affaire ne figurent pas parmi les chiffres disponibles et des recherches spécifiques doivent être entreprises pour les mesurer.
De leur côté, les juges du siège ne disposent que rarement d’une information précise sur le nombre de places disponibles en milieu ouvert. Les magistrats auraient besoin qu’un simple tableau de bord soit mis à leur disposition par l’Administration pénitentiaire, afin de visualiser en temps réel le niveau d’occupation des établissements pénitentiaires de leur ressort, ainsi que le nombre de places en milieu ouvert (capacité de suivi des sursis avec mise à l’épreuve, nombre de postes de TIG, nombre de bracelets électroniques...). Interrogé sur l’absence d’un tel dispositif, le directeur de l’Administration pénitentiaire, Claude D’HARCOURT, estime pour sa part que « les statistiques pénitentiaires sont à disposition de tout le monde » et qu’il ne lui « semble pas compliqué pour un président de tribunal de demander à la maison d’arrêt de son ressort ses statistiques de détention » . Pour autant, il apparaît quelque peu archaïque d’imaginer chaque président de tribunal téléphoner chaque jour à l’Administration pénitentiaire pour prendre connaissance du nombre de places disponibles pour chaque mesure. Un système informatisé et automatisé améliorerait très certainement la visibilité et la capacité de décision des juges du siège. Un tel dispositif a d’ailleurs été prévu par la circulaire du 27 avril 2006 relative aux aménagements de peine et aux alternatives à l’incarcération. Afin que les magistrats puissent « disposer d’une information fiable, actualisée et complète des possibilités d’aménagement de peine et alternatives à la détention du ressort », la circulaire annonçait qu’une cartographie « illustrant par direction régionale des services pénitentiaires le nombre de places offertes sous le régime du placement sous surveillance électronique et de la semi-liberté sera élaborée ». La circulaire informait également que les directeurs régionaux des services pénitentiaires devraient « communiquer chaque semaine, par voie électronique, aux chefs de cours d’appel de leur ressort, un tableau faisant état des capacités d’accueil et du taux moyen d’occupation relatifs aux mesures de placement sous surveillance électronique, de semi-liberté et de placement à l’extérieur », ainsi qu’une information relative aux postes de travail d’intérêt général et aux stages de citoyenneté. Il a également été établi qu’il appartenait aux « directeurs régionaux des services pénitentiaires de communiquer régulièrement des informations (...) aux chefs de cours d’appel de leur ressort » concernant « les modalités pratiques de mise en œuvre de ces mesures, voire sur la réalité de leur exécution » . Néanmoins, l’application de ces dispositions devrait être évaluée, car il semblerait que l’ensemble des juridictions ne reçoive pas toutes ces données comme la circulaire le prévoit.
D’autre part, si les données statistiques de l’Administration pénitentiaire sont fournies aux juridictions qui en font la demande, les seuls chiffres accessibles au-delà de la sphère judiciaire sont contenus dans le document « Les chiffres clés » depuis l’interruption de la publication du rapport d’activités de l’Administration pénitentiaire. Or, ce document n’offre qu’un aperçu rapide et superficiel de la situation du milieu ouvert. Depuis le 1er janvier 2007, la direction de l’Administration pénitentiaire a mis en ligne une version réduite de sa statistique mensuelle. Néanmoins, ce document ne concerne que « la population écrouée et détenue en France » et ne contient dès lors quasiment aucune donnée sur le milieu ouvert, à l’exception des mesures de placement sous surveillance électronique et placement extérieur.
Les magistrats, les personnels de probation et leurs partenaires auraient également besoin de connaître les résultats de l’exécution des mesures de milieu ouvert dans leur juridiction, notamment en termes de récidive. Or, Philippe POTTIER explique qu’au sein du SPIP de l’Essonne, « nous ne sommes même pas en mesure de livrer des statistiques sur le nombre de personnes que nous reprenons en charge, pour quelles raisons, quels sont leurs profils, comment s’y adapter... » . Même situation pour le SPIP de Paris, dont le directeur s’est retrouvé récemment incapable de répondre à un partenaire de la mairie de Paris qui lui demandait le taux de récidive des « tigistes » pris en charge par la municipalité. « Je ne dispose pas de ce chiffre. C’est dommage, car ce serait aussi important pour les structures d’accueil de pouvoir mesurer l’impact de leur coopération », explique-t-il .
Quant à « l’harmonisation de l’outil informatique, et la mise en œuvre d’applications statistiques » préconisées par le rapport WARSMANN , elles ne semblent pas en voie d’être atteintes. Les difficultés à recouper les données issues de l’Annuaire statistique de la justice et celles de l’Administration pénitentiaire perdurent, avec de nombreuses incohérences. Philippe POTTIER souligne qu’« une démarche d’évaluation est [actuellement] initiée [par l’Administration pénitentiaire], notamment avec la LOLF ». Il explique par exemple qu’il est demandé aux SPIP « d’indiquer le nombre de mesures qu’ils peuvent prendre en charge à un instant t ». Néanmoins, il n’est pas certain que les chiffres indiqués par les services seront totalement « fiables, au même titre que certaines statistiques de la police. Lorsqu’un service comprendra qu’il sera bien noté ou pourvu de moyens supplémentaires s’il propose beaucoup de places en placement à l’extérieur, va-t-il résister ? ». C’est pourquoi Philippe POTTIER insiste sur la nécessité de ne « pas se contenter d’évaluations purement administratives » et d’effectuer « un travail d’évaluation plus en profondeur, de nature criminologique » . La direction de l’Administration pénitentiaire a beau avoir mis en place le logiciel APPI, celui-ci semble ne pas entraîner dans l’immédiat une amélioration des connaissances en ce qui concerne le milieu ouvert, notamment du fait de sa lourdeur d’utilisation. Ainsi, les personnes ayant accès à des données approfondies émanant de l’Administration pénitentiaire ont-elle pu lire dans un document élaboré par la cellule statistique PMJ1 du 1er trimestre 2005 que le « recensement des interventions et enquêtes réalisées au cours de l’année 2004 » n’a pu « être mis à jour en raison d’un fort sous enregistrement des interventions dans APPI » . En clair, les personnels des SPIP n’enregistrent pas toutes les données nécessaires pour établir des statistiques nationales. Nathalie GIGOU, conseillère d’insertion et de probation au SPIP de Melun, confirme que l’Administration pénitentiaire « souhaite par le biais du logiciel APPI déterminer plus précisément les profils des personnes prises en charge ». Mais elle se heurte en pratique « au fait que tous les personnels ne renseignent pas l’ensemble des données demandées (état civil, situation administrative, situation financière...). Les personnels administratifs qui seraient les plus à même de remplir ces grilles ne sont pas disponibles. Les travailleurs sociaux manquent de temps, et parfois d’envie, pour communiquer des données privées sur les personnes suivies sans savoir l’utilisation qui en sera faite » . Il apparaît dès lors que la direction de l’Administration pénitentiaire devrait faire montre de plus de transparence, en premier lieu à l’égard de ses personnels, sur la manière dont elle compte utiliser les données recueillies autant que sur les bilans finaux qui en résultent.
Dans le même sens, une évaluation du fonctionnement des SPIP a été réalisée conjointement par les Inspections générales des services judiciaires et pénitentiaires, mais elle n’a pas été rendue publique, pas même au sein de la magistrature ni du secteur de la probation. La CNCDH s’est même vue opposer un refus de la direction de l’Administration pénitentiaire pour accéder à ce document. Un manque de transparence dommageable à l’image de cette administration, qui a pris pour habitude de tenir secrètes les rares évaluations effectuées sur ses services. Lors de son audition par la Commission, le directeur de l’Administration pénitentiaire affirmait que le réel clivage sur la question pénitentiaire se situait « entre ceux qui connaissent la prison et ceux qui ne la connaissent pas ». Et d’estimer que « ceux qui écrivent ou font des déclarations sur la prison manquent souvent d’humilité » . Or, il apparaît quelque peu paradoxal de refuser d’une part de communiquer des évaluations et rapports d’enquête, et de regretter d’autre part la « mauvaise » qualité de l’information qui serait diffusée sur l’activité des services pénitentiaires.
RECOMMANDATIONS
- Le traitement des données statistiques concernant le milieu ouvert doit être amélioré. Des données telles que le taux de mise à exécution des mesures alternatives, la proportion de mesures menées à terme, le taux de récidive en cours d’exécution d’une mesure et dans l’année suivante, ou encore le taux d’inexécutions sanctionnées par une incarcération, devraient impérativement être recensées et diffusées, notamment aux magistrats et aux personnels de probation.
- Un système informatisé et automatisé devrait permettre aux juges du siège et de l’application des peines d’être informés en temps réel du nombre de places disponibles en milieu ouvert ou des délais de prise en charge des différentes mesures par le SPIP.
Evaluations qualitatives. « D’un point de vue qualitatif, nous ne savons presque rien », constate Philippe POTTIER, ancien directeur de SPIP en poste à la direction de l’Administration pénitentiaire. Ainsi, un SPIP n’est pas en capacité de mesurer précisément « en quoi la situation des personnes a changé entre le début et la fin de la mesure » ni ce qui se passe « une fois la mesure exécutée ». Dès lors, chaque conseiller d’insertion et de probation doit se forger sa propre « idée sur la base des cas individuels qu’il rencontre » . Ce manque de connaissances entraîne une absence de visibilité pour les travailleurs sociaux sur l’impact de leur intervention, qui peut d’une part s’avérer démobilisante, et d’autre part nuire à une évolution des pratiques professionnelles. Les personnels de probation « voient les personnes qui récidivent et reviennent, mais jamais les réussites », déplore Patrick MADIGOU, directeur du SPIP de Paris. Il se dit « intimement convaincu » de l’efficacité du milieu ouvert en termes de prévention de la récidive, mais il aurait besoin de disposer d’une « évaluation fine de ce qui fonctionne ou non dans notre intervention » . Outre l’évaluation du suivi socio-éducatif, les programmes thématiques qui commencent à apparaître en France devraient faire l’objet « d’évaluations régulières, afin de s’assurer de la pertinence des dispositifs », comme l’avait préconisé le rapport WARSMANN. De telles évaluations pourraient s’inspirer « des modèles anglo-saxons, et développer de larges collaborations avec les universités pour assurer une évaluation fine des programmes de réinsertion qui devraient être expérimentés » .
Outre le manque de recherches au plan national, il n’existe pas non plus de tradition d’évaluation des politiques pénales au niveau local. Selon Jacques FAGET, les réunions au sein des juridictions sont « extrêmement formelles » et les praticiens ne procèdent pas à « des évaluations étayées permettant de déterminer ce qui marche et comment améliorer les choses ». Ainsi apparaît-il nécessaire de « former les magistrats et les travailleurs sociaux à la pratique de l’évaluation critique pour savoir de façon plus systématique ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas » . De telles évaluations pourraient servir, non seulement de base à une évolution des pratiques locales, mais également de fondement à un développement national des pratiques les plus efficaces et innovantes. En particulier, des évaluations du fonctionnement des SPIP en France devraient être réalisées. Il s’agirait d’évaluations indiquant la rapidité de mise à exécution des mesures par le SPIP, le nombre de mesures en attente, le type de prise en charge effectuée, le ratio de dossiers par travailleur social, mais aussi les caractéristiques des personnes suivies, les programmes et initiatives développés par le SPIP, les effets des différentes formes de suivi sur le parcours des délinquants, les méthodes et outils utilisés, les problématiques professionnelles des personnels de probation, leur façon de mettre en œuvre les nouvelles législations, de fixer des priorités, d’intégrer de nouvelles recrues... La perception et la réception des mesures par les personnes suivies devrait également être étudiée : comment perçoivent-ils ces mesures pénales en milieu ouvert, les personnels chargés de leur mise en œuvre, les bénéfices qu’ils peuvent en retirer, etc.
Sur un plan méthodologique, des outils d’évaluation ne devraient pas se contenter du critère de la récidive, qui ne signifie pas forcément un échec de l’intervention judiciaire. Le service correctionnel du Canada alerte ainsi sur le risque de « privilégier la récidive comme indice de l’efficacité d’un traitement », notamment parce qu’il y a « plusieurs facteurs liés à la récidive ». Ainsi, une personne peut aussi bien récidiver que mettre un terme à ses passages à l’acte pour des raisons extérieures au « traitement pénal ». En outre, si un délinquant violent commet un autre acte de violence, mais que, « par rapport à ses antécédents, cet acte met plus de temps à se produire, consiste en un incident moins grave et entraîne moins de blessures à la victime, peut-on dire catégoriquement qu’il s’agit d’un échec ? » . Jacques FAGET ajoute que « tout criminologue débutant sait que la récidive se calcule sur la base de ceux qui se sont fait prendre. Certains continuent de passer à l’acte de façon moins visible et plus maligne. Il faudrait trouver le moyen de prendre en compte d’autres éléments que la récidive, élaborer par exemple des indicateurs d’insertion afin d’évaluer finement la trajectoire des condamnés » . Le service correctionnel du Canada recommande en ce sens d’utiliser des outils tels que les « analyses de survie », permettant d’évaluer précisément les différentes actions mises en œuvre par la personne pour améliorer sa situation personnelle et sociale, ainsi que « les cotes systématiques du comportement » permettant de « préciser le moment, au cours d’un programme, auquel des progrès se sont manifestés » . Dans le même sens, le CONSEIL DE L’EUROPE recommande de ne pas « se contenter de relever les condamnations prononcées après des mesures de prise en charge », mais d’intégrer des critères « plus pertinents », tenant compte de « la fréquence et la gravité des actes, conjuguées à des indicateurs personnels et sociaux d’intégration dans la communauté et à l’opinion des délinquants sur l’application des sanctions et mesures par la communauté » . Plus globalement, il préconise d’évaluer régulièrement les résultats des mesures alternatives à la détention, selon plusieurs angles : le fait de répondre aux attentes des différentes autorités « eu égard aux finalités assignées à ces sanctions et mesures », le fait de contribuer ou non « à faire baisser les taux d’emprisonnement », le fait de permettre « de répondre aux besoins des délinquants en rapport avec l’infraction », la rentabilité de la mesure, ainsi que sa contribution « à la réduction de la délinquance » .
RECOMMANDATION
La CNCDH demande à l’Administration pénitentiaire d’utiliser et de former ses personnels à l’évaluation des pratiques. Un SPIP devrait être en mesure d’évaluer finement l’impact de son intervention : en quoi la situation d’une personne a changé entre le début et la fin d’une mesure, ce qui fonctionne ou non dans un suivi ou un programme, quels sont précisément les résultats du milieu ouvert en termes de récidive (mesure par mesure, nature de la récidive, fréquence et gravité des actes...).
Evaluation de l’effet de substitution. Parmi les questions nécessitant une évaluation, le phénomène dit de « net-widening » ou de « glissement » d’une mesure à l’autre. Le net-widening signifie qu’en pratique, des mesures instaurées pour se substituer à des incarcérations ou peines de prison sont utilisées par les juges, non pas en remplacement de l’emprisonnement mais d’une autre mesure pénale moins restrictive, voire d’une absence de sanction. La plupart des études internationales concluent ainsi, selon Sonja SNACKEN, que les peines alternatives « ne sont appliquées que partiellement en remplacement de peines de prison ferme (40 à 50 % au plus), et que de nouvelles sanctions, telles que le travail d’intérêt général, remplacent en grande partie d’autres mesures moins restrictives, telles l’amende, le sursis simple ou la probation » .
Le phénomène s’observe à tous les stades de la chaîne pénale. Les mesures dites « alternatives aux poursuites » permettent en réalité d’apporter une réponse pénale à des infractions qui auparavant faisaient l’objet d’un classement sans suite. Au stade sentenciel, une nouvelle peine alternative vient souvent en remplacer une autre, les juges ayant tendance à délaisser l’amende et le sursis simple au profit du travail d’intérêt général (TIG) et du sursis avec mise à l’épreuve (SME) . Au stade post sentenciel, une mesure d’aménagement de peine vient forcément se substituer à du temps de prison, le détenu étant libéré avant la fin de sa peine. Néanmoins, un nouvel aménagement de peine peut être en partie utilisé à la place des anciennes mesures d’aménagement. Ainsi, la montée en puissance du placement sous surveillance électronique en France viendrait en partie remplacer les autres aménagements de peine (semi-liberté, placement extérieur, libération conditionnelle) et non s’y ajouter entièrement. Le phénomène de net-widening n’est pas pour autant systématique. Ainsi, le développement du TIG dans les années 1980 « mérite d’apporter quelques nuances à cette absence d’effet de substitution », puisqu’il a entraîné « une certaine diminution des condamnations à l’emprisonnement ferme pour vol simple », explique Bruno AUBUSSON DE CAVARLAY . Selon Pierre V. TOURNIER, la création en France du travail d’intérêt général et du contrôle judiciaire socio-éducatif a même « clairement fait baisser les entrées en détention », puisque entre 1980 et 2000, « nous sommes passés de 97 000 à 65 000 entrées » .
Si les chercheurs ne s’accordent pas tous sur l’ampleur du net-widening, aucun d’entre eux ne va jusqu’à nier son existence. En revanche, ce détournement de la fonction substitutive des mesures emporte plusieurs types de réactions et théories. Du côté des pouvoirs publics français, le net-widening semble le plus souvent ignoré, les documents officiels et débats parlementaires sur les mesures alternatives en faisant rarement mention. Du côté de certains chercheurs, ce phénomène offre un support au développement des thèses d’ « extension du filet pénal », puis de « pénalisation du social », développées par Michel FOUCAULT et relayées aujourd’hui par le criminologue belge Philippe MARY. Interpellé sur la création des mesures et peines alternatives, Michel FOUCAULT avait en effet d’emblée considéré que « les alternatives qu’on propose à la prison sont précisément des manières de faire assurer par d’autres et sur une échelle de population beaucoup plus large, les vieilles fonctions que l’on demandait au couple rustique et archaïque, prison et délinquance ». Le philosophe pensait ainsi que la fonction de resocialisation attribuée à la prison à travers le travail, la famille et l’autopunition (lorsque l’individu se met à accepter sa propre punition et à y participer), ne faisait qu’être répandue et diffusée « dans le corps social tout entier » à travers le développement des mesures alternatives. Il s’agissait donc de « formes de diffusion de la prison, et non pas des formes qui sont censées la remplacer » . Si les thèses de Michel FOUCAULT continuent de marquer profondément la réflexion sur la fonction sociale de la peine, elles trouvent un nouvel essor auprès de chercheurs tels que Philippe MARY, qui a dirigé en 1997 un ouvrage intitulé « Travail d’intérêt général et médiation pénale : socialisation du pénal ou pénalisation du social ? ». Selon lui, ces nouvelles mesures visent « à accroître le contrôle pénal sur une petite délinquance qui est principalement le fait de ces populations de plus en plus sous-prolétarisées en raison du démantèlement de l’Etat social », dans le cadre d’un mouvement global de dépolitisation de la question criminelle assurant « la prédominance de conceptions individualisantes, de sorte que la question criminelle se pose alors en termes de pathologie » .
De telles théories ont le mérite d’interpeller sur la fonction sociale de la peine et de rappeler combien l’accroissement de la réponse pénale peut s’inscrire dans le cadre d’un délaissement des autres modes d’intervention de l’Etat que sont la santé, l’éducation, l’aide sociale, qui voient leurs moyens diminuer dans la plupart de nos sociétés. Pour autant, elles ne se vérifient pas systématiquement en pratique et devraient donc être maniées avec précaution. Ainsi, l’idée d’une extension du filet pénal, selon laquelle de plus en plus de personnes feraient l’objet de mesures pénales se vérifie en France dans le cadre présentenciel des alternatives aux poursuites, celles-ci venant remplacer des classements sans suite et donc augmenter le taux de réponse pénale. Mais au stade sentenciel, le nombre total de peines est constant en dépit du développement des peines alternatives. « Si les peines alternatives avaient servi à sanctionner des personnes qui ne l’étaient pas auparavant, nous aurions davantage de condamnations, les peines alternatives venant s’ajouter aux peines de prison. Or, le nombre annuel de décisions judiciaires se situe autour de 620 000 depuis vingt ans, qu’il s’agisse de décisions criminelles, correctionnelles ou de tribunaux pour enfants », indique le juge Dominique BARELLA, représentant du premier syndicat de magistrats . De même, l’hypothèse d’une pénalisation du social apparaît souvent en décalage avec les pratiques des services de probation. Loin de s’inscrire dans une logique purement répressive abandonnant toute intervention sociale, les personnels de probation ne cessent de rappeler l’importance des facteurs sociaux dans le phénomène de la délinquance. Néanmoins, tout comme les criminologues, ils constatent que le passage à l’acte résulte d’une combinaison complexe, non pas uniquement de facteurs sociaux, mais aussi de facteurs contextuels et individuels. Par ailleurs, ils doivent faire appel aux services sociaux de droit commun pour prendre en charge les personnes placées sous main de justice, ce qui s’inscrit à l’encontre d’une reprise en mains du social par le judiciaire. Les théories de la pénalisation du social ont également tendance à ignorer ce que peuvent apporter les personnels de probation, ainsi que les psychologues et les associations d’insertion, au sein même de la culture judiciaire, oeuvrant dans le sens d’une « socialisation du pénal ». Ainsi, le conseiller d’insertion et de probation Jean-François BOULARD explique que l’un des fondements de son travail est à son sens d’expliquer aux magistrats, à l’occasion d’une nouvelle comparution, « en quoi les personnes n’ont pas toujours les moyens de remplir leurs obligations, en quoi elles ne sont pas toujours en mesure d’évoluer et restent dépendantes à des produits, des contraintes sociales, à leur souffrance psychique ». Lorsqu’il explique qu’une récidive ne représente pas forcément un échec de la mesure mais « un passage obligé vers une sortie de la délinquance », il parvient à convaincre certains magistrats, qui finissent par entendre un tel point de vue .
Les théories de la pénalisation du social ont bien évidemment pour effet de faire obstacle au développement des mesures alternatives. Si ces mesures ne se substituent pas à la prison et servent uniquement à élargir le champ de l’intervention pénale à des personnes auparavant prises en charge par les secteurs sanitaires et sociaux, à quoi bon les développer ? Ces thèses viennent « handicaper le développement des alternatives puisqu’elles dénoncent la reproduction à l’extérieur de la prison, mais sous des formes plus douces et moins visibles, de logiques carcérales de coercition », explique ainsi Jacques FAGET . Avec le risque de générer les mêmes effets que la théorie du « Nothing Works » : lorsque les mesures visant une réinsertion des délinquants sont décrédibilisées, la tendance est de renforcer une extension du champ de la répression pure. En outre, il n’est pas évident que le manque d’effet alternatif des mesures alternatives les rende forcément inutiles, notamment en termes de prévention d’une escalade dans la délinquance vers des infractions plus graves. « Si l’on adopte un regard social plus pragmatique », au vu de l’aggravation de la situation sociale et psychologique de pans entiers de la population, l’on peut considérer que « certains individus ont besoin d’être étayés, structurés, accompagnés, par des mesures exécutées en dehors de la prison », estime Jacques FAGET. Si les mesures alternatives s’inscrivent dans « des logiques pédagogiques de soutien et de responsabilisation, nous ne pouvons pas parler d’une pénalisation du social » .
Selon Pierre Victor TOURNIER, « toute réforme pénale porte en germe des risques d’effets pervers. Afin de les combattre, il faut commencer par ne pas les nier, donc les étudier, et mettre en place des systèmes à même de les éviter. Ainsi en est-il de la théorie de l’extension du filet pénal (net-widening), que les données ne confirment pas toujours, et qui continue pourtant à faire obstacle au développement des alternatives » . En ce sens, il apparaîtrait plus constructif à la Commission d’envisager cette « troisième voie », à ce jour peu explorée, de la prise en compte du risque de net-widening et de la recherche de moyens pour le prévenir. L’amélioration de la qualité des mesures alternatives, le renforcement des moyens des services de probation et de leurs partenaires sociaux, une mise à exécution effective des décisions judiciaires « alternatives », peuvent être autant de pistes permettant de crédibiliser ces mesures aux yeux des magistrats et de les voir utilisées davantage en remplacement d’incarcérations. La législation peut également mettre en place des dispositifs juridiques visant à prévenir l’effet de net-widening. Par exemple, le prononcé des peines en deux temps, le premier visant à prononcer la peine conformément aux principes et critères usuels de condamnation, le second permettant de convertir les peines de prison ferme jusqu’à une certaine durée en mesures alternatives, peut rapprocher les juges d’une véritable pratique de substitution. Ainsi en va-t-il de l’article 723-15 du Code de procédure pénale, permettant au juge de l’application des peines d’examiner toute peine de prison ferme de moins d’un an prononcée contre un prévenu libre, à des fins d’aménagement. D’autres techniques juridiques seraient pour sûr à même de diminuer le risque de net-widening, mais peu de chercheurs et juristes se penchent sur la question. Plus globalement, une telle optique supposerait la mise en place par les pouvoirs publics d’une évaluation scientifique indépendante et systématisée des politiques pénales, et leur ajustement en fonction des résultats obtenus.
b) Une recherche criminologique en berne
« L’état de la recherche scientifique sur les questions criminologiques et pénales en France est une véritable honte. Nous sommes très en retard par rapport à de nombreux pays occidentaux, en raison d’un développement insuffisant de la recherche et du faible impact des études réalisées sur les politiques publiques » estime Pierre V. TOURNIER, démographe et directeur de recherche au CNRS, ancien président de l’Association française de criminologie. Or, la question du développement de la recherche sur la question pénale apparaît « essentielle si l’on est attaché au rapport fondamental entre le rationalisme, l’approche scientifique, et l’idée de progrès humain » .
Criminologie et recherches sur le milieu ouvert. La criminologie, science de la criminalité, étudiant les facteurs sociaux ou individuels du crime (au sens d’infraction à la loi) ainsi que les moyens de le prévenir, reste très peu développée en France. Cette matière interdisciplinaire, qui emprunte au droit, à la psychologie, la sociologie, la médecine... est enseignée dans le cadre de certains diplômes, mais ne fait pas l’objet de cursus universitaire spécifique. Dans ce contexte de pénurie de formations et de connaissances dans le domaine de la criminologie, les services de probation se voient pourtant de plus en plus demander de fournir des expertises de nature criminologique, pour lesquelles ils devraient disposer de méthodes et d’outils inexistants. Martine HERZOG-EVANS souligne à ce propos que « Le législateur demande aux CIP d’effectuer des synthèses socio-éducatives de dangerosité, ainsi que de l’analyse de prédiction de la récidive. Mais personne en France n’est en mesure de répondre de manière satisfaisante à de telles demandes. Il est indispensable de créer des corps de criminologues et de former les CIP à cette discipline afin d’être capables de détecter, d’adapter la peine et le suivi... ». Elle indique que les cursus américain et anglais « en sont à un niveau de précision incroyable », sans commune mesure avec « notre pratique totalement empirique » . « Idéalement, le juge devrait disposer d’un bilan criminologique approfondi pour décider d’une sanction ayant un sens particulier au regard de la personne et des faits », estime également Philippe POTTIER, qui demande que se développe en France une véritable « clinique criminologique ». Ce bilan criminologique devrait établir « les causes du passage à l’acte, l’origine de la personne, son identité, sa situation actuelle afin de comprendre pourquoi cet acte intervient à ce moment de son parcours ». Le bilan pourrait également informer le juge « sur ce qui pourrait être fait avec cette personne dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve, un TIG, ou une peine de prison ». Philippe POTTIER estime nécessaire de cesser de « demander à la peine des choses invraisemblables », à savoir aussi bien de resocialiser la personne, que de lui retrouver du travail, restaurer ses liens familiaux, etc .
Outre un faible développement de la filière criminologique, les deux principaux organismes de recherches sur les questions judiciaires que sont le CESDIP et le GIP Justice n’effectuent que rarement des études sur le milieu ouvert. Centre d’études sociologiques sur le droit et les institutions pénales, le CESDIP est à la fois un laboratoire du CNRS et un service de recherches du ministère de la Justice. Il a été créé en 1983 dans le prolongement du Service d’Études Pénales et Criminologiques (SEPC). Concernant ses objets d’étude, le CESDIP semble se concentrer en grande partie sur les services de police et leurs pratiques. S’agissant de la justice pénale, le centre de recherches produit des études régulières sur les questions de la détention provisoire et des filières pénales, ainsi que dans une moindre mesure sur le milieu carcéral. Mais les alternatives à la détention n’ont fait l’objet que de deux publications ces dernières années, l’une en septembre 2002 sur les alternatives à la détention en Europe , et l’autre en juin 2003 sur le placement sous surveillance électronique . Les services pénitentiaires d’insertion et de probation ou « milieu ouvert » ne font pour leur part l’objet d’aucune recherche ou publication du CESDIP.
Quant au GIP Justice, il s’agit d’une mission de recherche créée à l’initiative du ministère de la Justice et du CNRS en 1994. Groupement d’intérêt public, la mission droit et justice a pour objet de favoriser la constitution et la mobilisation d’un potentiel de recherche pluri-disciplinaire sur l’ensemble des questions intéressant le domaine de la justice et du droit. C’est au GIP Justice que l’on doit la seule et unique étude qualitative jamais réalisée en France sur le milieu ouvert. Publiée en décembre 1999, elle porte sur trois Comités de probation et d’assistance aux libérés (CPAL), juste avant la réforme instaurant les SPIP . Depuis 1999, la structure et l’activité des SPIP a tellement changé qu’il apparaît désormais difficile de se référer à ce travail, une nouvelle étude du même type apparaissant nécessaire.
Pour certains, il manque en France une troisième structure de recherche visant à développer une approche criminologique. En ce sens, Pierre V. TOURNIER se trouve à l’origine d’un « appel des 115 » lancé en février 2006. Il demande « la création d’une structure d’études et de recherches sur les infractions pénales, leur prévention, leur sanction et leur réparation. Une structure multidisciplinaire qui permettrait de renforcer la place de la rationalité dans le débat public souvent démagogue et populiste dès qu’il s’agit du crime et de la réponse pénale » . Plus de 700 chercheurs, praticiens, associations, responsables politiques... ont signé cet appel qui invite à développer une « approche pluridisciplinaire du champ pénal qui manque tant à notre pays » quand elle serait seule « capable d’éclairer le débat public » et « d’apporter une contribution significative à la construction de politiques pénales ». Parmi les objectifs d’une telle structure, figure le développement de « tous travaux de recherches » sur les infractions et réponses pénales, ainsi que la diffusion auprès des pouvoirs publics et de la population des enseignements de la recherche criminologique .
RECOMMANDATION
La Commission demande instamment aux pouvoirs publics de développer la recherche sur la question des mesures alternatives et du milieu ouvert. A cet effet, elle préconise la création d’un véritable cursus de criminologie à l’Université, permettant de former des criminologues praticiens. Dans l’immédiat, il apparaît nécessaire de faire en sorte qu’une structure existante ou à créer développe des « recherches-action » en partenariat avec les SPIP afin de concevoir, expérimenter et évaluer des outils et programmes destinés aux probationnaires. Elle serait également chargée, en lien avec l’Administration pénitentiaire, de développer l’évaluation quantitative, mais surtout qualitative, du travail de probation. En relation étroite avec les structures étrangères équivalentes, elle devrait diffuser les connaissances acquises par la recherche internationale auprès de l’ensemble des professionnels de la justice pénale et de l’Administration pénitentiaire.
Liens entre recherche et politiques pénales. Le chercheur Christian MOUHANNA fournit un certain nombre d’explications au faible impact de la recherche sur les politiques pénales en France. D’une part, il constate que les travaux de recherche sont faiblement utilisés en raison de la réflexion non pas à court, mais à long terme, dans laquelle ils s’inscrivent, en décalage avec le temps politique de l’immédiateté. Ainsi, les études s’avèrent-elles bien mieux reçues « par les acteurs de terrain que par les gestionnaires des ministères. Ceux-ci gèrent l’immédiateté, ils sont dans la réactivité, et peu dans la réflexion à moyen ou long terme ». D’autre part, il semblerait que ce rejet des travaux de recherche s’inscrive dans le cadre d’un refus général de voir le citoyen inférer dans la chose publique : « Le citoyen est appréhendé comme un administré, à la place duquel il faut penser. Les termes du débat ne sont pas exposés publiquement, le citoyen n’est pas associé à la réflexion sur les politiques à mettre en œuvre, car cela obligerait les institutions à se remettre en cause. Or, il me semble que c’est le coût à payer pour remédier à une stagnation autrement plus dommageable », ajoute Christian MOUHANNA . Le secteur pénal présente également la particularité de voir les « enjeux de coût et d’affichage politique exacerbés. Il est assez difficile de s’afficher publiquement contre le discours dominant de la répression par la prison ». Dès lors, « des évaluations qui inciteraient à s’interroger sur « la peine, pourquoi faire ? » ne sont pas effectuées » et les recherches ne fournissant que peu d’arguments au paradigme dominant de la prison comme réponse pénale unique sont laissées de côté .
La plupart des Etats occidentaux, auxquels la France ne fait pas exception, trouvent en effet dans la politique pénale l’occasion de déployer une politique de type symbolique, voire « d’affichage ». Tappio LAPPI-SEPPÄLA, directeur de l’Institut national de recherche sur la politique juridique de Finlande, s’étonne ainsi qu’au plan international, « la politique pénale [ne soit] souvent qu’un outil de plus de la stratégie politique générale », les interventions de la justice répressive n’étant le plus souvent « déterminées que par la nécessité politique de ‘faire quelque chose’ » . L’exemple de la Finlande témoigne d’une toute autre culture et appréhension de la question pénale. Sonja SNACKEN explique ainsi que la politique pénale est considérée par les hommes politiques finlandais comme « trop importante pour la laisser dominer par l’opinion publique, elle est donc l’affaire d’experts-criminologues » .
Dès lors, la Finlande nous montre de quelle manière la recherche peut influencer les politiques pénales, en créant le consensus entre universitaires, acteurs du monde judiciaire, médias et hommes politiques. Engageant une politique dite « réductionniste », ce pays est parvenu en 25 ans (1975-2000) à passer « d’un taux de détention de 120 à 50 détenus pour 100 000 habitants », alors que sa criminalité était plutôt en augmentation . Un mouvement que Tappio LAPPI-SEPPÄLA explique notamment par « le caractère tout à fait exceptionnel du rôle joué par les experts » dans les réformes pénales entreprises dans son pays. Ainsi, les réformes ont-elles été « préparées et menées par des experts en nombre relativement limité et dont les interrogations en matière de politique pénale avaient suivi des trajectoires similaires ». Le rôle de ces experts a été renforcé par des « contacts personnels et professionnels étroits avec des hommes politiques influents et avec des universitaires ». Il précise que plusieurs des ministres de la Justice au cours de cette période « entretenaient des relations directes avec les chercheurs », l’une d’entre eux, Inkeri ANTTILA, étant même professeur de droit pénal et directrice de l’Institut national de recherche sur la politique juridique de Finlande au moment de sa nomination comme ministre . La Finlande a également eu pendant vingt ans pour directeur de l’Administration pénitentiaire « un grand intellectuel, spécialiste de criminologie et enseignant, entretenant une relation de proximité avec le monde de la recherche », ajoute Pierre Victor TOURNIER . Outre des liens de proximité avec la classe politique, les experts finlandais n’ont pas oublié de faire œuvre de pédagogie à l’égard des médias, « en prenant la peine de leur expliquer longuement pourquoi la Finlande n’avait pas de raison de garder une population pénitentiaire beaucoup plus importante que les autres pays scandinaves et comment on pouvait la réduire ». Ils ont également effectué « des séminaires avec des magistrats du parquet et du siège ». Ces spécialistes sont ainsi parvenus à emporter « un large consensus aux niveaux politique, judiciaire et médiatique », explique Sonja SNACKEN .
Si l’exemple de la Finlande est atypique en ce qui concerne la politique réductionniste qu’elle a mise en place, il n’est pas rare, selon Pierre V. TOURNIER, de voir en Europe des administrations pénitentiaires influentes, développant des « services d’études et de recherche et des moyens de convaincre les autorités des réalités concrètes, ce qui contraste avec la passivité française » . La France s’est aussi illustrée pendant plusieurs années par une certaine hostilité à l’égard des travaux et recommandations émanant du CONSEIL DE L’EUROPE, qui s’est notamment manifestée par l’absence de son DAP aux trois dernières réunions européennes des directions d’administrations pénitentiaires (en 2000 à Berlin, en 2004 à Rome et 2006 à Barcelone). Néanmoins, la Chancellerie et l’Administration pénitentiaire montrent des signes d’évolution, dont témoigne l’avant-propos du directeur de l’Administration pénitentiaire, Claude D’HARCOURT, dans la publication des nouvelles « Règles pénitentiaires européennes », adoptées par le Comité des ministres du CONSEIL DE L’EUROPE le 11 janvier 2006. Ainsi, le directeur de l’Administration pénitentiaire écrit-il que ces règles « engagent les 46 pays signataires à harmoniser les politiques pénitentiaires et à adopter des pratiques communes. Elles s’inscrivent dans une logique de réalisme qui est autant le fruit de l’expérience acquise que le gage de véritables avancées futures. Elles constituent une charte pour l’Administration pénitentiaire qui donne sens à l’action de l’ensemble des personnels. Les mettre en œuvre représente, par conséquent, un enjeu essentiel » .
Québec : trois nouvelles structures de recherche et d’évaluation
Le 5 février 2007, est entrée en vigueur la nouvelle Loi sur le système correctionnel du Québec, votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale du Québec en juin 2002. Elle prévoit notamment la création de trois nouvelles entités :
« 1) Un Service de recherche sera constitué en vertu de l’article 3.2, qui stipule que les services correctionnels du Québec sont chargés de faire de la recherche en matière correctionnelle en association avec les autres intervenants, en l’occurrence le milieu universitaire.
2) Un Comité de concertation des Services correctionnels et de la Commission québécoise des libérations conditionnelles, qui a notamment comme mandat d’établir un programme de recherche (article 177).
3) Un Conseil des pratiques correctionnelles du Québec (article 181) dont le mandat est de faciliter la collaboration et la concertation des divers intervenants de droit commun dans la réinsertion sociale des personnes contrevenantes et de rechercher l’amélioration du système correctionnel. Dans le cadre de ce mandat, le Conseil aura à :
- sensibiliser le public aux enjeux de la réinsertion sociale des personnes contrevenantes et contribuer aux débats sociaux en cette matière ;
- favoriser les échanges entre les divers intervenants intéressés à la réinsertion sociale des personnes contrevenantes ;
- favoriser la collaboration entre les services correctionnels du Québec, la Commission québécoise des libérations conditionnelles et leurs partenaires du milieu ;
- encourager et mettre en valeur la recherche scientifique sur le système correctionnel ;
- formuler des avis sur tout autre sujet à la demande du ministre.
En somme, au Québec, on est en droit d’espérer que ces trois nouvelles entités influenceront les pratiques « qui marchent » tout en évitant d’implanter celles qui « ne marchent pas ». »
Pierre LALANDE, conseiller à la Direction du développement et du conseil en services correctionnels du Québec, Direction générale des services correctionnels, Ministère de la sécurité publique du Québec, extrait d’une contribution pour la CNCDH, juillet 2006.
 
B - CREDIBILITE ET MOYENS DU MILIEU OUVERT
De nombreux spécialistes et magistrats s’accordent à expliquer les obstacles au développement des mesures alternatives par leur manque de crédibilité. « Les alternatives n’auront une visibilité et une légitimité sociale que si elles sont structurantes, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Elles sont vécues par l’opinion publique et les condamnés comme des brevets d’impunité, une façon d’échapper à la sanction », explique Jacques FAGET, chercheur au CNRS spécialisé dans l’étude de ces mesures . Ce manque de crédibilité ne correspond plus toujours à la réalité du suivi mis en œuvre au sein des services de probation, qui peut s’avérer exigeant et contraignant à l’égard des personnes suivies. Néanmoins, pour consacrer plus de temps aux entretiens et exercer un suivi socio-éducatif plus soutenu à l’égard des personnes qui en ont besoin, les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) se heurtent à un manque d’effectifs, le nombre de dossiers suivis par travailleur social demeurant trop important, en dépit de nets progrès ces dernières années.
Le renforcement du contrôle des obligations par les conseillers d’insertion et de probation (CIP), souhaité par les magistrats, fait pour sa part débat au sein du monde de la probation. Les uns reconnaissent que le contrôle est insuffisant, les autres estiment qu’il serait illusoire d’augmenter le niveau de contrainte pour obtenir de meilleurs résultats en termes de prévention de la récidive. Tous s’accordent sur l’intérêt de pouvoir adapter l’intensité du contrôle à chaque personne, ainsi que sur la nécessité de sanctionner les éventuels manquements aux obligations. Le renforcement de la crédibilité du milieu ouvert passe également par une meilleure visibilité des SPIP, qui doivent désormais sortir de l’ombre. Leur existence et leurs activités s’avèrent totalement méconnues du grand public, et ils intéressent peu les mondes judiciaire, social et sanitaire. Une meilleure collaboration entre les différents acteurs intervenant dans la prise en charge des personnes placées en milieu ouvert apparaît pourtant indispensable, les publics accueillis cumulant de plus en plus des problèmes sanitaires et sociaux nécessitant une approche transversale.
1 - UN SUIVI SOCIO-EDUCATIF PLUS SOUTENU ?
Le milieu ouvert est souvent critiqué pour le manque d’effectivité des mesures pénales prononcées, qu’il s’agisse de la prise en charge de l’ensemble des mesures par les SPIP ou de la fréquence des entretiens avec les personnes sous main de justice. L’essentiel de ces défaillances apparaît lié à un manque de moyens dévolus aux structures chargées de la mise à exécution des mesures, les services pénitentiaires d’insertion et de probation n’étant jamais considérés comme prioritaires au sein de l’Administration pénitentiaire.
1-1 - EFFECTIVITE DE LA PRISE EN CHARGE DES MESURES
Si la situation s’améliore dans certains départements, en particulier en région parisienne, il reste des services de probation qui ne se trouvent pas en mesure d’exécuter l’ensemble des mesures qui leur sont adressées. « Il n’est guère surprenant de constater que nombre de suivis avec mise à l’épreuve ne sont pas mis en œuvre par les services compétents, faute de moyens, ce qui fragilise la crédibilité de la sanction », déplore une nouvelle fois Jean-Luc WARSMANN, dans un rapport d’information sur l’application de la loi Perben II du 9 mars 2004 . Parmi les 108 528 sursis avec mise à l’épreuve (SME) pris en charge par les SPIP au 1er janvier 2005, certains sont ainsi ineffectifs. « Ils ne sont pas mis en œuvre ou seulement symboliquement, avec un entretien d’entrée puis plus rien, ou alors un rendez-vous tous les six mois. Sur le plan pédagogique, c’est catastrophique », explique Jacques FAGET. Selon lui, les SPIP n’ayant « ni les moyens ni l’énergie » de mettre en application toutes les mesures qui leur sont adressées, ils « concentrent leur attention sur des cas particuliers qui leur paraissent intéressants et pour lesquels les mesures vont fonctionner ». Dès lors, les mesures alternatives perdent de leur sens. Les magistrats les prononcent « par défaut, les éducateurs savent qu’ils ne pourront pas les mettre en œuvre, les condamnés pensent qu’ils échappent à la répression et l’opinion publique a le sentiment de l’incurie du système judiciaire » .
a) Une situation connue et reconnue
Les personnels de probation reconnaissent généralement leurs difficultés à prendre en charge l’ensemble des mesures qui leur sont adressées par les juridictions. Nathalie GIGOU, conseillère d’insertion et de probation, le dit simplement : « Nous ne pouvons pas contester l’argument selon lequel une peine d’incarcération sera exécutée alors qu’une peine en milieu ouvert ne le sera pas toujours. C’est une réalité ». Mais elle interpelle également sur les causes de cette situation, à savoir l’extrême pauvreté du milieu ouvert : « Nous avons besoin de moyens supplémentaires pour mettre en œuvre toutes les mesures, et de manière efficace. Nous dénonçons le manque de personnels justement parce qu’il a pour conséquence de laisser certaines personnes sur le bord de la route » . De son côté, Patrick MADIGOU raconte qu’à son arrivée comme directeur au SPIP de Paris, « il y avait plus de dossiers dans les armoires que de dossiers affectés ». Il a donc décidé avec les juges de « classer d’office toutes les mesures qui se terminaient en 2005, car nous n’aurions pas pu nous en sortir autrement. Si nous n’avons pas les moyens d’exécuter les mesures, elles perdent en crédibilité, c’est certain ». Selon lui, la question de la crédibilité se pose essentiellement en termes de moyens. En effet, « la prison n’est pas très crédible en termes de prévention de la récidive, ce qui n’empêche pas les juges d’y avoir recours » .
Si la rapidité de mise à exécution des mesures par les juridictions devrait être améliorée par la mise en place des Bureaux d’exécution des peines à partir du 1er janvier 2007, « encore faut-il que nous ayons les moyens de les prendre en charge rapidement nous aussi », interpelle Patrick MADIGOU. En application de la loi Perben II, « les probationnaires vont ainsi être convoqués directement au SPIP dans les 30 jours après le jugement. Dans tous les tribunaux de France, il sera dit au condamné à un SME qu’il doit se présenter à telle date au SPIP », rappelle Philippe POTTIER . Or, il n’est pas certain que l’ensemble des SPIP du territoire soient en mesure de mettre à leur tour rapidement en œuvre les mesures pénales, ce qui pourrait faire perdre aux dispositions de la loi Perben II de leur intérêt. D’autant que la loi du 9 mars 2004 a également développé les possibilités d’aménagement des courtes peines d’emprisonnement avant leur mise à exécution (article 723-15 du Code de procédure pénale). Ces mesures devraient donc logiquement s’accroître, entraînant davantage de prises en charge par les SPIP. A ce propos, Jean-Marie HUET, directeur des Affaires criminelles et des grâces, confirme qu’« il apparaît essentiel que les SPIP aient la capacité de prise en charge en aval, car nous avons initié une accélération et une accentuation des possibilités d’aménagement ab initio » .
La situation des services de probation québécois peut être citée à titre de comparaison. Ainsi, une personne condamnée doit-elle se présenter au service de probation « pour une première prise de contact (entrevue d’accueil) » dans les 48 heures suivant la décision de justice. L’organisation du travail dans les services de probation « permet cette prise en charge rapidement », explique Pierre LALANDE, conseiller à la Direction du développement et du conseil en services correctionnels du Québec. Suite à ce premier entretien d’accueil, la personne « est convoquée dans les trois semaines et une évaluation approfondie du cas est effectuée par un agent de probation, lequel produira par la suite un plan d’intervention ». Depuis la fin 2006, les services correctionnels du Québec utilisent un nouvel « outil d’évaluation des risques et des besoins » pour effectuer cette première évaluation de la situation de la personne sous main de justice. « Selon les résultats de l’évaluation et le profil de la personne contrevenante », cette dernière est ensuite confiée soit à un professionnel du service de probation, soit à un agent des services correctionnels (plus axé vers le contrôle), soit à un organisme de droit commun en contrat avec le service de probation .
b) Le système de suivi différencié
Afin de remédier aux difficultés de prise en charge de l’ensemble des mesures, quelques SPIP ont mis en place de leur propre initiative une méthode d’organisation permettant d’adapter l’intensité du suivi aux besoins de chaque personne et de ne plus laisser de mesures en attente. Ce mode d’organisation reste néanmoins limité à quelques SPIP, l’Administration pénitentiaire ne l’ayant à ce jour pas généralisé, alors qu’il est en place dans le Val de Marne depuis sept ans.
Différents niveaux de suivi. Patrick MADIGOU, aujourd’hui directeur du SPIP de Paris, a été le premier à mettre en place le système de « suivi différencié » alors qu’il dirigeait le SPIP du Val de Marne, au moment de la réforme portant création de ces services en 1999. La méthode consiste à adapter « le niveau de suivi aux besoins des personnes et au risque de récidive ». La prise en charge commence par une phase de diagnostic qui peut durer jusqu’à trois mois, durant laquelle le travailleur social doit répondre à « un certain nombre de questions concernant l’adhésion de la personne à la mesure, les obligations imposées par le tribunal, etc. ». Une expertise est ensuite réalisée sur la base de ce début de suivi et du dossier de la personne par « une commission du SPIP composée de chefs de service et travailleurs sociaux » qui va ensuite décider « des modulations du suivi en fonction de chaque personnalité et des causes de la délinquance ». Il peut alors être décidé d’orienter la personne vers un suivi « intensif », « pour les personnes ayant besoin de beaucoup de contrôle ou beaucoup de prise en charge sociale, avec au minimum un rendez-vous par mois ». Le suivi sera « espacé », pour celles ayant besoin de moins de suivi et présentant peu de risques. Le suivi sera administratif, lorsque la personne est en voie de reclassement et remplit ses obligations. Il s’agit dès lors uniquement de « vérifier des papiers », à savoir d’enregistrer des justificatifs de soins ou de remboursement de la victime. A tout moment, le travailleur social chargé du suivi de la personne « peut la faire ‘basculer’ de l’intensif à l’espacé, ou l’inverse, en fonction de son évolution ». Patrick MADIGOU se dit même partisan « de faire savoir aux personnes suivies pendant la phase de diagnostic qu’elles pourront accéder au suivi espacé si elles participent pleinement à leur mesure » , en vertu d’une méthode comparable à celle des réductions de peine supplémentaires visant à « récompenser » les détenus manifestant des efforts particuliers de réinsertion.
Mise en place du suivi différencié au SPIP de Paris
Suite à son expérience dans le Val de Marne, Patrick MADIGOU a mis en place la méthode de suivi différencié au sein du SPIP de Paris, présentant un contexte plus difficile, « car il y a plus de personnes en suivi intensif, notamment en raison de la population SDF »1. Une charte de fonctionnement est venue sceller des travaux menés avec les personnels du SPIP entre mars et fin juin 2005. La charte rappelle l’objectif de prévention de la récidive du service et présente un nouveau mode d’organisation visant à « permettre des prises en charge les plus proches possibles de la condamnation », et « en tenant compte des effectifs en personnels socio-éducatifs et administratifs, [à] réduire les délais d’attente d’affectation des dossiers »2.
La nouvelle « unité de suivi différencié » prend en charge les mesures de sursis avec mise à l’épreuve, libération conditionnelle, suivi socio judiciaire, suspension de peine, et interdiction de séjour. Une modulation du suivi est mise en place « après l’élaboration d’un diagnostic et un passage en commission d’orientation et d’évaluation ». Le « suivi intensif » implique un travail éducatif et un contrôle des obligations « avec des rendez-vous plus fréquents » et la « mise en place de projets ». Le « suivi espacé » implique un suivi socio-éducatif avec des « rendez-vous plus espacés », « éventuellement des prises en charge collectives » et « une forte participation du partenariat ».
Au cours d’une première phase de diagnostic, le travailleur social doit rassembler un certain nombre d’informations : le type de mesure ou de condamnation, des « éléments sur la perception et la compréhension de la mesure par le condamné », sa situation sociale (hébergement, emploi, scolarité, réseau familial, ressources, projets...), le délit, l’histoire de la personne avec la justice ainsi que « son discours autour du passage à l’acte ». D’une manière générale, le diagnostic établi par le travailleur social devra s’appuyer sur une évaluation « de la capacité d’autonomie de la personne, de son adhésion et de son implication dans la mesure, du type d’aide, de soutien et d’accompagnement envisagé, du temps nécessaire pour parvenir à atteindre les objectifs fixés ». Le travailleur social doit, à l’issue de ce diagnostic, émettre une proposition qui sera présentée avec le dossier de la personne à une « commission d’orientation et d’évaluation », chargée de se prononcer sur le type de suivi à mettre en place et qui pourra également « formuler des hypothèses de travail quant à la manière dont pourrait se dérouler le suivi de la personne condamnée ».
Cette commission est composée d’un chef de service et de trois travailleurs sociaux, dont celui qui vient présenter le cas étudié. La commission se charge également d’étudier les cas les plus « lourds », sur demande du travailleur social chargé du suivi. La commission, qui se réunit au moins deux fois par semaine, est censée « constituer un lieu d’échanges entre les travailleurs sociaux au niveau des pratiques professionnelles et du partenariat ». Elle doit également permettre « d’identifier le SPIP autour de décisions de service et non plus de décisions individuelles qui, parfois, peuvent insécuriser ». Enfin, elle vise à mettre en place une « politique lisible en matière d’insertion et d’identifier plus clairement les pratiques professionnelles des travailleurs sociaux du SPIP 75 »2.
(1) Audition CNCDH, 28 juin 2006.
(2) Extraits d’une note de Patrick MADIGOU à l’ensemble des personnels du SPIP de Paris, « Objet : charte de fonctionnement », non datée.
Aucune mesure inappliquée. Le système du suivi différencié présente de nombreux avantages. Il permet d’instaurer une véritable politique de service, lisible et cohérente, suscitant une réflexion collective et un dialogue entre les conseillers d’insertion et de probation (CIP) sur la prise en charge des personnes. Concrètement, cette organisation a également permis, selon un chef de service du SPIP de Fleury-Mérogis, « de respecter des quotas de personnes suivies par CIP, et de n’avoir aucune mesure en attente » . Un résultat intéressant, quand l’absence ou la lenteur de mise à exécution de toutes les mesures constitue une entrave majeure à leur crédibilité auprès des juges, et donc à leur prononcé. Les travailleurs sociaux affectés au « pôle espacé » peuvent en effet prendre en charge en moyenne 120 dossiers, et ceux du « pôle intensif » environ 60 dossiers. Le SPIP des Yvelines a aussi mis en place un tel système, quelque peu différent de celui du Val de Marne, avec des résultats similaires en termes de rapidité de traitement. Un conseiller d’insertion et de probation indique ainsi que, dans les Yvelines, « aucune mesure ne reste inappliquée, aucun dossier n’est en attente ». Entre l’audience au tribunal et le premier rendez-vous au SPIP, « il s’écoule entre deux et trois semaines depuis l’entrée en vigueur de la loi Perben II ». Ensuite, « les dossiers sont immédiatement pris en charge par le SPIP, ce que nous pratiquions déjà depuis plusieurs années » . Dès lors, quelques SPIP en France, de part une méthode d’organisation qu’ils ont imaginé, se trouvent en mesure de garantir aux juges que toute mesure qui leur est adressée est appliquée. Pour autant, il convient de rappeler qu’un délai de mise à exécution de l’ordre de deux à trois semaines demeure éloigné de celui de 48 heures assuré par les services de probation du Québec, bien mieux lotis que les SPIP français en termes de moyens.
Une bonne pratique non généralisée. L’idée d’un régime différencié a été évoquée dans une circulaire de l’Administration pénitentiaire de novembre 2000 sur les méthodes d’intervention des travailleurs sociaux des SPIP. Il y était préconisé de « diversifier les modes de suivi », dans le cadre d’une politique de service « relative au suivi des dossiers et à la gestion du volume des mesures », dans l’objectif d’une « définition et d’une mise en œuvre rapide des modalités de prise en charge socio-éducative » . Néanmoins, aucune aide méthodologique ou matérielle n’a été apportée aux services pour mettre en place une telle organisation. Dès lors, seuls des SPIP moins démunis en termes de moyens et particulièrement volontaristes ont saisi l’occasion de tester un nouveau mode d’organisation. Relatant la première expérience de suivi différencié, la COUR DES COMPTES a regretté dans un rapport rendu public en janvier 2006, qu’ « aucun soutien [n’ait] été accordé au Val de Marne pour mettre en place sa nouvelle politique qui n’a fait l’objet d’aucune évaluation ni d’aucune diffusion à l’égard d’autres SPIP ». La Cour a ainsi estimé que « cette absence d’intérêt [était] regrettable car l’expérience du Val de Marne, qui a été reprise dans trois autres départements, mériterait d’être étendue » . Patrick MADIGOU précise que le système de suivi différencié n’a pas été généralisé « pour des raisons non pas de moyens, mais d’organisation de l’administration. Il aurait fallu que l’expérience soit reprise par la direction régionale et par la direction centrale ». Il ajoute que « le prisme de l’administration [étant] sur les prisons, pas sur les SPIP, nous n’avons pas de véritable outil de communication entre nous, pour faire part de nos expériences nouvelles » . La COUR DES COMPTES avait préconisé à l’Administration pénitentiaire de dresser le bilan de ces expériences « en vue de définir les modalités de leur généralisation » . La CNCDH ne peut que renouveler une telle demande, même si Patrick MADIGOU a d’ores et déjà annoncé à notre Commission qu’une telle généralisation devrait « se faire maintenant, à partir de l’idée de modulation du suivi » .
RECOMMANDATION
Afin de rationaliser la prise en charge des mesures, certains services de probation ont mis en place une méthode de « suivi différencié », qui permet d’adapter l’intensité du suivi aux besoins des personnes et au risque de récidive. Le dispositif aboutit à une prise en charge effective de l’ensemble des mesures adressées à ces services. La CNCDH demande, comme l’a déjà fait la COUR DES COMPTES, que ce mode d’organisation soit généralisé à l’ensemble des SPIP, sur la base d’une méthode précise et d’un séminaire de formation animé par des cadres l’ayant déjà mis en œuvre.
1-2 - FREQUENCE DES ENTRETIENS ET INTENSITE DU SUIVI
Après l’absence de mise à exécution rapide et effective de l’ensemble des mesures, la faible fréquence des entretiens avec le conseiller d’insertion et de probation constitue le second motif de protestation des magistrats. Il arrive en effet que l’exécution d’une mesure ne se traduise que par deux entretiens, le premier lors de la prise en charge, et le second en fin de mesure. En matière de sursis avec mise à l’épreuve, le rapport WARSMANN a estimé que « la moyenne des convocations devant les conseillers serait d’une tous les quatre mois » . Les personnels de probation sont unanimes à reconnaître le caractère fondamental des entretiens. « Pour que le milieu ouvert ait une efficacité, il faut voir les gens, il faut discuter avec eux, parler de leurs problèmes. Sinon, cela ne marche pas », explique Patrick MADIGOU . Cependant, tous les SPIP ne disposent pas encore des effectifs nécessaires pour être en mesure de convoquer les personnes aussi fréquemment que nécessaire. 
a) Développer les possibilités de suivi intensif
Si l’accompagnement intensif ne doit pas être appliqué de façon automatique, mais réservé aux personnes présentant le plus de difficultés et de risques de récidive, les SPIP devraient avoir les moyens de le mettre en œuvre dès que nécessaire. Le suivi intensif peut intervenir en début de mesure, puis au cours de périodes « à risque » en cours de mesure. Il peut prendre la forme d’entretiens très rapprochés avec le conseiller d’insertion et de probation, mais aussi de visites à domicile et de contacts téléphoniques.
Le suivi intensif. Les personnels de probation indiquent que certaines personnes auraient besoin d’un ou deux entretiens par semaine, pendant la période de démarrage de la mesure et les périodes les plus « à risque ». Mais ils insistent sur le fait qu’un tel régime ne doit pas être appliqué à tous et à tout moment. Philippe POTTIER, directeur du SPIP de l’Essonne au moment de l’audition, estime que « globalement, le contrôle en milieu ouvert est insuffisant, mais pas envers toutes les personnes suivies. Pour certaines d’entre elles, des entretiens supplémentaires ne serviraient à rien. Pour d’autres, nous manquons de moyens ». Ces dernières devraient bénéficier selon lui d’un « accompagnement intensif et cadré car elles sont complètement déstructurées ». Philippe POTTIER donne l’exemple d’une personne libérée en conditionnelle après un long séjour en prison, qui devrait impérativement pouvoir « bénéficier d’entretiens toutes les semaines, puis tous les quinze jours, etc. » . Dans le même sens, le sociologue Jacques FAGET estime que l’intensité de l’accompagnement est plus importante que sa durée. Selon lui, « les sanctions alternatives intensives sont les plus efficaces ». Dans le cas du sursis avec mise à l’épreuve, il suggère de « commencer par un suivi intensif, avec des rendez-vous toutes les semaines, puis d’espacer le suivi de façon très structurée, afin d’encadrer et de soutenir les personnes tant que dure la ‘phase de crise’ » .
Peu de SPIP disposent aujourd’hui des moyens leur permettant de mettre en place un tel suivi intensif. Dans l’un des SPIP les mieux lotis de France en personnel, à savoir celui des Yvelines, le conseiller d’insertion et de probation (CIP) Jean-François BOULARD indique qu’il parvient à fixer la fréquence des entretiens à une fois par semaine ou par quinzaine pour « les personnes les plus en difficulté et présentant un fort risque de récidive ». Quant aux personnes « fragiles », il les rencontre une fois par mois, celles qui « semblent aller à peu près bien tous les deux mois » et enfin « celles qui vont bien tous les 3 ou 4 mois » . Une périodicité éloignée de la moyenne d’un entretien tous les quatre mois mentionnée par le rapport WARSMANN, puisqu’il s’agit pour Jean-François BOULARD de la durée maximale entre deux entretiens. La situation du SPIP des Yvelines s’avère néanmoins exceptionnelle, puisque chaque conseiller y suit entre 70 et 80 personnes, quand des SPIP de province peuvent atteindre un ratio de 250 personnes par CIP.
Les visites à domicile. Parmi les mesures auxquelles une personne sous probation peut être soumise, figure, aux cotés des entretiens avec le travailleur social, le fait de recevoir des visites de celui-ci (article 132-44 du Code pénal). Le conseiller d’insertion et de probation peut en principe se rendre au domicile du condamné dans des conditions qui viennent d’être précisées par le décret du 30 mars 2006 relatif au traitement de la récidive des infractions pénales s’agissant des personnes en libération conditionnelle (nouvel article D.533-2 du CPP). Les visites peuvent être effectuées au domicile ou sur le lieu de travail du condamné. Elles peuvent intervenir entre 6 heures et 21 heures, le travailleur social n’étant pas tenu de prévenir le condamné de sa visite.
En pratique, cette possibilité s’avère très peu utilisée par les CIP, pour des raisons de culture professionnelle et de temps, les visites impliquant des déplacements. Elles pourraient pourtant apporter une valeur ajoutée dans la connaissance de l’univers quotidien et familial de la personne suivie. Les visites pourraient s’avérer particulièrement pertinentes dans certains cas de violence conjugale ou familiale, ou encore pour accompagner une mesure de placement sous surveillance électronique (PSE). En effet, la surveillance électronique apparaît en pratique réduite à une mesure de contrôle, sans accompagnement au-delà de l’enquête de faisabilité et de la mise en place du bracelet. Alors que l’expérimentation du PSE a montré l’importance d’un accompagnement socio-éducatif dans le cadre de cette mesure, des visites à domicile pourraient représenter le mode d’accompagnement le plus adapté, évitant la complication d’une modification de l’emploi du temps pour un rendez-vous au SPIP. Le rapport WARSMANN signale en ce sens l’exemple de la Suisse, « qui obtient un taux élevé de réussite avec le PSE ». Or, les services de probation helvétiques prévoient un rendez-vous au moins hebdomadaire au domicile de la personne « afin de s’assurer, notamment, de l’acceptation de la mesure par l’environnement proche ». Des contacts téléphoniques réguliers viennent s’ajouter à ces visites « qui s’espacent au bout d’un mois » .
Une autonomie à préserver ? Les conseillers d’insertion et de probation peuvent jusqu’à présent fixer librement la fréquence des entretiens avec les personnes qu’ils suivent. Cependant, le décret du 30 mars 2006 relatif au traitement de la récidive des infractions pénales vient apporter une restriction à cette autonomie dans le cadre de la libération conditionnelle. En effet, le nouvel article D.533-1 du Code de procédure pénale prévoit que « si la nature des faits commis par le condamné et sa personnalité le justifient, la décision accordant la libération conditionnelle peut préciser la périodicité des convocations du travailleur social ». Il ajoute que la décision d’octroi de la libération conditionnelle peut aussi « indiquer que le condamné fera l’objet de la part du travailleur social d’un suivi renforcé, sans préciser la périodicité des convocations ». Enfin, ces deux instructions peuvent être ajoutées par le juge de l’application des peines « postérieurement à la décision de libération conditionnelle », en cours d’exécution de mesure .
De telles dispositions pourraient comporter le risque d’une demande trop systématique de suivi intensif de la part du juge de l’application des peines (JAP). Mais elles pourraient aussi rassurer le JAP sur la décision de libération conditionnelle, ainsi que renforcer son pouvoir de directive à l’égard du CIP. Le président de l’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP) rappelle en effet que le texte portant création des SPIP en 1999 n’a pas prévu de « mode de résolution des conflits » entre le JAP et le service de probation. Selon lui, il arrive que « la nécessaire collaboration entre le JAP et le SPIP [soit] mise à mal, le SPIP ne mettant pas à exécution les instructions du JAP et fonctionnant en totale autonomie. Dans ce cas, rien ne peut être fait. Pourtant les textes indiquent clairement que les juridictions d’application des peines ont pour rôle de prononcer des décisions, mais aussi de conduire le suivi » . De leur côté, les SPIP souhaiteraient que le JAP se contente de prendre les décisions juridictionnelles, notamment en cas d’incident, et les laisse décider de la nature du suivi à mettre en place. Pour Patrick MADIGOU, directeur du SPIP de Paris, « les JAP devraient cesser d’être des juges du suivi et devenir des juges de l’incident. Nous sommes là pour leur faire part du suivi, les alerter en cas de difficulté, et eux pour prendre les décisions juridictionnelles, notamment en termes de révocation ou modification de la mesure » .
Au Québec, l’agent de probation est laissé libre de la fréquence des entretiens. Le juge peut juste imposer que la personne se présente à l’agent de probation dans les deux jours ouvrables ou dans un autre délai, et par la suite « selon les modalités de temps et de forme fixées par l’agent de probation. Cela signifie qu’en fonction de l’évaluation des risques et des besoins, l’agent de probation peut après réévaluation du cas, diminuer la fréquence des rencontres ». Cette autonomie laissée à l’agent de probation va jusqu’à lui permettre de « cesser complètement l’intervention, mais uniquement dans le cas de la probation. S’il met fin aux rencontres, la personne demeure toutefois, d’un point de vue légal, en probation jusqu’à la date de fin de l’ordonnance » . Cette possibilité pour le travailleur social de mettre un terme au suivi dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve est particulièrement revendiquée par les SPIP français, qui souhaiteraient, alors qu’ils disposent de très peu de temps, réserver celui-ci aux personnes les plus en difficulté. Lucie TELBOIS, conseillère d’insertion et de probation au SPIP de Versailles, regrette que certains JAP soient « un peu frileux lorsque nous demandons un suivi administratif ou un classement. Quand une personne a rempli ses obligations et présente une bonne situation sociale et professionnelle, il peut arriver que le suivi n’ait plus d’objet » . Et une collègue de préciser que les dossiers proposés pour un suivi administratif (contrôle des papiers par courrier), un classement (suivi interrompu) ou un non avenu (mesure juridiquement close) « ne concernent pas des délinquants sexuels ou auteurs d’infractions graves, mais des délits mineurs ! » . Patrick MADIGOU, directeur du SPIP de Paris, cite l’exemple d’une personne condamnée à un SME de 18 mois ayant une partie civile à indemniser, pour un montant si élevé qu’elle va mettre quatre ans à le payer compte tenu de ses revenus. « Puisque le paiement devra être poursuivi au-delà de la fin de la mesure, la durée du SME pourrait être raccourcie quand tout se passe bien », invoque-t-il .
RECOMMANDATION
Un régime de suivi intensif devrait être défini par des criminologues en partenariat avec l’Administration pénitentiaire, afin d’en préciser le contenu et le cadre méthodologique, notamment en termes de diagnostic, fréquence et nature des entretiens, visites à domicile... Le juge de l’application des peines pourrait demander qu’une mesure commence par être exécutée sous ce régime, mais le CIP garderait la possibilité de diminuer l’intensité du suivi ultérieurement.
b) Un manque d’effectifs pour l’exécution des mesures
La crédibilité des mesures suivies en milieu ouvert s’avère directement liée au nombre de personnes suivies par travailleur social et par juge de l’application des peines. Dans son bilan de l’application de la loi du 9 mars 2004, le député Jean-Luc WARSMANN s’interroge en ces termes : « L’exécution et l’application des peines est-elle une priorité ? ». Estimant que « les moyens consacrés à l’exécution et à l’application des peines sont notoirement insuffisants », il plaide pour « leur renforcement drastique », « car, à défaut, c’est l’ensemble de l’édifice pénal qui s’en trouve fragilisé » .
Ratios de personnes suivies par CIP. Pour mettre en œuvre des suivis intensifs et accroître la fréquence des entretiens et visites, les services d’insertion et de probation (SPIP) ont essentiellement besoin de personnels supplémentaires. Alors que ces services ont toujours souffert d’un « sous-effectif chronique » , des recrutements importants ont eu lieu ces dernières années, mais ils ne parviennent pas encore à combler l’extraordinaire retard accumulé. L’Administration pénitentiaire n’étant pas en mesure de fournir le taux moyen d’encadrement des personnes suivies en milieu ouvert, la COUR DES COMPTES s’est référée, dans son rapport sur la gestion des prisons de janvier 2006, au nombre de personnes suivies en milieu ouvert rapporté au nombre total de personnels socio-éducatifs de l’Administration pénitentiaire. Elle a ainsi établi un ratio de 80,47 personnes suivies par agent des SPIP . Or, un tel taux ne prend pas en considération le fait que certains personnels des SPIP sont également ou exclusivement chargés du milieu fermé. Le ratio moyen est donc beaucoup plus élevé, mais il n’est pas disponible au plan national. Plusieurs SPIP nous ont donc communiqué leur taux d’encadrement au plan local, ainsi que ceux d’autres services dont ils avaient connaissance. Ainsi, Patrick MADIGOU indique que les SPIP de région parisienne se rapprochent d’un taux de 80 personnes suivies par CIP en milieu ouvert, mais que celui-ci est « beaucoup plus élevé en province » . Dans certains départements comme la Corse, il a connaissance d’un taux de 250 dossiers par CIP. Lucie TELBOIS, CIP à Versailles, confirme qu’il existe « une grande différence de moyens entre la région parisienne et la province, moins bien lotie » . Un autre CIP a connaissance de taux de « 70 à 120 personnes suivies par CIP » en région parisienne, alors qu’en province, « il se situe le plus souvent autour de 150, voire 200 » . Jean-François BOULARD signale un taux plus élevé pour le département du 93, se situant à « 150 personnes par CIP » et confirme un taux généralement situé entre « 100 et 200 pour la plupart des SPIP de province » . Sont également constatées des « fluctuations par secteurs au sein d’un même service ». Ainsi, dans le secteur de Trappes, les CIP ont en moyenne 80 personnes à prendre en charge, tandis que le secteur des Muraux, dépendant du même SPIP, se trouve à « 120 personnes suivies par CIP » . Le SPIP de Créteil semble avoir atteint le plus faible taux de prise en charge avec « 60 dossiers par travailleur social » . En synthèse, des taux situé entre 60 et 150 personnes par CIP sont indiqués pour la région parisienne et des taux de 100 à 250 pour la province.
Une situation sans comparaison avec celle des services de probation québécois, dans lesquels « chaque agent de probation doit superviser entre 40 et 60 cas (probation, sursis ou libération conditionnelle), selon les régions » . En Suède, le ratio est encore plus faible, soit de « 25 à 30 dossiers traités par agent » de probation. Chaque agent s’occupe d’un éventail de dossiers caractérisés par la nature du suivi en milieu ouvert : « participation à un programme d’évolution personnelle, traitement contractuel, peine de substitution, etc. » .
Recrutements de CIP en cours. « Personne ne s’étonne jamais que 10 % des personnels de l’administration prennent en charge les deux tiers de la population placée sous main de justice. C’est comme si seulement 10 % des forces de police étaient chargées de la sécurité publique », observe Patrick MADIGOU, directeur du SPIP de Paris . L’Administration pénitentiaire dispose en effet de 30 000 personnels, dont 23 000 surveillants et 2 400 travailleurs sociaux. Les premiers sont chargés de la garde de 60 000 personnes détenues, les seconds du suivi de 130 000 personnes en milieu ouvert, ainsi que de la réinsertion des détenus. « Entre la mission de garde et de réinsertion, et au regard de l’histoire, les priorités sont claires », estime le directeur du SPIP de Paris .
Néanmoins, des recrutements importants de conseillers d’insertion et de probation (CIP) ont été initiés ces dernières années, et le nombre de dossiers par travailleur social a déjà commencé à baisser en conséquence. Un travailleur social indique percevoir « une nette amélioration », puisqu’il a « suivi pendant des années entre 90 et 100 personnes et [se trouve] actuellement à 75 », ce qui lui permet « d’effectuer un travail plus approfondi avec les personnes les plus en difficulté » . Le directeur de l’Administration pénitentiaire informe que les effectifs des SPIP ont augmenté de près de 1 000 en quatre ans, s’élevant à 2 400 personnels en 2006 (une partie de ces personnels déjà comptabilisés se trouvent encore en formation). Claude D’HARCOURT estime qu’« aucun corps de l’Etat n’a connu une progression de cette importance » . Les personnels des SPIP rencontrés par la Commission confirment cette avancée, mais rappellent que leurs services partent de « très bas ». « Comme nous revenons de très loin, il est difficile de rattraper le retard accumulé. Certains services ne sont pas encore en mesure de faire face à toutes les missions et d’effectuer des prises en charge complètes », explique Christine LE ROCH, chef de service au SPIP de Fleury-Mérogis . Patrick MADIGOU estime qu’aujourd’hui, les SPIP se trouvent « toujours en déficit de personnel, même si de très importants recrutements ont eu lieu. Le rapport WARSMANN a estimé que 3 000 CIP supplémentaires étaient nécessaires, il y a eu 500 recrutements cette année. C’est très bien, mais cela doit continuer ». Et d’ajouter : « pendant très longtemps, les SPIP ont été le parent pauvre de l’Administration pénitentiaire et leurs moyens restent dérisoires » . D’autant que les tâches dévolues aux personnels de probation ne cessent de s’étendre, notamment avec la multiplication des écrits et la mise en place de la Nouvelle procédure d’aménagement de peine. En ce sens, le directeur de l’Administration pénitentiaire confirme que « l’organisation interne des SPIP n’est pas encore stabilisée alors que la réforme de 1999 est relativement récente » et que les services font face à une extension de leurs missions suite « à l’amendement Warsmann ». Il indique que l’Inspection des services judiciaires et l’Inspection des services pénitentiaires ont été chargées d’une enquête afin d’« évaluer si nous disposons des facteurs clés pour atteindre nos objectifs », une enquête désormais finalisée mais tenue secrète .
La profession doit par ailleurs faire face à un important phénomène de turn-over. « Beaucoup de personnes recrutées ne restent pas. Tous les ans, certains partent vers d’autres concours, car ils ne sont pas satisfaits et peuvent prétendre à d’autres fonctions », indique un CIP de région parisienne . Jean-François BOULARD confirme que « nombre de jeunes arrivés récemment ont des projets de changement professionnel et ne restent pas longtemps ». Il ajoute que « les nouveaux CIP doivent souvent accepter des affectations qui ne leur conviennent pas et demandent leur mutation dès la première année » . Le départ rapide des jeunes CIP vers d’autres carrières s’explique notamment par un niveau de recrutement qui s’est élevé, « de nombreuses personnes qui passent le concours [ayant] un Bac + 4 ou 5 ». Une fois en fonction, ces personnes se trouvent « confrontées à des tâches d’exécution alors qu’elles pourraient aspirer à d’autres parcours ». Elles découvrent aussi « la pénibilité du travail et les difficultés dues au manque de moyens » .
Ainsi, les objectifs fixés par le rapport WARSMANN demeurent, puisqu’il avait estimé que « le recrutement de l’équivalent de 3000 postes équivalents temps plein [semblait] indispensable afin de permettre le suivi efficace des exécutions de peine adaptées, et de redonner de la crédibilité aux mesures alternatives » . En tenant compte des 1 000 postes déjà créés ou en cours de création selon le directeur de l’Administration pénitentiaire, il resterait environ 2 000 CIP (ou autres professionnels) à intégrer aux services de probation. L’objectif à atteindre peut également être fixé au regard du ratio de personnes suivies par travailleur social, que Philippe POTTIER évalue à un CIP pour 50 personnes pour que les conseillers soient « en mesure d’effectuer un travail de qualité véritablement construit et adapté aux besoins de chaque personne, certaines [faisant] l’objet d’un suivi intensif, d’autres non » .
RECOMMANDATION
Pour être en mesure d’assurer une prise en charge effective de qualité, il apparaît que le nombre de dossiers confiés à un conseiller d’insertion et de probation doive être limité à 50 en moyenne. A cet effet, la CNCDH souligne l’importance du recrutement de près de 1 000 CIP depuis 2001. Elle engage les pouvoirs publics à poursuivre ce nécessaire investissement afin d’atteindre l’objectif de 3 000 personnels supplémentaires évalué en 2003.
Personnels administratifs. Si les effectifs des CIP ont tendance à se renforcer de façon perceptible sur le terrain, les personnels de probation s’alarment du manque de personnels administratifs. Philippe POTTIER signale ainsi « un manque de personnel administratif vertigineux, même si là encore, des postes commencent à être créés ». Pour illustrer la situation, il indique que le SPIP de Charente disposait d’une secrétaire pour huit travailleurs sociaux, « chargée de l’accueil des personnes, du standard, du courrier, de la gestion économique du service, des factures... ». Dans l’Essonne, la situation est encore plus préoccupante, puisque l’antenne de Corbeil chargée de 2 200 probationnaires « dispose de 25 travailleurs sociaux et 2,5 équivalents temps plein de secrétariat, ce qui est totalement insuffisant » . Avec pour conséquence un surcroît de travail pour les CIP, qui se retrouvent parfois affectés à certaines tâches administratives. Ainsi, « les CIP sont parfois sollicités pour tenir l’accueil en raison du manque de personnel administratif » . Cette pénurie de personnels administratifs est apparue suite à la réforme de 1999 créant les SPIP, dans la mesure où les CPAL étaient auparavant localisés dans les tribunaux, qui mettaient quelques personnes à disposition. « A partir du moment où on a délocalisé et autonomisé les services, les SPIP n’ont plus bénéficié des moyens du tribunal et la pénurie de personnel administratif est devenue plus criante », explique Nathalie GIGOU, CIP à Melun . Là encore, des recrutements sont en cours puisqu’un « recrutement exceptionnel de 100 personnels administratifs a été effectué en juillet 2006 » selon Lucie TELBOIS. Mais elle ajoute que « 100 nouvelles personnes pour toute la France, cela reste limité » . Alors que la France compte 101 SPIP, structurés en 101 sièges, 24 antennes en milieu fermé, 44 antennes en milieu ouvert et 136 antennes mixtes , l’ensemble des antennes ne se verra pas doté d’un personnel administratif supplémentaire.
Juges de l’application des peines. Du côté des JAP, des efforts « sans précédent » ont également été réalisés puisque 52 postes ont été créés en 2006, avec « une promotion à l’Ecole nationale de la magistrature qui est la plus importante depuis la création de la fonction », indique l’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP) . Néanmoins, la situation demeure préoccupante puisque la Justice compte 354 JAP au 31 décembre 2006, pour suivre une population de 40 000 détenus condamnés et 200 000 personnes placées sous main de justice. Comparée aux autres catégories de magistrats, notamment celle des juges d’instruction au nombre de 600, celle des JAP demeure « la plus minorée » selon l’ANJAP. En outre, les JAP partagent avec les juges d’instruction et les juges des enfants la particularité d’être appelés à d’autres tâches que ne le voudrait leur spécialisation. Ils peuvent être chargés d’autres contentieux tels que les affaires familiales ou siéger au tribunal correctionnel. « A cette aune, il est illusoire de prétendre mettre en œuvre un suivi personnalisé des condamnés », en particulier dans le cas du sursis avec mise à l’épreuve, que les juridictions prononcent massivement et dont les JAP ont la charge, déplore Jean-Luc WARSMANN. Enfin, les JAP pâtissent au premier plan du manque d’effectifs de greffes de tribunaux, alors que « le parachèvement de la juridictionnalisation des peines prévu par la loi du 9 mars 2004 implique un développement des débats contradictoires et, partant, une augmentation de la charge de travail incombant aux greffes », ajoute Jean-Luc WARSMANN .
Paradoxalement, le juge de l’application des peines « n’a jamais eu autant de compétences et de moyens juridiques à sa disposition, toutes les procédures ayant été judiciarisées, le JAP pouvant procéder lui-même à la révocation de la mesure ordonnée, etc. », rappelle Eric MARTIN, secrétaire général de l’Association nationale des juges de l’application des peines. Alors que le législateur a voulu « ces dernières années axer toute la politique de l’exécution des peines sur l’aménagement (art. 707 du CPP issu de la loi du 9 mars 2004) », Eric MARTIN constate que « les moyens correspondant n’ont pas été dégagés » . Alors qu’ils sont déjà « plombés par l’augmentation significative de la population pénale et la complexification de la procédure résultant de la loi du 15 juin 2000 », Michaël JANAS estime que les services de l’application des peines « ont les plus grandes difficultés à remplir leurs missions actuelles » et « seront rapidement dans l’incapacité de faire face aux nombreuses missions qui leur sont confiées par la loi du 9 mars 2004 ». Et d’estimer que la loi Perben II laisse « entrevoir un abîme entre la volonté du législateur et la réalité du terrain, entre un nouveau juge de l’application des peines chef d’orchestre efficace de la peine et un JAP alibi, qui n’aurait plus de prise sur les mesures qu’il est pourtant censé suivre » .
2 - LE CONTROLE DES OBLIGATIONS
Les magistrats doutent souvent de la rigueur du contrôle exercé en milieu ouvert et de la valeur punitive des mesures alternatives. Ils ont l’impression qu’elles relèvent « d’une surveillance si douce, si relâchée et si occasionnelle » qu’elles ne peuvent être reconnues comme de véritables mesures pénales de nature à remplacer des emprisonnements, estime le criminologue canadien Maurice CUSSON. Selon lui, les juges accepteraient plus souvent de prendre le risque d’une peine alternative à l’égard d’un prévenu potentiellement récidiviste « s’ils avaient l’option d’une mesure communautaire assurant une surveillance rigoureuse des condamnés » . Le constat est partagé en France : « Si le suivi était plus strict, si toutes les inobservations du contrat qui lie le travailleur social avec le condamné étaient sanctionnées, les magistrats seraient davantage enclins à prononcer ce genre de sanctions », estime Jacques FAGET . Cependant, les personnels de probation avertissent qu’on ne peut pas tout attendre d’un renforcement du contrôle. Autant il peut permettre d’améliorer la crédibilité des mesures et de les voir s’appliquer à des personnes aujourd’hui envoyées en détention faute d’alternative solide, autant il ne garantit pas en lui-même une amélioration de l’impact de ces mesures sur les trajectoires délinquantes et une moindre récidive.
2-1 - DES OBLIGATIONS EN PARTIE CONTROLEES PAR LES SPIP
Le Code de procédure pénale attribue sans équivoque aux services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) la responsabilité de mettre « en œuvre les mesures de contrôle » et de veiller « au respect des obligations imposées aux condamnés » à des peines alternatives ou en libération conditionnelle (article D.574 du CPP). Ainsi, « les travailleurs sociaux s’assurent que la personne confiée au service se soumet aux mesures de contrôle et respecte les obligations qui lui sont imposées » (article D.575 du CPP). Aujourd’hui, la plupart des personnels de probation ont intégré la dimension de contrôle du suivi en milieu ouvert comme indissociable du travail de réinsertion et de prévention de la récidive. Les obligations imposées fournissent un support au travail sur le passage à l’acte et intègrent le « contrat » passé avec la personne suivie. C’est pourquoi les conseillers d’insertion et de probation ne souhaitent pas que toute fonction de contrôle leur soit retirée, même s’ils constatent que certaines obligations ne peuvent relever que d’un contrôle de police ou d’autres professionnels.
a) Contrôle et accompagnement, deux dimensions indissociables
La réticence des personnels d’insertion et de probation à assumer une fonction de contrôle semble aujourd’hui largement dépassée. Une étude publiée en décembre 1999 sur les prédécesseurs des SPIP, les comités de probation et d’assistance aux libérés (CPAL), montrait déjà que « les oppositions qui faisaient débat parmi les professionnels entre partisans de l’aide et du contrôle, il y a encore une dizaine d’années, se sont largement émoussées depuis » . Christian MOUHANNA explique que « le métier d’éducateur ou travailleur social en milieu judiciaire s’est historiquement construit contre la prison. Mais cette tradition fondée sur Foucault les empêchait d’agir au quotidien », au sens où il est difficile de travailler en détention tout en refusant ce cadre. « Pour se faire accepter par l’institution pénitentiaire et le monde judiciaire, ils ont dû donner des gages comme quoi ils n’allaient pas protéger les délinquants et respecter la règle judiciaire ». Ainsi, les travailleurs sociaux de l’Administration pénitentiaire ont-ils « beaucoup évolué en une quinzaine d’années, passant d’une culture purement sociale à une intégration des contraintes de l’environnement judiciaire dans lequel ils interviennent ». Pour Christian MOUHANNA, les personnels de probation ont désormais « accepté la dimension de contrôle des mesures, qui devient de plus en plus importante dans la relation avec les personnes qu’ils suivent ». Alors qu’il y a une quinzaine d’années, ils se situaient plus « dans une démarche d’aide, de soutien, voire de maternage », ils sont aujourd’hui inscrits « dans une logique de contrat et de responsabilisation des personnes, de type ‘je vous aide, mais je ne vais pas faire les choses à votre place’ » .
Désormais, la plupart des professionnels insistent sur la nécessité de ne pas opposer leurs missions d’aide et de contrôle. La contrainte a été véritablement intégrée comme une « donnée du changement, qui permet d’améliorer la situation sociale et individuelle des personnes », explique Jean-François BOULARD, conseiller d’insertion et de probation . Et de vanter les mérites des contraintes en milieu ouvert, l’obligation de « répondre à une convocation, se déplacer, essayer d’arriver à l’heure, se rappeler du rendez-vous, prendre les transports, payer le ticket de métro... » inscrivant les personnes suivies « dans le tissu social ». Pour lui, « la contrainte est là, c’est cela la peine ». Il souligne également l’intérêt de la contrainte pour l’élaboration d’un plan de suivi par le CIP, puisque « la réaction des gens face à ces contraintes nous indique beaucoup sur le travail à effectuer » . Pour Christian MOUHANNA, les personnels de probation auraient presque « tendance à surenchérir » aujourd’hui, « en affichant des positions très fermes et en dénonçant le moindre manquement de la personne suivie » au juge de l’application des peines . Et pourtant, en dépit d’une telle évolution de la part des personnels de probation, « l’idée reste répandue parmi les magistrats que les travailleurs sociaux ne sont pas totalement fiables » . Une telle perception des personnels de probation ne correspond tellement plus à la réalité, qu’elle alimente le sentiment très répandu au sein des SPIP d’une méconnaissance du milieu ouvert par les magistrats.
Du côté des experts, le contrôle et l’accompagnement sont aussi considérés comme « deux volets inséparables de la prise en charge des personnes placées sous main de justice par les SPIP ». Annie KENSEY, docteur en démographie et chargée d’études à la direction de l’Administration pénitentiaire, explique en ce sens que les personnels d’insertion et de probation « ne font ni de la surveillance, ni de l’assistance », mais travaillent « à la responsabilisation de la personne placée sous main de justice » dans le cadre d’un mandat judiciaire. Ils exercent donc « à la fois une mission de contrôle des obligations et une mission d’accompagnement social », ces deux volets participant d’un même objectif : « la prévention de la récidive » . Une évolution française qui se rapproche de la tradition anglo-saxonne, puisque Rob CANTON explique que la « tradition anglaise en matière de probation n’admet même pas que le contrôle et l’aide puissent être en opposition ». Il estime que le contraste entre ces deux missions n’apparaît nettement « que lorsqu’il est supposé que la probation est censée contrôler les délinquants contre leur volonté ». Or, il s’avère que dans la pratique, l’une des tâches les plus importantes de la probation est de « tenter d’obtenir le consentement du délinquant et de le faire participer activement au plan de prise en charge, notamment en définissant avec lui des objectifs communs » .
Gagner une adhésion authentique
« Il faut les obliger à faire des choses même si elles ne le veulent pas, car il s’agit d’un moteur. Mais il faut aussi parvenir à les convaincre qu’elles doivent effectuer ces démarches pour leur bien et s’approprier la mesure. Sans ce tour de force, il ne se passe rien. Des condamnés respectent leurs obligations, se rendent aux consultations du psychothérapeute, justifient de leurs rendez-vous à la mission locale, mais nous savons que c’est du vent. Ils ne sont pas impliqués et ont compris que le juge se contente de papiers justifiant de démarches formelles. Ces paradoxes sont de plus en plus difficiles à dépasser, nous devons être très convaincants et impliqués... Nous n’y arrivons pas toujours. Une adhésion authentique se construit avec un minimum de temps. Personne n’adhère d’emblée à la mesure. Certaines personnes vont résister pendant toute la mesure, finalement avoir un déclic en fin de mesure, et nous ne savons pas ce qui leur arrive ensuite. D’autres personnes reviennent après une récidive, mais elles vont mieux, elles ont changé suite au travail effectué avec le SPIP et ses partenaires. D’autres encore veulent vraiment changer, ils en ont assez mais ils n’y arrivent pas, il leur faut du temps, avec parfois des rechutes... »
Jean-François BOULARD, CIP au SPIP de Versailles, audition CNCDH, 12 mai 2006.
b) Des obligations inégalement contrôlées
Les conseillers d’insertion et de probation peuvent contrôler le respect de certaines obligations imposées à la personne suivie par l’autorité judiciaire, mais pas toutes. Ainsi, contrôlent-ils directement l’obligation pour la personne de répondre à leurs convocations pour un entretien (2° de l’article 132-44 du Code pénal). Quand les personnes ne se présentent pas, les conseillers d’insertion et de probation (CIP) « vérifient leur situation et envoient généralement une deuxième convocation précisant qu’en l’absence de réaction, un signalement sera adressé au juge. Il s’agit de donner une chance à la personne de se reprendre. Si elle ne vient pas la deuxième fois, l’incident est signalé au juge », indique Philippe POTTIER . Les SPIP peuvent également vérifier le respect des obligations pour lesquelles la personne doit fournir des justificatifs, qui correspondent à des « injonctions de faire ». Ainsi en va-t-il de l’obligation d’exercer une activité, de se soumettre à des soins, de justifier du paiement d’une pension alimentaire, ainsi que d’indemniser les parties civiles.
Mais les travailleurs sociaux de l’Administration pénitentiaire ne sont pas en mesure de vérifier directement que la personne ne fréquente pas certains lieux comme les débits de boisson, ne détient pas d’arme ou n’entre pas en relation avec certaines personnes... Quand bien même ils en auraient les moyens, ils ne considèrent pas forcément que le contrôle de ce type d’obligations relève de leur responsabilité. La principale fédération d’associations socio-judiciaires, CITOYENS ET JUSTICE, considère par exemple qu’il ne « relève pas de la fonction d’une association de contrôler par des visites ou appels téléphoniques que le prévenu ne fréquente pas de débit de boissons après 23 heures ou respecte l’interdiction de retourner à son domicile ». Pour Denis L’HOUR, « certaines obligations relèvent d’un contrôle policier », même s’il reconnaît que les policiers se disent totalement démunis pour exercer cette fonction à l’égard des personnes placées sous contrôle judiciaire. En revanche, « si le travailleur social apprend qu’une de ses obligations n’est pas respectée par le prévenu, il le signalera au magistrat » .
Même lorsque les obligations prononcées peuvent être contrôlées par les CIP, ceux-ci ne sont pas toujours en mesure d’effectuer un contrôle suffisamment effectif, par manque de temps et de moyens. Christine LE ROCH, chef de service au SPIP de Fleury-Mérogis, l’explique ainsi : « Il est vrai que nous avons eu des services qui n’avaient pas les moyens de mettre en œuvre un suivi effectif en raison du manque de travailleurs sociaux et du fort nombre de personnes à prendre en charge. Cette réalité perdure même si nous évoluons vers des modes d’organisation et des recrutements permettant de l’amoindrir » .
Un support au travail socio-éducatif. Qu’elles soient directement contrôlées par le SPIP ou non, l’ensemble des obligations prononcées fournissent un cadre et un support que les travailleurs sociaux utilisent dans le cadre du suivi des personnes. Nathalie GIGOU, CIP à Melun, explique ainsi que « l’obligation d’indemniser la victime offre un support pour travailler sur la prise de conscience du préjudice, de l’infraction commise, et du rapport à l’autre ». Parmi les obligations qui ne sont pas contrôlées directement, « l’obligation de ne pas détenir d’armes implique de questionner la personne sur son rapport aux armes, pourquoi elle estime nécessaire d’aller et venir avec un couteau, un revolver ou une machette... » . Certes, le manquement à ce type d’obligations n’est en pratique découvert que si la personne se trouve contrôlée par la police ou si elle en réfère d’elle-même au travailleur social. « Si la personne est prise dans un contrôle de police, qu’elle porte une arme ou se trouve dans un débit de boissons, elle sera susceptible d’encourir une révocation de sa mesure, ce que nous lui avons expliqué dès le départ », explique Nathalie GIGOU . Cela ne signifie pas pour autant que les travailleurs sociaux ne travaillent pas sur les problématiques liées à ces obligations, pour une action plus en profondeur sur les origines du passage à l’acte. Pour les conseillers d’insertion et de probation, aucune obligation ne semble à elle seule pouvoir garantir la non réitération de l’acte délinquant. « Si le magistrat souhaite que le condamné n’aille pas dans un débit de boissons, il peut le lui notifier. Mais en l’absence de travail et de réflexion sur les faits, la personne retournera au produit à la fin de la mesure. Nous travaillons sur du plus long terme, dans la perspective d’un changement de comportement de la personne », explique un CIP de région parisienne . Christine LE ROCH ajoute que « le condamné peut respecter l’interdiction de fréquenter les débits de boissons et boire chez lui. Je ne suis pas sûre que ces obligations aient vraiment pour vocation d’être contrôlées et justifiées. Il s’agit plus d’un contrat moral entre une personne et la justice, d’une épée de Damoclès » .
Des personnels de probation incrédules. Plus globalement, les personnels de probation auditionnés par la Commission estiment que « la mise en cause de la crédibilité est un mauvais procès, qui ne constitue pas la vraie raison de la préférence des magistrats pour la prison ». La véritable raison relèverait davantage selon eux d’une représentation de la prison « présentée à l’opinion publique par le biais des médias comme étant l’unique façon de punir et de réparer » . Ainsi, Christine LE ROCH, chef de service au SPIP de Fleury-Mérogis, constate que des mesures telles que la semi-liberté, qui ne pose pas de problème de crédibilité puisque le condamné, au travail dans la journée et en détention le soir, est constamment « encadré », ne sont pas davantage utilisées par les magistrats. Elle considère également que le suivi socio-éducatif offre « plus de chances d’obtenir des résultats qu’un simple contrôle » . Pour Jean-François BOULARD, le discours du manque de crédibilité du milieu ouvert relève d’un mythe selon lequel « la peine aurait un sens en soi, une efficacité systématique ». Selon lui, « croire que la peine et la contrainte pénale apportent en elles-mêmes une garantie de réussite et de non récidive, est une méconnaissance totale de la réalité ». Dès lors, il lui paraît vain de « relever systématiquement le niveau de contrainte dans l’idée de garantir une efficacité ». Preuve en est selon lui que « la prison, contrainte la plus importante qui soit, ne représente pas un gage de réussite » en tant que « moteur de changement personnel » .
Dès lors, une adaptation de l’intensité du suivi et du contrôle à chaque personne apparaît préférable, en fonction de la nature de l’infraction, de la personnalité et de la situation de l’auteur. Avec certaines personnes, le niveau de contrainte pourra être rehaussé à certains moments « à risque », et relâché à d’autres moments, notamment pour obtenir une moindre résistance aux solutions proposées. Ainsi, il ne s’agit pas de procéder à un choix entre contrôle et accompagnement, mais bien d’améliorer et densifier en cas de besoin ces deux dimensions simultanément. Si l’aspect socio-éducatif gagnerait à bénéficier davantage d’outils criminologiques et de temps pour les entretiens, la dimension de contrôle doit parallèlement être renforcée, non pas à l’égard de l’ensemble des personnes actuellement suivies en milieu ouvert, mais à l’égard de celles présentant le plus de risque et de celles envoyées ou maintenues en détention alors qu’elles pourraient être mieux suivies en milieu ouvert. Une amélioration du contrôle des obligations viserait ainsi à crédibiliser les mesures alternatives en tant que véritables mesures pénales contraignantes, et de les appliquer à un plus large éventail d’auteurs d’infractions.
2-2 - RENFORCER LA DIMENSION DE CONTROLE
Différentes possibilités sont envisagées pour renforcer la dimension de contrôle du respect des obligations dans le cadre de l’exécution des mesures alternatives. D’une part, certains préconisent d’intégrer au sein des SPIP des surveillants pénitentiaires, ou de créer une fonction spécifique d’agent de probation ou de contrôle. D’autre part, un système de surveillance intensive pourrait être appliqué aux personnes présentant le plus de risque, s’il pouvait permettre d’étendre le champ d’application des mesures alternatives à des personnes envoyées « par défaut » en détention. Enfin, une forme de sanction plus systématique du manquement aux obligations apparaît nécessaire, afin de ne pas retirer toute crédibilité aux mesures ainsi qu’aux personnels chargés de leur mise en œuvre.
a) Les possibilités d’intégrer d’autres personnels
Philippe POTTIER, ancien directeur de SPIP, estime que le milieu ouvert est perçu comme « une structure ‘molle’ », notamment « parce qu’il n’est composé que de travailleurs sociaux ». Pour être en mesure d’assumer de véritables expertises criminologiques, les SPIP devraient notamment intégrer des psychologues, chargés de superviser certains suivis et programmes. Pour être en mesure « d’exercer un contrôle véritable, non seulement sur les personnes adressées aujourd’hui au milieu ouvert, mais aussi sur celles envoyées en prison ‘par défaut’ », les SPIP devraient également intégrer des personnels de surveillance de l’Administration pénitentiaire, comme c’est déjà le cas dans certains d’entre eux. Pour Philippe POTTIER, les surveillants pourraient par exemple « aller contrôler la présence du condamné sur le lieu de son TIG, vérifier que tout se passe bien avec l’entreprise... », un travailleur social n’ayant pas le temps de le faire aujourd’hui . Ils pourraient également être chargés des contrôles administratifs comme le contrôle du paiement des indemnités à la victime ou de justificatifs de revenus. De même, certains premiers entretiens après condamnation visant à remplir une fiche de renseignements, vérifier l’identité et la situation de la personne pourraient être confiés aux surveillants, la personne repartant avec une convocation pour son premier entretien avec un conseiller d’insertion et de probation (CIP). Un tel dispositif pourrait permettre aux CIP d’éviter certains entretiens inutiles et de se concentrer sur le suivi socio-éducatif et le travail sur le passage à l’acte pour lequel ils sont les seuls compétents. Une proposition à laquelle adhère Patrick MADIGOU, directeur du SPIP de Paris, qui dispose déjà dans son service de surveillants pénitentiaires. Il estime que les SPIP gagneraient « à intégrer des personnels de surveillance, qui pourraient être chargés notamment des suivis « administratifs », nécessitant un simple contrôle par voie postale. Pour suivre une personne bien insérée n’ayant qu’une partie civile à indemniser, ce n’est pas la peine de former un CIP à l’ENAP pendant deux ans » .
De son côté, le député WARSMANN avait proposé de clarifier la mission des conseillers d’insertion et de probation et de créer la fonction d’agent de probation. Ainsi, proposait-il de réserver aux CIP « les tâches de conception du suivi, d’orientation et de supervision », tandis que les agents de probation assureraient sous leur contrôle « les visites à domicile, les contrôles téléphoniques, les envois de courriers » ainsi que le contrôle des justificatifs à fournir par la personne suivie . L’intérêt d’une telle proposition serait de distinguer plus clairement les missions de contrôle et d’accompagnement socio-éducatif, avec la difficulté néanmoins d’établir une frontière stricte entre ces deux dimensions imbriquées. Par exemple, il semble difficile de décréter que les visites à domicile relèvent du contrôle, alors qu’elles peuvent faire partie intégrante du suivi socio-éducatif, notamment dans le cadre du placement sous surveillance électronique. Dès lors, la possibilité d’intégrer des personnels chargés d’effectuer certaines tâches de contrôle et de sécuriser les locaux doit être envisagée, sans pour autant imaginer de scinder le travail des conseillers d’insertion et de probation entre contrôle et accompagnement, question qui doit davantage se régler par une diminution du nombre de personnes suivies par CIP.
RECOMMANDATION
La possibilité d’intégrer des personnels (agents de probation, surveillants pénitentiaires...) chargés par les CIP d’effectuer certaines tâches de contrôle devrait être envisagée par l’Administration pénitentiaire. Ces personnels pourraient notamment se voir confier le contrôle des justificatifs, ainsi que le respect de certaines obligations telles que l’assignation à résidence.
Paris : l’expérience d’un SPIP sécurisé
Le SPIP de Paris est installé rue Charles-Fourier dans un immeuble moderne du 13ème arrondissement, où le ministère de la Justice loge également les juges de l’application des peines du TGI et différentes associations ou syndicats (Genepi, Syndicat de la magistrature, SNEPAP, CLIP...). Le service de probation reçoit les personnes placées sous main de justice en application d’une mesure présentencielle (31 ajournements avec mise à l’épreuve, 216 contrôles judiciaires au 17 juillet 2006), sentencielle (2845 sursis avec mise à l’épreuve, 354 TIG, 454 sursis-TIG) ou post sentencielle (199 libérations conditionnelles, 276 « article 723-15 », 179 « éligibles NPAP », 31 placements sous surveillance électronique, 10 placements extérieurs). Le SPIP reçoit également les sortants des prisons de toute la région parisienne, qui peuvent le solliciter dans les six mois suivant leur élargissement dans le cadre du SRAIOPS (Service régional d’accueil, d’information et d’orientation pour les personnes sortantes). Ce service est réservé aux sortants libérés depuis moins de six mois sans mesure judiciaire.
Tous les visiteurs franchissent un portique de sécurité à l’entrée des locaux, permettant d’éviter que des personnes n’entrent avec des objets dangereux. Ils passent ensuite à l’accueil, géré par trois surveillants pénitentiaires en civil. Ceux-ci enregistrent les documents en possession des personnes, vérifient leur situation pénale sur le fichier national des détenus et le casier judiciaire. C’est alors que certains sortants de prison comprennent qu’ils se trouvent sous le coup d’une mesure de sursis avec mise à l’épreuve, prononcée en plus de la partie ferme lors du jugement (peines mixtes). Outre l’accueil et l’orientation des personnes, les surveillants sont chargés de la sécurité dans les locaux, notamment au moyen de plusieurs caméras. Ils interviennent notamment si un travailleur social déclenche une alarme manuelle située sur son porte-clé. Aucun incident grave n’est à déplorer, mais il arrive régulièrement que des personnes se présentent sous l’effet de drogues, aient des réactions agressives ou fassent des malaises. Le pôle d’accueil se trouve en lien direct avec le commissariat de police ainsi que la caserne des pompiers.
Après leur passage à l’accueil, les prévenus et condamnés attendent leur tour dans des salles d’attente ouvertes, séparées par des cloisons vitrées transparentes. Ils sont ensuite reçus par les travailleurs sociaux dans des boxes mitoyens et fermés, dont la porte extérieure est également vitrée. Ainsi peut-on voir à l’intérieur des bureaux depuis le couloir. Chaque boxe est pourvu d’un bureau avec un ordinateur et deux chaises, en l’absence de tout autre mobilier. La durée des entretiens est variable et imprévisible, si bien que le planning des rendez-vous est difficile à gérer. Jusqu’à 160 personnes peuvent se présenter certains jours pour un rendez-vous. Outre le suivi par un CIP référent, le SPIP organise des permanences de l’ANPE et de la CPAM. Un médecin tient une permanence deux fois par semaine, pour des premiers soins et pour des visites obligatoires liées à certaines mesures (avant un TIG, par exemple). Un psychologue intervient pour conseiller les CIP sur certains cas, ainsi que pour superviser un groupe de parole mis en place à l’intention des auteurs de violences conjugales. Le SPIP a également l’intention d’ouvrir une bibliothèque dans ses locaux. Il organise d’ores et déjà l’accès à certains événements culturels. Le SPIP de Paris a la particularité de recevoir de nombreuses personnes sans domicile fixe. Il fait office de service de domiciliation pour les personnes sans adresse, qui peuvent y recevoir leur courrier. Il est particulièrement confronté à la pénurie d’hébergements d’urgence (moins de 300 places pour l’ensemble de la ville).
Compte-rendu d’une visite de la CNCDH au SPIP de Paris le 17 juillet 2006.
b) Un système de surveillance intensive ?
Afin de gagner la confiance des magistrats et du public, les mesures alternatives devraient pouvoir être associées à un système de « surveillance intensive » dans certains cas. Des programmes de surveillance intensive ont trouvé un essor particulier aux Etats-Unis, et dans une moindre mesure au Canada. S’ils obtiennent des résultats intéressants en termes de récidive, il apparaît cependant qu’ils ne sont pas appliqués à des personnes qui faisaient auparavant l’objet d’emprisonnement (cf. encadré ci-dessous « Programmes de surveillance intensive anglo-saxons »). En revanche, le nouveau cadre d’exécution des « ordonnances d’emprisonnement avec sursis » au Québec, peine plus sévère que la probation, obtient à la fois de bons résultats en termes de récidive et de substitution à l’emprisonnement.
L’emprisonnement avec sursis au Canada. L’emprisonnement avec sursis est une peine entrée en vigueur le 3 septembre 1996 au Canada. Elle ne peut pas être comparée au sursis simple français, mais se rapproche d’un sursis avec mise à l’épreuve dont la dimension de contrôle aurait été très renforcée. Cette mesure peut être appliquée aux personnes condamnées à une peine d’emprisonnement de moins de deux ans « si le tribunal est convaincu que le fait de purger [leur] peine au sein de la collectivité ne met pas en danger la sécurité de celle-ci » . Dans un jugement du 31 janvier 2000 (arrêt Proulx), la Cour suprême du Canada est venue rappeler la définition et le régime du sursis, en précisant notamment la différence avec la probation au sein du système pénal canadien. Ainsi, la Cour a-t-elle rappelé que « le juge qui détermine la peine ne doit jamais oublier que le sursis à l’emprisonnement ne doit être prononcé qu’à l’égard des délinquants qui autrement iraient en prison. S’il est d’avis qu’il est inutile d’imposer des conditions punitives, c’est alors la probation, et non le sursis à l’emprisonnement, qui est selon toute vraisemblance la mesure appropriée ». Pierre LALANDE explique ainsi que « l’emprisonnement avec sursis vise à permettre à l’accusé d’éviter l’emprisonnement, mais non la punition (...) le législateur [souhaitant] que l’emprisonnement avec sursis ait un effet plus punitif que la probation, qui doit tendre davantage vers la réinsertion sociale » .
Cette définition implique concrètement que :
- le délinquant soumis au régime du sursis doit faire l’objet de contrôles serrés, aux côtés des mesures de réinsertion sociale ;
- des conditions punitives restreignant la liberté telles que l’assignation à domicile et les couvre-feux stricts doivent être la règle plutôt que l’exception ;
- le tribunal doit être au fait des mesures de surveillance existantes ;
- cette sanction vise les personnes qui seraient autrement en prison, mais qu’on peut maintenir dans la collectivité en exerçant des contrôles serrés.
Un nouveau cadre d’exécution au Québec. L’arrêt de la Cour suprême est intervenu au terme de plus de trois ans d’utilisation du sursis par les tribunaux canadiens, alors que les juges québécois s’étaient à plusieurs reprises « questionnés sur les capacités des services correctionnels à exercer des contrôles serrés ». Ceux-ci n’avaient en effet pas les moyens d’assurer « correctement la surveillance des conditions d’assignation à domicile et de couvre-feu, notamment la nuit et le week-end » . C’est pourquoi les services correctionnels du Québec ont commencé à implanter un nouveau cadre de gestion de l’emprisonnement avec sursis à partir de septembre 2001. Les activités de contrôle sont désormais confiées à un agent des services correctionnels, qui « s’assure du respect des conditions à caractère punitif », les activités d’insertion étant pour leur part confiées à un intervenant désigné en fonction du profil du contrevenant. La surveillance est effectuée par le biais de quatre à six vérifications téléphoniques par semaine et d’une à deux visites à domicile impromptues par mois. Ces deux types de vérification s’exercent de « façon aléatoire et sur la base d’un horaire variable jour/soir/nuit », sept jours sur sept. Cela signifie que la personne subissant cette peine aura entre 17 et 26 contacts par mois avec l’agent de contrôle, auxquels viennent s’ajouter les 2 rendez-vous obligatoires avec le travailleur social. Dans le cadre de ses activités de contrôle, l’agent des services correctionnels peut également mettre à contribution les services de police, informés du nom des personnes soumises à un emprisonnement avec sursis à l’égard desquelles ils « pourront exercer une vigilance particulière » . Afin de rendre ce nouveau cadre de gestion effectif, les services correctionnels québécois ont « embauché 66 agents correctionnels supplémentaires pour assurer le contrôle des assignations à domicile et les couvre-feux », précise Pierre LALANDE .
Un gain de crédibilité auprès des tribunaux. Les résultats d’une étude du Centre international de criminologie comparée de l’Université de Montréal montrent que ce nouveau cadre de gestion a considérablement amélioré la crédibilité de la peine de sursis et des services de probation auprès des tribunaux . Il a ainsi entraîné des changements importants quant à l’utilisation de cette mesure par les tribunaux, notamment une augmentation quant à son recours et à sa durée, ainsi qu’une utilisation accrue des conditions restrictives de liberté. Plus particulièrement, la condition de demeurer à son domicile (assignation à domicile ou couvre-feu) est passée de 43,5 % à 86 % après l’implantation du nouveau cadre de gestion. Par ailleurs, l’évaluation a établi que les services de probation ont « effectué un suivi rigoureux des conditions restrictives de liberté, qu’il y a eu des suites aux manquements observés et une diminution significative du taux de récidive depuis l’implantation du cadre de gestion ». La mesure a été jugée crédible, non seulement parce qu’il y avait une surveillance du respect des obligations, mais aussi parce qu’il y avait « des réponses systématiques aux manquements observés ». Pour tous les sursis prononcés au Québec entre le 1er février 1999 et le 4 septembre 2002 (plus de 15 000), le taux de récidive enregistré a été d’un peu moins de 7 % en cours de mesure .
Une autre étude publiée en 2004 par les chercheurs canadiens J.V. ROBERTS et T. GABOR démontre que dans l’ensemble du Canada, « l’emprisonnement avec sursis aurait entraîné une diminution significative du nombre d’admissions en détention », même si un léger effet de « net widening » est observé à l’égard d’une partie des contrevenants, auparavant sanctionnés moins sévèrement . J.V. ROBERTS soutient dans une autre étude que « si l’emprisonnement avec sursis est accompagné de conditions appropriées et que les personnes contrevenantes sont adéquatement supervisées, cette sanction a le potentiel de promouvoir, d’une manière plus efficace que l’emprisonnement, les principaux objectifs de détermination de la peine et de s’appliquer à un plus grand éventail de contrevenants que les autres mesures dans la communauté » .
Programmes de surveillance intensive anglo-saxons
« Juste au moment où on semblait avoir réalisé des progrès et avoir adopté un traitement efficace confirmé en matière de probation et de libération conditionnelle, une contre-révolution s’est fait jour, amenant avec elle des stratégies axées sur la punition (Martinson, 1976). À l’exception de quelques rapports faisant mention de la réussite de certains programmes d’intervention destinés aux délinquants en probation ou en liberté conditionnelle (p. ex., Davidson, Redner, Blakely, Mitchell & Emshoff, 1987 ; Ross, Fabiano & Ewles, 1988), les stratégies favorisant une attitude intransigeante, stratégies distinctes, connues également sous l’appellation de sanctions intermédiaires, ont été mises en application à grande échelle dans le domaine de la probation et de la libération conditionnelle. Ces sanctions intermédiaires ont été appelées ainsi parce qu’elles découlent de la notion selon laquelle les stratégies de dissuasion axées sur le recours excessif à l’incarcération étaient rudimentaires et onéreuses tandis que la probation, avec ou sans traitements, était jugée trop indulgente. Fait intéressant à noter, certains défenseurs des sanctions intermédiaires ont affirmé que la probation pouvait avoir un effet punitif plus important encore que l’incarcération (Petersilia, 1990). La forme la plus répandue de ces sanctions est le Programme de surveillance intensive (PSI). En parlant du PSI appliqué dans l’État de Géorgie, qui est tenu pour un modèle aux États-Unis par certains, Billie J. Erwin soutenait mordicus que : « nous avons pour mandat de faire pression sur les probationnaires [...] de répondre aux demandes du public qui exige des punitions justes. [...] Les criminels doivent être punis pour leurs actes » (Erwin, 1986, p. 17).
Cette nouvelle génération de PSI s’est rapidement répandue aux États-Unis et, dans une proportion moindre, au Canada. Ces programmes ont notamment augmenté substantiellement les contacts entre les agents et les délinquants, favorisé le recours à la détention à domicile et à la surveillance électronique des délinquants, fait respecter les heures de rentrée et obligé les délinquants à se soumettre à des tests de dépistage, à dédommager les victimes ainsi qu’à payer pour avoir le privilège d’être surveillé. La plupart des PSI ont eu recours à ces sanctions dans diverses proportions et ont mis l’accent sur la fréquence des contacts entre les délinquants et les agents de probation ou de libération conditionnelle. L’admission des délinquants à des camps de type militaire, leur arrestation rapide ou la signification sans délai d’une citation à comparaître après l’accusation de violence conjugale sont autant d’autres exemples de sanctions intermédiaires.
Outre leur but sous-jacent visant la punition et la réduction des coûts de surpopulation des établissements correctionnels, les PSI étaient censés favoriser la conformité sociale par la menace de punition (Gendreau, Cullen & Bonta, 1994). Ce résultat était grandement attendu. Les sanctions intermédiaires donnent-elles des résultats probants ? Jusqu’à présent, elles semblent plutôt « agrandir le filet » parce qu’elles ciblent les délinquants à faible risque qui seraient normalement mis en probation pendant un certain temps. Les données démontrent que le recours à des sanctions intermédiaires peut faire augmenter l’éventail d’infractions visées et entraîner une hausse des taux d’incarcération (Gendreau, Goggin & Fulton, 2001). Quant à la récidive, l’efficacité des sanctions intermédiaires n’était pas démontrée dans les études sur lesquelles les auteurs se sont penchés. Il convient de souligner qu’une corrélation positive montre que la sanction a entraîné une augmentation de la récidive, tandis qu’une corrélation négative fait état d’une sanction ayant supprimé la récidive ou l’ayant fait diminuer. (...) En fait, l’examen des tailles d’effet découlant des sanctions intermédiaires qui devaient offrir une certaine dose de traitement - dans chaque cas, le traitement, ayant été mal défini, était impossible à évaluer sur le plan de la qualité - a donné des résultats intéressants. L’ajout d’un élément de traitement a donné lieu à une réduction de 10 % de la récidive. Sur ces preuves, il peut être conclu provisoirement à l’efficacité des sanctions intermédiaires si elles sont conjuguées au traitement.
Extraits de Paul GENDREAU, Claire GOGGIN, Francis T. CULLEN, Donald A. ANDREWS, « Les effets des sanctions communautaires et de l’incarcération sur la récidive », dans Compendium 2000 des programmes correctionnels efficaces, dirigé par Laurence L. MOTIUK et Ralph C. SERIN, service correctionnel du Canada, Ottawa, 2001.
c) La sanction du non-respect des obligations
Aujourd’hui, il semblerait que les travailleurs sociaux de l’Administration pénitentiaire n’aient plus de réticences à signaler au juge de l’application des peines les manquements des personnes suivies à leurs obligations. L’enjeu est de taille, puisque la légitimité des mesures alternatives dépend de la rigueur de leur exécution, ce qui implique de signaler tout incident au magistrat. Pour Jacques FAGET, « il faut comprendre que le défaut de sanction de l’inexécution de la mesure encourage en réalité une répression accrue ». A l’heure du développement de la théorie du « rational choice », selon laquelle le délinquant serait un acteur rationnel effectuant des choix en toute conscience que ne peuvent excuser des conditions sociales (pauvreté, violence familiale, discrimination raciale...), les mesures alternatives doivent voir leur « dimension répressive et structurante » renforcée, afin de ne pas être considérées comme des « excuses sociales ». D’où la nécessité de rappeler et surtout, « confirmer par la pratique », que « les mesures alternatives sont de véritables sanctions, exigeantes, difficiles pour les individus et beaucoup plus efficaces que la prison » . Dès lors, Jacques FAGET estime que « si l’inexécution des obligations n’est pas sanctionnée, la mesure perd tout sens pour l’individu, pour le travailleur social », ainsi que pour les partenaires intervenant dans l’exécution des mesures. Le travailleur social signalant un manquement au juge après en avoir averti le prévenu ou condamné perd toute légitimité si le magistrat ne donne aucune suite à son signalement. De même, le magistrat perd-t-il sa crédibilité s’il a prononcé des obligations dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve dont le travailleur social ne contrôle pas la bonne exécution. « Afin que les alternatives soient structurantes et légitimes, les inobservations doivent être sanctionnées d’une façon ou d’une autre » , estime Jacques FAGET. En pratique, certains juges de l’application des peines (JAP) considèrent qu’ils ne sont pas informés suffisamment tôt du mauvais déroulement d’une mesure. De leur côté, les personnels de probation, qui avertissent parfois exagérément le juge du moindre manquement observé, regrettent l’absence de réaction de certains JAP à leurs signalements. Une conseillère d’insertion et de probation indique ainsi : « Nous faisons des rapports de carence de plus en plus circonstanciés et justifiés, mais la révocation de la mesure suit rarement... Du coup, c’est notre propre crédibilité vis-à-vis de la PPSMJ [population placée sous main de justice] qui en pâtit » .
Quelle sanction ? En cas de manquement aux obligations, la révocation de la mesure peut être prononcée par le juge et entraîner l’incarcération de la personne. Cette option pose problème lorsque la peine alternative a été utilisée, non pas en remplacement d’une peine d’emprisonnement, mais davantage par défaut, afin d’éviter une absence de sanction. Elle peut également intervenir au mauvais moment du parcours d’un condamné, le manquement aux obligations ne signifiant pas nécessairement un échec total de la mesure. Pour Jean-François BOULARD, les magistrats ont trop souvent tendance à considérer que « si les obligations fixées par le tribunal ne sont pas respectées, la mesure ne fonctionne pas et doit être interrompue. A contrario, il suffit que les obligations soient respectées pour qu’ils s’imaginent que la personne est tirée d’affaire » . Or, certaines personnes ne parviennent pas à respecter leurs obligations alors qu’elles souhaitent réellement échapper à leur carrière délinquante. A contrario, d’autres personnes ne rencontrent aucune difficulté à respecter formellement leurs obligations, mais ne changent rien à leur comportement et leur mode de vie délinquant. Dès lors, si les personnels de probation doivent signaler au magistrat tout manquement de la personne à ses obligations, les juges devraient également tenir compte de leur avis avant de prendre une décision de révocation. En effet, le CIP en charge de la personne peut apporter une connaissance précise du parcours de la personne suivie et un avis pertinent sur l’utilité ou non de révoquer la mesure. Dans certains cas, il peut être imaginé qu’un manquement aux obligations ne soit pas sanctionné par l’emprisonnement, mais d’une autre manière, comme un rappel de ses obligations et du cadre de la mesure à la personne suivie, ou encore une modification du contenu de la mesure et des obligations. Néanmoins, il apparaît acquis que le manquement aux obligations ne devrait pas être laissé sans réponse comme il l’est souvent aujourd’hui. Les juges de l’application des peines devraient ainsi apporter une réponse - qu’elle qu’en soit la nature - aux signalements effectués par le CIP, ou alors justifier auprès du travailleur social leur décision de ne pas intervenir.
RECOMMANDATION
Il apparaît nécessaire que le manquement à ses obligations de la personne suivie ou la non exécution de la mesure soient signalés par les conseillers d’insertion et de probation au juge de l’application des peines. Il apparaît également souhaitable qu’un signalement du CIP soit suivi d’une réponse du JAP, qu’il s’agisse d’un simple rappel, d’une modification du contenu de la mesure, ou de sa révocation.
3 - L’ORGANISATION DU MILIEU OUVERT
A maints égards, le milieu ouvert présente des signes de fragilité. D’une part, les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) sont des structures jeunes, créées en 1999 et qui n’ont pas véritablement achevé leur organisation. Les SPIP demeurent également des structures secondaires au sein de l’Administration pénitentiaire, qui consacre l’essentiel de ses moyens aux établissements pénitentiaires. Ils pâtissent également d’une grande méconnaissance de leur activité auprès du grand public, mais aussi, dans une moindre mesure, du monde judiciaire. Enfin, ils ne disposent pas de moyens propres en ce qui concerne leur activité d’insertion, et dépendent de structures de droit commun elles-mêmes affectées par une diminution de leurs crédits et intégrant difficilement le « public justice ». Le secteur associatif auquel les mesures pénales présentencielles sont de plus en plus confiées, présente pour sa part un niveau de professionnalisation inégal et l’exécution de mesures pénales par le secteur privé continue de poser un problème de principe.
3-1 - DES SPIP EN VOIE DE CONSOLIDATION
Avec la création des SPIP en 1999, la France s’est enfin dotée de véritables services de probation. Néanmoins, ces services n’ont pas encore achevé leur organisation ni harmonisé leurs fonctionnements. Alors qu’ils ne disposent pas de moyens propres en matière d’insertion, ils rencontrent également certaines difficultés à faire admettre leur public au sein des dispositifs de droit commun.
a) Une création inachevée
Les objectifs de la réforme portant création des SPIP ont été jusqu’à présent inégalement atteints. Certains services ont, par exemple, maintenu une scission de leur intervention entre milieu ouvert et milieu fermé, alors que la réforme visait à une continuité des prises en charge. Par ailleurs, la création des SPIP n’a pas permis au milieu ouvert, comme on aurait pu l’espérer, d’acquérir une place réellement plus importante au sein de l’Administration pénitentiaire. Le milieu ouvert reste maintenu dans l’ombre, n’ayant pas profité de la réforme pour accéder à une plus grande visibilité.
La réforme de 1999 et ses objectifs. C’est le décret n°99-726 du 13 avril 1999 qui a créé les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), visant à rassembler au sein d’une même structure départementale les anciens services socio-éducatifs des établissements pénitentiaires et les comités de probation et d’assistance aux libérés (CPAL) implantés dans les tribunaux. Les services socio-éducatifs, auparavant placés sous la responsabilité du chef d’établissement pénitentiaire, et les CPAL, soumis à l’autorité des juges de l’application des peines, devaient être dégagés de ces deux tutelles pour être placés sous la responsabilité d’un seul directeur de SPIP, issu de l’Administration pénitentiaire. L’intérêt de la réforme est notamment de donner à ces services une compétence départementale qui leur faisait défaut et de répondre à la nécessité « de mieux articuler la mission d’insertion de l’Administration pénitentiaire avec les politiques publiques conduites dans ce domaine » . En acquérant une compétence départementale, les SPIP sont ainsi devenus « de véritables partenaires des politiques publiques et peuvent développer des projets bénéficiant d’aides publiques ou de partenariats qu’ils n’auraient pas pu solliciter auparavant », explique Eric MARTIN, secrétaire général de l’ANJAP .
Un autre objectif de la réforme était d’assurer une continuité du suivi des personnes, les mêmes travailleurs sociaux devant intervenir à la fois en détention et en milieu ouvert. Cet objectif a été très inégalement mis en œuvre, puisque certains services ont maintenu des antennes spécialisées en milieu fermé (24 antennes en 2005) et d’autres antennes n’intervenant qu’en milieu ouvert (44 en 2005) . En outre, parmi les SPIP ayant adopté la mixité des interventions, rares sont ceux qui n’ont pas maintenu une affectation de chaque travailleur social soit au milieu ouvert, soit au milieu fermé. Philippe POTTIER, ancien directeur de SPIP en poste à la direction de l’Administration pénitentiaire, admet qu’une équipe puisse de spécialiser dans le suivi des détenus condamnés à de très longues peines lorsque le département comporte une maison centrale. Mais certains SPIP ont selon lui maintenu « sans justification la scission entre milieu ouvert et milieu fermé ». Ainsi, « des SPIP implantés à côté d’une maison d’arrêt ont maintenu trois travailleurs sociaux pour la prison et six pour le milieu ouvert, alors qu’une équipe mixte pourrait tout à fait suivre les détenus depuis leur incarcération jusqu’à la fin de leur libération conditionnelle ». Il explique qu’en Charente, a été instauré « un fonctionnement entièrement mixte, chaque travailleur social intervenant à la fois en milieu fermé et en milieu ouvert » . L’intérêt d’une continuité de la prise en charge est de permettre aux travailleurs sociaux ayant préparé une libération conditionnelle de la mettre en œuvre une fois le détenu libéré et de simplifier la relation avec les partenaires participant à la mesure. Pour Philippe POTTIER, le fonctionnement actuel différent d’un service à l’autre « ne facilite pas la lisibilité de l’intervention des SPIP » . Eric MARTIN, juge de l’application des peines, regrette lui aussi que l’objectif de transversalité de la réforme ait été « sacrifié sur l’autel des moyens ». Il fait observer que « beaucoup de SPIP ont en partie abandonné l’idée que tous les travailleurs sociaux s’occupent des mêmes personnes en milieu fermé et en milieu ouvert, la spécialisation par mesure étant plus productive ». Pourtant, pour les juges de l’application des peines, « le parcours du condamné - élément clé des décisions - est plus difficile à identifier quand le suivi est scindé » . Philippe POTTIER ajoute que « l’Administration pénitentiaire n’a pas été assez volontaire, en validant 99 % des projets de services lors de leur création, y compris ceux contraires à la réforme. A présent, il faut rattraper cette erreur » .
Un milieu ouvert négligé et maintenu dans l’ombre. La réforme n’a pas non plus permis au milieu ouvert d’acquérir une place plus importante au sein de l’Administration pénitentiaire. Ainsi, Philippe POTTIER rappelle que « historiquement, l’Administration pénitentiaire, ce n’est que la prison ». Il indique qu’en dehors des salaires, « le fonctionnement des SPIP dans une direction régionale comme celle de Bordeaux représente moins de 5 % des crédits de fonctionnement de l’année. Depuis la création des SPIP, nous sommes passés de 0 à 5 %, puisque le fonctionnement des CPAL était intégré à celui des tribunaux. Au regard des moyens consacrés par d’autres pays à leurs services de probation, nous avons des marges de progression énormes » . La part minime des moyens consacrés au milieu ouvert est également frappante dans la répartition des personnels, 23 000 surveillants étant chargés de 60 000 détenus et 2 500 travailleurs sociaux de 130 000 personnes en milieu ouvert.
Outre ces différences de moyens, la communication des pouvoirs publics sur le milieu ouvert est rare, et peu relayée par les médias. Pour Michaël JANAS, président de l’Association nationale des juges de l’application des peines, « il faut aussi que la loi soit assumée publiquement. La loi Perben II du 9 mars 2004 n’a pas fait l’objet d’une importante communication sur les mesures alternatives, alors qu’elle marque une grande avancée dans ce domaine. Seul le « plaider coupable » a été mis en avant. Le milieu ouvert et l’application des peines n’intéressent personne car notre monde a horreur de la complexité, mais aussi en raison d’un grave déficit de communication institutionnelle ». Il estime qu’il est de la responsabilité du pouvoir politique d’expliquer que « l’aménagement de peine représente la meilleure prévention de la récidive, que pour protéger la société, il ne faut pas que les détenus sortent en fin de peine, que l’aménagement n’est pas un cadeau, mais une véritable contrainte... ». A défaut, il en est « réduit à une communication de crise ». Ainsi, à l’occasion d’une récidive d’un condamné en libération conditionnelle, « aucun politique ne défend plus les aménagements de peine » .
Pour Patrick MADIGOU, directeur du SPIP de Paris, la principale difficulté du milieu ouvert « réside dans le fait qu’il n’intéresse personne », y compris au sein du monde judiciaire. Lorsqu’il lui est arrivé de demander à des journalistes pourquoi ils ne parlaient pas du milieu ouvert, il lui a été répondu que « cela n’intéresse pas les gens ». Il regrette que dans les médias, la libération conditionnelle soit présentée comme « une simple libération anticipée, la dimension de suivi et de contrôle n’étant jamais évoquée ». Patrick MADIGOU estime que les professionnels et associations « qui gravitent autour de la prison ont aussi une responsabilité dans cette focalisation des médias sur les conditions de détention » .
Les personnels de probation subissent quotidiennement une perte de motivation induite par le manque d’intérêt manifesté à l’égard de leur travail. Ainsi Christine LE ROCH, chef de service au SPIP de Fleury-Mérogis, relève combien « il est frappant de constater à quel point le milieu ouvert est inconnu ». Elle estime que le milieu ouvert « n’est pas rendu visible, il ne fait pas l’objet d’évaluations rendues publiques. Un important travail pédagogique doit être effectué afin d’expliquer au public qu’une personne suivie en sursis avec mise à l’épreuve pendant trois ans est astreinte à telle et telle obligation, se trouve en liberté mais n’est pas libre de tout » . Si un important travail pédagogique reste effectivement à entreprendre en France, il apparaît que l’image d’un public incapable de comprendre l’intérêt des mesures alternatives relève de représentations erronées. Ainsi, Sonja SNACKEN, criminologue belge présidant le Conseil de coopération pénologique du CONSEIL DE L’EUROPE, rappelle que « plusieurs études d’opinion ont montré que le public est plus enclin à accepter des sanctions alternatives que le monde politique et les magistrats » .
Mettre en lumière la dimension punitive des mesures alternatives
« Il faut mettre en lumière la dimension punitive et restrictive des mesures alternatives. Dans ce sens, le public apprécie la peine de travail d’intérêt général (TIG), car elle oblige le délinquant à faire quelque chose de positif en rétribution de son acte. Dans une étude que nous avons réalisée en Belgique, nous avons demandé au public quelle peine devrait être imposée à un cambrioleur récidiviste : 20 % des personnes voulaient l’envoyer en prison, 50 % préféraient un TIG et 20 % une médiation pénale. Le TIG était parfois conçu de manière très punitive : ainsi, certaines personnes interrogées voulaient imposer 1 000 ou 1 500 heures de TIG, alors que la durée maximale du TIG en Belgique est de 300 heures. Peut-être que l’image répressive du TIG est plus claire pour certains que celle de la prison, dont on croit parfois que les détenus y passent leur temps « à regarder la télé ». Dans le même cas présenté aux magistrats, 66 % voulaient une peine de prison parce que le délinquant était récidiviste et avait donc déjà eu « une faveur ». Cette idée de faveur est associée aux sanctions alternatives dans la culture pénale, plus que dans l’opinion publique. La limite se situe pour tous dans les atteintes aux personnes très graves, pour lesquelles la prison demeure la réponse unique. Mais là encore, nous observons des différences parmi les pays européens. L’Allemagne ou les Pays-Bas privilégient tellement l’idée de traitement que le pourcentage de délinquants sexuels incarcérés est beaucoup plus bas qu’en France ou en Belgique. Ces pays estiment que 10 ou 20 ans de prison ne traitent pas la délinquance sexuelle et que le problème sera identique à la sortie de détention. La protection des victimes futures nécessite donc un traitement des causes de la délinquance. »
Sonja SNACKEN, professeur de criminologie à l’Université de Bruxelles et présidente du Conseil de coopération pénologique du Conseil de l’Europe, audition CNCDH, 30 mai 2006.
En septembre 2004, un congrès international était organisé en Suisse sur le thème de « la probation face aux médias et à la politique ». Différents experts internationaux sont notamment parvenus à la conclusion que les services de probation devraient chercher eux-mêmes à « s’ouvrir, faire connaître leur travail au public et rechercher à cette fin le dialogue et la collaboration avec les médias » . Il apparaît en effet que les directeurs de SPIP devraient être non seulement autorisés, mais formés aux relations avec les médias. Aujourd’hui, il semble inadmissible au regard des principes des droits de l’homme que les personnels de probation français ne soient toujours pas autorisés à s’exprimer publiquement sur l’exercice de leur métier. Ils ne peuvent prendre la parole qu’au nom de leur syndicat, ou après autorisation de la direction de l’Administration pénitentiaire, qui fait tout son possible pour contrôler et limiter la parole de ses personnels. Ces pratiques, qui paraissent anachroniques, nuisent à une meilleure connaissance et valorisation du travail réalisé en milieu ouvert.
Le professeur Hans-Jürgen KERNER, directeur de l’Institut de criminologie de l’Université de Tübingen (Allemagne), insiste pour sa part sur les deux principaux arguments qui pourraient être mis en avant par les services de probation pour convaincre les hommes politiques et le grand public de l’intérêt des mesures alternatives. En premier lieu, l’argument du « coût de l’exécution des peines en milieu fermé, nettement plus élevé que celui des formes alternatives d’exécution » doit être sans cesse rappelé. En second lieu, l’argument de l’impact des mesures alternatives sur la récidive doit être mis en avant. Ainsi, « une étude longitudinale (sur 40 ans) de l’Université de Tübingen a montré que sur une longue période, 70 % des cas de probation en Allemagne ont une issue positive ». Hans-Jürgen KERNER indique qu’une « bonne assistance de probation a pour effet d’allonger les intervalles avant une éventuelle récidive et d’atténuer cette dernière ». Et de fournir un autre résultat intéressant : « l’étude longitudinale a montré que pour la réinsertion des personnes en probation, l’acquisition d’un nouveau capital social (autrement dit la capacité d’avoir de bonnes et solides relations humaines dans quelque domaine que ce soit) avait plus d’importance que des facteurs tels que le logement, le travail, etc.) » .
RECOMMANDATIONS
- La CNCDH exhorte les pouvoirs publics à faire œuvre de pédagogie dans leurs interventions publiques concernant le milieu ouvert. Ainsi, sont-ils invités à expliquer que les mesures alternatives ne constituent pas des faveurs mais des mesures contraignantes mieux à même d’agir sur les causes de l’infraction et la prévention de la récidive que la détention. De même, l’argument du moindre coût des mesures alternatives pour le contribuable doit-il être mis en avant.
- Les directeurs de SPIP devraient être formés aux relations avec les médias et incités à communiquer pour expliquer la nature de leur intervention, ainsi que leurs résultats sur la base d’évaluations.
b) Des partenariats indispensables
En dehors du travail sur le passage à l’acte, tout l’accompagnement socio-éducatif des travailleurs sociaux de l’Administration pénitentiaire consiste à favoriser « l’accès aux droits et aux dispositifs d’insertion de droit commun » des personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire (article D.573 du Code de procédure pénale). Or, les services de droit commun refusent régulièrement de prendre en charge les publics dits « justice » et ont tendance à les renvoyer vers les SPIP, notamment parce qu’ils se trouvent eux aussi en déficit de moyens. De la même manière, des secteurs tels que la psychiatrie sont tellement saturés qu’il est difficile pour les SPIP de faire appliquer des obligations de soins de plus en plus nombreuses dans des délais et conditions acceptables. Enfin, il apparaît que la coopération entre les différents métiers (judiciaire, social, sanitaire, psychiatrique...) intervenant dans la prise en charge des personnes suivies en milieu ouvert pose de nombreuses difficultés, alors qu’elle devient de plus en plus incontournable.
Des SPIP aux structures de droit commun. Avec la réforme de 1999, il a été entériné que les services pénitentiaires d’insertion et de probation ne disposent pas de « moyens propres (centres de formation, foyers...), à la différence des services de probation anglais », explique Jean-Pierre BAILLY, directeur du SPIP des Yvelines. Ils doivent donc actionner les dispositifs de droit commun en faveur des personnes placées sous main de justice. Or, en pratique les services sociaux refusent souvent de prendre en charge des personnes ayant eu affaire à la Justice et « les renvoient vers les SPIP », ce qui représente une « véritable discrimination », estime Jean-Pierre BAILLY. Il raconte le cas d’une jeune mère « qui avait été écrouée, puis placée en sursis avec mise à l’épreuve. Alors qu’elle s’adressait au Conseil général car elle se trouvait sans domicile avec son bébé, il lui a été répondu d’aller voir le SPIP. Que signifie un tel transfert de mandat PMI vers l’Administration pénitentiaire ? », s’indigne-t-il . Les conseillers d’insertion et de probation confirment que « le secteur social et les espaces territoriaux [leur] renvoient fréquemment les personnes qu’ils repèrent comme placées sous main de justice, en estimant qu’il s’agit de [leur] public » . Ils constatent eux aussi une « une stigmatisation des publics dit ‘justice’ » . Lucie TELBOIS, CIP au SPIP de Versailles, a elle-même rencontré le cas récemment « d’une personne sortie de prison depuis trois ans, à laquelle les services sociaux répondaient encore qu’ils n’étaient pas compétents ». Elle regrette qu’il faille sans cesse rappeler aux services sociaux qu’une « personne qui a purgé sa peine est un citoyen comme les autres, qui s’inscrit dans le droit commun, même s’il a la possibilité pendant 6 mois de se présenter » au SPIP .
Les services de probation ont eu des moyens propres dans le passé, notamment pour financer des titres de transport, des chèques multiservices, voire de l’hébergement. Mais depuis la réforme de 1999, « il a été décidé que nous devions renvoyer sur les dispositifs de droit commun, qui n’ont pas suivi le mouvement », explique une chef de service . Le rapport WARSMANN signalait déjà que « les services locaux territoriaux de droit commun ont tendance à ne plus intervenir pour le public justice dès lors qu’ils sont saisis, ce qui n’est pas acceptable, et détourne le SPIP de ses missions essentielles ». Ainsi, les conseillers d’insertion et de probation « se dispersent dans l’exécution de missions qui ne leur incombent pas (constitution d’un dossier RMI ou CMU...) ou qui ne nécessitent pas la qualification qui est la leur » . Cependant, les personnels de probation estiment que l’Administration pénitentiaire a une responsabilité dans le manque d’information qui a été dispensé aux services de droit commun au moment de la réforme de 1999. Dès lors, ils n’ont pas tous intégré que les SPIP ne disposaient plus de moyens propres. Ainsi, Christine LE ROCH, chef de service au SPIP de Fleury-Mérogis, estime que « les services de droit commun ne sont pas toujours suffisamment informés de ce changement. Ils sont également surchargés. Lorsqu’ils apprennent qu’il y a un référent social quelque part, ils ont tendance à renvoyer sur lui, c’est compréhensible » .
Pour Jean-Pierre BAILLY, si la France souhaite développer les mesures alternatives à la détention, « la collectivité devra assurer le régime de droit commun pour tous », y compris les sortants de prison et personnes sous mesure judiciaire. Selon lui, les collectivités territoriales ont en partie abandonné au moment de la décentralisation des années 1980-82 la prévention de la délinquance primaire (première infraction), mais aussi celle de la délinquance secondaire (récidive). « Nous n’avons quasiment plus de prévention primaire de la délinquance dans ce pays », s’insurge-t-il. Les collectivités ont également abandonné la prévention de la récidive, assumée par les SPIP. Or, l’ancien détenu de retour dans sa ville pose des difficultés en tant que citoyen de la commune s’il récidive. Dès lors, les communes et territoires devraient intégrer selon lui que la prévention de la récidive « relève bel et bien de leur responsabilité ». Alors que les SPIP sont de plus en plus confrontés à des personnes lourdement désinsérées dont « il faudrait reprendre les trajets sociaux à la base » , l’Administration pénitentiaire n’est pas en mesure d’assumer une telle fonction.
Encore faut-il que les services sociaux de l’Etat et des collectivités territoriales ne voient pas également leurs moyens réduits. Ainsi, Nathalie GIGOU, conseillère d’insertion et de probation au SPIP de Melun, signale-t-elle que « la saturation des services sociaux se retrouve au niveau de nos partenaires associatifs, en particulier les centres d’hébergement d’urgence ». Elle rappelle qu’il y a quelques années, les travailleurs sociaux de l’Administration pénitentiaire trouvaient encore « des possibilités d’hébergement et de formation pour les publics très désocialisés. Aujourd’hui, c’est quasiment impossible, parce que nos partenaires ont vu leurs subventions baisser de façon drastique, ou parce qu’ils ont des subventions leur imposant de cibler leurs publics. Généralement, ils nous disent qu’ils ne peuvent pas prendre en charge les publics qui n’ont pas accès au RMI ou à une allocation Assedic ». Nathalie GIGOU, en poste depuis 1989, affirme n’avoir « jamais été confrontée à une situation aussi dramatique » . Un tableau noir que viennent compléter ses collègues. Christine LE ROCH ajoute que la tendance des services sociaux est de ne plus prendre en charge « les personnes les plus désinsérées », qui cumulent « des problèmes financiers, d’addictions, de troubles du comportement... » et constituent justement l’essentiel du public des SPIP. Ces personnes ont parfois « épuisé certaines structures qui ne veulent plus les accueillir ». Au titre des problèmes insolubles auxquels sont confrontés les CIP, la chaîne du logement complètement bloquée, dans la mesure où « des personnes ayant un emploi et un salaire fixes occupent des hébergements sociaux dont elles ne relèvent pas, car elles ne parviennent plus à accéder au logement privé » . Dès lors, les personnes plutôt désinsérées s’installent dans le secteur du logement d’urgence et les personnes très désinsérées, qui devraient bénéficier de ces hébergements d’urgence, se retrouvent à la rue. La formation professionnelle se trouve également en grande difficulté, « des restrictions budgétaires [ayant] été effectuées par l’Etat sur toute la formation professionnelle des adultes et les rémunérations CNASEA », explique Christine LE ROCH . Ainsi, une « formation professionnelle devient inaccessible sans argent », confirme Lucie TELBOIS . Ces différentes observations correspondent à la réalité décrite dans le rapport du député Jean-Luc WARSMANN sur l’application de la loi du 9 mars 2004, qui constate que « l’absence de structure d’hébergement représente un obstacle considérable à la réussite de la mise en œuvre d’aménagements de peine ». Il précise que « l’évolution du prix de l’immobilier en Ile-de-France accroît cette difficulté, les quelques rares structures d’accueil disponibles, souvent par l’intermédiaire du samu social, ayant recours à des prestations hôtelières assurant un hébergement de très courte durée, et donc inadapté à la mise en place de mesures de sortie de détention qui requièrent une stabilité des structures ». Outre le problème du logement, il confirme aussi qu’en matière de préparation à l’emploi ou de formation professionnelle, « les SPIP souffrent du faible nombre de partenaires à leur disposition, qu’il s’agisse des associations oeuvrant dans le domaine de l’insertion ou de celles intervenant en matière de formation professionnelle » .
Confrontés à de telles difficultés, les SPIP ne devraient plus être laissés par leurs autorités de tutelle seuls responsables des partenariats avec les dispositifs de droit commun. Des circulaires communes aux différents ministères concernés devraient rappeler précisément aux services sociaux la répartition des tâches entre les SPIP et les dispositifs de droit commun. Des réunions interprofessionnelles devraient également être organisées à l’échelon départemental pour rappeler les responsabilités des différents secteurs à l’égard de la population sous main de justice en milieu ouvert, ainsi que pour débattre de façon régulière des difficultés rencontrées. Les recours devant les tribunaux administratifs des usagers concernés devraient également être clairement indiqués et diffusés. Enfin, il convient de rappeler que les possibilités d’intervention des SPIP en matière lutte contre la récidive peuvent se voir, sur le plan de l’insertion sociale, annihilées par le manque de ressources des secteurs sociaux et sanitaires. Dès lors, une véritable politique de sécurité publique se devrait inévitablement d’intégrer un développement des ressources de ces secteurs.
L’exemple de l’obligation de soins. Alors que les juges du siège « commencent à assortir presque systématiquement les mesures d’obligation de soins, en vertu d’un principe de précaution » , cette obligation est très difficile à mettre en œuvre en raison d’un défaut de moyens sanitaires. Nicole MAESTRACCI, présidente du tribunal de grande instance de Melun, signale ainsi que « le délai d’attente était en 2005 d’environ six mois dans les consultations d’alcoologie de [son] département. Pourtant ces mesures fonctionnent très bien, permettant la rencontre avec le système de soins, la prise de conscience de ses propres limites par rapport à la prise d’un produit... ». De même, s’agissant de la délinquance sexuelle, elle considère que « les nombreuses mesures imaginées ne seront pas efficientes tant que les moyens du secteur psychiatrique ne seront pas accrus et que l’articulation avec la justice reposera sur la seule bonne volonté des acteurs » . Nathalie GIGOU, conseillère d’insertion et de probation au SPIP de Melun, confirme à quel point « le secteur de la psychiatrie se porte également très mal ». Parmi les personnes soumises à une obligation de soins, celles qui ont les moyens de consulter un psychiatre dans le secteur privé sont rares. Pour les autres, les SPIP travaillent avec les Centres médico-psychologiques (CMP), qui proposent des consultations gratuites. Mais « leur délai d’attente est de plusieurs mois (4 à 5 mois pour le CMP d’Evry) ». En outre, certains CMP considèrent que les publics « justice » ne sont pas prioritaires « car ils ne sont pas dans une démarche volontaire ». Enfin, une fois le suivi mis en œuvre, la fréquence des rendez-vous proposés n’est souvent que d’« une fois par mois, voire tous les deux mois, donc un suivi thérapeutique très peu soutenu » .
Dans ces conditions, l’obligation de soins peut perdre tout son sens, tout comme le travail préalable effectué par le conseiller d’insertion et de probation (CIP) pour convaincre la personne de la nécessité d’une aide thérapeutique. En effet, il arrive fréquemment que le CIP consacre plusieurs mois à effectuer auprès de la personne un long « travail d’explication et d’incitation ». Il s’agit dans un premier temps d’expliquer « pourquoi l’obligation de soins a été prononcée par le tribunal ». Puis, il faut « évaluer avec la personne comment elle aborde cette obligation, quels sont ses besoins et ce qu’elle peut en faire », explique Nathalie GIGOU . L’objectif étant d’éviter que la personne rencontre le médecin uniquement pour obtenir un justificatif de présence et saisisse au contraire cette occasion pour se confronter à ses problèmes avec l’aide d’un thérapeute.
Afin d’éviter d’engorger davantage un secteur psychiatrique déjà sinistré, il serait en premier lieu nécessaire de réfléchir aux façons de limiter le nombre d’obligations de soins prononcées. En effet, selon Patrick MADIGOU, « une bonne partie des 5 000 personnes suivies à Paris n’a pas besoin de soins. Si nous mettions en place un diagnostic scientifique, nous pourrions évaluer avant la mise à exécution de cette obligation si la personne en a réellement besoin » . Ainsi, les SPIP pourraient-ils être chargés, s’ils avaient les moyens d’intégrer en leur sein des psychologues, d’évaluer si une obligation de soins est nécessaire avant sa mise à exécution. Un meilleur tri des personnes avant de les adresser en consultation permettrait, non seulement d’éviter d’engorger inutilement les CMP, mais aussi d’améliorer les relations avec le secteur psychiatrique souvent lassé de se voir confier des personnes ne relevant pas de soins.
De même, les SPIP devraient être mis en capacité de dégager du temps pour instaurer une meilleure qualité de partenariat avec les CMP et les centres d’alcoologie, dans l’optique d’améliorer la prise en compte du public « justice » et son suivi. Un CIP indique par exemple que le SPIP des Yvelines a effectué « un important travail de partenariat avec le CMP et le centre d’alcoologie ». Un travail qui « demande beaucoup de temps et d’investissement, mais finit par porter ses fruits ». Ainsi, deux infirmiers du CMP se sont « spécialisés en accueil « personnes justice » et les orientent en fonction de l’urgence des soins ». Quant au centre d’alcoologie, il a mis en place « des groupes de parole sur des thèmes comme ‘l’alcool et la route’ » .
Un manque de coopération. Les difficultés des SPIP ne se résument pas à un manque de moyens, mais résultent aussi d’un manque de coopération entre les différents acteurs intervenant à l’égard des populations sous mesure judiciaire en milieu ouvert. Selon Denis L’HOUR, directeur général de la fédération d’associations socio-judiciaires CITOYENS ET JUSTICE, « les problématiques du public ont beaucoup évolué, mais la révolution des métiers du social n’est pas encore aboutie ». Ainsi, les travailleurs sociaux du secteur public et des associations doivent-ils « envisager de nouvelles formes d’intervention plus transversales, alliant le traitement de la précarité, le logement social, le travail, la réinsertion, la santé... ». Des formes d’intervention nécessitant une concertation et une coordination entre « les différents métiers et structures (direction régionale de l’Administration pénitentiaire, JAP, SPIP, associations, préfet, FSE, affaires sociales...) » , qui peinent à s’inscrire dans la culture et les pratiques françaises. Dans le même sens, les recherches de Jacques FAGET montrent que « les bonnes pratiques reposent souvent sur des relations de confiance entre les différents acteurs de la chaîne pénale ». Or, il est constaté que ces relations sont rares et instables. D’une part, parce que les magistrats changent souvent de juridiction. D’autre part, parce que « les cultures juridique et sociale se rencontrent difficilement », les acteurs des SPIP et des tribunaux oeuvrant « dans le même sens mais défendant chacun leurs intérêts personnels » .
RECOMMANDATIONS
- La CNCDH demande que les directions régionales de l’Administration pénitentiaire soient chargées d’organiser un système permanent de concertation et de coordination entre les différents métiers et structures intervenant dans l’exécution des mesures alternatives (juges de l’application des peines, services de probation, préfectures, services sociaux de l’Etat et des collectivités territoriales, associations, centres médico-psychologiques...).
- Une circulaire commune aux différents ministères concernés devrait rappeler précisément aux collectivités territoriales leur responsabilité en termes de prévention de la récidive, ainsi que la répartition des tâches entre les SPIP et les dispositifs de droit commun. Les recours devant les tribunaux administratifs des usagers concernés devraient également être clairement indiqués et diffusés.
3-2 - L’APPEL AUX ASSOCIATIONS EXTERIEURES
Les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) ne sont pas les seules structures à mettre en œuvre des mesures pénales en milieu ouvert. Ainsi, le secteur présentenciel se voit-il en grande partie dévolu au secteur associatif. La qualité de prise en charge par les associations peut s’avérer particulièrement innovante dans certains cas, mais aussi manquant de professionnalisme dans d’autres. En tout état de cause, la prise en charge d’une mission d’exécution des peines par le secteur privé pose une question de principe, que les pouvoirs publics rechignent à trancher.
 a) Le présentenciel délégué au secteur associatif
Dans les années 1980, le ministère de la Justice a fait le choix de confier l’essentiel des mesures de contrôle judiciaire à dimension socio-éducative (CJSE) à des associations, essentiellement pour des raisons économiques, mais aussi pour une question de rapidité. En effet, la création de postes de CIP, période de scolarité comprise, ne permet pas d’avoir de nouveaux travailleurs sociaux opérationnels avant trois ans, tandis que la prise en charge par les associations peut être rapidement effective. Selon les chiffres communiqués par le directeur des Affaires criminelles et des grâces, 68 % des CJSE ont été confiés à des associations en 2004, 30,7 % aux SPIP, et le reste à des personnes privées . Progressivement, il apparaît que le secteur présentenciel soit transféré au secteur associatif, la plupart des SPIP et les syndicats de travailleurs sociaux n’y ayant pas opposé de véritable résistance, notamment en raison de leur surcharge de travail.
Des enjeux financiers. Aujourd’hui, le recours au secteur associatif se justifierait principalement par des enjeux financiers. Philippe POTTIER explique ainsi qu’un emploi créé dans la fonction publique « doit être financé jusqu’à la retraite ». De son côté, une association habilitée « reçoit une subvention annuelle, qui peut être interrompue d’une année sur l’autre » . La situation des comités de probation et d’assistance aux libérés étant résolument catastrophique dans les années 1980, avec un travailleur social pour 250 probationnaires, il est apparu préférable de déléguer le plus possible un secteur présentenciel en essor. Mais avec la mise en place dans les juridictions des contraintes de la LOLF (loi organique relative aux lois de finances), il semblerait qu’il devienne plus difficile pour les tribunaux d’avoir recours aux services des associations, le budget des « frais de justice » dont elles dépendent étant désormais strictement limité. En effet, le financement des mesures présentencielles mises en œuvre par les associations est pris en charge dans le cadre des frais de justice, au même titre que des mesures d’enquêtes telles que les expertises ADN. Pour Denis L’HOUR, directeur général de l’une des principales fédérations d’associations socio-judiciaires, « la masse financière destinée aux associations se voit ainsi grignotée, alors que les politiques sociales judiciaires représentent déjà une faible part de l’ensemble des frais de justice - entre 6 et 8 % - quand le gardiennage de véhicules compte pour 18 %, les expertises ADN et les écoutes téléphoniques autour de 28 % » . Avec pour conséquence un risque de diminution des mesures confiées aux associations, sans que celles-ci ne puissent le prévoir et s’y adapter. « Un tribunal arrivant au terme de ses moyens financiers risque de cesser d’adresser des mesures aux associations. D’autant que dans le cadre du service public, le tribunal peut augmenter le nombre de mesures adressées aux SPIP sans frais supplémentaires », indique Philippe POTTIER .
La fragilité financière des associations est déplorée de toutes parts. Jacques BEAUME, procureur du TGI de Marseille, dénonce une « restriction budgétaire drastique de la politique associative ces dernières années ». Il mentionne le cas d’associations chargées du suivi de jeunes majeurs qui « se sont vues couper les vivres, y compris pour des mesures qu’elles avaient déjà effectuées au cours de l’année 2005 » . Dominique BARELLA, responsable de l’Union syndicale des magistrats, estime pour sa part que les associations chargées de la mise en œuvre du contrôle judiciaire « n’ont pas les moyens d’appliquer cette mesure de façon suffisamment efficace. De nombreux foyers et associations se trouvent en cessation de paiement, car ils vivent des subventions de l’Etat, pour lequel ils effectuent des prestations de service. Or, nous pouvons observer dans le cadre de la LOLF un véritable sous-investissement dans ce secteur » .
Des problèmes déontologiques et pratiques. La dépendance financière des associations peut également poser de véritables questions éthiques dans le cadre de l’exécution des mesures. Au titre des effets pervers mentionnés, le fait que « certaines associations travaillent de façon à obtenir le plus de financements possibles », indique Philippe POTTIER . Certaines peuvent notamment répondre à des demandes explicites ou implicites des magistrats outrepassant le cadre de la mesure. « Quand le CIP rend un rapport de trois pages au magistrat, en estimant que toutes les données nécessaires à la décision y figurent, l’association peut établir un rapport de 30 pages, entrant dans les moindres détails de la vie du prévenu. Le contrôle judiciaire est alors utilisé de façon abusive en termes de contrôle social, s’agissant d’une personne non encore jugée », estime Philippe POTTIER . Une telle situation résulte d’un manque de clarté et de contrôle de la procédure d’habilitation des associations. De fait, les magistrats sont laissés totalement libres d’habiliter telle ou telle association, voire de la créer eux-mêmes, sans qu’aucune question d’indépendance ne soit soulevée. Lorsqu’un magistrat part d’un tribunal, il arrive que son successeur décide d’habiliter non pas l’association déjà en place, mais une autre association avec laquelle il travaillait auparavant. Dans une petite juridiction, « la concurrence entre deux associations entraîne inéluctablement la disparition de l’une des deux », explique Denis L’HOUR. Parfois, la qualité des mesures s’en voit améliorée. D’autres fois, des compétences accumulées pendant des années par une association se voient « réduites en miettes » .
Quant à la qualité de prise en charge des mesures par les associations, elle apparaît très inégale. Certaines d’entre elles ont acquis un savoir criminologique et mis en place des outils de travail véritablement novateurs, si bien qu’elles représentent une véritable valeur ajoutée pour une juridiction. Certaines de leurs pratiques gagneraient d’ailleurs à être évaluées et diffusées au titre de « bonnes pratiques » dans le secteur de la probation. D’autres associations manquent de repères criminologiques et de professionnalisme, confiant notamment certains suivis à des personnes bénévoles n’ayant pas le statut de travailleur social. Le chercheur Christian MOUHANNA observe que « dans de plus en plus de juridictions, les associations viennent faire concurrence au SPIP » alors que leur qualité d’intervention est selon lui très variable. Certains contrôleurs judiciaires des associations « ont une véritable formation de travailleur social, adoptant parfois une approche plus compréhensive que les SPIP. D’autres relèvent d’un profil plus répressif, lorsqu’il s’agit par exemple d’anciens gendarmes à la retraite, qui axent les prises en charge sur le contrôle » . Nicole MAESTRACCI, présidente du tribunal de grande instance de Melun et de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS), estime pour sa part que les associations ont été créées « dans un certain artisanat, avec relativement peu de moyens » et que « la justice a manqué d’exigence professionnelle à leur égard ». Elle déplore également que les associations n’aient pas été créées en articulation avec les SPIP, entraînant « un dispositif éclaté, mal coordonné, et au final, peu efficace » .
 b) L’exécution des mesures pénales : une mission régalienne
De nombreux professionnels et chercheurs sont par principe opposés au fait que l’exécution de mesures pénales puisse être totalement déléguée au secteur privé, comme il en va déjà de l’essentiel des contrôles judiciaires. Ils estiment que cette mission relève par essence du domaine de l’Etat et redoutent que la délégation du contrôle judiciaire représente « une porte ouverte à la prise en charge privée d’autres mesures judiciaires » . Une évolution à laquelle Patrick MADIGOU, directeur du SPIP de Paris est « par principe opposé, car l’exécution des mesures pénales doit rester du domaine de l’Etat » . Philippe POTTIER, directeur du SPIP de l’Essonne à la date de l’audition, considère également par principe « contestable de confier à une structure privée une mesure pénale comportant autant de restriction de liberté qu’un CJSE » . Dans le même sens, le chercheur Jacques FAGET relève que nous assistons « de plus en plus à un processus de privatisation de la mise en œuvre des mesures alternatives, qui s’appuie notamment sur l’insatisfaction d’un certain nombre de magistrats à l’égard des performances du secteur public ». Il estime que cette évolution, qui s’inscrit dans le cadre « d’un mouvement global de privatisation de la politique pénale et d’une délégitimation du secteur public, érode la fonction régalienne symbolique de l’Etat » . Le chercheur Christian MOUHANNA ajoute qu’en acceptant de céder le contrôle judiciaire aux associations « les SPIP ont perdu en crédibilité auprès de l’institution judiciaire ». En effet, ils sont apparus aux juges d’instruction comme n’étant pas à même de prendre en charge les mesures de contrôle judiciaire. Or, les juges d’instruction siègent aussi en correctionnelle. « Si le SPIP est décrédibilisé sur le présentenciel, il l’est aussi sur le sentenciel », explique Christian MOUHANNA. C’est pourquoi « certains SPIP continuent à se battre pour faire du contrôle judiciaire, même si c’est très coûteux pour eux. Ils embauchent parfois des vacataires pour y parvenir ». L’essor du secteur associatif serait néanmoins en train de marginaliser certains SPIP dans leurs juridictions. En effet, certaines associations « rayonnent sur plusieurs tribunaux et investissent toute nouvelle mesure, dans tous les champs du traitement judiciaire. Dès qu’une nouvelle mesure est adoptée, l’association propose ses services au procureur, développe une vraie politique et dynamique de l’offre face à laquelle les SPIP sont souvent dépassés ». Puisque dans le même temps « les pouvoirs publics demandent aux SPIP de se concentrer sur la prison et les aménagements de peine », certains SPIP sont « peu à peu marginalisés » .
Une telle évolution peut soulever certaines inquiétudes, dans la mesure où elle n’est ni encadrée ni rationalisée. En ce sens, il apparaît nécessaire de mettre un terme à un tel mouvement, dont les risques de dérives sont déjà illustrés par la pratique de certaines structures. Les associations existantes ne devraient pas pour autant se voir couper les vivres, et le savoir-faire qu’elles ont accumulé balayé d’un revers de main. En revanche, il apparaît indispensable d’avoir à leur égard des exigences en termes de qualification, d’évaluation qualitative, de référentiel d’actions et de métiers. Pour remédier au déficit de coordination de l’ensemble des services qui s’occupent des mesures présentencielles, il apparaît nécessaire de créer un véritable service public de l’insertion des majeurs. Celui-ci serait piloté par le SPIP, qui conclurait des conventions avec des associations pour déléguer telle ou telle mission de service public, selon les besoins locaux. Patrick MADIGOU estime ainsi que les SPIP peuvent « développer des partenariats avec des associations, conventionner certaines interventions extérieures... Nos services pourraient même avoir des associations habilitées, comme le fait la PJJ. Mais les mesures doivent être exécutées sous le contrôle du SPIP » .
Concernant le contrôle judiciaire socio-éducatif, les mesures seraient entièrement confiées au SPIP, qui pourrait en déléguer ou non l’exécution à des associations. Dans le cas d’une délégation des contrôles judiciaires à l’association, le SPIP définirait les principes et le cadre d’exécution de la mesure. S’il disposait d’une association habilitée, le SPIP pourrait décider d’autres mesures ou programmes à lui confier, en fonction des compétences accumulées au sein de l’association et des possibilités du SPIP. Ainsi, les services de probation pourraient-ils s’appuyer sur les associations pour développer l’organisation de certains stages et programmes thématiques en direction des probationnaires. Concernant les contrôles judiciaires repris en charge par les SPIP, un travail pluridisciplinaire devrait être entrepris afin de fournir au moment du jugement « non seulement un bilan du CJSE, mais aussi de ce qui pourrait être poursuivi dans le cadre d’un SME ou un TIG » . Cette pratique pourrait favoriser une continuité du suivi, une sensibilisation du juge du siège à ce qui peut être effectué dans le cadre d’une peine alternative, ainsi qu’une interrogation sur les possibilités de mise en œuvre de la peine alternative non plus après, mais avant qu’elle soit décidée.
 

 

 

 

 

 

 

ANNEXES

- avis de la CNCDH sur les « alternatives à la détention », adopté le 14.12.06
- bibliographie
- auditions et autres contributions

 
Avis sur les « Alternatives à la détention »,
adopté par l’Assemblée plénière de la CNCDH le 14 décembre 2006.
Dans le cadre de son étude portant sur « Les droits de l’homme dans la prison », la CNCDH s’était engagée à poursuivre sa réflexion, notamment sur la question du « développement des alternatives à l’incarcération ». En effet, autant la prison est reconnue comme efficace pour mettre à l’écart et neutraliser, autant elle s’avère le plus souvent contre-productive en termes de réinsertion et de prévention de la récidive. Dès lors, une société souhaitant rapprocher son système pénal des principes fondamentaux des droits de l’homme, et visant à mieux protéger la sécurité publique en vertu d’une approche pragmatique, recherche les moyens de développer et crédibiliser des mesures alternatives à la détention.
Alors qu’elles sont souvent perçues comme des faveurs accordées aux auteurs d’infractions, les alternatives à la détention que sont le contrôle judiciaire, le sursis avec mise à l’épreuve, le travail d’intérêt général ou encore la libération conditionnelle, sont des mesures véritablement contraignantes, obligeant les auteurs d’infraction à respecter des obligations, remettre en cause leur mode de vie et s’interroger sur leurs actes. Elles obtiennent de meilleurs résultats que la prison en termes de lutte contre la récidive et représentent un moindre coût pour la collectivité.
Afin de développer autant quantitativement que qualitativement le prononcé et l’exécution des alternatives à la détention, la CNCDH formule une série de recommandations, s’appuyant sur des constats et réflexions largement développés dans le cadre d’une étude intitulée « Alternatives à la détention : du contrôle judiciaire à la libération conditionnelle ».
Les recommandations se fondent essentiellement sur un principe posé par le CONSEIL DE L’EUROPE selon lequel :
- La privation de liberté devrait être considérée comme une « sanction ou mesure de dernier recours, et ne devrait dès lors être prévue que lorsque la gravité de l’infraction rendrait toute autre mesure ou sanction manifestement inadéquate » .
Le respect de ce principe implique :
- La définition par le ministère de la Justice d’une politique pénale claire et cohérente, assumant un moindre recours à la privation de liberté ;
- Un changement de culture au sein de la magistrature, invitée à se préoccuper davantage de l’utilité effective de la mesure pénale pour le condamné et le corps social, en particulier en termes de réinsertion et prévention de la récidive ;
- Une amélioration de la crédibilité des mesures alternatives, à travers un renforcement du suivi socio-éducatif et du contrôle des obligations pour les cas le nécessitant.
Politique pénale
Les politiques en matière pénale sont empreintes de nombreuses contradictions, de changements législatifs rapprochés, ainsi que d’une multiplication des infractions pénales et des circonstances aggravantes. Ce manque de lisibilité et de stabilité représente un frein majeur au développement du recours aux mesures alternatives à la détention par les magistrats.
1 - L’usage des mesures alternatives à la détention ne pourra se développer et avoir des effets sur le taux de détention que dans le cadre d’une politique pénale cohérente, stable et lisible. En ce sens, la CNCDH demande au ministère de la Justice d’élaborer et diffuser chaque année des orientations de politique pénale, en tenant compte du principe selon lequel la privation de liberté devrait être considérée comme une mesure de dernier recours.
En particulier, la Commission rappelle qu’il est de la responsabilité des pouvoirs publics de maîtriser l’inflation d’incriminations pénales et de circonstances aggravantes. A cet effet, elle préconise d’étudier les possibilités de transfert de certains contentieux vers les juridictions civiles. Elle considère également que le législateur devrait envisager, pour davantage d’infractions, d’indiquer une peine non privative de liberté au lieu de l’emprisonnement comme sanction de référence.
Médiation pénale
La médiation pénale représente une véritable sanction pour l’auteur d’infraction, confronté à sa victime et aux conséquences de son acte, ainsi qu’un dispositif permettant de répondre aux demandes de la victime et d’apporter une réparation à travers un processus de communication. Dès lors, il apparaît inopportun de limiter cette mesure au cadre des « alternatives aux poursuites » comme la législation française le prévoit.
2 - La CNCDH demande que les systèmes belges de médiation « parallèle aux poursuites » pour des infractions graves et de médiation « dans le cadre pénitentiaire », dont les résultats peuvent être joints au dossier pénal et pris en compte par les magistrats, fassent l’objet d’une expérimentation dans quelques juridictions françaises, d’une évaluation et d’une éventuelle généralisation. A cet effet, une formation systématique des médiateurs doit être mise en place.
3 - Le système des délégués du procureur doit faire l’objet d’une évaluation et d’une réforme. Des règles d’habilitation, de qualification et de rémunération des délégués doivent être précisément établies et mises en œuvre par le ministère de la Justice.
Placement en détention provisoire
Les principes de la présomption d’innocence et du caractère exceptionnel de la détention provisoire doivent être mieux protégés par la législation et la pratique judiciaire. A cet effet, le législateur doit maintenir une position stable et univoque signifiant aux magistrats qu’il assume la responsabilité d’une politique pénale ne s’autorisant à enfermer des personnes non encore jugées que de manière exceptionnelle.
4 - La CNCDH préconise que les critères actuels de placement et de prolongation de la détention provisoire soient entièrement remplacés par des critères objectifs. A cet effet, elle propose qu’une liste d’infractions qui pourraient seules donner lieu à une détention provisoire soit établie, en combinaison avec des seuils de peines encourues rehaussés.
5 - Les durées maximales ou délais butoirs de détention provisoire doivent être ramenés à un an en matière correctionnelle, et deux ans en matière criminelle.
Contrôle judiciaire
Si la mesure de contrôle judiciaire, en particulier avec obligation de prise en charge socio-éducative, constitue une alternative à la détention provisoire comportant un très faible taux d’échec, la mesure doit gagner en crédibilité afin d’être plus largement utilisée.
6 - Tout comme la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la Justice aux évolutions de la criminalité l’a prévu pour la mise à exécution des peines alternatives, la CNCDH demande au ministère de la Justice d’organiser un système de mise à exécution rapide des mesures de contrôle judiciaire.
7 - Pour des cas nécessitant un éloignement du domicile, la CNCDH recommande la création de maisons d’assignation à résidence, à l’image de l’expérience pilote du Québec. Les prévenus seraient obligés de résider dans ces centres, éventuellement jusqu’à leur jugement.
8 - La CNCDH préconise que soient rassemblés au sein d’un même « service de l’insertion des majeurs » l’ensemble des moyens du secteur social présentenciel. Les services pénitentiaires d’insertion et de probation seraient ainsi chargés de coordonner l’intervention des acteurs socio-judiciaires, notamment sous la forme de conventions avec les associations.
9 - Le ministère de la Justice devrait effectuer, notamment par le biais d’un texte réglementaire, un travail de sensibilisation pour inciter les magistrats du Parquet à requérir davantage dans le sens d’un contrôle judiciaire socio-éducatif. Ce texte permettrait également de définir plus précisément le contenu de cette mesure et les obligations des structures chargées de sa mise en œuvre (nature et fréquence du contrôle à effectuer, type d’accompagnement, qualification des contrôleurs judiciaires, obligation d’une permanence de travailleurs sociaux jusqu’à la fin des audiences...).
10 - Le domaine des enquêtes sociales, en particulier présentencielles, a été étendu par la loi du 9 mars 2004 sans tenir compte des conditions dans lesquelles elles sont réalisées, ni du temps et des moyens nécessaires. Alors que le mauvais fonctionnement de la permanence d’orientation pénale apparaît comme un obstacle au prononcé de mesures alternatives à la détention, une évaluation doit être réalisée et le dispositif réformé. Les conditions de réalisation de l’enquête doivent être revues afin de permettre aux travailleurs sociaux de recueillir une information fiable et utilisable par les magistrats.
Comparution immédiate et recours aux peines alternatives
La procédure de comparution immédiate est devenue en quelques années la première voie d’entrée en prison. Or, les règles du procès équitable ne sont pas suffisamment respectées dans le cadre de cette procédure. De plus, la comparution immédiate encourage un recours, non pas aux peines alternatives, mais aux courtes peines d’emprisonnement non aménageables.
11 - Le champ d’application de la comparution immédiate devrait être réduit. La CNCDH préconise en ce sens de supprimer son extension aux délits passibles de peines de dix ans d’emprisonnement, pour rétablir le seuil maximal de cinq ans antérieur aux lois du 8 février 1995 et du 9 septembre 2002. Elle souhaiterait également qu’il soit mis un terme à la pratique consistant à imposer aux Parquets le cadre de la comparution immédiate pour certains contentieux.
12 - L’impact de la circulaire du 27 avril 2006 relative aux aménagements de peines et aux alternatives à l’incarcération doit faire l’objet d’une évaluation, en particulier concernant la demande adressée aux juridictions de procéder « à un usage beaucoup plus fréquent de l’ensemble des mesures alternatives, notamment dans le cadre de la comparution immédiate ». Des dispositions nouvelles devront être prises sur la base des résultats de cette évaluation.
13 - Afin d’éviter une inflation des saisines de comparution immédiate, la CNCDH demande au ministère de la Justice d’étudier les possibilités de généraliser la pratique de certains tribunaux consistant à ne pas attribuer d’audiences spécifiques pour les comparutions immédiates.
Sursis avec mise à l’épreuve
Le SME étant la peine alternative la plus prononcée et permettant d’être adaptée à chaque cas, son prononcé doit être facilité tout comme sa mise à exécution. En particulier, le critère de la récidive pour justifier ou limiter systématiquement le recours au SME apparaît inadéquat aux criminologues, qui expliquent que la sortie de la délinquance est progressive, commençant par une diminution de la fréquence et de la gravité des actes.
14 - Le champ du SME ayant été élargi par la loi du 12 décembre 2005 aux condamnations à des peines de 10 ans en cas de récidive légale, il apparaîtrait plus opportun d’élever ce seuil de cinq à dix ans pour l’ensemble des condamnations, le critère de la récidive n’apparaissant pas pertinent.
15 - La CNCDH demande la suppression de l’interdiction de prononcer un troisième SME à l’encontre d’une personne déjà condamnée à deux SME pour des faits de même nature. Cette disposition, instaurée par la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, vient en effet porter atteinte au principe de personnalisation de la peine, alors qu’une peine de SME peut chaque fois revêtir un contenu très différent selon les obligations qui l’assortissent.
Travail d’intérêt général
Alors que le TIG demeure la seule peine alternative connue du public, alliant une lisibilité de la sanction et une action d’insertion, le contenu de cette mesure doit être aujourd’hui renouvelé afin de lui donner un nouveau souffle.
16 - Une redéfinition du contenu de la peine de travail d’intérêt général doit être effectuée par voie règlementaire. L’attention doit être notamment portée sur le contenu du travail et son sens pour le condamné. Le TIG devrait également être impérativement associé à un suivi socio-éducatif pouvant s’étendre au-delà de l’exécution du travail. Des modules tels que le « TIG dialogue citoyen » ou le « module d’orientation » doivent être généralisés par la direction de l’Administration pénitentiaire à l’ensemble des SPIP.
17 - La CNCDH préconise de créer un « TIG probatoire », afin de faciliter le prononcé d’un TIG parmi d’autres obligations telles que l’indemnisation de la victime, le suivi d’un stage obligatoire, le fait de répondre aux convocations du travailleur social... le tout dans le cadre d’un délai d’épreuve pouvant être porté jusqu’à cinq ans. L’exécution du travail pourrait ainsi ne constituer qu’un élément d’une peine plus globale intervenant sur différentes problématiques criminogènes du condamné.
18 - Concernant les collectivités territoriales ou autres services de l’Etat, il est recommandé de définir par voie réglementaire un certain nombre de postes qui devraient être réservés à des condamnés à un TIG dans différents secteurs tels que la santé, la police, la culture, l’environnement... Des stages de formation devraient alors être dispensés par les SPIP au personnel volontaire pour encadrer les « tigistes ».
Aménagements de peines
La loi affirme désormais le principe selon lequel il faut éviter chaque fois que possible « une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire », afin de mieux prévenir la récidive. Cette reconnaissance de la nocivité des sorties « sèches » n’a pas encore été suffisamment déclinée par le législateur.
19 - Les critères d’octroi des aménagements de peine doivent être révisés. Ainsi, la CNCDH demande que soit inscrit dans la loi ou le règlement que l’absence de logement fixe ou de travail ne peuvent constituer des critères d’exclusion des aménagements de peine. Le ministère de la Justice doit également favoriser l’utilisation des nouveaux critères existants (programme de recherche d’emploi, responsabilité familiale ou projet de soins) mais également autoriser la prise en compte d’autres types de projets présentés par les condamnés (action humanitaire, création d’activité...).
20 - La CNCDH demande qu’un programme de développement des placements extérieurs soit initié par l’Administration pénitentiaire. Il devrait définir précisément le contenu de cette mesure, en ce qui concerne son déroulement, la typologie des différents accompagnements, son financement et son évaluation.
21 - Les conditions d’exécution de la semi-liberté doivent être harmonisées sur l’ensemble du territoire, en termes de places disponibles, de localisation des quartiers ou centres de semi-liberté, de régime et de conditions de détention. La semi-liberté devrait également pouvoir être exécutée en tout ou partie dans le cadre de « maisons d’assignation à résidence » - aussi utilisées pour le contrôle judiciaire - légèrement sécurisées et intégrées au tissu urbain.
22 - Il convient d’inscrire dans la loi ou le règlement que le placement sous surveillance électronique doit être obligatoirement accompagné d’un suivi socio-éducatif, notamment au moyen de visites à domicile et de contacts téléphoniques.
23 - Le principe de l’aménagement progressif des moyennes et longues peines de prison devrait être inscrit dans la loi, impliquant une partie de l’exécution des peines en milieu fermé, l’autre en milieu ouvert. Le projet d’aménagement de peine devrait être entamé avec les travailleurs sociaux dès le début de l’exécution de la peine. Dans ce cadre, le condamné devrait passer par différentes phases, plus ou moins longues selon la durée de sa peine : une première phase d’élaboration d’un projet comportant des permissions de sortir, une seconde phase en semi-liberté ou placement extérieur et une troisième phase en libération conditionnelle, assortie éventuellement d’un placement sous surveillance électronique dans un premier temps.
24 - Dans le cadre d’un système progressif d’exécution de la peine, les conditions de délai pour pouvoir demander une permission de sortir devraient être revues. Pour les condamnés à des peines de moins de cinq ans, la permission de sortir pourrait être demandée dès la condamnation définitive, dès le tiers de la peine pour les peines de moins de 10 ans et dès la mi-peine pour les peines plus longues. Ces délais ne devraient souffrir d’aucune distinction selon que la personne est récidiviste ou non. La fréquence des permissions devrait en outre être accrue en l’absence d’incident.
Aménagement ab initio des courtes peines
L’article 723-15 du Code de procédure pénale instauré par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la Justice aux évolutions de la criminalité a rendu obligatoire l’examen par le juge de l’application des peines (JAP) des possibilités d’aménager les courtes peines d’un an et moins prononcées contre les prévenus libres.
25 - L’examen systématique par le JAP des possibilités de convertir la peine de prison d’un an et moins doit être étendu aux personnes incarcérées, ainsi qu’à celles condamnées dans le cadre d’une comparution immédiate.
26 - Dans le cadre de cette possibilité de convertir les courtes peines d’emprisonnement, le JAP devrait avoir la possibilité de prononcer en premier lieu un aménagement de type placement extérieur, semi-liberté ou placement sous surveillance électronique, puis de décider dans un deuxième temps, notamment sur proposition du SPIP, d’une libération conditionnelle comportant un assouplissement progressif de l’intensité du suivi et du contrôle.
Libération conditionnelle
La recherche criminologique internationale a démontré que la libération conditionnelle constituait le meilleur moyen de prévenir la récidive des sortants de prison. Il ne s’agit pas d’une faveur ou d’un cadeau fait au condamné, mais d’une mesure contraignante comportant des obligations et un contrôle. Pourtant, la pression sociale fait peser sur les juridictions de l’application des peines une exigence de « risque zéro » qui paralyse le système d’octroi des libérations conditionnelles.
27 - La CNCDH propose la mise en place d’un système de libération conditionnelle d’office s’inspirant de celui de la Suède ou du Canada. Elle demande au ministère de la Justice d’examiner les modalités pratiques d’un tel système adapté à la France.
28 - Dans le cadre d’un système de libération conditionnelle d’office, les juridictions de l’application des peines seraient chargées d’adapter de manière discrétionnaire le contenu de la libération conditionnelle à chaque condamné. Ainsi, les facteurs de risque de récidive devraient-ils être utilisés pour adapter la nature de l’accompagnement, l’intensité du suivi et du contrôle.
Programmes thématiques
La France est particulièrement en retard dans le développement de programmes adaptés aux problématiques spécifiques des condamnés (addictions, violence, déviances sexuelles...), qui viennent renforcer le suivi socio-éducatif en milieu ouvert.
29 - La CNCDH recommande la généralisation dans chaque département de groupes de parole pour les délinquants sexuels, ainsi que pour les auteurs de violences, notamment conjugales. L’Administration pénitentiaire, en collaboration avec le secteur psychiatrique, devrait être chargée d’assurer la mise en place de ces programmes sur la base des expériences existantes en France et à l’étranger.
Evaluation, outils professionnels & recherche criminologique
Les services de probation français pâtissent d’un manque d’outils professionnels, d’une absence d’évaluation de leurs pratiques et du faible développement de la recherche criminologique. Ces déficiences concourent largement à une méconnaissance et à un manque de crédibilité du milieu ouvert.
30 - Le traitement des données statistiques concernant le milieu ouvert doit être amélioré. Des données telles que le taux de mise à exécution des mesures alternatives, la proportion de mesures menées à terme, le taux de récidive en cours d’exécution d’une mesure et dans l’année suivante, ou encore le taux d’inexécutions sanctionnées par une incarcération, devraient impérativement être recensées et diffusées, notamment aux magistrats et aux personnels de probation.
31 - Un système informatisé et automatisé devrait permettre aux juges du siège et de l’application des peines d’être informés en temps réel du nombre de places disponibles en milieu ouvert ou des délais de prise en charge des différentes mesures par le SPIP.
32 - La CNCDH demande à l’Administration pénitentiaire d’utiliser et de former ses personnels à l’évaluation des pratiques. Un SPIP devrait être en mesure d’évaluer finement l’impact de son intervention : en quoi la situation d’une personne a changé entre le début et la fin d’une mesure, ce qui fonctionne ou non dans un suivi ou un programme, quels sont précisément les résultats du milieu ouvert en termes de récidive (mesure par mesure, nature de la récidive, fréquence et gravité des actes...).
33 - La Commission estime nécessaire que la direction de l’Administration pénitentiaire organise la diffusion, l’évaluation et la généralisation éventuelle des « bonnes pratiques » de certains services d’insertion et de probation (SPIP) à l’ensemble du milieu ouvert.
34 - La Commission demande instamment aux pouvoirs publics de développer la recherche sur la question des mesures alternatives et du milieu ouvert. A cet effet, elle préconise la création d’un véritable cursus de criminologie à l’Université, permettant de former des criminologues praticiens. Dans l’immédiat, il apparaît nécessaire de faire en sorte qu’une structure existante ou à créer développe des « recherches-action » en partenariat avec les SPIP afin de concevoir, expérimenter et évaluer des outils et programmes destinés aux probationnaires. Elle serait également chargée, en lien avec l’Administration pénitentiaire, de développer l’évaluation quantitative, mais surtout qualitative, du travail de probation. En relation étroite avec les structures étrangères équivalentes, elle devrait diffuser les connaissances acquises par la recherche internationale auprès de l’ensemble des professionnels de la justice pénale et de l’Administration pénitentiaire.
Moyens des services de probation
Les possibilités de mise à exécution rapide des mesures et de suivi de qualité par les services de probation (SPIP) sont largement restreintes par une pénurie de moyens qui a toujours affecté le milieu ouvert, si bien que 10 % des personnels pénitentiaires prennent en charge 70 % des personnes placées sous main de justice. Si une politique de recrutement de conseillers d’insertion et de probation (CIP) a été initiée, elle doit être impérativement poursuivie et le fonctionnement des SPIP rationalisé.
35 - Pour être en mesure d’assurer une prise en charge effective de qualité, il apparaît que le nombre de dossiers confiés à un conseiller d’insertion et de probation doive être limité à 50 en moyenne . A cet effet, la CNCDH souligne l’importance du recrutement de près de 1 000 CIP depuis 2001. Elle engage les pouvoirs publics à poursuivre ce nécessaire investissement afin d’atteindre l’objectif de 3 000 personnels supplémentaires évalué en 2003 .
36 - Afin de rationaliser la prise en charge des mesures, certains services de probation ont mis en place une méthode de « suivi différencié », qui permet d’adapter l’intensité du suivi aux besoins des personnes et au risque de récidive. Le dispositif aboutit à une prise en charge effective de l’ensemble des mesures adressées à ces services. La CNCDH demande, comme l’a déjà fait la COUR DES COMPTES, que ce mode d’organisation soit généralisé à l’ensemble des SPIP, sur la base d’une méthode précise et d’un séminaire de formation animé par des cadres l’ayant déjà mis en œuvre.
37 - Afin de rationaliser et simplifier la part de compte-rendu dans le travail de probation, la CNCDH propose à la direction de l’Administration pénitentiaire de procéder, avec les directeurs de SPIP et les représentants des juges de l’application des peines, à un accord visant à identifier les écrits indispensables et ceux qui pourraient être supprimés ou modifiés.
Suivi intensif, contrôle & sanction des manquements
Afin de renforcer la crédibilité des mesures alternatives et de permettre aux magistrats de les appliquer à un éventail plus large de personnes, des possibilités de suivi intensif et de contrôle renforcé doivent être explorées par l’Administration pénitentiaire.
38 - Un régime de suivi intensif devrait être défini par des criminologues en partenariat avec l’Administration pénitentiaire, afin d’en préciser le contenu et le cadre méthodologique, notamment en termes de diagnostic, fréquence et nature des entretiens, visites à domicile... Le juge de l’application des peines pourrait demander qu’une mesure commence par être exécutée sous ce régime, mais le CIP garderait la possibilité de diminuer l’intensité du suivi ultérieurement.
39 - La possibilité d’intégrer des personnels (agents de probation, surveillants pénitentiaires...) chargés par les CIP d’effectuer certaines tâches de contrôle devrait être envisagée par l’Administration pénitentiaire. Ces personnels pourraient notamment se voir confier le contrôle des justificatifs, ainsi que le respect de certaines obligations telles que l’assignation à résidence.
40 - Il apparaît nécessaire que le manquement à ses obligations de la personne suivie ou la non exécution de la mesure soient signalés par les conseillers d’insertion et de probation au juge de l’application des peines. Il apparaît également souhaitable qu’un signalement du CIP soit suivi d’une réponse du JAP, qu’il s’agisse d’un simple rappel, d’une modification du contenu de la mesure, ou de sa révocation.
Communication sur le milieu ouvert
Le milieu ouvert demeure largement inconnu du grand public, et mal connu du monde judiciaire, du fait d’une défaillance de communication institutionnelle et d’une place négligée au sein de l’Administration pénitentiaire.
41 - La CNCDH exhorte les pouvoirs publics à faire œuvre de pédagogie dans leurs interventions publiques concernant le milieu ouvert. Ainsi, sont-ils invités à expliquer que les mesures alternatives ne constituent pas des faveurs mais des mesures contraignantes mieux à même d’agir sur les causes de l’infraction et la prévention de la récidive que la détention. De même, l’argument du moindre coût des mesures alternatives pour le contribuable doit-il être mis en avant.
42 - Les directeurs de SPIP devraient être formés aux relations avec les médias et incités à communiquer pour expliquer la nature de leur intervention, ainsi que leurs résultats sur la base d’évaluations.
Partenariats
Les services pénitentiaires d’insertion et de probation ne disposent pas de moyens propres en matière sociale et sanitaire. Dès lors, ils doivent organiser la prise en charge de leur public par les services de droit commun.
43 - La CNCDH demande que les directions régionales de l’Administration pénitentiaire soient chargées d’organiser un système permanent de concertation et de coordination entre les différents métiers et structures intervenant dans l’exécution des mesures alternatives (juges de l’application des peines, services de probation, services sociaux de l’Etat et des collectivités territoriales, associations, centres médico-psychologiques...).
44 - Une circulaire commune aux différents ministères concernés devrait rappeler précisément aux collectivités territoriales leur responsabilité en termes de prévention de la récidive, ainsi que la répartition des tâches entre les SPIP et les dispositifs de droit commun. Les recours devant les tribunaux administratifs des usagers concernés devraient également être clairement indiqués et diffusés.
 
Bibliographie
documentation officielle
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- ASSEMBLEE NATIONALE, WARSMANN Jean-Luc, Rapport d’information n° 2378 sur la mise en application de la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, 15 juin 2005.
- CONSEIL DE L’EUROPE, Recommandation n°(80)11 du Comité des Ministres aux Etats membres concernant la détention provisoire, 27 juin 1980.
- CONSEIL DE L’EUROPE, Comité des ministres, Recommandation n°R(92)16 « Règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la communauté », 19 octobre 1992.
- CONSEIL DE L’EUROPE, Comité des ministres, Recommandation n° R(99)22 du Comité des ministres aux Etats membres concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, 30 septembre 1999.
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- CONSEIL DE L’EUROPE, Recommandation 2003/22 concernant la libération conditionnelle, 24 septembre 2003.
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études, recherches
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- MARY Philippe (sous la direction de), Travail d’intérêt général et médiation pénale : socialisation du pénal ou pénalisation du social ?, Actes du colloque international organisé pour le 60èmeanniversaire de l’Ecole des sciences criminologiques Léon Cornil, Faculté de Droit de l’Université Libre de Bruxelles, Bruylant, 1997.
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textes CNCDH
- CNCDH, Réflexions sur le sens de la peine, 24 janvier 2002.
- CNCDH, Observations sur l’avant-projet de loi d’orientation et de programmation de la justice, 15 juillet 2002.
- CNCDH, Avis sur la proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales, 20 janvier 2005.
 
Auditions et contributions
personnes auditionnées
- AUBUSSON de CAVARLAY Bruno, directeur de recherche au Centre d’Etudes Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales (CESDIP), membre de la Commission de suivi de la détention provisoire, 30 mars 2006.
- BAILLY Jean-Pierre, directeur du SPIP des Yvelines, 4 avril 2006.
- BARELLA Dominique, Union syndicale des magistrats (USM), 30 mars 2006.
- BEAUME Jacques, procureur de la République auprès du tribunal de grande instance de Marseille, membre du Conseil supérieur de la magistrature, 12 mai 2006.
- BISHOP Norman, ancien chef des recherches à l’Administration pénitentiaire et probationnaire suédoise, expert scientifique au CONSEIL DE L’EUROPE, 4 avril 2006.
- BOULARD Jean-François, conseiller d’insertion et de probation (CIP) au SPIP de Versailles, représentant du syndicat CGT pénitentiaire, 12 mai 2006.
- D’HARCOURT Claude, directeur de l’Administration pénitentiaire, 4 avril 2006.
- FAGET Jacques, chercheur au CNRS, professeur à l’IEP de Bordeaux, spécialiste de la médiation et du milieu ouvert, 18 avril 2006.
- GIGOU Nathalie, conseillère d’insertion et de probation au SPIP de Melun, syndicat SNEPAP, 27 juin 2006
- HERZOG-EVANS Martine, professeur de droit pénal à l’Université de Nantes, auteur du Droit de l’application des peines (Dalloz), 23 juin 2006.
- HUET Jean-Marie, directeur des Affaires criminelles et des grâces au ministère de la Justice, 23 mai 2006.
- JANAS Michaël, président de l’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP) et JAP à Draguignan, 10 mai 2006.
- LE ROCH Christine, chef de service au SPIP de Fleury-Mérogis, syndicat SNEPAP, 27 juin 2006.
- L’HOUR Denis, directeur général de la fédération Citoyens et justice, 5 avril 2006.
- MADIGOU Patrick, directeur du SPIP de Paris, ancien directeur du SPIP du Val de Marne, 28 juin 2006.
- MAESTRACCI Nicole, présidente du Tribunal de grande instance de Melun et présidente de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS), 16 mai 2006.
- MARTIN Eric, secrétaire général de l’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP) et JAP à Argentan, 10 mai 2006.
- MOUHANNA Christian, chercheur CNRS au Centre de sociologie des organisations, 21 juin 2006.
- POTTIER Philippe, directeur du SPIP de l’Essonne à la date de l’audition, ancien directeur du SPIP de Charente, adjoint au sous-directeur PMJ de la direction de l’Administration pénitentiaire, président de l’Association française de criminologie, 27 avril 2006.
- SNACKEN Sonja, professeur de criminologie à l’Université Libre de Bruxelles, présidente du Conseil de coopération pénologique du CONSEIL DE L’EUROPE, 30 mai 2006.
- TELBOIS Lucie, conseillère d’insertion et de probation au SPIP de Versailles, SNEPAP, 27 juin 2006.
- TOURNIER Pierre Victor, démographe, directeur de recherche au CNRS, ancien président de l’Association française de criminologie, audition CNCDH, 27 avril 2006.
Des conseillers d’insertion et de probation de plusieurs départements ont été auditionnés ou ont répondu à un questionnaire écrit en souhaitant conserver l’anonymat.
contributions écrites
- CERE Jean-Paul, directeur du Master de Droit de l’exécution des peines et droits de l’homme de l’Université de Pau, avril 2006.
- LALANDE Pierre, conseiller à la Direction du développement et du conseil en services correctionnels, Direction générale des services correctionnels, Ministère de la sécurité publique du Québec, juillet 2006.
rédaction et suivi CNCDH
Coordination et rédaction de l’étude : Sarah DINDO.
Rapporteur CNCDH : Jean-Yves MONFORT.
Groupe de travail CNCDH : Jean BERARD, Gilbert GAILLIEGUE, Patrick GIOVANNONI, Jean PRADEL, Anne THIBAULT.
Remerciements particuliers à : Caroline GUINCESTRE, Jean BERARD, Stéphanie DJIAN, Claire FERNANDEZ et Dorothée TAVARES.