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Etre malade en prison

Mise en ligne : 31 juillet 2002

Dernière modification : 23 octobre 2004

Texte de l'article :

Malade en prison

Peu de temps après mon arrivée en prison, le service médical m’a convoqué pour une prise de sang. J’ai demandé ce dont il s’agissait. On m’a répondu : c’est le HIV. J’ai refusé par principe : je ne trouvais pas normal que ce test soit fait systématiquement, sans prévenir la personne.
Deux ans plus tard, je suis tombé malade et on m’a transféré à l’hôpital. Sur une lettre rédigée par un médecin, j’ai lu que j’étais HIV+. C’est comme cela que je l’ai appris. Cela se passait voici plusieurs années. Les conditions de dépistage ont dû s’améliorer depuis.
J’étais atteint d’une infection à MAC. J’avais 3 T4 et j’avais perdu 20 kilos. Suite à cela, je me suis informé le plus possible sur la maladie et les traitements. J’ai aussi rencontré régulièrement un volontaire de AIDES.
 
Médecin
 
Le médecin de l’hôpital qui venait consulter en prison était très bien. Je continue à le voir, maintenant que je suis sorti. J’ai pu avoir accès à tous les traitements, les examens, comme dehors.
Le problème se pose lorsque vous avez besoin de consulter entre deux rendez-vous : vous devez convaincre le surveillant d’appeler l’infirmière, lorsqu’elle fera sa tournée. Il faut ensuite, en présence du surveillant, expliquer la situation à l’infirmière pour qu’elle vous prenne un rendez-vous. Certaines comprennent à demi-mot, d’autres pas.
Après 18 heures, c’est cuit, vous êtes bouclé jusqu’à 7 heures du matin. Il m’est arrivé de refuser de rentrer dans ma cellule. J’ai expliqué que j’allais mal et que j’avais besoin de voir rapidement un médecin.
Les surveillants font parfois preuve de mauvaise volonté. Il faut insister, demander à parler à un gradé qui, lui, pourra prendre la décision. Et bien sûr rester calme, ne pas employer d’insultes, sinon cela se retourne contre vous.
Au cas où il me serait arrivé quelque chose la nuit, j’avais convenu avec des amis de leur faire signe par la fenêtre. Le seul moyen d’avoir de l’aide est de taper sur la porte, suffisamment fort pour que le surveillant entende.
 
Médicaments
 
Les médicaments étaient distribués dans une enveloppe où leur nom était indiqué. L’infirmière passait une fois par semaine, le vendredi. En cas d’erreur, il fallait attendre le lundi. J’en ai parlé au service médical et, par la suite, cela a changé.
Par ailleurs, les surveillants peuvent fouiller les cellules. S’ils voient un lot de médicaments, ils risquent de le saisir en pensant que la personne veut se défoncer. C’est arrivé à quelqu’un qui était en cellule collective et ne voulait pas que ses co-détenus sachent ce qu’il prenait. Il emmenait ses médicaments en promenade. On l’a fouillé et on les a confisqués. Il a eu du mal à les récupérer.
J’étais seul en cellule. Je posais mes médicaments sur une étagère, avec une note indiquant que c’était mon traitement et que j’étais gravement malade. J’avais demandé au brigadier responsable de la division de la signer. Par chance, c’était quelqu’un avec qui l’on pouvait discuter et il avait accepté.
 
Secret médical
 
Il y a quelques années, c’étaient les détenus qui établissaient les listes de rendez-vous avec le médecin et les surveillants avaient accès aux dossiers médicaux. Cela a changé.
Cependant, les surveillants qui sont au service médical savent que tel jour est réservé aux consultations HIV. Ils peuvent identifier les personnes et ils en parlent ensemble. Plusieurs d’entre eux connaissaient probablement ma séropositivité, bien que je ne leur ai rien dit. Mais je n’ai jamais été ennuyé à ce sujet.
 
Hôpital
 
J’ai fait plusieurs séjours à l’hôpital. Au début, ils me transféraient avec les menottes et les chaînes aux pieds. Quand vous allez mal, ce n’est pas idéal...
Pour que vous ne tentiez pas d’organiser votre évasion, on vous informe au dernier moment de votre transfert. Vous n’avez pas le temps de prendre votre argent : vous ne pouvez donc pas louer de télévision.
La nuit, la porte de votre chambre doit rester ouverte. Avec la lumière du couloir et les conversations des policiers en faction, il est difficile de dormir. Parfois, les surveillants oublient les photocopies des permis de visite. Si les policiers qui vous gardent sont sympas, ils laissent entrer votre famille. Sinon, vous restez seul. Mais de toute façon, à l’hôpital, vous n’avez le droit aux visites que le samedi. Et les week-end, je les passais en prison...
 
Social
 
Je me suis occupé moi-même de tous mes dossiers à ma sortie : Sécurité sociale, carte Paris-santé, RMI, allocation adulte handicapé (AAH), etc. Mais il est possible de passer par le service social de la prison. D’ailleurs, lorsqu’on a droit à l’AAH, on peut en percevoir une partie, environ 400 F par mois, pendant l’incarcération. Cela peut aussi être utile pour un dossier de libération conditionnelle, puisqu’on aura des revenus assurés à la sortie.
 
Inégalités
 
Pour survivre en prison, on a besoin de pas mal de débrouillardise. Il faut aussi tomber sur des personnes avec qui il est possible de discuter. Tout cela est beaucoup plus difficile lorsque, par exemple, on parle mal le français. En prison, les inégalités sont encore plus fortes qu’à l’extérieur.
 
Angoisse
 
Etre malade en prison, cela ne se résume pas aux faits que j’ai décrits ici, calmement, maintenant que je suis sorti. Je n’ai pas parlé des sentiments que l’on éprouve : la peur, toujours présente, l’impuissance, l’isolement. C’est l’horreur d’aller mal et de penser qu’on va mourir seul, dans un milieu hostile, loin de ses proches, sans personne pour vous donner de la tendresse.
Frédéric 
 
Site source : France QRD