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Enseignement et formation des mineurs détenus

Mise en ligne : 21 janvier 2005

Texte de l'article :

5) Enseignement et formation des mineurs détenus

« Tout mineur d’âge scolaire a le droit de recevoir une éducation adaptée à ses besoins et aptitudes, et propre à préparer son retour dans la société », affirment les Règles des Nations Unies. « Cette éducation doit autant que possible être dispensée hors de l’établissement pénitentiaire (...) dans le cadre de programmes intégrés au système éducatif du pays afin que les mineurs puissent poursuivre sans difficulté leurs études après la libération », est-il précisé.

L’article L.131-1 du Code de l’éducation énonce que « l’instruction est obligatoire pour les enfants des deux sexes, français et étrangers, entre six et seize ans ». L’article L.122-2 dudit code prévoit que « tout élève qui, à l’issue de la scolarité obligatoire, n’a pas atteint un niveau de formation reconnue doit pouvoir poursuivre des études afin d’atteindre un tel niveau. L’Etat prévoit les moyens nécessaires, dans l’exercice de ses compétences, à la prolongation de la scolarité qui en découle ».

Ainsi que le souligne la Commission de suivi de l’enseignement en milieu pénitentiaire, « Les mineurs détenus ont un besoin essentiel de formation parce que l’incarcération risque d’introduire une rupture dans les études pour ceux qui en suivaient ou de renforcer la marginalisation de ceux qui en suivaient ou de ceux qui étaient en échec scolaire voire déscolarisés. (...) Outre l’objectif central de transmission de savoirs et de compétences, l’enseignement joue en milieu fermé un rôle de stimulation intellectuelle, de structuration du temps, de socialisation et de lien avec le milieu ordinaire » [1].

En dépit de ces recommandations ou constats, le Code de procédure pénale ne comporte aucune disposition particulière concernant l’enseignement pour les mineurs au-delà de celles générales [2] qui concernent l’ensemble de la population détenue.

La formation dispensée est essentiellement assurée par les enseignants de l’Education nationale, avec la participation d’organismes de formation professionnelle et d’associations de bénévoles.

L’enseignement destiné aux mineurs incarcérés a bénéficié sur une période récente d’une hausse des moyens, permettant d’accroître le nombre absolu de mineurs scolarisés (2752 en 2000, 3061 en 2003). S’agissant du taux de scolarisation, ses variations annuelles dépendent surtout de l’ampleur des flux d’entrées en prison. En 2000, 2752 mineurs avaient été scolarisés soit 69 % des 3996 entrants. En 2001, le nombre est stable, 2642 scolarisés, mais le taux de scolarisation, 80 % des 3283 entrants mineurs, augmente grâce à la diminution du nombre de mineurs détenus. L’année 2002 marque un processus inverse où le nombre absolu de mineurs scolarisés augmente (3092) mais stagne en proportion (80 % des 3862 entrants) à cause d’une importante inflation carcérale. Enfin, en 2003, la tendance est positive puisque le nombre de mineurs scolarisés se stabilise, 3061 mineurs, et la diminution du nombre de détenus permet d’atteindre un niveau élevé de scolarisation (92 % des 3321 entrants).

Si les résultats quantitatifs généraux connaissent depuis peu une évolution satisfaisante, les objectifs qualitatifs sont plus difficiles à atteindre.

Premièrement, le nombre d’heures d’enseignement demeure assez faible. La commission d’enquête sénatoriale regrettait, le 26 juin 2002, que « malgré les efforts accomplis par l’Education nationale et la Justice, le temps de scolarisation des mineurs incarcérés ne dépasse guère dix à douze heures par semaine »[5]. Selon un bilan dressé par les services du ministère de l’Education nationale, le nombre d’heures hebdomadaires d’enseignement est de 13,3 en 2003 contre 13,8 en 2002 et 13,7 en 2001.

Deuxièmement, l’Education nationale peine à développer les missions spécifiques qui ont été assignées à l’enseignement en milieu carcéral. La population mineure incarcérée est nettement moins alphabétisée que la moyenne générale (38 % des mineurs détenus échouent au test de lecture) et demeure nettement moins diplômée (79 % des mineurs sont sans diplôme). Ainsi, la circulaire d’orientation relative à l’enseignement en milieu carcéral du 29 mars 2002 (ministère de l’Education nationale - ministère de la Justice), insiste d’une part sur le repérage et la lutte contre l’illettrisme et, d’autre part, sur l’accès à un diplôme de qualification professionnelle (de type CAP ou BEP), reprenant ainsi les axes de la circulaire du 25 mai 1998 relative à l’enseignement pour les jeunes détenus.

Il apparaît que la hausse du taux de scolarisation n’a pas particulièrement profité à la lutte contre l’illettrisme. En 2003, 584 mineurs suivaient un cours d’alphabétisation (19 % du total des mineurs scolarisés en 2003) contre 502 en 2001 ( 19 % du total des scolarisés en 2001), soit une augmentation de 16 %, hausse comparable à l’évolution du nombre total de scolarisés. Ainsi, moins de la moitié des mineurs en échec vis-à-vis de la lecture suivent un cours d’alphabétisation. Sur cet aspect fondamental de l’enseignement en milieu carcéral, la marge de progression reste donc élevée. Les résultats en matière de qualification professionnelle sont également nuancés. Le nombre de diplômés est en augmentation pour ces dernières années : 291 mineurs ont réussi un examen en 2003, contre 247 en 2002, 171 en 2001 et 236 en 1998. Il convient cependant de noter que la très grande majorité des mineurs diplômés obtiennent le Certificat de formation générale (CFG, 245 sur les 291 diplômés en 2003) qui ne valide pas en soi une qualification professionnelle. Par ailleurs, en 2003, 356 mineurs préparaient un diplôme CAP ou BEP contre 319 en 2002, 272 en 2002 et 232 en 1998. Il existe donc une augmentation réelle de l’accès à une filière de qualification professionnelle mais, cet accès reste limité à environ un mineur incarcéré sur dix. Sur ce point, les enseignants en milieu carcéral expliquent à juste titre que les faibles durées de détention compliquent fortement la mise en place d’une formation qualifiante. Le risque est donc de développer l’accès à l’éducation sur un mode quantitatif et finalement assez occupationnel, mode d’enseignement qui prépare peu les intéressés à une insertion sociale à la sortie de prison. Il convient d’ajouter qu’il existe de fortes disparités d’un établissement à l’autre en matière de volume d’heures d’enseignement. Dans certains quartiers de mineurs, les cours dispensés aux mineurs peuvent se limiter à 8 heures par semaine. Il arrive que des associations de bénévoles se voient adressées des demandes précises de prise en charge de mineurs, destinées en réalité à suppléer à l’absence d’enseignants de l’Education nationale. Pour les raisons exposées plus haut, la situation est encore plus difficile pour les jeunes filles incarcérées.

La Commission de suivi de la détention provisoire déplorait en 2004 que « l’administration de l’Education nationale locale paraisse peu engagée dans cet effort [en faveur de l’acquisition de diplôme] qui repose sur des personnes plus que sur une véritable organisation, et on doit suspecter que les contraintes budgétaires aboutissent à ce résultat que, lorsqu’un véritable effort existe dans un établissement au profit des mineurs, il se fait au détriment des formations destinées aux détenus majeurs.  »[6]

S’agissant des programmes définis pour les nouveaux établissements spécialisés pour mineurs, il est prévu qu’ils soient « centrés sur l’éducation et non plus sur la cellule ». Cet objectif mérite d’être approfondi. Comme le note la Commission de suivi de la détention provisoire, « la recherche d’une activité collective permanente, dresse en filigrane un portrait du jeune délinquant quelque peu uniforme et, en regard des modalités de réinsertion très arrêtées, dans lesquelles la trilogie (à parts égales) éducation-sport-jeux occupe l’intégralité du temps disponible et très contraint. (...) Il paraît plus raisonnable de prévoir, pour ces établissements des lignes directrices à la fois plus ambitieuses et plus souples (...). Il est souhaitable aussi que l’éducation dispensée ne s’arrête pas, comme souvent aujourd’hui, à des rudiments d’informatique de loisir ou à la préparation d’un certificat d’éducation générale ».

Proposition 7

La CNCDH recommande un engagement plus important de la part du ministère de l’Education nationale dans la mise en œuvre de sa mission en prison. Elle recommande notamment d’augmenter le temps de scolarisation pour approcher d’une scolarité adaptée en vue d’un retour à une scolarité normale à l’issue de la détention. Elle insiste pour que l’accent soit mis sur l’offre de formations professionnelles qualifiantes pour les détenus mineurs. Elle préconise également un large recours à la semi-liberté afin que des formations engagées par les mineurs en détention puissent se poursuivre après la libération.

Notes:

[1Rapport de la Commission nationale de suivi de l’enseignement en milieu pénitentiaire, 2004

[2Art. D.450 à D.456