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Conditions d’incarcération

DERRIÈRE LES HAUTS MURS (Jean Marc Rouillan)

Mise en ligne : 7 novembre 2007

Dernière modification : 23 janvier 2011

Texte de l'article :

Article publié dans CQFD n° 48, septembre 2007.
>
> DERRIÈRE LES HAUTS MURS, nous utilisons des termes hérités de nos vies
> passées et du matraquage social imprégnant notre quotidien par
> l’entremise des écrans de télévision. Par exemple : « C’est la rentrée
> ! »
>
> Pas besoin d’être une lumière pour comprendre qu’au pays du dedans
> l’importance de cette période est tout à fait relative. Pas plus en
> juillet que début août, aucun d’entre nous n’a pris la poudre
> d’escampette en direction des campings de la côte. Nous n’avons pas
> bourlingué pare-chocs contre pare-chocs sur le bitume des autoroutes.
> Et notre couenne n’a pas grillé au barbecue solaire comme des
> hamburgers. Entre quatre murs, la non-vie cellulaire a poursuivi son
> abrasement des esprits et le goutte-à-goutte vénéneux s’est distillé au
> coeur de nos viandes ligotées. La semaine dernière, les gars sont
> redescendus aux ateliers en grognant parce que ce n’est pas encore
> cette année qu’ils toucheront des congés payés. Les autres reprendront
> bientôt leurs occupations écolières au centre scolaire. Quant aux
> incorrigibles inoccupés, nous nous réhabituerons au dépeuplement des
> coursives et des cours de promenade. En ce lieu, il n’y a ni relâche,
> ni rentrée.
> Les seules vacances que nous connaissons demeurent les heures arrachées
> au sinistre temps qui passe, les rares instants de lutte à la tombée de
> la nuit coude à coude sous les préaux en attendant le débarquement des
> gardes mobiles.
>
> Quant à la rentrée de ces congés éphémères, elle se fait cinq par cinq
> entre deux haies de matons et de gendarmes, guettée par l’oeil borgne
> des fusils d’assaut. La gent militarisée nous dénude dans l’escalier et
> nous expédie sans ménagement vers nos pénates. À l’écoute derrière la
> porte, nous passons le reste de la soirée à attendre le tirage de la
> loterie et son gros lot : « Un voyage gratis à Fresnes et un séjour en
> QI quatre étoiles » ! Voici quelques années, un matin de novembre « 
> Bingo ! », j’ai tiré le bon numéro : six mois d’isolement disciplinaire
> et retour dans un établissement de sécurité sans passer par la case
> Lannemezan.
>
> Comme la Pénitentiaire est sans vergogne, le 15 septembre prochain dans
> la salle des fêtes de la ville, l’aréopage juridico-fouettard célébrera
> le vingtième anniversaire de ce bel établissement voué à la punition.
>
> Petits-fours et exposition de matériel de sécurité (matraques
> électriques pour assaisonner le récalcitrant, fusils à lunette pour ne
> laisser aucune chance au fuyard désarmé et autres petites
> cochonneries...).
>
> Lorsque la centrale a ouvert voici vingt ans, elle fonctionnait tel un
> QSR (quartier de sécurité renforcée) avec des « unités de vie » de
> vingt détenus strictement séparées les unes des autres.
>
> Un véritable régime disciplinaire qui s’affichait et qui se revendique
> encore aujourd’hui lorsqu’un membre de la direction évoque « l’Alcatraz
> du pénitentiaire français ».
>
> Rien de comparable avec les autres centrales, ici aucun confort, tout
> était interdit. Et il fallut se battre pour tout.
>
> Même pour le vrai café ! Pour les fours ! Pour les couettes !
> Tout ce qui ailleurs faisait le normal et le banal du quotidien a dû
> être ici arraché de haute lutte.
>
> Aucune amélioration depuis l’ouverture n’a été concédée en dehors de
> mouvements collectifs. Rien ! Et j’en témoigne, moi qui fréquente
> l’endroit depuis 1994.
>
> Lors d’un de ces blocages, Funky, un bon bougre débarqué de Guyana,
> attendait son heure en grommelant des menaces. Quand, peu rassuré, le
> directeur entra dans la cour, le Black bondit des rangs et trancha d’un
> coup de lame la cravate du directeur au ras du kiki ! Quand j’y
> repense, je sais mettre un nom sur le visage d’un ou deux congénères
> qui casquèrent l’assouplissement du régime de détention, le premier de
> deux ans de rab et de six mois de QI et le second du refus d’une
> conditionnelle et la perte des grâces d’une année.
> Parfois nous avons compté sur l’aide de personnes refusant de se
> soumettre à l’omerta administrative.
>
> Si les cellules du mitard sont chauffées, ce n’est pas grâce à
> l’illumination humaniste d’un directeur mais après l’intervention
> énergique du médecin-chef (au charmant petit nom de Cécile !). Elle
> réagissait à plusieurs cas de pneumonie chez les punis.
>
> Le mitard, parlons-en...
> Je me souviens particulièrement d’un dimanche de juillet quand ils ont
> tabassé un Breton que seule l’unité de réanimation du SAMU sauva.
>
> Quelquefois, je croise encore sur la coursive le bricard responsable de
> cette tentative d’assassinat.
>
> Cependant, et pour plus de discrétion, la matonnerie avait pour
> habitude d’expédier les incorrigibles au QI de la maison d’arrêt de
> Tarbes où, là, un comité d’accueil leur souhaitait la bienvenue. Après
> une bonne soupe à la matraque et à la tatane, certains restèrent
> allongés une semaine ou deux. En passant le long de la grille du
> rez-de-chaussée, je me remémore quelques anciens congénères les soirs
> de refus de remonter en cellule. Après une litanie de menaces et de
> sommations, le directeur se voyait dans l’obligation de négocier nos
> revendications. Invariablement, il introduisait son propos en jurant
> ses grands dieux qu’il n’y aurait pas de sanction contre ceux qui
> acceptaient de discuter avec lui. Bien évidemment, cela n’empêchait pas
> que, les jours suivants, trois ou quatre représentants partent ficelés
> comme des saucissons.
> Dans notre monde, nul syndicat, nulle convention collective ni conseil
> des prud’hommes, le rapport de force se paye cash.
>
> Brinquebalés dans le camion de transfert sur la nationale 20, nous nous
> consolions en pensant que le mouvement avait été utile à d’autres. Pour
> le reste, nous étions sans illusion sur le sort qui nous était promis.
>
> En novembre 2000, Michel, Dédé et moi sommes partis pour une raison
> valable, pour l’accès libre aux cabines téléphoniques et quelques
> autres bricoles... si importantes à notre socialité. L’autre jour, un
> détenu lisait la vieille note du règlement téléphonique encore affiché
> sur le verre anti-balle du pic. « Tu te rends compte, les mecs
> n’avaient droit qu’à un seul appel par semaine ! » Eh oui je me rends
> compte. À tour de rôle, nous refilions au maton le numéro inscrit sur
> un bout de papier avec la petite plaque métallique correspondant à la
> semaine. Maintenant, quand nous circulons dans le couloir et qu’une des
> trois cabines est libre, nous avons toujours quelqu’un à appeler.
> À Lannemezan, pour ceux qui l’ignoraient, le système nous a appris que
> sans lutte ni risque, nous n’obtenions rien.
>
> Quatre ans après mon baluchonnement manu militari, comme Michel, je
> suis revenu dans le sinistre établissement et... j’ai enfin bénéficié
> des améliorations obtenues après trois soirs de blocage que nous avions
> lourdement casqués. Comme quoi, il y a quand même une pincée de morale
> en prison !
>
> Pour son vingtième anniversaire, nous souhaitons à ce bel édifice
> sécuritaire et à tous ceux l’ayant dirigé au fil du temps, ce qui
> revient à leur mérite de donneurs de coups de trique. « Joyeux
> anniversaire... nos voeux les plus sincères, Joyeux anniversaire, sale
> taule pourrie, joyeux anniversaire ! »
>
> - Jann-Marc Rouillan.
>
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