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Droit, d ?ontologie et soin en milieu carc ?ral

Type : PDF

Taille : 232 kio

Date : 2-09-2007

Droit, Déontologie et Soin

Mise en ligne : 2 septembre 2007

Texte de l'article :

 

TEXTES ET DOCUMENTS

Chapitre 1 - DROIT EUROPEEN

I - Convention européenne des droits de l’Homme

Article 3. Torture. Traitements inhumains et dégradants.

Article 5. Droit à la liberté et à la sûreté. Conditions de la privation de liberté.

Article 6. Droit à un procès équitable.

Article 7. Non-rétroactivité des lois et des peines.

Article 8. Vie privée.

Article 14. Illégalité des discriminations.

II - Recommandation no R (98)7 du 8 avril 1998 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire
1. Aspects principaux du droit aux soins de santé en milieu pénitentiaire
2 Spécificité du rôle du médecin et des autres personnels de santé dans le contexte du milieu pénitentiaire
3. L’organisation des soins de santé dans les prisons notamment du point de vue de la gestion de certains problèmes courants
4. Santé mentale : Annexe à la recommandation no (2006)2 du 11 janvier 2006 du comité des ministres

Chapitre 2 - CODES NATIONAUX

I. Code civil : vie privée et protection de la personne

II. Code pénal : intention coupable, secret professionnel et dénonciations

III - Code de la santé publique

1. Hospitalisation d’office après une décision de non-lieu ou de relaxe pour absence de discernement

2. Hospitalisation des personnes détenues atteintes de troubles mentaux

IV. Code de procédure pénale : suspension de peine et libération conditionnelle

Chapitre 3. JURISPRUDENCE

N° 1. CEDH, 1° section, 14 novembre 2002, Mouisel c. France, no 67263/01. Traitement inhumain et dégradant. Détenus malades. Libération pour motif de santé. Port des menottes.

N° 2. CEDH, 24 octobre 2006, 4° section, Vincent/France, Requête no 6253/03. Conditions de détention d’une personne handicapée physique. Impossibilité de se déplacer en fauteuil.

N° 3. Conseil d’Etat, 26 juillet 2004, n° 270302

N° 4. CE n° 270302, 26 juillet 2004. HO art. L. 3213-7. Prononcé d’une hospitalisation d’office après un jugement de non-lieu rendu au pénal pour altération du discernement. Psychiatre médecin traitant.

N° 5. CAA Marseille, 6 mars 2006, n° 04MA02477. Suicide en prison. Suivi psychiatrique. Geste inattendu.

N° 6. CAA Marseille, 6 mars 2006, n° 04MA01337. Suicide en prison d’une personne suivie par le psychiatre. Surveillance particulière ordonnée. Comportement inhabituel. Retard de réaction du personnel surveillant. Responsabilité de l’Etat.

N° 7. CAA Nancy, 4 août 2006, n° 05NC00307. Suicide en prison. Patient suivi sur le psychiatre. Surveillance adéquate.
Chapitre 4. AVIS DU CCNE N° 94 DU 26 OCTOBRE 2006 page 35
1. Prison et confrontation à la maladie mentale.
2. La prison, cause de maladie et de mort.
3. La suspension de peine pour raison médicale en fin de vie (Loi du 4 mars 2002)
4. L’incarcération de personnes atteintes de maladies mentales graves
5. Deux problèmes d’éthique médicale majeurs

* * *

 
CHAPITRE 1

DROIT EUROPEEN

I - Convention européenne des droits de l’Homme

« Les Etats signataires de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme reconnaissent et assurent à toute personne relevant de leur juridiction la jouissance des droits et libertés reconnus par le texte sans distinction fondée sur l’origine nationale. » Soc, 31 oct. 2000, JDI 2001, p. 1107

Site de la Cour européenne : http://www.echr.coe.int/

Article 3. Torture. Traitements inhumains et dégradants.

 Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants.

« Si l’on ne peut en déduire une obligation générale de libérer un détenu pour motifs de santé, l’article 3 de la Convention impose en tout cas à l’Etat de protéger l’intégrité physique des personnes privées de liberté notamment par l’administration des soins médicaux requis. » Hurtado, 28 janvier 1994, série A no 280-A.

« Le droit de tout prisonnier à des conditions de détention conformes à la dignité humaine de manière à assurer que les modalités d’exécution des mesures prises ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention ; elle a ajouté que, outre la santé du prisonnier, c’est son bien-être qui doit être assuré de manière adéquate eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement. Kud ?a, 30210/96.
 
« La détention prolongée d’une personne de grand âge ne constitue pas en elle-même une violation de l’article 3. Si les mesures privatives de liberté s’accompagnent ordinairement de souffrance et d’humiliation, l’art. 3 impose aux Etats de s’assurer que tout prisonnier soit détenu dans des conditions compatibles avec le respect de sa dignité humaine. » CEDH, 24 juillet 2001, req. n° 44558/98.

« Le fait d’avoir maintenu en détention la requérante, handicapée des quatre membres, dans des conditions inadaptées à son état de santé, est constitutif d’un traitement dégradant. CEDH, Price no 33394/96.

« Constitue un traitement contraire à l’art. 3 l’usage d’entraves sur un détenu âgé et non spécialement dangereux, hospitalisé en vue de subir une intervention chirurgicale. » CEDH 27 nov. 2003, D. 2004 p. 1196.

« À l’égard d’une personne privée de sa liberté, tout usage de la force physique qui n’est pas rendu strictement nécessaire par le comportement de ladite personne porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation de l’article 3. » CEDH, 4 décembre 1995, série A. 336.

« La violation de l’article 3 ne suppose pas nécessairement une volonté d’humilier ou de rabaisser, et elle peut résulter d’une inaction ou d’un manque de diligence des autorités publiques. » CEDH 2 déc. 2004, req. 4672/02

« L’article 3 consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques et prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants. Les Etat ont l’obligation de prendre des mesures propres à empêcher que les personnes relevant de leur juridiction ne soient soumises à ce type de traitements, même administrés par des particuliers. » CEDH, 10 mai 2001, req. n° 29392/95.

Article 5. Droit à la liberté et à la sûreté. Conditions de la privation de liberté. Détention des mineurs. Contrôle du juge. Recours et indemnisation.

 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :
 a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
 b) s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulière pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ;
 c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;
 d) s’il s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité compétente ;
 e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;
 f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulière d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.
 2. Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.
 3. Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.
 4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.
 5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation.

« La privation de liberté d’une personne considérée comme aliénée n’est conforme à l’article 5 Conv. EDH que si elle est ordonnée, dans un cadre légal, avec l’avis d’un médecin donné avant la mesure ou, en cas d’urgence juste après l’internement, et s’attachant à l’évaluation de l’état actuel de l’intéressé, éventuellement sur dossier si ce dernier refuse de se prêter à l’examen. » CEDH, 5 oct. 2000, req. 31365/96.

Article 6. Droit à un procès équitable. Tribunal indépendant et impartial. Délai raisonnable. Caractère public du jugement. Présomption d’innocence. Droits de la défense. Connaissance des griefs. Témoins. Interprète.

 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
 2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
 3. Tout accusé a droit notamment à :
 a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;
 b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;
 c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;
 d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;
 e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience.

Cet article, qui est l’occasion d’une abondante jurisprudence, constitue la référence du « procès équitable ». Il est applicable à toutes les procédures juridictionnelles, et ses dispositions l’emportent sur les règles nationales contraires.

Article 7. Non-rétroactivité des lois et des peines. Crimes contre l’humanité.

 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise.
 2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées.

Article 8. Vie privée. Vie familiale. Domicile. Correspondance. Limitations des libertés par l’État. Proportion avec les nécessités de l’ordre public.

 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

« Nonobstant les dispositions de l’article 8 de la CEDH, l’Etat n’outrepasse pas sa marge d’appréciation en protégeant ses concitoyens adeptes de pratiques sado-masochistes en fonction d’un risque réel de dommages corporels ou de blessures. » CEDH, 19 fév. 1997, D. 1998, p. 97

« Le refus d’autoriser un détenu en détention provisoire pour vol, d’assister aux funérailles de ses parents constitue une violation de l’article 8. » CEDH, 12 nov. 2002, req. 26761/95.

« La famille est une des valeurs essentielles sur lesquelles est fondée la société. C’est sur elle que repose l’avenir de la nation. »Code de l’action sociale, art. R. 112-1

Article 14. Illégalité des discriminations.

 La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.
 Aucune des dispositions de la présente convention ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente convention ou à des limitations plus amples de ces droits et libertés que celles prévues à ladite convention.
Voir aussi...
- Article 9. Liberté de pensée, de conscience et de religion.
- Article 10. Liberté d’expression.
- Article 11. Liberté de réunion et d’association.
- Article 12. Droit au mariage.
- Article 13. Droit à un recours effectif.

II - Recommandation no R (98)7 du 8 avril 1998 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire

1. Aspects principaux du droit aux soins de santé en milieu pénitentiaire

a. Accès à un médecin

1. Lors de leur admission dans un établissement pénitentiaire et ultérieurement, pendant leur séjour, les détenus devraient avoir accès, si leur état de santé le nécessite, à tout moment et sans retard, à un médecin ou à un(e) infirmier(ère) diplômé(e), quel que soit leur régime de détention. Tous les détenus devraient bénéficier d’une visite médicale d’admission. L’accent devrait être mis sur le dépistage des troubles mentaux, l’adaptation psychologique à la prison, les symptômes de sevrage à l’égard des drogues, des médicaments ou de l’alcool et les affections contagieuses et chroniques.
2. Pour répondre aux besoins sanitaires des détenus, les grands établissements pénitentiaires devraient disposer de médecins et d’infirmiers qualifiés à plein temps, en fonction du nombre et de la rotation des détenus et de leur état moyen de santé.
3. Un service de santé en milieu pénitentiaire devrait assurer au minimum des consultations ambulatoires et des soins d’urgence. Lorsque l’état de santé des détenus exige des soins qui ne peuvent être assurés en prison, tout devrait être mis en œuvre afin que ceux-ci puissent être dispensés en toute sécurité dans des établissements de santé en dehors de la prison.
4. Les détenus devraient, si nécessaire, avoir accès à un médecin à toute heure du jour et de la nuit. Dans chaque établissement, une personne compétente pour donner les premiers soins devrait en permanence être présente. En cas d’urgence grave, le médecin, un membre du personnel soignant et la direction devraient être alertés. La participation active et l’engagement du personnel de surveillance sont primordiaux.
5. Un accès à des consultations et à des conseils psychiatriques devrait être garanti. Dans les grands établissements pénitentiaires, une équipe psychiatrique devrait être présente. A défaut, dans les petits établissements, des consultations devraient être assurées par un psychiatre hospitalier ou privé.
6. Chaque détenu devrait pouvoir bénéficier des soins d’un chirurgien-dentiste qualifié.
7. L’administration pénitentiaire devrait faire le nécessaire pour établir les contacts et la collaboration qui s’imposent avec les institutions médicales publiques et privées. Dans la mesure où certains détenus toxicomanes, alcooliques ou dépendants aux médicaments ne peuvent pas être traités de façon appropriée dans les prisons, il convient d’envisager de faire appel à des consultants extérieurs, faisant partie des services d’aide spécialisés œuvrant au sein de la communauté en général, qui pourront donner des conseils, voire assurer des soins.
8. S’il y a lieu, des soins spécifiques devraient être prévus pour les femmes détenues. Les détenues enceintes devraient être suivies médicalement et pouvoir accoucher dans un service hospitalier externe à la prison, le mieux adapté à leur état.
9. Pour les trajets vers les hôpitaux, le malade devrait être accompagné, au besoin de membres du personnel médical ou soignant.

b. Equivalence des soins

10. La politique de santé en milieu carcéral devrait être intégrée à la politique nationale de santé et être compatible avec elle. Un service de santé en milieu pénitentiaire devrait pouvoir dispenser des soins médicaux, psychiatriques et dentaires, et mettre en oeuvre des programmes d’hygiène et de traitement préventif, dans des conditions comparables à celles dont bénéficie le reste de la population. Les médecins exerçant en milieu pénitentiaire devraient pouvoir faire appel à des spécialistes. Si un second avis est nécessaire, il incombe au service de santé de le solliciter.
11. Le service de santé devrait disposer d’un personnel médical, infirmier et technique qualifié et en nombre suffisant ainsi que des locaux, installations et équipements appropriés et de qualité comparable, sinon identique à ceux qui existent en milieu libre.
12. Le rôle du ministère de la Santé devrait être renforcé en matière de contrôle de l’hygiène, de la qualité des soins et de l’organisation des services de santé en milieu carcéral, conformément à la législation nationale. Un partage clair des responsabilités et des compétences devrait être établi entre le ministère de la Santé et les autres ministères compétents, qui devraient coopérer pour la mise en œuvre d’une politique de santé intégrée au sein des prisons.

c. Consentement du malade et secret médical

 
13. Le secret médical devrait être garanti et observé avec la même rigueur que dans la population générale. 14. Hormis le cas où le détenu souffre d’une maladie le rendant incapable de comprendre la nature de son état, le détenu malade devrait toujours pouvoir donner au médecin son consentement éclairé préalablement à tout examen médical ou à tout prélèvement, sauf dans les cas prévus par la loi. Les raisons de chaque examen devraient être clairement expliquées à la personne détenue et comprises par elle. Les détenus soumis à un traitement médical devraient être informés des indications et des éventuels effets secondaires susceptibles de se manifester.
15. Le consentement éclairé devrait être obtenu de la part des malades souffrant de troubles mentaux et des patients placés dans des situations où les obligations médicales et les règles de sécurité ne coïncident pas nécessairement, par exemple en cas de refus de traitement ou de nourriture.
16. Toute dérogation aux principes de la liberté de consentement du malade devrait être fondée sur la loi et être guidée par les principes qui s’appliquent à la population générale.
17. Les prévenus malades devraient pouvoir demander à leurs frais une consultation auprès de leur médecin traitant ou auprès d’un autre médecin extérieur à la prison.
Les détenus condamnés peuvent solliciter un deuxième avis médical et le médecin exerçant en milieu pénitentiaire devrait répondre à cette demande de façon bienveillante. Cependant, toute décision quant au bien-fondé de cette demande relève en dernier lieu de la responsabilité du médecin.
18. Aucun détenu ne devrait être transféré dans un autre établissement pénitentiaire sans un dossier médical complet. Le dossier devrait être transféré dans des conditions garantissant sa confidentialité. Les détenus concernés devraient être informés que leur dossier médical sera transféré. Ils devraient pouvoir y opposer leur refus, conformément à la législation nationale.
Il convient de remettre par écrit aux sortants de prison toute information médicale utile, à l’attention de leur médecin traitant.

d. Indépendance professionnelle

19. Les médecins exerçant en prison devraient assurer à chaque détenu la même qualité de soins que celle dont bénéficient les malades ordinaires. Les besoins de santé du détenu devraient toujours constituer la préoccupation première du médecin.
20. Les décisions cliniques et toute autre évaluation relatives à la santé des personnes incarcérées devraient être fondées uniquement sur des critères médicaux. Le personnel de santé devrait pouvoir exercer son activité en toute indépendance, dans la limite de ses qualifications et de ses compétences.
21. Les infirmiers et les autres membres du personnel de santé devraient accomplir leur travail sous la responsabilité directe du médecin-chef, qui ne devrait pas déléguer au personnel paramédical des tâches autres que celles qui sont légalement et déontologiquement autorisées. La qualité des prestations médicales et des soins infirmiers devrait être évaluée par une autorité sanitaire qualifiée.
22. La rémunération du personnel médical ne devrait pas être inférieure à celle pratiquée dans d’autres secteurs de la santé publique.

2 Spécificité du rôle du médecin et des autres personnels de santé dans le contexte du milieu pénitentiaire

a. Conditions générales

23. Le rôle du médecin exerçant en milieu pénitentiaire consiste d’abord à dispenser des soins médicaux et des conseils appropriés à toutes les personnes détenues dont il est cliniquement responsable.
24. Il devrait également conseiller la direction de l’établissement sur les questions ayant trait au régime alimentaire et à l’environnement dans lequel les personnes privées de liberté sont obligées de vivre, ainsi que sur les problèmes d’hygiène et de salubrité.
25. Le personnel de santé devrait pouvoir participer à l’information de la direction et du personnel de surveillance de l’établissement pénitentiaire sur les questions relatives à la santé et dispenser, le cas échéant, une formation sanitaire adéquate.

 
b. Information, prévention et éducation à la santé

26. Au moment de l’admission, toute personne devrait recevoir une information concernant les droits et les obligations, le règlement intérieur de l’établissement ainsi que des indications sur les modalités d’aide et de conseil. Cette information devrait être compréhensible par tous les détenus. Des explications particulières devraient être données aux illettrés.
27. Un programme d’éducation à la santé devrait être organisé dans tous les établissements pénitentiaires. Les détenus et les personnels de l’administration pénitentiaire devraient recevoir une brochure d’information de base sur les questions de santé, ciblée sur le dispositif de soins proposé aux personnes détenues.
28. Des explications devraient être données sur les avantages du dépistage volontaire et anonyme des maladies transmissibles, et sur les risques que présentent les hépatites, les maladies sexuellement transmissibles, la tuberculose et la contamination par le VIH ; les personnes qui acceptent de subir un test doivent avoir accès à une consultation médicale de suivi.
29. Le programme d’éducation à la santé devrait avoir pour but d’encourager le développement de styles de vie sains et permettre aux détenus de prendre des décisions opportunes concernant leur santé et celle de leur famille, de préserver et de protéger leur intégrité personnelle, de diminuer les risques de dépendance et de rechute. Cette approche devrait inciter les détenus à participer à des programmes de santé dans lesquels leur sont enseignés de façon cohérente des stratégies et des comportements destinés à réduire au minimum les risques pour leur santé.

c. Spécificité des pathologies et de la prévention en milieu pénitentiaire

30. Toute trace de violence observée sur une personne lors de l’examen médical pratiqué au moment de son admission dans un établissement pénitentiaire devrait être consignée par le médecin avec les déclarations faites par la personne, ainsi que les conclusions du médecin. Cette information devrait en outre être transmise à la direction de l’établissement avec le consentement du détenu.
31. Toute information concernant des actes de violence commis sur des détenus pendant la période de détention devrait être communiquée aux autorités compétentes. En règle générale, il convient, avant d’entreprendre une telle démarche, d’obtenir le consentement des personnes concernées.
32. Dans certains cas exceptionnels, et en tout état de cause dans le strict respect des règles de déontologie, le consentement éclairé de la personne détenue peut ne pas être considéré comme indispensable, notamment si le médecin estime qu’il est clairement de son devoir, tant à l’égard du patient que de l’ensemble de la communauté pénitentiaire, de signaler un incident grave qui constitue un danger réel. S’il le juge utile, le service de santé devrait collecter des données statistiques périodiques relatives aux lésions traumatiques relevées, afin de les communiquer à la direction de l’établissement pénitentiaire et aux ministères concernés, conformément à la législation nationale en matière de protection des données.
33. Une formation sanitaire adéquate pour les personnels de surveillance devrait être mise en place afin de les rendre aptes à signaler des problèmes de santé physique ou mentale qu’ils pourraient constater au sein de la population carcérale.

d. La formation professionnelle du personnel de santé exerçant en milieu pénitentiaire

34. Les médecins exerçant en milieu pénitentiaire devraient avoir une bonne compétence professionnelle en médecine générale et en psychiatrie. Leur formation devrait comporter l’acquisition de connaissances théoriques initiales, une compréhension du cadre pénitentiaire et de ses effets sur l’exercice de la médecine en prison, une évaluation des compétences acquises et un stage pratique, effectué sous la direction d’un médecin confirmé. Les médecins exerçant en milieu pénitentiaire devraient bénéficier également d’une formation continue régulière.
35. Une formation appropriée devrait également être dispensée aux autres personnels de santé et devrait inclure des connaissances du fonctionnement des prisons et des réglementations pénitentiaires pertinentes.

3. L’organisation des soins de santé dans les prisons notamment du point de vue de la gestion de certains problèmes courants

a. Maladies transmissibles, et en particulier : infection par le VIH et sida, tuberculose, hépatites

36. Des mesures prophylactiques appropriées devraient être prises afin de prévenir les maladies sexuellement transmissibles en milieu pénitentiaire.
37. Les tests de dépistage pour le VIH devraient être réalisés seulement avec le consentement des détenus, de manière anonyme et conformément à la loi. Des conseils approfondis devraient être donnés avant et après le test.
38. L’isolement d’une personne atteinte d’une maladie infectieuse ne se justifie que si une telle mesure est également prise à l’extérieur du cadre pénitentiaire pour le même motif médical.
39. Aucune forme de ségrégation ne devrait être prévue à l’encontre des personnes séropositives pour le VIH, sous réserve des dispositions contenues au paragraphe 40.
40. Les malades du sida qui développent des infections graves devraient recevoir un traitement dans le service de santé pénitentiaire, sans toutefois qu’une mesure d’isolement strict ne soit prise d’office. Les malades qu’il faut protéger contre les maladies infectieuses transmises par d’autres patients ne devraient être isolés que si une telle mesure va dans leur intérêt et doit les empêcher de contracter des infections intercurrentes, notamment lorsque leur système de défense immunitaire est sévèrement déficitaire.
41. Si des cas de tuberculose sont détectés, toutes les dispositions nécessaires devraient être prises pour prévenir la propagation de cette infection, conformément à la législation applicable dans ce domaine. Les interventions thérapeutiques devraient être d’une qualité égale à celles dispensées à l’extérieur de la prison.
42. La vaccination étant l’unique méthode efficace de prévention contre la propagation de l’hépatite B, elle devrait être proposée aux détenus et au personnel. Les hépatites B et C étant transmises par usage intraveineux des drogues et par contamination par le sang ou le sperme, il importe de dispenser l’information nécessaire et de mettre en place des moyens de prévention appropriés.

b. Toxicomanie, alcoolisme et dépendance aux médicaments : gestion de la pharmacie et distribution des traitements médicamenteux

43. Les soins dispensés aux détenus alcooliques et dépendants aux médicaments nécessitent d’être renforcés en tenant compte notamment des services offerts aux toxicomanes, tels que ceux recommandés par le Groupe de coopération en matière de lutte contre l’abus et le trafic illicite de stupéfiants (Groupe Pompidou). A cette fin, il importe de proposer une formation adéquate au personnel médical et pénitentiaire, et d’améliorer la coopération avec les services en conseil extérieurs afin de veiller au suivi thérapeutique des détenus à leur sortie de prison.
44. Le médecin exerçant en milieu pénitentiaire devrait encourager les détenus à suivre des programmes d’assistance sociale et psychothérapique afin de prévenir les risques de toxicomanie, de consommation abusive de médicaments et d’alcoolisme.
45. Le traitement des symptômes de sevrage de la toxicomanie, de l’alcoolisme et de la dépendance aux médicaments dans les établissements pénitentiaires devrait s’effectuer de la même manière que dans le milieu extérieur à la prison.
46. Si un détenu subit une cure de désintoxication, le médecin devrait l’encourager à faire usage de tous les dispositifs existants pour éviter une rechute, aussi bien durant son incarcération qu’après sa sortie de l’établissement pénitentiaire.
47. La personne détenue devrait pouvoir consulter un conseiller spécialisé interne ou externe à l’établissement pénitentiaire qui puisse lui apporter le soutien nécessaire pendant le déroulement de sa peine et une assistance postpénitentiaire. De tels conseillers devraient également pouvoir intervenir dans le cadre de la formation en cours d’emploi du personnel de surveillance.
48. S’il y a lieu, les personnes détenues devraient pouvoir recevoir leur traitement prescrit « en main propre ». Cependant, les médicaments dont la prise en overdose peut se révéler dangereuse ne devraient pas leur être remis ; ils devraient leur être administrés au fur et à mesure, selon la posologie prescrite.
49. Le médecin exerçant en milieu pénitentiaire devrait, le cas échéant, dresser une liste de toutes les substances et médicaments habituellement prescrits dans le service médical, en collaboration avec le pharmacien responsable. La prescription médicale devrait rester du seul ressort de la profession médicale, et les médicaments ne devraient être distribués que par le personnel autorisé.

c. Personnes inaptes à la détention continue : handicap physique grave, grand âge, pronostic fatal à court terme

50. Les détenus souffrant de handicaps physiques graves et ceux qui sont très âgés devraient pouvoir mener une vie aussi normale que possible et ne pas être séparés du reste de la population carcérale. Les modifications structurelles nécessaires devraient être entreprises dans les locaux pour faciliter les déplacements et les activités des personnes en fauteuil roulant et des autres handicapés, comme cela se pratique à l’extérieur de la prison.
51. La décision quant au moment opportun de transférer dans des unités de soins extérieures les malades dont l’état indique une issue fatale prochaine devrait être fondée sur des critères médicaux. En attendant de quitter l’établissement pénitentiaire, ces personnes devraient recevoir pendant la phase terminale de leur maladie des soins optimaux dans le service sanitaire. Dans de tels cas, des périodes d’hospitalisation temporaire hors du cadre pénitentiaire devraient être prévues. La possibilité d’accorder la grâce ou une libération anticipée pour des raisons médicales devrait être examinée.
d. Symptômes psychiatriques : troubles mentaux et troubles graves de la personnalité, risque de suicide
52. L’administration pénitentiaire et le ministère responsable de la santé mentale devraient coopérer à l’organisation des services psychiatriques mis en place à l’intention des détenus.
53. Les services de santé mentale et les services sociaux rattachés aux prisons ont pour mission d’assister les détenus, de les conseiller et de renforcer leurs moyens d’adaptation et leurs possibilités de faire face à leurs problèmes personnels. Compte tenu de leurs missions respectives, ces services devraient coordonner leurs activités. Ils devraient être professionnellement indépendants, tout en prenant en considération les conditions spécifiques du cadre pénitentiaire.
54. Les délinquants sexuels condamnés devraient se voir proposer un examen psychiatrique et psychologique, ainsi qu’un traitement adapté durant et après leur séjour.
55. Les détenus souffrant de troubles mentaux graves devraient pouvoir être placés et soignés dans un service hospitalier doté de l’équipement adéquat et disposant d’un personnel qualifié. La décision d’admettre un détenu dans un hôpital public devrait être prise par un médecin psychiatre sous réserve de l’autorisation des autorités compétentes.
56. Dans les cas où l’isolement cellulaire des malades mentaux ne peut être évité, celui-ci devrait être réduit à une durée minimale et remplacé dès que possible par une surveillance infirmière permanente et personnelle.
57. Dans des situations exceptionnelles, s’agissant de malades souffrant de troubles mentaux graves, le recours à des mesures de contention physique peut être envisagé pendant une durée minimale correspondant au temps nécessaire pour qu’une thérapie médicamenteuse déploie l’effet de sédation attendu.
58. Les risques de suicide devraient être appréciés en permanence par le personnel médical et pénitentiaire. Suivant le cas, des mesures de contention physique conçues pour empêcher les détenus malades de se porter préjudice à eux-mêmes, une surveillance étroite et permanente et un soutien relationnel devraient être utilisés pendant les périodes de crise.
59. Le suivi thérapeutique pour les détenus libérés sous traitement devrait être assuré par des services spécialisés extérieurs.

e. Refus de traitement, grève de la faim

60. Si une personne détenue refuse le traitement qui lui est proposé, le médecin devrait lui faire signer une déclaration écrite en présence d’un témoin. Le médecin devrait fournir au patient toutes les informations nécessaires sur les bienfaits escomptés du traitement médical, les alternatives thérapeutiques éventuellement existantes, et l’avoir mis en garde contre les risques auxquels son refus l’expose. Il convient de s’assurer que le malade est pleinement conscient de sa situation. Il serait indispensable de faire appel à un interprète expérimenté si la langue pratiquée par le malade constitue un obstacle à la compréhension.
61. L’examen clinique d’un gréviste de la faim ne devrait être pratiqué qu’avec son consentement explicite, sauf s’il souffre de troubles mentaux graves et qu’il doive alors être transféré dans un service psychiatrique.
62. Les grévistes de la faim devraient être informés de manière objective des effets nuisibles de leur action sur leur état de santé afin de leur faire comprendre les dangers que comporte une grève de la faim prolongée. 63. Si le médecin estime que l’état de santé d’une personne en grève de la faim se dégrade rapidement, il lui incombe de le signaler à l’autorité compétente et d’entreprendre une action selon la législation nationale (y inclus les normes professionnelles).

f. Violence en prison : procédures et sanctions disciplinaires, isolement disciplinaire, contention physique, régime de sécurité renforcée

64. Les détenus qui ont des raisons pertinentes de craindre des actes de violence à leur encontre de la part de codétenus, y compris d’éventuelles agressions sexuelles, ou qui ont récemment été agressés ou blessés par leurs codétenus devraient pouvoir être placés sous la protection renforcée du personnel de surveillance.
65. Le médecin ne devrait pas s’impliquer dans l’octroi de l’autorisation ou de l’interdiction du recours à la force physique par le personnel pénitentiaire, qui doit lui-même assumer la responsabilité du maintien de l’ordre et de la discipline.
66. Dans le cas d’une sanction d’isolement disciplinaire, de toute autre mesure disciplinaire ou de sécurité qui risquerait d’altérer la santé physique ou mentale d’un détenu, le personnel de santé devrait fournir une assistance médicale ou un traitement à la demande du détenu ou du personnel pénitentiaire.

 
g. Programmes de soins spécifiques : programmes sociothérapeutiques, liens familiaux et contacts avec le monde extérieur, mère détenue avec enfant

67. Les programmes sociothérapeutiques devraient être organisés conformément à ceux qui sont réalisés dans la communauté libre et devraient être supervisés avec soin. Les médecins devraient être disposés à coopérer de façon constructive avec tous les services compétents afin de permettre aux détenus de bénéficier de tels programmes et d’acquérir ainsi des aptitudes sociales susceptibles de contribuer à réduire les risques de récidive après la libération.
68. Il devrait être envisagé de donner aux détenus la possibilité de rencontrer leur partenaire sexuel sans surveillance visuelle pendant la visite.
69. Les enfants très jeunes de mères détenues devraient pouvoir rester en prison auprès de leur mère, afin que leur mère puisse leur porter toute l’attention nécessaire, leur donner les soins indispensables au maintien d’un bon état de santé et maintenir un lien psycho-affectif.
70. Des équipements spéciaux (crèches, garderies) devraient être prévus pour les mères accompagnées d’enfants.
71. Les médecins ne devraient pas intervenir dans la décision administrative de séparer l’enfant de sa mère à un certain âge.

h. Fouilles corporelles : expertises médicales, recherche médicale

72. Les fouilles corporelles relèvent de l’autorité administrative et les médecins exerçant en milieu pénitentiaire ne devraient pas intervenir dans ce domaine. Toutefois, un examen médical intime devrait être effectué par un médecin lorsqu’il y a une raison médicale objective qui demande son intervention.
73. Un médecin exerçant en milieu pénitentiaire ne devrait pas établir de rapports médicaux ou psychiatriques à l’intention de la défense ou du Ministère public, hormis à la demande expresse du détenu ou à la demande d’un tribunal. Il ne devrait pas accepter d’intervenir en tant qu’expert médical dans la procédure judiciaire intéressant les prévenus. Il ne devrait effectuer des prélèvements ou des analyses qu’à des fins diagnostiques et pour des motifs purement médicaux.
74. La recherche médicale sur les personnes détenues devrait être menée conformément aux principes énoncés dans les Recommandations n° R (87) 3 sur les Règles pénitentiaires européennes, n° R (90) 3 sur la recherche médicale sur l’être humain et n° R (93) 6 concernant les aspects pénitentiaires et criminologiques du contrôle des maladies transmissibles et notamment du sida, et les problèmes connexes de santé en prison.

4. Santé mentale : Annexe à la recommandation no (2006)2 du 11 janvier 2006 du comité des ministres

12.1 Les personnes souffrant de maladies mentales et dont l’état de santé mentale est incompatible avec la détention en prison devraient être détenues dans un établissement spécialement conçu à cet effet.
12.2 Si ces personnes sont néanmoins exceptionnellement détenues dans une prison, leur situation et leurs besoins doivent être régis par des règles spéciales.
39. Les autorités pénitentiaires doivent protéger la santé de tous les détenus dont elles ont la garde.
40.1 Les services médicaux administrés en prison doivent être organisés en relation étroite avec l’administration générale du service de santé de la collectivité locale ou de l’Etat.
40.2 La politique sanitaire dans les prisons doit être intégrée à la politique nationale de santé publique et compatible avec cette dernière.
40.3 Les détenus doivent avoir accès aux services de santé proposés dans le pays sans aucune discrimination fondée sur leur situation juridique.
40.4 Les services médicaux de la prison doivent s’efforcer de dépister et de traiter les maladies physiques ou mentales, ainsi que les déficiences dont souffrent éventuellement les détenus.
40.5 À cette fin, chaque détenu doit bénéficier des soins médicaux, chirurgicaux et psychiatriques requis, y compris ceux disponibles en milieu libre.
42.3 Lorsqu’il examine un détenu, le médecin, ou un(e) infirmier(ère) qualifié(e) dépendant de ce médecin, doit accorder une attention particulière : (...)
 b. au diagnostic des maladies physiques ou mentales et aux mesures requises par leur traitement et par la nécessité de continuer un traitement médical existant ; (...)
 h. à l’identification des problèmes de santé physique ou mentale qui pourraient faire obstacle à la réinsertion de l’intéressé après sa libération ; (...) 
 j. à la conclusion d’accords avec les services de la collectivité afin que tout traitement psychiatrique ou médical indispensable à l’intéressé puisse être poursuivi après sa libération, si le détenu donne son consentement à cet accord.
43.1 Le médecin doit être chargé de surveiller la santé physique et mentale des détenus et doit voir, dans les conditions et au rythme prévus par les normes hospitalières, les détenus malades, ceux qui se plaignent d’être malades ou blessés, ainsi que tous ceux ayant été spécialement portés à son attention.
43.3 Le médecin doit présenter un rapport au directeur chaque fois qu’il estime que la santé physique ou mentale d’un détenu encourt des risques graves du fait de la prolongation de la détention ou en raison de toute condition de détention, y compris celle d’isolement cellulaire.
46.1 Les détenus malades nécessitant des soins médicaux particuliers doivent être transférés vers des établissements spécialisés ou vers des hôpitaux civils, lorsque ces soins ne sont pas dispensés en prison. (...) »

Voir aussi, disponible sur le site du Conseil de l’Europe : http://www.coe.int/
- Protocole additionnel à la Convention sur les Droits de l’Homme et la biomédecine, relatif à la recherche biomédicale, du 25 janvier 2005 ;
- Protocole à la Charte sociale européenne, du 5 mai1988, et digest de jurisprudence du Comité européen des droits sociaux, décembre 2006 ;
- Rapport du commissaire européen aux droits de l’homme sur le respect des droits de l’homme en France, février 2006

 
CHAPITRE 2

CODES NATIONAUX

I. Code civil

Article 9. Protection de la vie privée.
 Chacun a droit au respect de sa vie privée.
 Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé.
« Est illicite toute immixtion arbitraire dans la vie privée d’autrui. » Civ. 1° 6 mars 1996, Bull. n° 273.
« La seule constation de l’atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation. » Civ.1°, 5 nov. 1996, Bull. n° 378
« Toute personne, quel que soit son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, a droit au respect de sa vie privée. » Civ. 1°, 23 oct. 1990, Bull. n° 222.
 « Le dossier médical d’un salarié, couvert par le secret médical, ne peut en aucun cas être communiqué à l’employeur. » Soc. 10 Juil. 2002, Bull. n° 251.
Article 9-1. Présomption d’innocence.
 Chacun a droit au respect de la présomption d’innocence.
 Lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme étant coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire, le juge peut, même en référé, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que l’insertion d’une rectification ou la diffusion d’un communiqué, aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence, et ce aux frais de la personne, physique ou morale, responsable de cette atteinte.
« L’atteinte à la présomption d’innocence consiste à présenter publiquement comme coupable, avant condamnation, une personne poursuivie pénalement. » Civ. 1°, 6 mars 1996, Bull. n° 123.

« La présomption d’innocence, qui concourt à la liberté de la défense, constitue une liberté fondamentale. » CE, 14 mars 2005, AJDA 2005, p. 576.

Article 16. Primauté de la personne. Atteinte à la dignité. Respect de l’être humain dès le commencement de la vie.

 La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie.

« La sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle. » Cons. const., 27 juillet 1994, décision n° 94-343/344 DC.

« Les principes déontologiques fondamentaux relatifs au respect de la personne humaine, qui s’imposent au médecin dans les rapports avec son patient, ne cessent pas de s’appliquer avec la mort de celui-ci. » CE 2 juil. 1993, D. 1004, p. 74.

Voir aussi...
- harcèlement moral : Code du travail art. 122-49 et Code pénal art. 222-33-2 issu de la loi n° 2002-73 du 17 janv. 2002.

Article 16-1. Respect du corps humain. Caractère non patrimonial.

 Chacun a droit au respect de son corps.
 Le corps humain est inviolable.
 Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial.

Pour le droit, le corps est indissociable de la personne.

Article 16-2. Protection judiciaire.

 Le juge peut prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte illicite au corps humain ou des agissements illicites portant sur des éléments ou des produits de celui-ci.

Le juge est le garant des libertés individuelles.

Article 16-3. Principe du consentement à l’acte de soin.

 Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui.
 Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir.

Le principe du consentement préalable à l’acte de soin est défini d’abord par le Code civil.

« Il résulte de l’article 16-3 du Code civil que nul ne peut être contraint, hors les cas prévus par la loi, de subir une intervention chirurgicale. » C. civ, 2°, 19 mars 1997, Bull. civ. II, n° 86.

« Le médecin ne peut, sans le consentement libre et éclairé du malade, précéder à une intervention chirurgicale qui n’est pas imposée par une nécessité évidente ou un danger immédiat. » Civ. 1°, JCP. 1989, II 21358.

« Ne commet pas une faute le médecin qui, dans une situation d’urgence, lorsque le pronostic vital est en jeu et en l’absence d’alternative thérapeutique, pratique une transfusion sanguine sur un Témoin de Jéhovah, en pleine connaissance de la volonté de celui-ci de refuser ce type de soins pour quelque motif que ce soit. » CAA Paris, 9 juin 1998, D. 1999. 277.

« Le droit pour un patient majeur de donner, lorsqu’il se trouve en état de l’exprimer, son consentement à un traitement médical revêt le caractère d’une liberté fondamentale, et l’obligation pour le médecin de sauver la vie ne saurait prévaloir de façon général sur celle de respecter la volonté du malade. » CE 26 oct. 2001, JCP 2002, II 10025.

« Toutefois, les médecins ne portent pas atteinte à cette liberté fondamentale telle qu’elle est protégée par l’article 16-3 du Code civil et par l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique, une atteinte grave et manifestement illégale lorsque, après avoir mis tout en œuvre pour convaincre un patient d’accepter les soins indispensables, ils accomplissent, dans le but de le sauver, un acte indispensable à sa survie et proportionné à son état. » CE, 16 août 2002, JCP, 10184.

II. Code pénal

1. Intention coupable

Article 122-1. Démence. Altération des facultés mentales. Appréciation du tribunal.

 N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.
 La personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu’elle détermine la peine et en fixe le régime.

En la matière, l’avis des experts psychiatres est décisif, même si le tribunal garde sa liberté d’appréciation. Les déclarations d’irresponsabilité sont très rares, correspondant à des situations de réelle abolition du discernement.

« Les juges ont pu, sans contradiction, déclarer le prévenu coupable d’outrages publics à la pudeur tout en énonçant qu’il y avait lieu de tenir compte, pour l’application de la peine, de ce que le prévenu donnait l’impression d’être un malade, voire un déséquilibré. En effet, la circonstance ainsi relevée n’implique pas qu’au moment des faits délictueux, le prévenu n’avait pas eu conscience de ses actes. » Crim., 7 octobre 1958, Bull. crim., n° 599.

« La chambre d’instruction a justifié sa décision de non-lieu à l’égard de la personne mise en examen pour homicide volontaire aggravé, tentative de viol et viol avec menace d’une arme, en relevant qu’il résultait des expertises psychiatriques que l’inculpé, atteint d’une psychose dissociative de type schizophrénique, a commis ”à son insu” les actes qui lui sont reprochés. » Crim., 18 février 1998, Bull. crim., n° 66.

2. Secret professionnel et dénonciations

Article 226-13. Violation du secret professionnel.

 La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

La définition pénale de la violation du secret professionnel est la référence, et les définitions spécifiques à des professions s’inscrivent en complémentarité. En cas de difficulté, c’est au regard de la loi pénale que doit être conduite l’interprétation.

« En imposant à certaines personnes, sous une sanction pénale, l’obligation du secret comme un devoir de leur état, le législateur a entendu assurer la confiance qui s’impose à l’exercice de certaines professions. » Crim., 15 décembre 1885, DP. 1885.1. 347.

« Si celui qui a reçu la confidence d’un secret a toujours le devoir de la garder, la révélation de cette confidence ne le rend punissable que s’il s’agit d’une confidence liée à l’exercice de certaines professions ; ce que la loi a voulu garantir, c’est la sécurité des confidences qu’un particulier est dans la nécessité de faire à une personne dont l’état ou la profession, dans un intérêt général et d’ordre public, fait d’elle un confident nécessaire. » Crim.,
19 novembre 1985, Bull. crim. n° 364.

« Le patient ne peut délier le médecin de la règle du secret ». Civ. 1°, 14 déc. 1999, D. 2000 IR, p. 40.

« L’obligation au secret professionnel, établie par la loi pénale pour assurer la confiance nécessaire à l’exercice de certaines professions ou de certaines fonctions, s’impose aux médecins, hormis le cas où la loi en dispose autrement, comme un devoir de leur état. Sous cette seule réserve, il n’appartient à personne de les en affranchir. » Crim. 8 mai 1947, Bull. crim. n° 124.

« Doit être cassé, comme méconnaissant le caractère absolu du secret professionnel, l’arrêt d’une cour d’assise qui condamne un médecin pour refus de déposer sur des faits connus dans l’exercice de sa profession, alors même que ce médecin n’avait été invité à déposer que sur les constatations consignées dans un certificat délivré par lui à l’intéressé et que les parties aux débats avaient requis son témoignage. » Crim., 8 mai 1947, Bull. crim. n° 124.

« Est coupable de violation du secret professionnel, le médecin qui, portant plainte contre un de ses clients qui ne cessait de l’importuner au téléphone et le menaçait, n’a pas limité sa dénonciation aux seuls faits qui lui portaient personnellement préjudice, le secret médical s’imposant aussi bien à l’égard du ministère public que de quiconque. » Crim., 18 juillet 1984, D. 1985. IR. 404.

« Lorsque la compétence d’un professionnel est mise en doute devant une juridiction, celui-ci se trouve alors dans la nécessité de transgresser le secret pour apporter aux juges les preuves de sa bonne foi ou de la qualité de ses prestations, étant observé que la révélation doit être limitée aux strictes exigences de sa défense. » TGI Paris, 26 juin 1998, BICC 1998. 1390.

« La violation du secret médical est caractérisée même si le fait révélé par le médecin pouvait être connu indépendamment de cette révélation. » Versailles, 30 avril 1990. IR. 178.

« Viole le secret professionnel le médecin qui, à l’occasion d’une contestation d’héritage et à la demande d’un notaire, délivre deux certificats par lesquels il atteste avoir soigné le testateur pour une affection de longue durée, et que ce dernier, jusqu’au jour de son décès, était en pleine possession de ses facultés intellectuelles. » Dijon, 31 mars 1088, D. Somm. 319.

Voir aussi...
- Régime civil du secret : CSP, art. L. 1110-4, issu de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002.
- Déontologie médicale : CSP, art. R. 4127-4
- Déontologie infirmière : CSP, art. R. 4314-3.
- Déclarations obligatoires : CSP, art. L. 3113-1 s.
- Déclaration de naissance : C. civil, art. 56 s.
- Hospitalisation sous contrainte : CSP, art. L. 3212-1 et L. 3213-1.

Dénonciations et signalements

- Article 226-14. Dérogations légales au secret professionnel. Dénonciations et signalements.
- Article 434-1. Signalement de mauvais traitement.
- Article 434-3. Infraction de non-dénonciation.

Voir aussi...
- Code de déontologie médicale : code de la santé publique article R.4127-42 et R. 4127-44.
- Décret no 97-216 du 12 mars 1997 relatif à la coordination interministérielle en matière de lutte contre les mauvais traitements et atteintes sexuelles envers les enfants.
- Comité interministériel de l’enfance maltraitée : Code de l’action sociale, art. D. 112.
- Comité national de vigilance et de lutte contre la maltraitance des personnes âgées et des adultes handicapés : Code de l’action sociale, art. D116-1, (Décret nº 2007-330 du 12 mars 2007
- Circulaire n° 97-175 du 26 août 1997 du ministère de l’éducation nationale : instruction concernant les violences sexuelles.
- Circulaire DAS/DSF 2 n° 98-275 du 5 mai 1998 relative à la prise en compte de situations de maltraitance à enfants au sein des établissements sociaux et médico-sociaux.
- Circulaire n° 2001-306 du 3 juillet 2001 relative à la prévention des violences et maltraitances notamment sexuelles dans les institutions sociales et médico-sociales accueillant des mineurs ou des personnes vulnérables.

III - Code de la santé publique

1. Hospitalisation d’office après une décision de non-lieu ou de relaxe pour absence de discernement

Article L. 3213-7. Hospitalisation d’office après une décision de non-lieu ou de relaxe pour absence de discernement. (Loi nº 2005-1549 du 12 décembre 2005)

 Lorsque les autorités judiciaires estiment que l’état mental d’une personne qui a bénéficié d’un non-lieu, d’une décision de relaxe ou d’un acquittement en application des dispositions de l’article 122-1 du code pénal nécessite des soins et compromet la sûreté des personnes ou porte atteinte, de façon grave, à l’ordre public, elles avisent immédiatement le représentant de l’Etat dans le département, qui prend sans délai toute mesure utile, ainsi que la commission mentionnée à l’article L. 3222-5. L’avis médical mentionné à l’article L. 3213-1 doit porter sur l’état actuel du malade.
 A toutes fins utiles, le procureur de la République informe le représentant de l’Etat dans le département de ses réquisitions ainsi que des dates d’audience et des décisions rendues.

 Article L. 3213-8. Levée d’une hospitalisation prononcée dans le cadre de l’article L. 3213-7.

 Il ne peut être mis fin aux hospitalisations d’office intervenues en application de l’article L. 3213-7 que sur les décisions conformes de deux psychiatres n’appartenant pas à l’établissement et choisis par le représentant de l’État dans le département sur une liste établie par le procureur de la République, après avis de la Direction des affaires sanitaires et sociales du département dans lequel est situé l’établissement.
 Ces deux décisions résultant de deux examens séparés et concordants doivent établir que l’intéressé n’est plus dangereux ni pour lui-même ni pour autrui.

Voir aussi...
- Dispositions pénales : CSP, art. L. 3215-1 s..
- Patients se soustrayant à une hospitalisation d’office : lettre circulaire du 27 décembre 1995, BOMTAS 96/5, 5 mars 1996, p. 67. 
- Circulaire DGS/SP no 48 du 9 juillet 1993 portant sur le rappel des principes relatifs à l’accueil et aux modalités de séjour des malades hospitalisés pour troubles mentaux (BO 93/35).

2. Hospitalisation des personnes détenues atteintes de troubles mentaux (Loi nº 2002-1138 du 9 septembre 2002)

Article L. 3214-3. Conditions permettant l’hospitalisation dans un service hospitalier. Décision préfectorale.

 Lorsqu’une personne détenue nécessite des soins immédiats assortis d’une surveillance constante en milieu hospitalier, en raison de troubles mentaux rendant impossible son consentement et constituant un danger pour elle-même ou pour autrui, le préfet de police à Paris ou le représentant de l’État du département dans lequel se trouve l’établissement pénitentiaire d’affectation du détenu prononce par arrêté, au vu d’un certificat médical circonstancié, son hospitalisation dans une unité spécialement aménagée d’un établissement de santé visée à l’article L. 3214-1.
 Le certificat médical ne peut émaner d’un psychiatre exerçant dans l’établissement d’accueil.
 Les arrêtés préfectoraux sont motivés et énoncent avec précision les circonstances qui ont rendu l’hospitalisation nécessaire.
 Dans les vingt-quatre heures suivant l’admission, le directeur de l’établissement d’accueil transmet au représentant de l’État dans le département ou, à Paris, au préfet de police, ainsi qu’à la commission mentionnée à l’article L. 3222-5, un certificat médical établi par un psychiatre de l’établissement.
 Ces arrêtés sont inscrits sur le registre prévu au dernier alinéa de l’article L. 3213-1.

IV. Code de procédure pénale

Article 720-1-1. Suspension et du fractionnement des peines privatives de liberté Pathologie grave. Deux expertises concordantes. Contrôle de l’évolution par expertise. (Loi nº 2005-1549 du 12 décembre 2005)
 Sauf s’il existe un risque grave de renouvellement de l’infraction, la suspension peut également être ordonnée, quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir, et pour une durée qui n’a pas à être déterminée, pour les condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention, hors les cas d’hospitalisation des personnes détenues en établissement de santé pour troubles mentaux.
 La suspension ne peut être ordonnée que si deux expertises médicales distinctes établissent de manière concordante que le condamné se trouve dans l’une des situations énoncées à l’alinéa précédent.
 Lorsque la peine privative de liberté prononcée est d’une durée inférieure ou égale à dix ans ou que, quelle que soit la peine initialement prononcée, la durée de détention restant à subir est inférieure ou égale à trois ans, cette suspension est ordonnée par le juge de l’application des peines selon les modalités prévues par l’article 712-6.
 Dans les autres cas, elle est prononcée par le tribunal de l’application des peines selon les modalités prévues par l’article 712-7.
 La juridiction qui accorde une suspension de la peine en application des dispositions du présent article peut décider de soumettre le condamné à une ou plusieurs des obligations ou interdictions prévues par les articles 132-44 et 132-45 du code pénal.
 Le juge de l’application des peines peut à tout moment ordonner une expertise médicale à l’égard d’un condamné ayant bénéficié d’une mesure de suspension de peine en application du présent article et ordonner qu’il soit mis fin à la suspension si les conditions de celle-ci ne sont plus remplies. Il en est de même si le condamné ne respecte pas les obligations qui lui ont été imposées en application des dispositions de l’alinéa précédent. La décision du juge de l’application des peines est prise selon les modalités prévues par l’article 712-6.
 Si la suspension de peine a été ordonnée pour une condamnation prononcée en matière criminelle, une expertise médicale destinée à vérifier que les conditions de la suspension sont toujours remplies doit intervenir tous les six mois.
Article 729. Libération conditionnelle. Motif médical. Mi-peine. (Loi nº 2007-1198 du 10 août 2007)

 La libération conditionnelle tend à la réinsertion des condamnés et à la prévention de la récidive. Les condamnés ayant à subir une ou plusieurs peines privatives de liberté peuvent bénéficier d’une libération conditionnelle s’ils manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale, notamment lorsqu’ils justifient soit de l’exercice d’une activité professionnelle, soit de l’assiduité à un enseignement ou à une formation professionnelle ou encore d’un stage ou d’un emploi temporaire en vue de leur insertion sociale, soit de leur participation essentielle à la vie de famille, soit de la nécessité de subir un traitement, soit de leurs efforts en vue d’indemniser leurs victimes.
 Sous réserve des dispositions de l’article 132-23 du code pénal, la libération conditionnelle peut être accordée lorsque la durée de la peine accomplie par le condamné est au moins égale à la durée de la peine lui restant à subir. Toutefois, les condamnés en état de récidive aux termes des articles 132-8, 132-9 ou 132-10 du code pénal ne peuvent bénéficier d’une mesure de libération conditionnelle que si la durée de la peine accomplie est au moins égale au double de la durée de la peine restant à subir. Dans les cas prévus au présent alinéa, le temps d’épreuve ne peut excéder quinze années ou, si le condamné est en état de récidive légale, vingt années.
 Pour les condamnés à la réclusion à perpétuité, le temps d’épreuve est de dix-huit années ; il est de vingt-deux années si le condamné est en état de récidive légale.
 Lorsque la personne a été condamnée pour un crime ou un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru, une libération conditionnelle ne peut lui être accordée si elle refuse pendant son incarcération de suivre le traitement qui lui est proposé par le juge de l’application des peines en application des articles 717-1 et 763-7. Elle ne peut non plus être accordée au condamné qui ne s’engage pas à suivre, après sa libération, le traitement qui lui est proposé en application de l’article 731-1.
Voir aussi...
- Avis n° 94 du CCNE du 8 décembre 2006 sur la santé en prison

 
CHAPITRE 3

JURISPRUDENCE

N° 1. 14 novembre 2002, CEDH, 1° section, Mouisel c. France, no 67263/01

Traitement inhumain et dégradant. Détenus malades. Libération pour motif de santé. Port des menottes.
 Le maintien en détention d’une personne gravement malade peut constituer une atteinte à sa dignité, si elle devient une épreuve particulièrement pénible et cause une souffrance allant au-delà de celle que comportent inévitablement une peine d’emprisonnement et un traitement anticancéreux.
 La cour rappelle l’état de sa jurisprudence.
37. La Cour réaffirme que, selon sa jurisprudence, pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence, elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (arrêts Kud ?a c. Pologne [GC], no 30210/96, § 91, CEDH 2000-XI, et Peers c. Grèce, no 28524/95, § 67, CEDH 2001-III). « S’il convient de prendre en compte la question de savoir si le but du traitement était d’humilier ou de rabaisser la victime, l’absence d’un tel but ne saurait exclure de façon définitive le constat de violation de l’article 3 » (arrêt Peers précité, § 74).
38. La Convention ne comprend aucune disposition spécifique relative à la situation des personnes privées de liberté, a fortiori malades, mais il n’est pas exclu que la détention d’une personne malade puisse poser des problèmes sous l’angle de l’article 3 de la Convention (Chartier c. Italie, no 9044/80, rapport de la Commission du 8 décembre 1982, Décisions et rapports (DR) 33, pp. 41-47, De Varga-Hirsch c. France, no 9559/81, décision de la Commission du 9 mai 1983, DR 33, p. 158, B. c. Allemagne, no 13047/87, décision de la Commission du 10 mars 1988, DR 55, p. 271). Au sujet d’un détenu souffrant d’affections liées à une obésité de caractère héréditaire, la Commission n’a pas conclu à une violation de l’article 3 de la Convention car le requérant bénéficiait des soins appropriés à son état de santé. Elle a cependant considéré que la détention, en tant que telle, entraînait inévitablement des effets sur les détenus souffrant d’affections graves. Elle prenait le soin de préciser qu’elle « ne saurait exclure que dans des conditions d’une particulière gravité l’on puisse se trouver en présence de situations où une bonne administration de la justice pénale commande que des mesures de nature humanitaire soient prises pour y parer » et concluait qu’elle serait « sensible à toute mesure que les autorités italiennes pourraient prendre à l’égard du requérant, soit afin d’atténuer les effets de sa détention, soit afin d’y mettre fin dès que les circonstances le demanderont » (Chartier, rapport précité, pp. 48-49). La Cour, quant à elle, a récemment rappelé que le maintien en détention pour une période prolongée d’une personne d’un âge avancé, et de surcroît malade, peut entrer dans le champ de protection de l’article 3 même si, dans cette décision, elle avait conclu que le grief tiré de cette disposition était en l’espèce manifestement mal fondé (Papon (no 1) précité). L’état de santé, l’âge et un lourd handicap physique constituent désormais des situations pour lesquelles la capacité à la détention est aujourd’hui posée au regard de l’article 3 de la Convention en France et au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe (paragraphes 26, 27, 29 et 30 ci-dessus).
39. Ainsi, en procédant à l’examen de l’état de santé du prisonnier et aux effets de la détention sur son évolution, la Cour a considéré que certains traitements enfreignent l’article 3 du fait qu’ils sont infligés à une personne souffrant de troubles mentaux (arrêt Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, §§ 111-115, CEDH 2001-III). Dans l’arrêt Price c. Royaume-Uni, la Cour a jugé que le fait d’avoir maintenu en détention la requérante, handicapée des quatre membres, dans des conditions inadaptées à son état de santé, est constitutif d’un traitement dégradant (no 33394/96, § 30, CEDH 2001-VII).
40. Si l’on ne peut en déduire une obligation générale de libérer un détenu pour motifs de santé, l’article 3 de la Convention impose en tout cas à l’Etat de protéger l’intégrité physique des personnes privées de liberté notamment par l’administration des soins médicaux requis (Hurtado c. Suisse, arrêt du 28 janvier 1994, série A no 280-A, avis de la Commission, pp. 15-16, § 79). La Cour a par la suite affirmé le droit de tout prisonnier à des conditions de détention conformes à la dignité humaine de manière à assurer que les modalités d’exécution des mesures prises ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention ; elle a ajouté que, outre la santé du prisonnier, c’est son bien-être qui doit être assuré de manière adéquate eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement (arrêt Kud ?a précité, § 94).
41. En l’espèce, la Cour note que le juge de l’application des peines a considéré l’état de santé du requérant, en tant que tel, incompatible avec la détention à partir du 22 mars 2001. La nécessité pour l’intéressé de recevoir des soins médicaux dans le cadre d’une hospitalisation régulière a motivé sa libération conditionnelle avec hébergement auprès de ses proches (paragraphe 24 ci-dessus).
 Analyse de la situation française
42. C’est donc la question de la compatibilité d’un état de santé très préoccupant avec le maintien en détention du requérant en prison dans un tel état qui est posée par la présente affaire. Nourrie de la prise de conscience actuelle de la réalité carcérale, la France est confrontée au problème de la maladie en prison et du maintien en détention dans des circonstances qui ne se justifieraient plus en termes de protection de la société (voir le rapport de l’Assemblée nationale, paragraphe 25 ci-dessus).
43. La Cour observe l’évolution de la législation française en la matière avec l’accroissement des compétences du juge de l’application des peines en cas de maladie grave des condamnés. Comme elle l’a déjà souligné, le droit français offre aux autorités nationales des moyens d’intervenir en cas d’affections médicales graves atteignant des détenus. L’état de santé peut être pris en compte pour une décision de libération conditionnelle en application de l’article 729 CPP tel que modifié par la loi du 15 juin 2000, c’est-à-dire notamment « lorsqu’il y a nécessité de subir un traitement ». En outre, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades permet la suspension d’une peine pour les condamnés atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou dont l’état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention (paragraphe 26 ci-dessus). La Cour constate ainsi que la santé de la personne privée de liberté fait désormais partie des facteurs à prendre en compte dans les modalités de l’exécution de la peine privative de liberté, notamment en ce qui concerne la durée du maintien en détention. Il s’agit de l’application de l’affirmation de la Cour selon laquelle « le niveau d’exigence croissant en matière de protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales implique, parallèlement et inéluctablement, une plus grande fermeté dans l’appréciation des atteintes aux valeurs fondamentales des sociétés démocratiques » (arrêt Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 101, CEDH 1999-V).
44. La Cour relève que les dispositifs procéduraux instaurés par les lois des 15 juin 2000 et 4 mars 2002 mettent en place des recours devant le juge de l’application des peines qui permettent, en cas de dégradation importante de l’état de santé d’un détenu, de demander à bref délai sa libération et qui suppléent le recours en grâce médicale réservé au président de la République. Elle considère que ces procédures judiciaires peuvent être susceptibles de constituer des garanties pour assurer la protection de la santé et du bien-être des prisonniers que les Etats doivent concilier avec les exigences légitimes de la peine privative de liberté. Toutefois, force est de constater que ces mécanismes n’étaient pas accessibles au requérant au cours de la période de détention examinée par la Cour, l’intéressé n’ayant eu, comme seule réponse de l’Etat à sa situation, que le rejet non motivé de ses requêtes en grâce médicale. Ainsi que le relève le Gouvernement, la mesure de libération conditionnelle ne pouvait être accordée à l’intéressé que dès le moment où il remplissait les conditions pour l’obtenir, soit en 2001 ; quant à la possibilité de demander la suspension de la peine, elle n’existait pas encore à l’époque litigieuse de la détention.
 Analyse de la situation de fait
45. Dans ces circonstances, la Cour a examiné si le maintien en détention du requérant l’a placé dans une situation qui atteint un niveau suffisant de gravité pour rentrer dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention. La Cour observe que l’état de santé du requérant fut jugé constamment plus préoccupant et de plus en plus inconciliable avec la détention. Le rapport du 28 juin 2000 fait état de la difficulté d’un traitement anticancéreux dans le cadre d’une maison centrale et préconise une prise en charge dans un milieu spécialisé. Il mentionne également l’état psychologique du requérant provoqué par le stress de la maladie et qui a occasionné des répercussions sur son espérance de vie et la dégradation de son état de santé. La lettre du 20 novembre 2000 envoyée au requérant par le médecin de l’UCSA confirme l’évolution de l’état de santé du requérant et ne parle que de rémission possible. Autant d’éléments qui mettaient en lumière la progression de la maladie de l’intéressé et le caractère difficilement adéquat de la prison pour y faire face, sans que des mesures particulières ne soient prises par les autorités pénitentiaires. Il aurait pu s’agir d’une hospitalisation mais aussi de tout autre placement dans un lieu où le condamné malade aurait été suivi et sous surveillance, en particulier la nuit.
46. En outre, les conditions des transferts du requérant en milieu hospitalier posent également problème. Il ne fait pas de doute que l’intéressé fut enchaîné pendant les escortes même si cet enchaînement fut allégé au fur et à mesure que le port des entraves fut estimé contre-indiqué par les médecins. En revanche, l’enchaînement lors de l’administration des soins et la présence des agents de l’escorte pénitentiaire à cette occasion n’ont pu être démontrés. La Cour note cependant que la réponse du directeur régional de l’administration pénitentiaire concernant le port des menottes indique implicitement au requérant que sa maladie ne l’exonère pas du port des menottes et que l’usage qui en a été fait est un comportement normal lié à la détention.
47. La Cour rappelle que le port des menottes ne pose normalement pas de problème au regard de l’article 3 de la Convention lorsqu’il est lié à une détention légale et n’entraîne pas l’usage de la force, ni l’exposition publique, au-delà de ce qui est raisonnablement considéré comme nécessaire. A cet égard, il importe de tenir compte notamment du risque de fuite ou de blessure ou dommage (Raninen c. Finlande, arrêt du 16 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII, p. 2822, § 56). En l’espèce, la Cour retient l’état de santé du requérant, le fait qu’il s’agit d’une hospitalisation, l’inconfort du déroulement d’une séance de chimiothérapie et la faiblesse physique de l’intéressé pour penser que le port des menottes était disproportionné au regard des nécessités de la sécurité. S’agissant de l’état de dangerosité du requérant, et nonobstant son passé judiciaire, elle note l’absence d’antécédents et de références faisant sérieusement craindre un risque important de fuite ou de violence. Enfin, la Cour prend acte des recommandations que le Comité européen pour la prévention de la torture a formulées quant aux conditions des transferts et d’examen médical des détenus qui continuent, selon celui-ci, de poser problème au regard de l’éthique médicale et du respect de la dignité humaine (paragraphe 28 ci-dessus). Les descriptions faites par le requérant des conditions de ses extractions ne semblent pas, en effet, fort éloignées des situations qui préoccupent le comité sur ce point.
48. En définitive, la Cour est d’avis que les autorités nationales n’ont pas assuré une prise en charge de l’état de santé du requérant lui permettant d’éviter des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Son maintien en détention, surtout à partir du mois de juin 2000, a porté atteinte à sa dignité. Il a constitué une épreuve particulièrement pénible et causé une souffrance allant au-delà de celle que comportent inévitablement une peine d’emprisonnement et un traitement anticancéreux. La Cour conclut en l’espèce à un traitement inhumain et dégradant en raison du maintien en détention dans les conditions examinées ci-devant.
Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention. (...)

N° 2. CEDH, 24 octobre 2006, 4° section, Vincent/France, Requête no 6253/03

Conditions de détention d’une personne handicapée physique. Impossibilité de se déplacer en fauteuil.

94. La Cour réaffirme que, selon sa jurisprudence, pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (arrêts Kud ?a c. Pologne ([GC], no 30210/96, § 91, CEDH 2000-XI, Peers c. Grèce, no 28524/95, § 67, CEDH 2001-III, et Gelfmann c. France, no 25875/03, § 48, 14 décembre 2004).
95. La Convention ne comprend aucune disposition spécifique relative à la situation des personnes privées de liberté, a fortiori malades, mais il n’est pas exclu que la détention d’une personne malade puisse poser des problèmes sous l’angle de l’article 3 de la Convention (arrêts Mouisel c. France, no 67263/01, § 38, CEDH 2002-IX et Matencio c. France, no 58749/00, § 76, 15 janvier 2004).
96. Ainsi, en procédant à l’examen de l’état de santé du prisonnier et aux effets de la détention sur son évolution, la Cour a considéré que certains traitements enfreignent l’article 3 du fait qu’ils sont infligés à une personne souffrant de troubles mentaux (arrêt Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, §§ 111-115, CEDH 2001-III). Dans l’arrêt Price c. Royaume-Uni, la Cour a jugé que le fait d’avoir maintenu en détention la requérante, handicapée des quatre membres, dans des conditions inadaptées à son état de santé, était constitutif d’un traitement dégradant (no 33394/96, § 30, CEDH 2001-VII).
97. En recherchant si un traitement est « dégradant » au sens de l’article 3, la Cour examinera notamment si le but était d’humilier et de rabaisser l’intéressé. Toutefois, l’absence d’un tel but ne saurait exclure de façon définitive un constat de violation de l’article 3 (arrêts Peers c. Grèce, précité, §§ 67-68 et 74, CEDH 2001-III et Price c. Royaume-Uni, précité, § 24).
98. La Cour a par ailleurs affirmé le droit de tout prisonnier à des conditions de détention conformes à la dignité humaine, de manière à assurer que les modalités d’exécution des mesures prises ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention ; elle a ajouté que, outre la santé du prisonnier, c’est son bien-être qui doit être assuré de manière adéquate eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement (arrêt Kud ?a précité, § 94, et Mouisel c. France, précité, § 40).
99. Ainsi, le manque de soins médicaux appropriés, et, plus généralement, la détention d’une personne malade dans des conditions inadéquates, peut en principe constituer un traitement contraire à l’article 3 (voir, par exemple, ?lhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 94, CEDH 2000-VII,, Gennadi Naoumenko c. Ukraine, no 42023/98, § 94, 10 février 2004, § 112 et Farbtuhs c. Lettonie, no 4672/02, § 51, 2 décembre 2004).
100. Dans la présente affaire se posent la question de la compatibilité de l’état de santé du requérant avec son maintien en détention pendant quatre mois dans un établissement où il ne pouvait circuler seul et celle de savoir si cette situation a atteint un niveau suffisant de gravité pour entrer dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention.
101. La Cour constate que requérant et Gouvernement s’accordent sur le fait que la maison d’arrêt de Fresnes, établissement fort ancien, est particulièrement inadaptée à la détention de personnes handicapées physiques, tel le requérant qui ne peut se déplacer qu’en fauteuil roulant.
Si des cellules ont été aménagées au plan du mobilier et des sanitaires, il n’en demeure pas moins qu’en l’espèce le requérant ne pouvait ni quitter sa cellule, ni se déplacer dans l’établissement par ses propres moyens.
102. Le fait que, pour passer des portes, le requérant ait été contraint d’être porté pendant qu’une roue de son fauteuil était démontée, puis remontée après que le fauteuil eut été passé l’embrasure de la porte peut en effet être considéré comme rabaissant et humiliant, outre le fait que le requérant était entièrement à la merci de la disponibilité d’autres personnes.
En outre, le requérant a vécu dans ces conditions pendant quatre mois, alors que la situation avait été constatée par le service pénitentiaire d’insertion et de probation et un médecin (voir paragraphes 22 et 23 ci-dessus), que de nombreux autres établissements pénitentiaires existent dans la région parisienne et que le Gouvernement ne soutient pas que des raisons impérieuses nécessitaient son maintien à Fresnes.
103. En l’espèce, rien ne prouve l’existence d’une intention d’humilier ou de rabaisser le requérant. Toutefois, la Cour estime que la détention d’une personne handicapée dans un établissement où elle ne peut se déplacer et en particulier quitter sa cellule, par ses propres moyens constitue un « traitement dégradant » au sens de l’article 3 de la Convention. Dès lors, elle conclut pour cette raison à la violation de cette disposition.

N° 3. Conseil d’Etat, 26 juillet 2004, n° 270302

HO art. L. 3213-7. Prononcé d’une hospitalisation d’office après un jugement de non-lieu rendu au pénal pour altération du discernement. Psychiatre médecin traitant.

 Est justifiée l’hospitalisation d’office d’une personne dont la nature de l’acte médico- légal envers ses deux parents pour lequel il a été relaxé pour irresponsabilité montre une certaine dangerosité, qui pourrait compromettre son intégrité et la sûreté des personnes et alors que l’intéressé doit bénéficier des soins en milieu hospitalier.

Considérant que, avisé par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Belfort, en application de l’article L. 3213-7 précité du code de la santé publique, de la décision de relaxe rendue le 7 juillet 2004 par le tribunal pour enfants de Belfort à l’égard de M. X en application des dispositions de l’article 112-1 du code pénal, le préfet du Territoire de Belfort a, par un arrêté du 8 juillet 2004, ordonné l’hospitalisation d’office de ce dernier pour une durée de quinze jours ; que M. X fait appel de l’ordonnance du 15 juillet 2004 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à ce que soit constaté que cet arrêté porte une atteinte grave et immédiate à sa sûreté et à ce qu’il soit enjoint au préfet de faire procéder à sa remise en liberté immédiate ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public...aurait porté, dans l’exercice de l’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale... » ;

Qu’aux termes de l’article L. 3213-1 du code de la santé publique : « A Paris, le préfet de police et, dans les départements, les représentants de l’Etat prononcent par arrêté, au vu d’un certificat médical circonstancié, l’hospitalisation d’office dans un établissement mentionné à l’article L. 3222-1 des personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public. Le certificat médical circonstancié ne peut émaner d’un psychiatre exerçant dans l’établissement accueillant le malade. Les arrêtés préfectoraux sont motivés et énoncent avec précision les circonstances qui ont rendu l’hospitalisation nécessaire » ;

Qu’aux termes de l’article L. 3213-7 du même code : « Lorsque les autorités judiciaires estiment que l’état mental d’une personne qui a bénéficié d’un non-lieu, d’une décision de relaxe ou d’un acquittement en application des dispositions de l’article 112-1 du code pénal nécessite des soins et compromet la sûreté des personnes ou porte atteinte, de façon grave, à l’ordre public, elles avisent immédiatement le représentant de l’Etat dans le département, qui prend sans délai toutes mesures utiles... » ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, par arrêté du 21 juillet 2004, le préfet du Territoire de Belfort a maintenu l’hospitalisation d’office de M. X au centre hospitalier de Belfort-Montbéliard pour une durée d’un mois à compter du 23 juillet 2004 ;

que, par suite, le ministre de l’intérieur n’est pas fondé à soutenir que l’arrêté du 8 juillet 2004 du préfet du Territoire de Belfort prononçant l’hospitalisation d’office de M. X pour une durée de quinze jours, au vu duquel ce préfet a pu prononcer le maintien de l’hospitalisation d’office, aurait épuisé ses effets le 23 juillet à 24 heures, ni que les conclusions de la requête de M. X tendant à ce que soit ordonnée sa remise en liberté immédiate seraient ainsi devenues sans objet ;

Considérant, en premier lieu, que le juge des référés du tribunal administratif de Besançon a écarté par le même motif, fondé sur les dispositions précitées de l’article L. 3213-1 du code de la santé publique, les moyens tirés par M. X de ce que le certificat médical sur lequel le préfet a fondé son arrêté serait irrégulier pour émaner d’un médecin psychiatre qui, d’une part, exerçait précédemment dans l’établissement où l’intéressé a été hospitalisé, et, d’autre part, avait examiné et soigné l’intéressé à plusieurs reprises lors des séjours qu’il avait faits dans l’établissement ; que M. X n’est, dès lors, pas fondé à soutenir que le juge des référés aurait omis de répondre au moyen tiré du défaut d’impartialité du médecin traitant qui a établi le certificat médical ;

Considérant, en deuxième lieu, qu’à supposer même que le médecin psychiatre qui a établi le certificat médical au vu duquel le préfet a prononcé l’hospitalisation d’office de M. X pût être regardé comme le médecin traitant de ce dernier, le préfet n’a, en se fondant sur ce certificat médical, manifestement méconnu ni les dispositions précitées de l’article L. 3213-1 du code de la santé publique, qui font seulement obstacle à ce que le certificat médical qu’elles prévoient émane d’un psychiatre exerçant dans l’établissement accueillant le malade, ni celles des articles 105 et 106 du décret du 6 septembre 1995 portant code de déontologie médicale, invoquées par le requérant, qui s’opposent seulement à ce qu’un médecin traitant soit désigné comme médecin expert d’un même malade ; que ce certificat médical est circonstancié, conformément aux prévisions du même article du même code, dès lors qu’il énonce de manière explicite les circonstances de fait qui fondent l’avis médical du médecin psychiatre qui l’a établi, et notamment son appréciation de la dangerosité de l’intéressé pour la sûreté des personnes ;

Considérant, en troisième lieu, qu’en indiquant, au titre de la motivation de son arrêté prononçant l’hospitalisation d’office de M. X, qu’il se fondait sur la circonstance que la nature de l’acte médico-légal envers ses deux parents pour lequel il a été relaxé le 7 juillet 2004 pour irresponsabilité montre une certaine dangerosité qui pourrait compromettre son intégrité et la sûreté des personnes et que l’intéressé doit bénéficier des soins en milieu hospitalier , ainsi que sur le certificat médical susmentionné, le préfet a énoncé avec précision les circonstances qui ont rendu l’hospitalisation d’office nécessaire et suffisamment motivé son arrêté ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. X n’est pas fondé à soutenir que l’arrêté du 8 juillet 2004 du préfet du Territoire de Belfort prononçant son hospitalisation d’office serait entaché, en ce qui concerne sa régularité formelle, d’une illégalité manifeste, ni, par suite, que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Besançon a rejeté sa demande tendant à ce que soit ordonnée sa remise en liberté immédiate. (...)

N° 4. CAA Marseille, 6 mars 2006 n° 04MA02477

Suicide en prison. Suivi psychiatrique. Geste inattendu.

 Le suicide d’un détenu suivi par le psychiatre étant dans les circonstances de fait inattendu, la responsabilité de l’Etat n’est pas engagé.

Considérant que le 29 juin 1998, M. B. incarcéré à la maison d’arrêt de Perpignan, s’est pendu avec un drap dans sa cellule où il a été découvert mort vers 16H30 par deux de ses co-détenus de retour de la promenade ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que si M B. faisait, en raison de ses antécédents psychiatriques, l’objet d’un suivi régulier de la part du service médico-psychologique régional où il avait été hospitalisé du 19 mai au 9 juin 1998, le médecin psychiatre qui le suivait dans ce service et qui l’avait revu en consultation le 18 juin 1998 n’avait décelé aucun indice pouvant laisser supposer qu’il tenterait de se suicider ;

Qu’ainsi, et alors que rien par ailleurs dans son comportement n’avait attiré l’attention des personnels de la maison d’arrêt de Perpignan, l’abstention à prendre des mesures particulières de surveillance le concernant ne saurait constituer une faute à la charge de l’administration pénitentiaire, à laquelle il ne saurait davantage être reproché de n’avoir pas inféré l’imminence d’un passage à l’acte de la seule circonstance que l’intéressé avait, en prétextant un état de fatigue, refusé de se rendre à la promenade ou de participer à une séance de sport l’après-midi du 29 juin 1998, malgré l’insistance d’un surveillant venu s’entretenir avec lui à trois reprises, à 14H30, 15H00 et 15H50 ;

Qu’il suit de là que les parents et leurs enfants ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par son jugement attaqué du 1er octobre 2004, le Tribunal administratif de Montpellier a rejeté leurs demandes tendant à ce que l’Etat soit déclaré responsable du décès de leur fils et frère. (...)

N° 5. CAA Marseille, 6 mars 2006, n° 04MA01337

Suicide en prison d’une personne suivie par le psychiatre. Surveillance particulière ordonnée. Comportement inhabituel. Retard de réaction du personnel surveillant. Responsabilité de l’Etat.

 La faute, qui a retardé le moment où il a été tenté de porter secours à M. Y, doit être regardée comme étant à l’origine de son décès.

Considérant que M. Y, qui était incarcéré au centre de détention de Salon-de-Provence, s’est suicidé par pendaison le 26 janvier 1998 ; que sa mère, son frère et sa belle-soeur, qui estiment que ce suicide est dû aux fautes commises par l’administration pénitentiaire, demandent que l’Etat soit condamné à réparer les préjudices subis ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’au cours de la semaine qui a précédé le suicide de M. Y, plusieurs surveillants du centre de détention de Salon-de-Provence, dans lequel il était incarcéré depuis le début de l’année 1997, ont noté des anomalies dans son comportement ; que si le psychiatre qui l’a examiné le 22 janvier 1998 n’a pas relevé chez lui de tendance suicidaire, se bornant à l’estimer perturbé, il avait été prescrit aux surveillants de lui porter une attention particulière ;

Que, le 25 janvier 1998, il a été placé dans le quartier disciplinaire après avoir agressé un autre détenu ; que, le 26 janvier 1998 vers sept heures trente, le gardien du quartier disciplinaire, dans lequel étaient alors placés sept détenus, l’a entendu crier pendant plusieurs minutes, puis a vu s’allumer dans son bureau le voyant correspondant à une commande placée dans la cellule de M. Y ;

Que ce n’est qu’environ neuf à treize minutes après avoir entendu le début des cris, selon la relation des faits donnée par l’administration, que le gardien du quartier disciplinaire, qui avait entre-temps commencé à distribuer de l’eau chaude aux détenus avec deux autres surveillants, a découvert que M. Y s’était pendu avec des lanières de drap à la grille d’aération de la cellule ; que M. Y, qui était encore en vie lorsqu’il a été découvert, est ultérieurement décédé malgré les soins qui lui ont été administrés ;

Que, dans les circonstances de l’affaire, le surveillant du quartier disciplinaire, qui avait identifié les cris comme étant ceux de M. Y, dont il avait lui-même noté la veille qu’il avait un comportement anormal, et qui n’a justifié d’aucun empêchement ni d’aucune difficulté particulière dans l’exercice de son activité au moment des faits, a commis, en se rendant à la cellule de M. Y au terme d’un délai qui a été en l’espèce excessif, une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat ;
Que cette faute, qui a retardé le moment où il a été tenté de porter secours à M. Y, doit être regardée comme étant à l’origine de son décès ; qu’il y a lieu par suite, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal administratif de Marseille, de déclarer l’Etat responsable des conséquences dommageables dudit décès. (...)

N° 6. CAA Nancy, 4 août 2006, n° 05NC00307

Suicide en prison. Patient suivi sur le psychiatre. Surveillance adéquate.
 Si les troubles comportementaux du détenu étaient connus de l’administration et si celui-ci était, le matin du 16 septembre, dans un état d’agitation qui a nécessité de la part des surveillants une attention particulière, rien cependant ne pouvait laisser prévoir un passage à l’acte imminent ni justifier un transfert en urgence dans un hôpital psychiatrique.
Considérant que M. B. a été incarcéré à la maison d’arrêt d’Epinal le 27 juin 2002 pour y exécuter une peine de trois ans d’emprisonnement dont dix-huit mois assortis de sursis avec mise à l’épreuve ; que, le 16 septembre 2002, il a été découvert pendu à l’aide de morceaux de draps accrochés à une barre transversale située au-dessus de la fenêtre de sa cellule ; qu’il est décédé le lendemain à l’hôpital ; que les requérants demandent l’annulation du jugement en date du 28 décembre 2004 par lequel le Tribunal administratif de Nancy a rejeté leur demande tendant à condamner l’Etat français à réparer le préjudice moral et matériel qu’ils ont subi à la suite du suicide de M. B.
Considérant qu’il résulte de l’instruction, et alors même que la fiche pénale annexée au mandat de dépôt ne comportait pas de prescriptions médicales spécifiques, que M. B. a fait l’objet, dès son arrivée et tout au long de son incarcération, de plusieurs consultations auprès du médecin psychiatre et de l’équipe psychiatrique, notamment en juillet 2002, et avait été examiné en dernier lieu par l’infirmier psychiatrique le 9 septembre suivant ; que l’intéressé faisait l’objet d’un traitement médical auquel il refusait d’ailleurs de s’astreindre ;

Qu’ainsi, contrairement à ce que soutiennent les requérants, M. B. faisait effectivement l’objet d’une surveillance particulière y compris sur le plan médical et psychiatrique ; qu’à supposer même que l’intéressé aurait dû, par précaution, être placé en cellule double, il est constant que l’administration pénitentiaire ne s’est résolue à placer M. B. en cellule individuelle qu’après avoir tenté, sans succès, à six reprises de faire cohabiter l’intéressé avec d’autres détenus ; que le 16 septembre 2002, l’équipe de surveillance, qui a pris en compte les doléances du détenu tendant à se faire examiner par un médecin, en avait immédiatement informé le service médical et avait avisé le détenu de la visite de l’infirmier psychiatrique en début d’après-midi ;

Que si les troubles comportementaux du détenu étaient connus de l’administration et si celui-ci était, le matin du 16 septembre, dans un état d’agitation qui a nécessité de la part des surveillants une attention particulière, rien cependant ne pouvait laisser prévoir un passage à l’acte imminent ni justifier un transfert en urgence dans un hôpital psychiatrique ;

Que si M. B. avait fait état de pensées suicidaires dans un courrier adressé à son épouse, ce courrier daté du 15 septembre n’a pu être découvert par l’administration que le lendemain du suicide ; qu’enfin, la seule circonstance que le surveillant affecté à la cellule de M. ait, pendant un très court laps de temps, relâché sa surveillance afin d’effectuer la distribution des repas ne saurait caractériser une négligence fautive de sa part ;

Que, par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c’est à tort que le tribunal a considéré que l’administration n’avait pas, en l’espèce, commis de fautes de nature à engager sa responsabilité ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne pas fondés à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nancy a rejeté leur demande d’indemnité. (...)
 
CHAPITRE 4

EXTRAITS DE L’AVIS DU CCNE N° 94 DU 26 OCTOBRE 2006

1. Prison et confrontation à la maladie mentale

 La prison devient de plus en plus un lieu d’enfermement des malades psychiatriques : le taux de pathologies psychiatriques est 20 fois plus élevé en prison que dans la population générale. En 2004, une enquête épidémiologique demandée par la Direction Générale de la Santé (DGS) et la Direction de l’Administration pénitentiaire (DAP) révélait la présence de 14% de détenus atteints de psychose avérée (plus de 8 000 détenus) dont 7% (plus de 4 000 détenus) atteints de schizophrénies.
On assiste à un déplacement de l’hôpital psychiatrique vers la prison. L’incarcération de personnes atteintes de maladies mentales graves ne peut qu’entraîner une perte de repères et de sens : perte du sens même de la peine et de l’emprisonnement, et en particulier de la notion de responsabilité pénale ; perte du sens même du soin et du rôle de soignant ; et même perte du sens du rôle de surveillant.
Source de souffrances pour la personne malade (« la prison en soi est un facteur d’aggravation des troubles mentaux » soulignait le rapport de l’IGAS et de l’IGSJ de 2001), la pathologie mentale est aussi source de souffrance et de confusion pour les codétenus confrontés quotidiennement à la « folie », insupportable et contagieuse.

2. La prison, cause de maladie et de mort.

a. Le suicide 

Plus de 25 ans après l’abolition de la peine de mort, la prison est encore un lieu de mort : 122 suicides en 2005 (un taux 7 fois plus important que dans la population générale). La même année, plus de 950 tentatives de suicide ont eu lieu, ainsi qu’un grand nombre d’automutilations, qui, outre les lésions qu’elles entraînent, constituent souvent une autre forme de tentative de suicide ou sont des signes annonciateurs de suicide.
L’enquête épidémiologique de la DGS et la DAP en 2004 indiquait que 40% des détenus souffraient de dépression.
La moitié des suicides concerne des prévenus, présumés innocents et ont lieu dans les semaines qui suivent leur incarcération (plus de 70% des personnes incarcérées sont des prévenus en attente de jugement).
Le taux de suicide est un peu plus élevé chez les femmes que chez les hommes détenus.
La deuxième cause de suicide est la prise de mesures disciplinaires d’isolement : la mise en cellule d’isolement (le « mitard »), qui peut concerner aussi bien le prévenu que le condamné. En 2003, le taux de suicide était 7 fois plus important en quartier disciplinaire que dans les autres conditions de détention.
Le rapport Jean-Louis Terra sur la prévention du suicide en milieu pénitentiaire remis aux ministères de la Santé et de la Justice le 10 décembre 2003 proposait d’instaurer « un climat propice aux confidences sur leur souffrance pour tous les détenus. Une telle atmosphère impose de réduire au maximum le stress et l’anxiété des personnes détenues notamment grâce à de bonnes relations entre les détenus et le personnel pénitentiaire, à des conditions de vie décentes, à l’assurance de ne pas être brutalisé, au maintien de liens familiaux ».

b. La demande de mort : les condamnés aux lourdes peines.

Les longues peines peuvent, quant à elles, engendrer une « maladie de l’enfermement » conduisant parfois à une demande de mort qui traduit un besoin de voir reconsidérer leurs conditions insupportables de vie et peut aussi exprimer une réelle envie de mourir s’apparentant alors à une demande d’euthanasie. En témoigne l’appel récent de certains détenus de Clairvaux au rétablissement de la peine capitale comme seule issue à des conditions de vie qui retirent tout espoir à leurs yeux de trouver un sens à leur existence agonisante.

c. « Contraindre le détenu à ne pas mourir ou le restaurer dans sa dimension de sujet et d’acteur de sa vie ? »

Dans une circulaire du 29 mai 1998, l’administration pénitentiaire insistait sur le fait qu’une politique de prévention du suicide « n’est légitime et efficace que si elle cherche non à contraindre le détenu à ne pas mourir, mais à le restaurer dans sa dimension de sujet et d’acteur de sa vie. »
Mais deux ans plus tard, le rapport de l’Assemblée Nationale décrivait la prison comme « un monde où le détenu est totalement déresponsabilisé et infantilisé ».
Comment parvenir à une telle restauration du détenu « dans sa dimension de sujet et d’acteur de sa vie » quand l’état de dépendance absolue dans lequel il est maintenu, l’absence de responsabilisation, le manque d’activité et de véritable politique de réinsertion, la promiscuité, la difficulté à s’exprimer et à être entendu installent une forme de régression et de violence contre soi-même qui conduit à l’automutilation ou au suicide ?
Comment parvenir à une telle restauration quand se conjuguent les carences qui caractérisent la vie en prison : carences en sommeil, carences en liens familiaux et affectifs, troubles dépressifs dont souffre près d’un détenu sur deux, exposition chronique au stress, et à la violence exercée par les codétenus ?

3. La suspension de peine pour raison médicale en fin de vie (Loi du 4 mars 2002)

a. Situation des condamnés

Ces dispositions, qui ont été insérées dans le Code de Procédure Pénale à l’article 720-1-1, autorisent la suspension des peines privatives de liberté pour « les condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention ».
L’Etude sur l’accès aux soins des personnes détenues de 2006 de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme cite les chiffres rendus publics par le ministère de la Justice le 19 juillet 2005 indiquant que 165 personnes avaient bénéficié d’une suspension de leur peine pour raison médicale entre l’entrée en vigueur de la loi en avril 2002 et le 31 décembre 2004. Elle met en rapport ces chiffres avec ceux publiés par un collectif d’associations et de praticiens (le « Pôle suspension de peine ») qui indique l’existence de 436 demandes durant cette même période, c’est-à-dire un taux de refus qui serait de plus de 60%.
La circulaire du 10 janvier 2005 relative à l’actualisation du guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnes détenues et à leur protection sociale rappelle que « la mesure de suspension de peine pour raison médicale nécessite, pour sa mise en œuvre, les conclusions concordantes de deux expertises médicales. Elle est assujettie aux délais nécessaires à la réalisation des expertises et s’appuie sur un travail partenarial entre les services pénitentiaires et les services médico-sociaux, notamment pour la recherche éventuelle d’un lieu de vie adéquat pour la personne bénéficiaire de la mesure. Cependant, la décision appartient au juge de l’application des peines ou à la juridiction régionale de la libération conditionnelle ».
En réponse à des questions écrites de deux députés, en mai et juillet 2005, le Ministre de la Justice a indiqué que l’une « des principales difficultés existantes » à l’application de la suspension de peine pour raison médicale est liée à la recherche de « solutions de prise en charge » : « hospitalisation, hébergement en famille ou foyer ».
Déjà dans un avis du 11 mars 2003, le Conseil national du Sida souhaitait que « les pouvoirs publics prennent des mesures afin que ce texte connaisse une application à la hauteur des ambitions du législateur ».
Quelles que soient les raisons des difficultés d’application d’une loi dont le but était d’éviter la mort en prison, et qui indiquait que seuls « des motifs de santé » doivent être pris en considération dans la décision de suspension de peine pour raison médicale, on ne peut qu’être frappé par le fait que depuis l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, à la date du 31 décembre 2005, sur une période de 3 ans et demi, plus de 800 personnes détenues étaient probablement mortes en prison : plus de 400 de suicide, et plus de 400 de maladies ou de vieillesse.

b. Situation des prévenus

La personne en détention provisoire, qu’elle soit mise en examen, en attente de comparution, ou en instance d’appel ou de pourvoi en cassation, est totalement exclue du champ d’application des dispositions de l’article 720.1.1 du Code de procédure pénale de la loi du 4 mars 2002 relatives aux droits des malades, qui a pour but d’adapter aux situations de fin de vie le caractère libératoire pour raison médicale.
La possibilité d’une suspension de détention est laissée à l’appréciation du juge d’instruction. A ce statut particulier, hors du champ d ‘application de la loi concernant les personnes en fin de vie - ou plus largement les personnes dont l’« état de santé durablement incompatible avec le maintien en détention » ou ayant une « pathologie engageant le pronostic vital » - s’ajoutent les conditions de vie généralement indignes des personnes en détention provisoire, incarcérées en maison d’arrêt où la surpopulation, la promiscuité et l’hygiène sont incompatibles avec la mise en place de soins palliatifs et d’un véritable accompagnement humain en fin de vie.
Certains détenus en fin de vie engagent des procédures en faisant référence, par exemple, à la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui interdit des traitements dégradants. Mais les procédures sont longues et le plus souvent incompatibles avec l’espérance de vie de ces prévenus. D’autant que le justiciable détenu qui se pourvoit en Cassation reste un prévenu... Cette situation paradoxale encourage le prévenu à ne pas utiliser les voies de recours afin d’être condamné le plus rapidement possible, bénéficiant alors du droit de demander l’application de la loi du 4 mars 2002.
Cette discrimination crée un problème éthique majeur. Une personne en fin de vie devrait être traitée comme telle, sans référence à sa situation judiciaire de prévenue - mise en examen, en attente de comparution, en instance d’appel ou de pourvoi en cassation - ou de condamnée. Le paradoxe étant toujours qu’une personne prévenue est présumée innocente...
Toute personne en fin de vie devrait pouvoir échapper à l’incarcération.

4. L’incarcération de personnes atteintes de maladies mentales graves

Cette situation, déjà soulignée précédemment constitue l’un des problèmes éthiques majeurs concernant d’une part la confusion croissante entre les sens respectifs de la peine et du soin, et d’autre part le droit à la protection de la santé et à l’accès aux soins. Ces problèmes éthiques graves d’atteinte au droit à la protection de la santé et à l’accès aux soins impliquent à la fois le droit des malades à la meilleure prise en charge médicale psychiatrique possible de leur souffrance dans des conditions respectueuses de leur dignité, et le droit de leurs codétenus à la protection de leur santé mentale, mise en péril par une confrontation permanente à la « folie ».

5. Deux problèmes d’éthique médicale majeurs

- La grève de la faim.
Dans son principe même, le consentement libre et informé peut, dans certaines situations extrêmes, entrer en conflit avec le devoir d’assistance à personne en danger.
Le CCNE a déjà examiné les problèmes éthiques posés par la grève de la faim, en particulier dans son Avis n° 87 Refus de traitement et autonomie de la personne
La grève de la faim est un acte volontaire dont la durée est a priori indéterminée et peut aller jusqu’à la mort. Une grève de la consommation de liquides n’est pas compatible avec la vie plus d’une semaine.
Les grèves de la faim peuvent être individuelles, collectives, liées à des revendications diverses ou témoignant d’un état dépressif. Leur nombre est important, environ 1 500 par an, mais moins de 10 posent un problème vital de santé.
Le médecin confronté à une grève de la faim a le devoir d’emblée d’informer la personne des risques qu’elle encourt sans influencer sa détermination ni peser sur les causes qui ont pu présider à celle-ci. Son attitude doit être totalement neutre. Il est important que cette information médicale soit réitérée à plusieurs reprises dans le cadre d’un dialogue qui respecte les motivations qui ont présidé à cette grève de la faim. En aucune façon, en dehors de situations au seuil de l’inconscience, il ne doit procéder à une alimentation forcée. A chaque fois, la difficulté est pour le médecin de respecter la volonté (code de Déontologie) du détenu, c’est à dire ne pas pratiquer une alimentation forcée par coercition et en même temps de ne pas lui faire courir de risques vitaux. Le médecin est un médiateur médical. Sa négociation se fonde uniquement sur un contrat de soin à durée déterminée, renouvelable, respectant les convictions et les désirs de la personne en témoignant de l’indépendance médicale.
La question éthique centrale de la grève de la faim est celle du respect du détenu, de l’absence de tout chantage exprimé à son encontre, et plus encore celle de la vigilance de chaque instant à son égard, car ce comportement exprime toujours une détresse. La difficulté de cette mission éthique est d’essayer de ne pas faire courir de risque grave au détenu tout en respectant sa volonté.
- L’obligation ou de l’injonction de soins.

Dans son principe même, le consentement libre et informé implique l’entière liberté de refuser un acte médical, et donc l’absence de contrainte ou de sanction en cas de refus.
Le Code de Procédure Pénale prévoit l’injonction de soins comme alternative à la prison, ainsi que des remises de peine supplémentaires qui peuvent être accordées à un condamné s’il suit une thérapie destinée à limiter les risques de récidive des infractions pénales. Si la personne accepte le traitement, elle peut être remise en liberté. Si elle refuse, elle reste enfermée. Il n’y a pas là de véritable possibilité de consentement libre et informé, c’est-à-dire de possibilité de refus sans perte de chance.
Les professionnels de santé exerçant en milieu pénitentiaire ont protesté contre l’obligation de soin en prison et contre l’idée qu’une thérapie puisse se résumer à limiter les risques de récidive.
La proposition de soins qui existe déjà en prison, notamment pour les auteurs d’infraction à caractère sexuel, et se pratique désormais couramment, est un dispositif qui est compatible avec l’exercice d’un véritable consentement libre et informé.
« Le traitement n’a pas (et ne peut pas avoir) pour objectif la prévention d’une récidive délinquante mais la mise en œuvre d’un travail (difficile et incertain) d’élaboration psychique qui permet au sujet souffrant engagé dans le travail, de repérer son fonctionnement mental, son mode relationnel et leurs conséquences, et le cas échéant d’y remédier. Dire cela ne constitue pas un désengagement coupable mais une nécessité thérapeutique, particulièrement en psychiatrie. Le soin peut, peut être et de surcroît, contribuer ainsi à la prévention. En cette matière, il faut dire avec humilité mais détermination, que le risque zéro n’existe pas et que le futur ne se prédit pas, mais que tout homme a en lui des capacités évolutives et des aptitudes au changement ». « C’est en recentrant la médecine, et plus singulièrement la psychiatrie, sur son objet premier, la personne malade, que l’on aura le plus d’efficacité thérapeutique, non pas en exerçant un chantage à la médecine comme alternative à l’emprisonnement »
Le chantage au traitement dans le but d’éviter une récidive apparaît inacceptable sur le plan éthique dans la mesure notamment où il enfreint le principe de consentement libre et informé, c’est-à-dire la possibilité d’accepter ou de refuser en dehors de toute sanction. Et pourtant, dans le même temps, malgré l’importance de ce principe éthique, on ne peut pas s’empêcher de se poser la question du bénéfice offert à la personne, par exemple auteur d’infraction à caractère sexuel, qui, acceptant de se traiter, sera libérée de prison.
Mais là surgissent de nouvelles questions : la place de cette personne malade est-elle bien la prison, et non pas l’hôpital ? Ce traitement est-il réellement proposé comme un soin au bénéfice de la personne, ou uniquement comme un moyen de lutte contre la récidive, c’est-à-dire uniquement comme un moyen de protéger la société, ce qui sort du champ de la véritable mission du médecin ?
Que peut et doit faire le médecin devant ces situations ?
On est là aux limites des problèmes éthiques posés par l’ambiguïté et la complexité des relations entre médecine et justice, et des risques de confusion et de perte de repères qui en découlent.

Gilles DEVERS

Avocat, Rédacteur en chef de la revue « Droit, Déontologie et Soin »

http://www.avocats.fr/space/gilles.devers