15410 articles - 12266 brèves

« Discours d’un survivant »

Mise en ligne : 15 octobre 2010

En savoir plus
Texte de l'article :

Alors que des détenus continuent de mourir en prison, comme Eric PIEDOIE qui meurt à petit feu à la prison de Grasse, j’essaye, face à l’inertie de l’opinion et des pouvoirs publiques, d’agir en communiquant des infos et en expliquant la situation carcérale par ce blog et autres médias afin de faire avancer les choses pour que la situation sanitaire catastrophique des prisons soit enfin reconnue et que l’on cesse de traiter les malades incarcérés de façon si inhumaine.

Je ne rêve pas je sais bien que c’est une cause perdue qui n’intéresse pas grand monde. Mais que faire ? Se taire ? Ne rien dire ? Se résigner ? Et laisser ceux qui en ont le plus besoin comme Eric crever comme des chiens ?

Alors j’interviens le plus possible dans des colloques, dans des associations, des lycées, à Science Po en passant par la Fac de Médecine etc.... Bref j’écris, je communique et c’est dans ce cadre là que je suis intervenue le 3 juin dernier à la « journée prison » organisée par Sidaction au conseil Régional d’Ile de France, pour expliquer ce que cela voulait vraiment dire de vivre avec le sida en détention.

Je vous fais part de mon intervention qui illustre assez bien la situation dramatique que peut vivre un séroprisonnier. Je pense qu’il est important d’informer, d’expliquer pour ensuite mieux dénoncer et trouver un écho favorable dans l’opinion.



A bientôt sur le BLOG pour la suite...

Laurent JACQUA

Pour tout contact laurentjacqua@yahoo.fr

 

JOURNEE PRISON SIDACTION 2010

JEUDI 3 JUIN 2010

VIH ET PRISON :

Quelles alternatives à l’enfermement des malades ?

Conseil régional d’Ile de France

57 rue de Babylone - 75007 Paris.


 

« Les malades du sida ne doivent pas rester en prison »

 

« Je m’appelle Laurent Jacqua, j’ai fait vingt-cinq ans de détention, je suis séropositif depuis 1983. Je vais vous parler des problèmes que peut engendrer la maladie à l’intérieur de la prison. Ce qu’il faut comprendre, c’est que le corps prisonnier, c’est une souffrance et qu’une cellule, c’est un lieu de souffrance. Si c’est dans 9 m2 à trois ou quatre personnes, ou même à deux, c’est pire. Si vous êtes malade, c’est encore plus terrible, parce qu’il y a les médicaments, du moins maintenant. C’est vrai qu’avant, la question ne se posait pas. Ce qu’il faut savoir, c’est que des années 1980 jusqu’à l’arrivée des trithérapies, on ne sait toujours pas combien de morts du sida il y a eu dans les prisons. C’est pour dire à quel point le sujet est tabou. (…) C’est pour moi une évidence : les malades ne doivent pas rester en prison. Les malades doivent être soignés dans les meilleures conditions possibles, et les prisons françaises ne le permettent pas.

D’une part, le secret médical n’existe pas. En vingt-cinq ans d’incarcération, les médecins et les policiers qui m’entouraient, lors de chaque extraction, savaient exactement ce que j’avais, de mes hémorroïdes à mon taux de CD4. (…) Quand la maladie se déclenche, c’est la pire des souffrances, surtout sous certains régimes de détention, comme le quartier d’isolement ou le mitard, parce qu’aujourd’hui encore, on place des malades du sida au mitard. Moi j’ai fait des quarante-cinq jours de mitard. C’est ça qu’il faut comprendre de l’intérieur… Il faut avoir une vision de ceux qui vivent et souffrent en prison. C’est une sentence de mort de condamner à trente ans de prison une personne qui a quelques CD4. C’est une perpétuité ou une peine capitale déguisée. Pour un pays démocratique, qui veut donner des leçons au monde entier, c’est dramatique. (…)

Je suis sorti en janvier 2010, après un parcours très dur. J’ai fait cinq ans de quartier d’isolement. Malade, j’ai d’ailleurs failli mourir, pneumocystose et compagnie. On m’a hospitalisé cinq jours et on m’a ramené en quartier d’isolement où je suis resté deux ans. C’est un exemple. J’ai été condamné, mais je n’ai pas été condamné à être torturé. Aujourd’hui, les taux de prévalence sont d’environ 1,4 %, enfin environ, on ne sait pas puisque les détenus séropositifs sont une population totalement niée, depuis des années… Quand j’entends des médecins d’Ucsa comparer le VIH au diabète, dire que c’est une maladie chronique, je suis atterré. Et la contamination ? Je suis sorti il y a cinq mois et je peux vous assurer que l’héroïne entre en force en prison, nous allons vers une catastrophe sanitaire. Et les politiques actuelles ne vont pas arranger les choses. Mais apparemment ceux qui les décident s’en foutent, on entasse les gens en prison, toujours plus, la santé ce n’est pas leur problème…

Ce que je veux dire, c’est qu’il faut prendre le taureau par les cornes et agir. Et pour cela, il faut avoir une bonne conscience du milieu carcéral, de ce que c’est réellement, de ce que vit le détenu à l’intérieur. Ce n’est pas de la prison qu’il faut parler, c’est du détenu qui souffre dedans… En vingt-cinq ans, je peux vous dire que j’en ai vu partir dans des conditions terribles. Partir, ça veut dire mourir comme des chiens. Un nombre incalculable se sont suicidés pour ne pas mourir comme un animal… On ne peut pas calculer justement, puisque personne ne sait. C’est quand même terrible. Alors on crée la suspension de peine en 2002. Mais il faut savoir que les aménagements de peine concernent seulement 16,5 % des détenus. Il faudrait réfléchir sérieusement à des alternatives à l’emprisonnement. La peine moyenne en France est de 9,4 mois… On se demande ce qu’ils foutent en prison, les malades, les vieux, les fous… Où va-t-on ? On nous a sorti un plan sanitaire en 1994, on l’a refait et aujourd’hui on n’est pas plus avancé.

Le 4 mars 2002, on nous a sorti la loi de suspension de peine pour raison médicale. Moi j’étais malade à l’époque, j’ai cru que j’allais sortir. J’ai vu sortir Papon, mais moi je ne suis pas sorti. La réalité, c’est ça. Il y a Papon, les quelques nantis qui ont réussi à sortir, et nous, derrière, on a tous mangé… Ceux d’entre nous qui ont été libérés, faut voir dans quel état. J’en connais un qui est sorti après quinze ans, il était en souffrance depuis quinze ans, je l’ai vu mourir à petit feu. Vous savez combien il a tenu ? Il a tenu un mois dehors. Il est mort avec sa petite fille dans les bras. C’est quoi le sens de cette peine-là ? C’est ça qui nous est réservé. André Franceschi et moi, on nous appelle les highlanders, vous vous rendez compte, parce qu’on a réussi à survivre. En 2002, la loi de suspension de peine existe. Tout le monde est content, mais personne ne sort. (…)

Octobre 2003, une circulaire restreint encore les conditions en empêchant les détenus de bénéficier de la suspension de peine “s’il existe un risque grave de renouvellement de l’infraction”. Déjà on commence à resserrer le champ. Faut pas trop les faire sortir les malades, on ne sait jamais… En février 2005, la loi Perben introduit la contre-expertise médicale pour les malades en suspension de peine. Alors qu’ils ont tous subi une première expertise disant qu’ils allaient bientôt mourir… Car ce qu’il faut savoir, c’est qu’il y a en théorie deux volets dans cette loi de 2002 : les expertises disant que le pronostic vital est engagé et le constat d’incompatibilité de la maladie avec la détention, mais ce volet n’est jamais employé, jamais… Les gens pourraient sortir si le texte était appliqué, mais au final on les laisse mourir.

Et un séropositif, c’est quelqu’un de malade. Il faut arrêter de dire que c’est une maladie chronique ! Parce que celui qui est séropositif et qui se bouffe des pilules tous les jours, moi je le fais, et bien je vous dis que ce n’est pas marrant. Quand vous avez la diarrhée, quand vous n’êtes pas bien, quand vous vous videz, il faut les supporter les médicaments et il faut appeler à l’aide, qu’on vienne vous chercher… Le VIH, c’est quelque chose de grave, on a un peu tendance à l’oublier. Et quand on vit en prison avec c’est un peu le couloir de la mort. Quand vous êtes condamné à trente ans, vous ne savez pas quand la maladie va se déclarer. Et quand elle arrive, il n’y a personne pour vous écouter. On vous laisse dépérir et sortir au dernier moment pour baisser les statistiques des morts en prison.

Mais revenons à la suspension de peine. Lors des discussions du projet de loi sur la récidive, un nouvel amendement est introduit qui en réduit encore le champ avec les notions de “trouble exceptionnel à l’ordre public” et de “risque particulièrement élevé de récidive” pouvant être opposées au détenu. On nous ferme encore plus la porte. Mais, en novembre 2009, nouvel espoir avec la loi pénitentiaire qui précise qu’un juge de l’application des peines peut ordonner la suspension grâce à un certificat médical donné par l’Ucsa… Sauf que dans la pratique, il faut voir dans quel état les gens sortent. J’ai failli mourir, mais on ne m’a jamais laissé sortir. Je suis passé deux fois en suspension de peine, je ne l’ai jamais obtenue. Je suis un cas concret de la suspension de peine. En mars 2010, nouveau durcissement avec la notion de “risque grave de renouvellement de l’infraction” afin de refuser les demandes de suspension de peine pour raison médicale.

Je pense qu’il faut assumer les choses. Si le gouvernement décide de mettre des malades au mitard, en quartiers d’isolement, de les laisser pourrir en prison, si le gouvernement décide de mettre les fous, les femmes enceintes, les enfants en prison, si c’est ce qu’il décide, il faut qu’il l’assume et le dise. S’il n’est pas capable de l’assumer financièrement, il faut aussi qu’il le dise et qu’il arrête de nous faire avaler des couleuvres (…), parce que pendant ce temps des mecs meurent dans des conditions indignes d’une démocratie. Mais venez en cours de promenade, je vous y fais descendre, là où les mecs se shootent, se défoncent, c’est ça la prison. Vous savez que récemment un homme est mort de faim ? Que beaucoup se suicident ? C’est ça la réalité, et moi je suis là pour témoigner. J’ai fait vingt-cinq ans de taule, le jour où je suis sorti j’ai fais la promesse que je ne laisserai pas faire. Parce que la mémoire de ces mecs qui sont morts, il ne faut pas l’oublier.

Je voulais parler des toubibs, j’en ai rencontré trois qui ont tout fait pour m’aider et d’autres qui trouvaient que c’était bien fait quand je dormais à poil au mitard. On rencontre de tout, des bons et des salauds. La plupart donnent l’avis favorable pour vous placer au quartier d’isolement alors qu’il vous reste 3 CD4… Je finirai en citant l’article 10 du code de déontologie médicale [article R. 4127-10 du code de la santé publique, NDLR] : “Un médecin amené à examiner une personne privée de liberté ou à lui donner des soins ne peut, directement ou indirectement, serait-ce par sa seule présence, favoriser ou cautionner une atteinte à l’intégrité physique ou mentale de cette personne ou à sa dignité. S’il constate que cette personne a subi des sévices ou des mauvais traitements, il doit, sous réserve de l’accord de l’intéressé, en informer l’autorité judiciaire.” J’ai rencontré des tas de médecins qui n’ont jamais appliqué cette règle et qui ont laissé crever des gars en cellule. »


Laurent Jacqua est l’auteur de La Guillotine carcérale. Silence on meurt, éditions Nautilus, 2003 et de J’ai mis le feu à la prison, éditions Jean-Claude Gawsewitch, 2010.

 
 

La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, a constitué dans les textes une véritable avancée pour les perspectives de sortie offertes aux détenus malades, atteints de pathologies lourdes.

La suspension de peine pour raisons médicales inscrite dans le code de procédure pénale est apparue pour les associations de défense des droits des malades comme une opportunité pour permettre aux personnes suivies de bénéficier d’une prise en charge adaptée à leurs besoins, à l’extérieur des établissements pénitentiaires.

Aujourd’hui, et avec le recul, beaucoup d’acteurs du milieu pénitentiaire et notamment ceux en charge de la lutte contre le sida, sont profondément déçus de la mise en oeuvre de cette loi sur le vécu des malades incarcérés.

Présentée comme une loi pour les malades, elle s’est transformée au gré des difficultés et des changements incessants des règles d’application, en une procédure appliquée aux personnes en fin de vie. Celles-ci en bénéficient uniquement pour mourir, peu après leur sortie de la prison. Conçue pour permettre aux personnes malades de se soigner, elle semble souvent servir à soigner les statistiques pénitentiaires, en contribuant à la diminution des chiffres de la mortalité carcérale.

Aujourd’hui, cet état de fait ranime le débat autour d’une question ancienne : la prison est-elle un lieu de soin ou un lieu où l’on soigne ?

Comment concilier cette question avec les hypothèses soutenant les deux conditions permettant la mise en application de cette loi :

  • la pathologie du détenu doit « engager le pronostic vital »,

  • l’état de santé doit être « durablement incompatible avec le maintien en détention ».

    Existe-t-il d’autres dispositifs pour contourner les obstacles à la mise en application de cette loi ?

    Quelle place pour l’infection à VIH dans ces dispositifs ?

    Quel accès des personnes prévenues à ces dispositifs et doit-on les en exclure même quand leur état de santé est gravement dégradé ?

    Quelles recommandations proposer afin de permettre de mieux identifier les limites des dispositifs actuels de libération des malades et les surmonter ?

    En donnant la parole, à l’occasion de cette journée prison de Sidaction 2010, à des acteurs de terrain, à des chercheurs et à des personnalités qualifiées nous avons souhaité explorer l’ensemble de ces questionnements. Sidaction s’engage, dés à présent, à prolonger les recommandations issues de cette journée en axes de plaidoyer auprès des pouvoirs publics.