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CQFD 48 Rentrée sociale au pays du dedans

Mise en ligne : 22 février 2008

Texte de l'article :

CQFD N°048

De notre envoyé du pénitentier

RENTRÉE SOCIALE AU PAYS DU DEDANS

Mis à jour le :15 septembre 2007. Auteur : Jann-Marc Rouillan.
http://cequilfautdetruire.org/spip.php?article1508

À l’intérieur encore moins que dehors, le système ne fait pas de cadeau. La moindre parcelle de liberté y a été obtenue par la pression exercée collectivement sur ceux qui tiennent les rênes. Résister est un risque à courir. L’oublier, c’est s’exposer à tout perdre à nouveau. Ci-joint un salutaire exercice de mémoire.

DERRIÈRE LES HAUTS MURS, nous utilisons des termes hérités de nos vies passées et du matraquage social imprégnant notre quotidien par l’entremise des écrans de télévision. Par exemple : « C’est la rentrée !  » Pas besoin d’être une lumière pour comprendre qu’au pays du dedans l’importance de cette période est tout à fait relative. Pas plus en juillet que début août, aucun d’entre nous n’a pris la poudre d’escampette en direction des campings de la côte. Nous n’avons pas bourlingué pare-chocs contre pare-chocs sur le bitume des autoroutes. Et notre couenne n’a pas grillé au barbecue solaire comme des hamburgers. Entre quatre murs, la non-vie cellulaire a poursuivi son abrasement des esprits et le goutte-à-goutte vénéneux s’est distillé au coeur de nos viandes ligotées. La semaine dernière, les gars sont redescendus aux ateliers en grognant parce que ce n’est pas encore cette année qu’ils toucheront des congés payés. Les autres reprendront bientôt leurs occupations écolières au centre scolaire. Quant aux incorrigibles inoccupés, nous nous réhabituerons au dépeuplement des coursives et des cours de promenade. En ce lieu, il n’y a ni relâche, ni rentrée. Les seules vacances que nous connaissons demeurent les heures arrachées au sinistre temps qui passe, les rares instants de lutte à la tombée de la nuit coude à coude sous les préaux en attendant le débarquement des gardes mobiles. Quant à la rentrée de ces congés éphémères, elle se fait cinq par cinq entre deux haies de matons et de gendarmes, guettée par l’oeil borgne des fusils d’assaut. La gent militarisée nous dénude dans l’escalier et nous expédie sans ménagement vers nos pénates. À l’écoute derrière la porte, nous passons le reste de la soirée à attendre le tirage de la loterie et son gros lot : « Un voyage gratis à Fresnes et un séjour en QI quatre étoiles  » ! Voici quelques années, un matin de novembre « Bingo !  », j’ai tiré le bon numéro : six mois d’isolement disciplinaire et retour dans un établissement de sécurité sans passer par la case Lannemezan. Comme la Pénitentiaire est sans vergogne, le 15 septembre prochain dans la salle des fêtes de la ville, l’aréopage juridico-fouettard célébrera le vingtième anniversaire de ce bel établissement voué à la punition. Petits-fours et exposition de matériel de sécurité (matraques électriques pour assaisonner le récalcitrant, fusils à lunette pour ne laisser aucune chance au fuyard désarmé et autres petites cochonneries...).

Lorsque la centrale a ouvert voici vingt ans, elle fonctionnait tel un QSR (quartier de sécurité renforcée) avec des « unités de vie » de vingt détenus strictement séparées les unes des autres. Un véritable régime disciplinaire qui s’affichait et qui se revendique encore aujourd’hui lorsqu’un membre de la direction évoque « l’Alcatraz du pénitentiaire français  ». Rien de comparable avec les autres centrales, ici aucun confort, tout était interdit. Et il fallut se battre pour tout. Même pour le vrai café ! Pour les fours ! Pour les couettes ! Tout ce qui ailleurs faisait le normal et le banal du quotidien a dû être ici arraché de haute lutte. Aucune amélioration depuis l’ouverture n’a été concédée en dehors de mouvements collectifs. Rien ! Et j’en témoigne, moi qui fréquente l’endroit depuis 1994. Lors d’un de ces blocages, Funky, un bon bougre débarqué de Guyana, attendait son heure en grommelant des menaces. Quand, peu rassuré, le directeur entra dans la cour, le Black bondit des rangs et trancha d’un coup de lame la cravate du directeur au ras du kiki ! Quand j’y repense, je sais mettre un nom sur le visage d’un ou deux congénères qui casquèrent l’assouplissement du régime de détention, le premier de deux ans de rab et de six mois de QI et le second du refus d’une conditionnelle et la perte des grâces d’une année. Parfois nous avons compté sur l’aide de personnes refusant de se soumettre à l’omerta administrative. Si les cellules du mitard sont chauffées, ce n’est pas grâce à l’illumination humaniste d’un directeur mais après l’intervention énergique du médecin-chef (au charmant petit nom de Cécile !). Elle réagissait à plusieurs cas de pneumonie chez les punis. Le mitard, parlons-en... Je me souviens particulièrement d’un dimanche de juillet quand ils ont tabassé un Breton que seule l’unité de réanimation du SAMU sauva. Quelquefois, je croise encore sur la coursive le bricard responsable de cette tentative d’assassinat.

Cependant, et pour plus de discrétion, la matonnerie avait pour habitude d’expédier les incorrigibles au QI de la maison d’arrêt de Tarbes où, là, un comité d’accueil leur souhaitait la bienvenue. Après une bonne soupe à la matraque et à la tatane, certains restèrent allongés une semaine ou deux. En passant le long de la grille du rez-de-chaussée, je me remémore quelques anciens congénères les soirs de refus de remonter en cellule. Après une litanie de menaces et de sommations, le directeur se voyait dans l’obligation de négocier nos revendications. Invariablement, il introduisait son propos en jurant ses grands dieux qu’il n’y aurait pas de sanction contre ceux qui acceptaient de discuter avec lui. Bien évidemment, cela n’empêchait pas que, les jours suivants, trois ou quatre représentants partent ficelés comme des saucissons. Dans notre monde, nul syndicat, nulle convention collective ni conseil des prud’hommes, le rapport de force se paye cash.

Brinquebalés dans le camion de transfert sur la nationale 20, nous nous consolions en pensant que le mouvement avait été utile à d’autres. Pour le reste, nous étions sans illusion sur le sort qui nous était promis. En novembre 2000, Michel, Dédé et moi sommes partis pour une raison valable, pour l’accès libre aux cabines téléphoniques et quelques autres bricoles... si importantes à notre socialité. L’autre jour, un détenu lisait la vieille note du règlement téléphonique encore affiché sur le verre anti-balle du pic. « Tu te rends compte, les mecs n’avaient droit qu’à un seul appel par semaine !  » Eh oui je me rends compte. À tour de rôle, nous refilions au maton le numéro inscrit sur un bout de papier avec la petite plaque métallique correspondant à la semaine. Maintenant, quand nous circulons dans le couloir et qu’une des trois cabines est libre, nous avons toujours quelqu’un à appeler. À Lannemezan, pour ceux qui l’ignoraient, le système nous a appris que sans lutte ni risque, nous n’obtenions rien. Quatre ans après mon baluchonnement manu militari, comme Michel, je suis revenu dans le sinistre établissement et... j’ai enfin bénéficié des améliorations obtenues après trois soirs de blocage que nous avions lourdement casqués. Comme quoi, il y a quand même une pincée de morale en prison ! Pour son vingtième anniversaire, nous souhaitons à ce bel édifice sécuritaire et à tous ceux l’ayant dirigé au fil du temps, ce qui revient à leur mérite de donneurs de coups de trique. « Joyeux anniversaire... nos voeux les plus sincères, Joyeux anniversaire, sale taule pourrie, joyeux anniversaire !  »

Article publié dans CQFD n° 48, septembre 2007