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Et si l’incarcération accélérait le processus de vieillissement ?

Marie-Hélène Montjean, auteur d’une enquête intitulée « Milieu carcéral et détenus âgés en Martinique »

Mise en ligne : 25 mars 2003

Texte de l'article :

Pour Marie-Hélène Montjean, la prison constitue un monde à part, empli d’interrogations et objet de préjugés. Au cours d’une étude réalisée dans le cadre d’une formation diplômante, cette attachée de direction, responsable de l’action sociale dans une caisse de retraite, a analysé durant sept mois la population carcérale vieillissante du centre pénitentiaire de Ducos (Martinique). Ses conclusions sont le fruit d’entretiens individuels tant auprès des détenus de plus de 60 ans qu’auprès du personnel.

Les personnes âgées sont-elles nombreuses dans les prisons martiniquaises ?
Marie-Hélène Montjean : La Martinique compte un seul centre pénitentiaire, à Ducos. Cet établissement est opérationnel depuis 1996. Il comptait, au moment de l’étude, près de 530 personnes dont 4,4 % de détenus âgés de plus de 60 ans (soit 25 personnes dont 1 femme), 14 âgés de 60-64 ans, 6 de 65-69 ans, et 5 de 70-75 ans. Ce taux est en augmentation.

A quoi attribuez-vous l’augmentation de cette population ?
M.-H. M. : D’abord à une augmentation parallèle du nombre de personnes de plus de 60 ans dans la population martiniquaise (la Martinique compte 17 % de personnes de plus de 60 ans) ; à la durée moyenne de détention sur l’ensemble du territoire qui s’allonge d’année en année ; à la nature des infractions ou crimes commis qui laisse à penser que la cohabitation avec des membres d’une même famille sous un même toit (encore fréquente en Martinique compte tenu du contexte social, économique et culturel) peut engendrer des troubles du comportement entraînant des actes répréhensibles, et enfin à la spécificité de troubles du comportement liés à l’avance en âge qui peut faire passer une personne au stade de délinquant ou de criminel.

Y a-t-il un profil type du détenu âge ?
M.-H. M. : Au moment de l’étude, le détenu âgé « type » à Ducos était un homme (95,8 %) issu d’un milieu social plutôt défavorisé (79,2 %), âgé entre 60 et 64 ans (58,3%), condamné pour viol ou attentat aux mœurs (50 %), incarcéré en maison d’arrêt (45,8 %) pour une peine supérieure à 5 ans (58,3 %) et dont l’âge à la date d’incarcération avoisinait 60 ans (70,83 %).
Beaucoup des détenus âgés que j’ai interrogés ont été incarcérés vers 58-60 ans, ce qui suppose une espérance de vie de près de 20 ans dont 5 à 7 ans à passer en prison eu égard aux peines retenues ou requises.

Quelle est leur vie en prison ?
M.-H. M. : A l’instar des prisons situées sur le sol national, le centre pénitentiaire de Ducos est régi par un règlement intérieur qui organise et rythme la vie des détenus. Les nombreux efforts déployés par l’administration pénitentiaire en Martinique pour améliorer leurs conditions de vie ne suppriment pas, pour autant, la promiscuité du fait de la surpopulation carcérale. Ceux qui partagent leur cellule souhaitent être seuls, ce désir est d’autant plus fort que l’écart d’âge avec le ou les codétenus est grand. Les détenus âgés sont soumis aux mêmes règles que les autres prisonniers. En général, ils sont réticents à la pratique d’une activité physique. De même, aucun ne se rend régulièrement à la bibliothèque. Au cours de la journée, ceux qui ont la télévision dans leur cellule la regardent des heures durant. Seuls 37,3 % estiment être régulièrement visités.

Compte tenu de ces faits, pensez-vous que l’incarcération est un facteur de vieillissement précoce ?
M.-H. M. : Les propos que j’ai pu recueillir lors des entretiens permettent de mieux cerner les principaux facteurs qui conditionnent la manifestation ou la réapparition de troubles ou de maladies recensés chez les détenus âgés : « En prison on meurt un peu chaque jour… », « Depuis que je suis entré, mon corps se détruit. Je me vois diminuer de jour en jour. Comment serai-je le jour de ma sortie ?… » Ceux qui sont le plus punis, ce sont ceux qui vous aiment », « Les choses ne sont pas tolérables », « La mort en prison m’effraie… Mon incarcération a renforcé ma foi… »
Si pour certains la prison moderne de Ducos constitue un abri, un cadre rassurant où ils peuvent boire, manger, dormir ou se faire soigner, elle représente pour la majorité d’entre eux un carcan, lieu de privation, de négation, d’exclusion et de déchéance de l’être humain.
L’incarcération et la détention sont vécues comme des épreuves que les détenus âgés subissent différemment selon le délit commis, la durée de la peine infligée, les conditions de détention, mais surtout selon l’histoire, l’expérience, la personnalité et le caractère de l’individu.
La population carcérale âgée semble plus affectée en raison de la fragilité physiologique ou psychologique (nombreux sont ceux qui ont des antécédents médicaux à leur entrée), des problèmes liés à la mobilité interne et de l’apparition de maladies graves dues à l’avancée en âge.

Les principaux facteurs sources de perturbations psychologiques pouvant agir insidieusement sur leur état général de santé sont :
- les carences affectives, les carences sexuelles,
- la perte d’identité, de statut et d’autonomie,
- le manque d’argent : la dépendance financière et matérielle est avilissante,
- le temps qui ne passe pas,
- la maladie,
- la mort. Cette angoisse est d’autant plus ressentie que le détenu est âgé, souffrant et que sa peine est longue. Pour d’autres, la mort apparaît comme salvatrice et devient synonyme de libération et de délivrance,
- un horizon sans véritable perspective. Ils s’interrogent tous sur leur avenir et se posent des questions du type : quand vais-je sortir ? Dans quel état ? Serai-je encore de ce monde ?…

Si les effets directs de la prison sur le processus de vieillissement physiologique sont difficiles à mettre en évidence, je pense que l’altération de l’état de santé des détenus, de fait, va interférer sur leur « bon vieillissement » et en accélérer le processus.
Aujourd’hui, le milieu carcéral n’est pas adapté pour accueillir ces personnes dont la prise en charge nécessitera dans un futur proche des équipements et installations adéquats, mais aussi un personnel formé aux problèmes relevant de la gérontologie et de la gériatrie.

Quelles sont vos conclusions devant cet état de fait ?
M.-H. M. : Il ne faut pas se leurrer : il existe d’importantes différences de traitement et de détention d’une prison à une autre dans un même pays, selon le régime pénal et en fonction des indicateurs sociaux. Les prisons françaises tendent progressivement à s’humaniser grâce à l’évolution du système pénal et à l’action d’associations œuvrant pour le respect des détenus. En Martinique, les détenus âgés estiment leurs conditions de détention à la prison « relativement correctes ». Toutefois, la modernité de l’établissement et l’amélioration des conditions de détention ne suffisent pas à freiner l’apparition de troubles et de pathologies dues au mode de vie carcérale. L’altération de l’état de santé va jouer sur le vieillissement des prisonniers âgés encore plus vulnérables. En effet, le dispositif de soins mis en place par le ministère de la Santé s’attache avant tout à guérir les détenus qui se manifestent, plutôt qu’à prévenir les effets de leur vieillissement. Les programmes de traitement et de soins spécifiques pour détenus âgés sont quasi inexistants. En dépit de bonnes volontés, les soins prodigués ne permettent pas de soigner les carences affectives dont les répercussions sont désastreuses sur la santé mais aussi sur le comportement individuel des détenus âgés (agressivité, irritabilité, repli sur soi…).
Mais la mise en place de dispositions spécifiques pour personnes âgées détenues pourrait engendrer des iniquités de traitement assimilables à de la discrimination vis-à-vis de prisonniers plus jeunes ayant commis des délits similaires.

L’étude de Marie-Hélène Montjean a été réalisée en 1998/1999. Elle s’inscrivait dans le cadre de la préparation du diplôme de gérontologie générale (partenariat entre l’université Louis Pasteur à Strasbourg et l’Association martiniquaise pour la promotion et l’insertion de l’Age d’Or – AMDOR).

Article paru dans "Décideurs en Gérontologie" n°52