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Ministère de la Justice

Discours de Pascal Clément au congrès National des Aumôniers de Prisons

Mise en ligne : 20 octobre 2006

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Texte de l'article :

Discours de Pascal Clément,
Garde des Sceaux, Ministre de la justice

Congrès National des Aumôniers de Prisons

Lourdes - Vendredi 20 octobre 2006

Monseigneur,
Monsieur le Président,
Monsieur l’Aumônier Général,
Messieurs les Aumôniers nationaux,
Mesdames et Messieurs,

En dépit d’un emploi du temps chargé -j’étais, en effet, à Caen il y a une heure et demie et je dois être à Saint-Etienne ce soir-, j’ai tenu à vous rendre visite en cette fin d‘après-midi.

Je l’ai souhaité pour plusieurs raisons :

- d’abord parce que je veux vous remercier, personnellement, de l’action que vous conduisez dans la discrétion auprès des détenus,

- ensuite parce que j’ai à cœur de vous exposer, très rapidement, les grands axes de la politique pénitentiaire que je conduis et qui est trop souvent caricaturée,

- enfin, j’ai plaisir à me retrouver ici avec vous pour débattre et échanger.

L’histoire des prisons et celle de l’Eglise sont étroitement liées.

La place de la religion catholique au sein des prisons fut, en effet, essentielle au 19ème siècle. Les choses ont beaucoup évolué depuis mais il me paraît nécessaire de ne pas occulter cette histoire commune.

Votre action s’inscrit, désormais, dans le cadre de la loi du 9 décembre 1905 qui dispose, dans son premier article, que « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes ».

C’est une constante dans notre tradition républicaine puisque déjà, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 affirme que nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre établi par la loi.

Le code de procédure pénale ne fait que rappeler ces principes fondamentaux de liberté individuelle en autorisant chaque détenu à satisfaire aux exigences de sa vie religieuse, morale ou spirituelle.

La liberté de recevoir une assistance spirituelle et de pratiquer une religion pour les détenus qui le souhaitent est donc une expression majeure de la liberté de conscience.

Votre rôle, celui des aumôniers et de leurs auxiliaires, est de ce point de vue fondamental.

La mission dont vous êtes investis, auprès des détenus, est immense et au de là même de l’aide spirituelle, ou plus précisément au travers de cette aide, votre soutien est essentiel dans la perspective de leur réinsertion familiale et sociale.

Je tenais donc à vous confirmer, aujourd’hui, que vous êtes les bienvenus dans les prisons de la République.
Je souhaite que l’administration pénitentiaire facilite votre intervention et entretienne avec vous, à tous les niveaux, local, régional et national, un dialogue constructif Son directeur, Claude D’HARCOURT, sera d’ailleurs là demain pour vous le dire.

Ce ne sont pas là des paroles en l’air mais l’expression de ma profonde conviction dans l’utilité de votre mission, à vous aumôniers catholiques mais aussi protestants, israélites ou musulmans, auprès des plus démunis.

J’ai, en effet, pu constater au cours des nombreux déplacements que j’ai effectués au sein des établissements pénitentiaires, (encore tout récemment au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes), combien l’aumônerie représente un espace de spiritualité, de liberté et de tolérance.

La qualité et le sens de votre intervention dépendent beaucoup de la politique pénitentiaire qui est menée. Je vais vous l’exposer très brièvement car je constate, avec regret, qu’elle est trop souvent caricaturée.

Je tiens d’abord à préciser qu’aux grands discours incantatoires, je préfère l’action au quotidien.

Souvenons nous de la situation de nos prisons au début des années 2000, telle qu’elle a été décrite par les rapports du Sénat et de l’Assemblée Nationale.

Des efforts importants s’imposaient. Ils ont été engagés et ils commencent à porter leurs fruits.

La politique mise en œuvre depuis 2002 mobilise des moyens considérables pour moderniser l’administration pénitentiaire.

C’est une politique équilibrée qui fait la synthèse entre les trois impératifs complémentaires de sécurité, d’humanité et de réinsertion.

1. Nous garantissons la sécurité.

Oui l’administration pénitentiaire contribue à la sécurité de nos concitoyens. Elle doit également garantir l’intégrité physique des personnels, des intervenants et des détenus eux mêmes.

N’oublions jamais que le droit à la sécurité est celui qui conditionne l’exercice de tous les autres. En prison, sans doute encore plus qu’à l’extérieur.

2. - Nous humanisons

Prétendre que nous avons fait le choix du tout carcéral est une contre vérité.

Il y a, en effet, en France un taux d’incarcération (93 pour 100.000 habitants) inférieur à ceux constatés dans les pays voisins (Angleterre, Espagne, Portugal ou Pays Bas).

La vérité, c’est que nous avons un parc pénitentiaire vétuste et parfois indécent parce qu’il n’y a pas eu d’effort continu des responsables politiques en ce domaine, en dépit des programmes de construction qui ont été engagés par les Gouvernements de Jacques CHIRAC en 1986 et d’Edouard BALLADUR en 1993.

Pour rattraper ce retard, nous avons donc lancé, en 2002, la construction de 13.200 places dignes et modernes. Parallèlement, la rénovation des grandes Maisons d’arrêt existantes a été, ou sera prochainement, engagée (Fleury-Mérogis, les Baumettes et la Santé).

3.- Nous recrutons

Depuis 2002, l’administration pénitentiaire a bénéficié de 4.000 créations d’emplois. De nombreux surveillants ont ainsi pu être recrutés mais les SPIP n’ont pas été oubliés puisque en 5 ans, 1.000 postes de travailleurs sociaux ont été créés. C’est un effort considérable.

4.- Nous nous occupons des détenus les plus fragiles

Les détenus malades peuvent, désormais, être hospitalisés dans de très bonnes conditions au sein des Unités Hospitalières Sécurisées Interrégionales (UHSI). A partir de 2008, les détenus souffrant de troubles psychiatriques graves pourront être soignés au sein des Unités Hospitalières Spécialement Aménagées (UHSA) qui garantiront des soins de qualité et une sécurité adaptée.

En ce qui concerne les mineurs, notre politique a permis de diminuer le nombre de jeunes incarcérés grâce à la mise en service des centres éducatifs fermés.

Prochainement avec l’ouverture des établissements pour mineurs, l’administration pénitentiaire, la Protection Judiciaire de la Jeunesse et l’Education Nationale disposeront d’un outil exceptionnel, gage d’insertion pour ramener le jeune détenu.

5.- Nous avons une vraie politique d’aménagements de peine

Je l’ai déjà dit, je ne suis pas partisan du tout carcéral. La prison doit être réservée aux actes les plus graves de délinquance et aux multirécidivistes.

Mais lorsque la peine de prison est prononcée, il faut tout mettre en œuvre pour qu’elle soit utile. Il faut donc éviter les « sorties sèches ».

En 2004, pour la première fois depuis 10 ans, le nombre d’aménagements de peine prononcés a augmenté (passant de 15.500 à 18.000).

Cette tendance s’est confirmée en 2005 puisque nous dépassons les 19.000 mesures. Il faut poursuivre dans cette voie.

Avec le placement électronique mobile, les juges d’application des peine pourront octroyer des libérations conditionnelles aux condamnés dont la personnalité correspond à cette modalité d’exécution de la peine.

6.- Enfin, nous garantissons le respect du droit et la transparence dans nos prisons.

Nous avons développé les points d’accès aux droits en détention et j’ai décidé de généraliser la présence des délégués du Médiateur à tous les établissements pénitentiaires dès 2007.

Enfin, un contrôle extérieur indépendant des prisons conforme à nos engagements internationaux sera confié au Médiateur de la République dès 2007.

Je souhaite donc qu’un regard objectif soit porté sur notre politique.

Je constate simplement que ceux qui nous critiquent beaucoup n’ont pas fait grand chose de concret lorsqu’ils étaient au pouvoir.

J’émets le vœu que la prison cesse enfin d’être utilisée à des fins politiciennes ou idéologiques. La modernisation et l’humanisation de nos prisons coûtent cher et nécessitent un effort continu plutôt que des querelles stériles.

Je souhaiterais qu’il y ait un consensus là-dessus.
Je suis persuadé que vous pouvez contribuer à cette nécessaire prise de conscience car vous avez un rôle éminent d’information à jouer auprès de l’opinion publique.

C’est d’ailleurs ce que l’un de vos illustres prédécesseurs, Jean POPOT, aumônier durant de longues années à Fresnes, écrivait il y a plus de 40 ans dans l’un de ses ouvrages : « le rôle d’un aumônier ne se borne pas à visiter les captifs, à les écouter et, si possible, à les amener à Dieu - Nous devons aussi parler d’eux, c’est-à-dire, nous ingénier à ne pas les laisser oublier par leur prochain ».

Je vous remercie de votre attention.