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Cool Papa, ! J’t’apporterai des oranges ….!

par Jean-Pierre Rosenczveig, Président du Tribunal pour enfants de Bobigny

Mise en ligne : 4 août 2010

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Texte de l'article :

La dernière des annonces en date est donc de menacer les parents d’enfants délinquants d’aller en prison s’ils ne parviennent pas à juguler le comportement de leur rejeton. Ne soyons pas dupes un seul instant : on est déjà dans la présidentielle de 2012 et la reconquête des voix extrémistes est engagée après la défaite des régionales et les difficultés de tous ordres rencontrées par le gouvernement.

En tout cas, objectivement rien ne justifie de nouvelles dispositions durcissant les règles du jeu pénal concernant les mineurs. La délinquance des plus jeunes continue de diminuer en proportion – décroissance engagée en 2000 faut-il le préciser ? A preuve de cette non-urgence la grande rénovation de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante annoncée en grands flonflons en décembre 2008 a été remisée dans un placard.

Il est faux d’avancer comme le fait M. Ciotti dans le JDJ du 1er août que 164 00 mineurs

ont été condamnés en 2008 : le député confond le nombre d’affaires poursuivables avec le nombre de mineurs condamnés qui ne s’élèvent qu’à 70 00 (voir Les chiffres de la justice 2009, Ministère de la justice). On est donc bien dans le pur effet d’annonce politique avancé avec d’autres dans un grand effet de manche comme l’idée de retirer la nationalité française à certains délinquants.

Certes Robert Badinter a bien raison de dire qu’il ne faut pas faire de publicité à ces annonces et qu’il convient d’attendre les textes réellement proposés pour se prononcer. Pour autant on peut réfléchir à voix haute et apporter du matériau à cette réflexion. Première remarque qui prolonge la réflexion initiale : ceux qui nous gouvernement paraissent être à un tel point d’ignorance du sujet que l’on peut se demander s’ils ne sont pas de mauvaise foi. Comment ignorer que depuis 1984 - entrée en vigueur du nouveau code pénal dit code Badinter- existe une disposition qui condamne sévèrement les manquements aux obligations parentales.Rappelons-les leur .

Article 227-17 CP
Modifié par l’ordonnance n°2005-759 du 4 juillet 2005 - JORF 7 juillet 2005 en vigueur le 1er juillet 2006

Le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. L’infraction prévue par le présent article est assimilée à un abandon de famille pour l’application du 3° de l’article 373 du code civil.

Tous les parents sont visés quelle que soit la nature de la filiation.

Tous les enfants sont protégés ; pas seulement les enfants de moins de 15 ans. Ce texte a déjà été durci par la loi du 9 septembre 2002.

Non seulement il permet de répondre au souci posé par M. Ciotti de mobiliser des parents sous la menace de sanctions pénales, mais il est appliqué. Chaque année entre 150 à 200 parents sont condamnés à des peines souvent symboliques, mais qui dans 10% des cas sont des incarcérations fermes. En vérité il est proposé d’ajouter un paragraphe supplémentaire illustrant les précédents en visant le fait que des parents ne parviennent pas à faire en sorte que leur enfant ne respecte pas les obligations imposées qui lui auraient été par justice.

En d’autres termes c’est une nouvelle fois un trompe-l’œil qui nous est proposé. On donne l’impression d’innover fortement quand on a le souci de coller à ce qui existe déjà. On est donc bien dans l’idéologique et le politique plus que dans le technique 2° remarque : Pour autant le projet de texte avancé dans le JDD frise la responsabilité pénale du fait d’autrui qui pour le coup serait révolutionnaire en droit français et lui vaudrait la censure du Conseil constitutionnel.

En effet on déduit du comportement d’un enfant qui continue à délinquer que ses parents ont commis une faute pénalement punissable que de n’avoir pas réussi à l’en empêcher. Dans l’intérêt de la victime, sachant qu’au final les Lloyds de Londres assumeront la dépense, on peut être tenu de réparer le dégât que l’on n’a pas nécessairement contribué directement à commettre : on parle d’une responsabilité civile du fait de la chose dont on a la maîtrise ou de la personne (préposé ou enfant) que l’on a sous son autorité. Ainsi l’enfant est un risque contre lequel il convient de s’assurer si l’assurance automobile est obligatoire pour tout véhicule se trouvant sur l’espace public, des parents ne sont pas obligés de s’assurer pour leur enfant ! Une lacune pour le coup qu’il faudrait combler Messieurs les parlementaires !

Sur le plan pénal notre droit est plus exigeant : il faut obligatoirement avoir commis une faute personnelle ! Si l’article 227-27 actuel vise des fautes commises par les parents, sans aller jusqu’à incriminer le fait de n’avoir pas su empêcher la commission d’un autre délit, le nouvel article laisse à entendre qu’ils seraient désormais responsables pénalement du fait du fait du non-respect par l’enfant des obligations qui lui étaient imposées. En violant les termes du contrat judiciaire signé entre ses parents et le juge, l’enfant rendrait ses parents incarcérables ! Actuellement en ne respectant pas le contrôle judiciaire qui peut lui être imposé l’enfant prend le risque d’être incarcéré. Il entrainera désormais ses parents dans

Mesure-t-on le pouvoir que l’on donne ainsi à des enfants – par définition pas nécessairement très équilibrés - dans des situations familiales par définition sensiblement délicates ? Meilleure hypothèse : « T’inquiète pas Papa je t’apporterai des oranges en prison ! »

Hypothèse plus préoccupante sur fond de profond conflit familial « Je vous avais dit que je vous le ferai payer en vous envoyant en taule ! Nous y sommes. » En l’ignorant les réalités humaines, sociales et judiciaires on joue avec le feu !

Et pourquoi s’en tenir aux parents ? Ils ne sont pas les seuls à avoir des responsabilités sur l’enfant « délinquant ». Déjà eux-mêmes n’en sont-ils pas là du fait de leurs propres parents ? Pourquoi laisser les aieux en paix ? Surtout pourquoi ne pas rendre pénalement responsables l’éducateur qui ne sait pas surveiller un jeune qui lui est confié ? Le juge des enfants qui n’a pas su se faire respecter dans son autorité ? Et déjà le procureur de la République de plus en plus intervenant – il traite directement 60% de la délinquance des jeunes sans qu’un juge du siège n’ait à en connaitre - qui n’a pas su prendre ou faire prendre les bonnes mesures pour empêcher de nouveaux passages à l’acte ?

Ces dérives du raisonnement prouvent combien on est sur une mauvaise pente et sur une erreur d’analyse : si les parents ont une part de responsabilité, variable selon les cas, les punir pénalement peut etre injuste ; les menacer de punition peut etre totalement inefficient. 3° remarque : Bien évidemment il ne saurait être question de nier la responsabilité parentale dans le comportement asocial persistant d’un enfant en sachant que par définition un enfant réellement inscrit dans la délinquance ne commet pas un délit mais 10 : il est par nature réitérant. Il faudra du temps pour transformer ses conditions de vie.

Reste qu’il y a toute une gamme de situations très différentes entre les parents qui démissionnent totalement de leur autorité en ne sachant pas imposer leur loi et ceux qui vont jusqu’à inciter leurs enfants à commettre des délits en passant par les cas les plus fréquents de parents eux-mêmes en grande difficulté dépassés par le comportement d’un enfant qui leur a échappé par certains côtés sous l’influence de la rue et des copains, crise d’adolescence ou pas de surcroit. Il est tout aussi évident qu’il faut rappeler les règles du jeu social aux parents et aux enfants. Non seulement dans leur contenu, mais aussi dans leur sens. Oui les parents sont en droit, voire en devoir, d’interdire à leurs enfants de sortir à certaines heures ou de fréquenter certains endroits ou certaines personnes.

La proposition d’Eric Ciotti rappelle la démarche des arrêtés dits couvre-feux. On rappelle les règles sociales par des interdits et la menace de sanction plus que par une campagne de sensibilisation positive. On connait les limites de cette démarche. Pour les professionnels Il est acquis qu’il faut mobiliser les compétences parentales dans la mesure où les parents sont une référence majeure et enfants sont destinés qu’on le veuille ou pas à demeurer dans le giron familial.

Beaucoup est déjà fait pour mobiliser les parents dans le projet judiciaire et éducatif pour l’enfant . Déjà la loi leur fait une place à tous les niveaux de la procédure, leur responsabilité civile peut être engagée comme on l’a dit plus haut, une participation financière peut leur etre demandée s’il y a un accueil physique et contrairement à ce qui est avancé les parents sont le plus souvent présents dans l’enceinte judiciaire et auprès des travailleurs sociaux. Ce n’est pas toujours drôle pour le jeune délinquant qui retrouve de ses parents dans le bureau du juge en sortant d’une garde à vue. Certaines mains volent haut dans la salle d’attente. Fréquemment désarçonnés, ces parents sont très demandeurs à l’égard du juge et des éducateurs ; ils sont dans l’attente d’une aide qui leur sera fréquemment promise mais qui n’interviendra pas avant longtemps faute de moyens matériel et humains ! Mais la vérité veut de reconnaitre que certains jeunes finissent par décourager leurs parents, mais aussi les travailleurs sociaux. Ils se satisfont fréquemment d’être laissés à eux-mêmes dans leur rapport avec la justice. Ils peuvent dissuader leurs parents de venir à l’audience du tribunal alors même que les enjeux financiers sont majeurs.

On peut entendre le souci du parlementaire de veiller à systématiser un plan de mobilisation parentale. Mais il ne suffit pas de dire « il faut », il est encore nécessaire de dégager les moyens pour ce faire. Il n’est pas indifférent de rappeler ici que quelques 4000 mesures éducatives visant justement à mobiliser parents et enfants sont régulièrement en attente d’attribution au sein des services de la PJJ (de l’Etat donc) et qu’il faut régulièrement 2, 3 mois, voire plus pour que ces mesures soient distribuée et activées. Incarcéra-t-on aussi le directeur de la PJJ pour non respect de la décision de justice ? M. Ciotti part du présupposé que les parents ont toutes les clés en mains et qu’un échec sous-entendra qu’ils ont une responsabilité majeure.

Vision simpliste des choses une fois de plus ! Méfions nous des généralisations quand, à l’expérience, on sait que c’est bien du sur mesure qu’il faudra pratiquer. A chaque situation ses caractéristiques.

Quatrième remarque et pas des moindres : Quand on vise les parents de qui parle-t-on ? Très souvent les pères sont absents, partis de longue date quand ils ont une existence légale ce qui n’est pas toujours le cas. Au point où personne ne s’étonne plus qu’une femme soit seule en charge de son enfant. Les pouvoirs publics envisagent-ils de rechercher ses pères et de les forcer à exercer leurs responsabilités ? Ce sont souvent des beaux -parents qui font office avec les grands parents qui fréquemment n’en peuvent mais. Où en est monsieur le député le statut des beaux parents dont on nous a rebattu les oreilles quand 2 millions d’enfants sont élevés par un non géniteur qui ne dispose pas de l’autorité légale liée à ce que l’on attend de lui ?

Cinquième remarque : dans cette société sans risque tolérable qui s’ouvre devant nous on multiplie - au moins sur le papier - les obbligations de resultat. Aujourd’hui le parent d’un enfant delinquant doit réussir à faire en sorte qu’il ne le soit plus. Demain tout parent devra veiller à ce que son enfant ne soit jamais delinquant ! Puis il faudra veiller à faire en sorte que son enfant soit brillant à l’école, etc. De l’’bligation de moyens à l’obligation de resulat c’est une autre société qui se dessine. Sans faille tolérée

Comme d’ordinaire avec ce type de proposition on part de prémisses qui ne sont pas totalement fausses, mais on dévie très rapidement et on se retrouve totalement en porte-à faux. Pour peu qu’on exerce un peu de sens critique fondé sur l’expérience on devient le complice des « fautifs ». L’inconvénient majeur est bien d’empêcher d’avoir sereinement les vrais débats qui s’imposent pour réduire autant que faire se peut les situations d’enfants en conflit avec la loi. En avançant de vraies fausses réponses on sème le trouble. On dénigre ce qui se fait déjà ; en tout cas on le dénature ; on camoufle les vraies difficultés ; on réduit des problèmes compliqués avec des responsabilités multiples à mobiliser à des réponses simplistes et manichéennes. Bref, on fait dans la démagogie. Mais en fait on ne gagne pas grand-chose à paraître ainsi.

Le plus simple ne serait-il pas de faire en sorte qu’un maximum d’enfants ait réellement la possibilité d’être élevé par ses deux parents même si ceux-ci sont séparés ? D’avoir le souci de venir en soutien aux familles en difficulté éducative le plus tôt possible ? De rappeler publiquement les règles du jeu social spécialement les termes de l’autorité parentale, des droits et devoirs des parents à l’égard de leurs enfants ? Bref de développer une réelle démarche de prévention. Au lieu de cela on agite des menaces à un moment om il est déjà établi que des parents sont dépassés après les événements. On n’est pas loin dans cette attitude de se défausser des responsabilités publiques sur ces parents. On a tout faux.