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Donner aux détenus le droit de choisir et non plus subir les programmes de la télévision

Mise en ligne : 8 août 2003

Dernière modification : 31 mai 2005

Texte de l'article :

Anne Toussaint est responsable d’un atelier de programmation audiovisuelle à la MAISON D’ARRÊT DE LA SANTÉ. Son but ? Donner aux détenus le droit de choisir et non plus subir les programmes de la télévision, omniprésente dans les prisons. En 1999, THÉCIF et l’association FENÊTRE SUR COUR, dont elle est membre, s’associeront pour développer ce travail. Des réalisateurs iront rencontrer les détenus, les SOIRÉES NÉMO seront diffusées sur les canaux internes des maisons d’arrêt, des avant-premières de premiers longs métrages y seront organisées.

Anne Toussaint : J’ai commencé à travailler en prison il y a sept ans, en montant un atelier de réalisation à la MAISON D’ARRÊT DE METZ. Il s’agissait d’un projet venant des Ministères de la Justice et de la Culture afin de créer des centres de ressources audiovisuelles en prison. Mon projet a été retenu parmi huit autres lors d’un appel d’offre. J’avais une expérience de cadrage et de montage (acquise sur des courts métrages). Je disposais d’un studio déjà équipé en matériel de tournage et de montage. Avec la vidéo, je voulais essayer de créer des ponts entre l’intérieur et l’extérieur de la prison, de mettre en relation des univers qui ne se rencontrent jamais. J’ai commencé une correspondance entre la prison et des étudiants en cinéma. Il était important de travailler sur la parole, que l’on perd si facilement en prison. Il s’agissait de faire un vrai travail de création sur l’imaginaire avec les détenus, pas une sorte de télévision carcérale (bien qu’il ait quand même fallu faire un journal d’informations écrites). Pour alimenter ce travail de création, j’ai tenu à ce que les détenus rencontrent des artistes. Dans le cadre de l’opération MUR D’IMAGES, on invitait une fois par mois un réalisateur. Nous visionnions ses films en petit atelier pour préparer sa venue, en décortiquant les films. La rencontre proprement dite était ouverte à tous les détenus de la prison mais aussi à un public extérieur. Je me suis orientée en particulier vers l’art vidéo et ce qui n’est jamais montré dans les circuits ordinaires ni à la télévision. Ces formes visuelles pouvaient leur apporter quelque chose en terme de poésie, qui a une très grande place en prison (les détenus écrivent beaucoup de poésie). Aujourd’hui encore, je continue ce travail.
Depuis le mois de janvier, je m’occupe d’un atelier de programmation à la MAISON D’ARRÊT DE LA SANTÉ à Paris, via un circuit de télévision interne. Chaque semaine, on choisit cinq films qui sont diffusés deux fois en semaine et deux autres films diffusés le week-end. Les détenus choisissent les films qu’ils ont envie de diffuser dans des catalogues comme IMAGES DE LA CULTURE du CNC. Tous les films diffusés font l’objet d’un achat de droits institutionnels.
Il y a toujours un film sur la musique, une thématique sur les cultures, un film en version originale (il y a beaucoup de cultures différentes à l’intérieur de la prison), du documentaire, de l’art vidéo. Cela dépend aussi de la personnalité et des centres d’intérêt des détenus. L’un d’entre eux, par exemple était très fort en histoire du cinéma. Il a donc construit toute une programmation sur les débuts du cinéma. Chaque film est présenté de manière assez brève (2-3 minutes) par un détenu. La présentation et le film sont diffusés sur le canal intérieur. Il y a aussi les fiches des films diffusés à la bibliothèque afin que les détenus puissent demander à revoir certains films. Désormais, nous allons inviter à nouveau des réalisateurs à venir présenter leur travail et discuter avec les détenus de l’atelier. Toutes les trois semaines, un artiste viendra passer toute la journée dans la prison, ce qui ne pose aucun problème administratif.

Françoise Linster : Pourquoi la MAISON D’ARRÊT DE LA SANTÉ ?

A. T. : Je connaissais très bien le travail d’Alain Moreau qui s’occupe de TÉLÉRENCONTRES dans cette prison. Je l’avais rencontré plusieurs fois lors de colloques sur l’image et la prison. On a eu l’impression de travailler dans la même direction.
Il m’a demandé de m’occuper de l’atelier de programmation qu’il avait vraiment envie de monter.

Gilles Alvarez : Comment se composent sociologiquement les groupes de l’atelier ?

A. T. : Dès le début, j’ai tenu à prendre des gens éloignés les uns des autres dans la prison, constituée en bâtiments peuplés de gens d’ethnies différentes. Je tenais à ce brassage au niveau de la géographie de la prison (et de la géographie tout court). Les participants à l’atelier sont ainsi un relais quand ils retournent dans leur bâtiment. Les gens qui viennent ne sont pas forcément des intellos avec une culture de l’image.

G. A. : Comment sont-ils recrutés ?

A. T. : Une annonce est diffusée. Les détenus s’adressent au service socio-éducatif pour manifester leur intention de participer à l’atelier. Il y a une première sélection en fonction de leur situation pénale (sont-ils isolés, peuvent-ils circuler dans la prison ou non ?). Je les rencontre avec une éducatrice et c’est sur leur motivation que le choix se fait. Il faut aussi qu’ils acceptent d’être filmés et que leur image soit diffusée. Certains ne sont pas d’accord. Un détenu était passionné de musique et ne connaissait rien au cinéma. Je lui ai proposé de s’occuper de la programmation musicale. Je recherche des gens avec de forts centres d’intérêts et l’envie de les faire partager aux autres. Je dois quand même reconnaître que les gens qui postulent ont déjà souvent une certaine culture de l’image.

G. A. : Tu es salariée par l’administration pénitentiaire ?

A. T. : Je suis intervenante extérieure, réalisatrice, employée par l’association FENÊTRE SUR COUR, qui s’occupe de toutes les actions audiovisuelles de la MAISON D’ARRÊT DE LA SANTÉ. Elle a été fondée par Alain Moreau avec des étudiants des Arts Décoratifs, il y a une dizaine d’années. Alain a commencé en 1985 avec des vidéo-lettres. Il avait passé une annonce dans les journaux pour que des gens envoyent des lettres en vidéo à des détenus de la prison qui y répondraient. Il était le passeur, récupérait les films et travaillait avec les détenus. D’autres gens sont arrivés. Il y a aujourd’hui un atelier de correspondance avec un collège, dans le cadre d’un atelier de pratique artistique mené par LA MAISON DU GESTE ET DE L’IMAGE. Les détenus correspondent avec les jeunes autour du thème de la délinquance. Il y a un réalisateur avec les détenus et un réalisateur à l’extérieur avec les collégiens. Ce travail va se poursuivre sur d’autres thèmes. Il y a aussi un atelier de réflexion sur la télévision et la prison. Il a fait l’objet d’un duplex à la VIDEOTHEQUE DE PARIS en mars 1997. Les détenus réfléchissaient sur l’image du détenu donnée par la télévision et sur la place de la télévision en milieu carcéral. Ce travail se poursuit et va faire l’objet d’une publication écrite. Claude Bagoé a également un atelier de lecture avec des femmes de Fleury autour DES CONTES DES MILLE ET UNE NUITS. Les détenues sont filmées et mises en scène lors de leur lecture d’un conte. Les images sont ensuite diffusées dans les prisons.

G. A. : Comment se déroulent les rencontres entre les réalisateurs et les détenus ?

A. T. : Après une rencontre assez informelle le matin, un débat entre le réalisateur et les détenus est filmé. C’est un vrai échange de points de vue qui est ensuite diffusé sur le canal intérieur, accompagné par les films du réalisateur.

F. L. : Quel est le type de films en question ?

A. T. : C’est complètement ouvert.

F. L. : Le court métrage a-t-il sa place ?

A. T. : Pas encore. Mais on a envie de montrer tout ce qui est peu diffusé. Je m’étais renseignée à l’AGENCE DU COURT MÉTRAGE mais ce qui m’était proposé était financièrement impossible à assumer.

G. A. : C’est-à-dire ?

A. T. : Selon la durée des films, de 400 à 800 francs. Le même prix pour une VHS que pour une copie film...

F. L. : Y a-t-il des grandes lignes dans les choix des détenus ?

A. T. : Leurs choix se portent souvent sur des parcours de vies, des portraits, des phénomènes de société. La télévision est très présente en prison. Elle agit comme un soporifique. Certains prisonniers viennent à l’atelier mais refusent d’avoir la télévision dans leur cellule pour ne pas subir les programmes courants. L’atelier leur donne la possibilité de choisir ce qu’ils veulent voir.
J’essaie de diffuser des films qui ne font pas forcément référence à l’univers carcéral et de les diffuser aussi en dehors de la prison. Je considère que la prison est une excroissance de la société où l’on trouve des gens que l’on peut croiser dehors. Je n’ai pas envie de faire des programmations carcérales. À Metz, je fais les mêmes diffusions en prison et à l’extérieur, à la MAISON DE LA CULTURE. C’est aussi une manière de faire tomber les barrières et l’isolement.

G. A. : Comment fonctionne financièrement l’association FENÊTRE SUR COUR ?

A. T. : Elle est subventionnée par le MINISTÈRE DE LA JUSTICE et la DRAC Les détenus paient pour avoir la télévision. Une partie de la redevance (250 francs par mois et par cellule) est aussi reversée à l’association.

G. A. : En quoi consistent les achats de droits institutionnels ?

A. T. : Nous sommes abonnés à IMAGES DE LA CULTURE, un catalogue de films documentaires pour des diffusions institutionnelles. Chaque film nous revient à 100 francs. Nous avons négocié avec la MÉDIATHÈQUE DES TROIS MONDES à qui l’on achète 150 francs des cassettes de films que l’on peut diffuser sur le canal interne. On travaille aussi avec le distributeur K FILMS qui nous vend des cassettes et leurs droits de diffusion. On a passé un accord avec FOX TÉLÉVISION qui met à notre disposition son stock de cassettes.

F. L. : Est-ce que vous avez un retour à propos des films diffusés ?

A. T. : On a mis en place un système de courrier mais c’est assez difficile car il concerne surtout des demandes particulières de films que l’on ne peut pas toujours honorer. Il y a aussi un retour par les détenus de l’atelier qui en parlent dans les couloirs avec les autres et qui nous disent comment les films ont été perçus.

F. L. : D’après ce que tu expliques, l’actualité cinématographique, ce qui sort en salles et dont ils entendent parler à la télévision, leur manque beaucoup. Sur du cinéma indépendant, des premiers longs métrages, n’est-il pas possible d’envisager une diffusion sur le canal intérieur lors de la sortie nationale des films ?

A. T. : Ce serait très bien. Mais tout doit se négocier au coup par coup.

THÉCIF pourra peut-être faire avancer les choses... On en saura plus le mardi 1er décembre 1998, lors de la soirée carte blanche à FENÊTRE SUR COUR et aux détenus de la MAISON D’ARRÊT DE LA SANTÉ...

Source : http://www.thecif.org/cinema/journal/07_toussaint.html