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Peine de mort dans le monde et mouvements en faveur de son abolition

« Contre la peine de mort, le combat continue »

Mise en ligne : 26 mars 2008

Texte de l'article :

 
Journée conférence/débat
« Contre la peine de mort, le combat continue »

Mardi 20 février 2007
à l’Université de Picardie d’Amiens

 organisée par :

Amnesty International
Antenne jeune d’Amiens
Contact : 06 88 15 68 81

et le GENEPI
 

La peine de mort dans une société du « faire vivre »
(communication orale)

Introduction :

La peine de mort est, nous le savons, un sujet très controversé. Si dans les civilisations anciennes il est courant de penser que tout meurtrier mérite la mort, il est également courant de défendre l’idée de respecter le droit à la vie. De même, la notion du pardon s’inscrit dans une tradition très ancienne. C’est l’idée contenue par exemple dans le « Tu ne tueras point » du Décalogue. Les réticences à l’égard de la peine de mort ne sont donc pas, contrairement à ce que l’on pourrait croire, récentes. Le combat pour l’abolition n’est pas un combat spécifique à notre modernité même s’il s’est largement, il est vrai, développé en Europe depuis trois siècles.

Cette pratique n’est pas un invariant historique. La peine de mort n’a pas existé en tout lieu et en tout temps, ni de la même manière. La législation et la pratique judiciaire varient d’une période à une autre et la peine capitale est appliquée pour des raisons différentes et selon des fréquences inégales.
La peine de mort est un châtiment, le châtiment capital, dont la pratique est déterminée par de multiples conjonctures : religieuses, politiques, juridiques, sociales, économiques et bien évidemment techniques : le gibet n’est pas la guillotine et la guillotine n’est pas l’injection létale.

Les partisans de la peine de mort évoquent différents arguments en faveur de son maintien ou de son rétablissement. Parmi ces arguments, nous pouvons en citer trois : celui de la juste rétribution, celui de la dissuasion et celui de l’incapacité.

Pour ma part, je voudrais dans cet exposé réfléchir sur les arguments en faveur de son abolition. Notre propos se situera principalement dans une perspective française mais il est certain également que les diverses interrogations qui se poseront à nous vont nous mener sur des problématiques d’ordre plus général et il est à peu près certain enfin que dans notre parcours nous rencontrerons les États-Unis.

Dans un premier moment donc, nous aborderons l’argument de « l’intolérable ». Depuis la fin du XVIIIème siècle essentiellement, la peine de mort en France suscite de vives réactions et de nombreuses controverses. Les partisans de son abolition s’opposent à ce châtiment par souci d’humanité. En effet, au nom de quels principes une Justice s’attribue-t-elle le droit de tuer un homme ?

Dans un deuxième temps, au delà du sentiment d’intolérable que la peine de mort peut provoquer, nous montrerons son incohérence dans un système juridico-pénal qui pose comme principe premier « l’amendement du condamné ». Comment comprendre, en d’autres termes, que la peine de mort puisse fonctionner dans une société du « faire vivre ».

 

1° L’argument de « l’intolérable » :

La question qui se pose ici est de savoir au nom de quoi une justice peut-elle s’attribuer le droit de tuer ? Au nom de quels principes ? Est-il possible qu’il existe un système juridique suffisamment parfait pour disposer du droit de vie et de mort des justiciables ?

Plusieurs points concourent à ce sentiment d’intolérable.

Tout d’abord, la peine de mort est en rupture totale avec les valeurs éthiques et morales de l’humanisme.
Nous pouvons, pour illustrer ce point de vue humaniste, reprendre le combat de Victor Hugo.
Hugo, lors d’un discours à l’Assemblée Constituante en septembre 1848, va déclarer clairement : « Qu’est-ce que la peine de mort ? La peine de mort est le signe spécial et éternel de la barbarie. Partout où la peine de mort est prodiguée, la barbarie domine ; partout où la peine de mort est rare la civilisation règne. [...] Le XVIIIème siècle, c’est là une partie de sa gloire, a aboli la torture ; le XIXème siècle abolira la peine de mort ». Et pour conclure, il proclame : « Je vote l’abolition pure, simple et définitive de la peine de mort ».
On comprend ici que pour Hugo la peine de mort est un châtiment d’un autre âge, intolérable au XIXème siècle, en France, dans ce pays qui a connu la Révolution, dans ce pays des droits de l’homme et du citoyen. Mais plus encore, la peine capitale est barbare en elle-même, intrinsèquement. La peine de mort est contraire au progrès humain, elle s’oppose aux valeurs fondamentales de l’humanité. L’argument défendu ici est une justification d’ordre moral. L’argument est simple : la peine de mort est un châtiment inhumain et indigne de la société. L’homme est posé comme une valeur sacrée.

Mais, pour Hugo, la peine de mort n’est pas seulement un scandale moral, c’est aussi un scandale social car dans une très grande majorité, la peine de mort touche les plus pauvres. Dans la préface au dernier jour d’un condamné à mort qu’il écrit en 1832, Hugo parle de ces « pauvres diables, que la faim pousse au vol, et le vol au reste ; enfants déshérités d’une société marâtre, que la maison de force prend à 12 ans, le bagne à 18, l’échafaud à 40 ; infortunés qu’avec une école et un atelier vous auriez pu rendre bons, moraux, utiles, et dont vous ne savez que faire [...] ». Hugo dans ce passage s’attaque à la société qui discrimine une partie de la population. Il définit les condamnés à mort comme une production sociale.

La peine de mort est donc posée comme un scandale éthique et un scandale social. Nous l’avons illustrer ici au travers de deux citations de Victor Hugo mais nous aurions pu citer bien d’autres études et de fort récentes. Nous pouvons par exemple reprendre un chiffre fourni par Amnesty International : 42% des condamnés à mort aux États-Unis sont noirs tandis que la population noire, à l’échelle du pays, représente 11%.

Ensuite, il est un autre point insupportable dans la pratique de la peine de mort : ce sont les erreurs judiciaires.
En effet, il est impossible d’exclure de tout jugement la possibilité de l’erreur. De la mise en accusation à la sentence rendue, de nombreuses erreurs peuvent se glisser. De plus, si la justice aujourd’hui se donne pour principe d’individualiser la peine, il paraît difficile de codifier en règles la vie et le passé du condamné. Enfin, nous ne pouvons évacuer dans le jugement, la subjectivité de celui qui le rend. Le doute sur la non-culpabilité de l’accusé persiste donc. Nous pouvons rappeler à ce propos le nombre élevé des détenus aux États-Unis qui sont reconnus innocents étant déjà dans le « couloir de la mort ». Nous pouvons également évoquer le cas d’un des derniers exécutés en France : Christian Ranucci. Si le procès n’a pu démontrer l’innocence de ce jeune homme de 20 ans, beaucoup de doutes et d’incertitudes ont rendu scandaleux le verdict. Christian Ranucci fut guillotiné en juillet 1976.

Enfin, il est inacceptable aux abolitionnistes, au regard des études consacrées à la question, de constater que la peine de mort n’a pas d’effet sur la criminalité. En France par exemple, s’il est vrai que les homicides ont augmenté durant les 3 années qui ont suivi l’abolition, ils ont baissé les trois années suivantes. Il semble donc que la criminalité (le taux d’homicide) et la peine de mort soient deux phénomènes indépendants. La peine de mort serait donc inefficace dans sa prétention à résorber le crime. Inutile dans la lutte contre la criminalité, elle n’en n’est que plus intolérable.

Nous pouvons bien évidemment évoquer encore de multiples autres scandales directement liés à la pratique de la peine capitale... Songeons par exemple aux États-Unis et aux problèmes qui précèdent le jugement même : à savoir les difficultés rencontrées pour la défense, les pressions exercées sur les juges, l’exclusion du jury des partisans de l’abolition sous prétexte d’impartialité. Songeons enfin à l’inacceptable, une fois le jugement rendu : à savoir les conditions extrêmement dures pour les condamnés dans ce que l’on nomme « les couloirs de la mort », les « death row »... Il me semble d’ailleurs avoir lu que la durée moyenne d’attente était de 10 à 11 ans.

Pour conclure ce premier point, j’aimerais laisser la parole à Albert Camus et vous lire le début de ses Réflexions sur la guillotine datant de 1957 :

« Peu avant la guerre de 1914, un assassin dont le crime était particulièrement révoltant (il avait massacré une famille de fermiers avec leurs enfants) fut condamné à mort en Alger. Il s’agissait d’un ouvrier agricole qui avait tué dans une sorte de délire du sang, mais avait aggravé son cas en volant ses victimes. L’affaire eut un grand retentissement. On estima généralement que la décapitation était une peine trop douce pour pareil monstre. Telle fut, m’a-t-on dit, l’opinion de mon père que le meurtre des enfants, en particulier, avait indigné. L’une des rares choses que je sache de lui, en tout cas, est qu’il voulut assister à l’exécution, pour la première fois de sa vie. Il se leva dans la nuit pour se rendre sur les lieux du supplice, à l’autre bout de la ville, au milieu d’un grand concours de peuple. Ce qu’il vit, ce matin-là, il n’en dit rien à personne. Ma mère raconte seulement qu’il rentra en coup de vent, le visage bouleversé, refusa de parler, s’étendit un moment sur le lit et se mit tout d’un coup à vomir. Il venait de découvrir la réalité qui se cachait sous les grandes formules dont on la masquait. Au lieu de penser aux enfants massacrés, il ne pouvait plus penser qu’à ce corps pantelant qu’on venait de jeter sur une planche pour lui couper le cou.
Il faut croire que cet acte rituel est bien horrible pour arriver à vaincre l’indignation d’un homme simple et droit et pour qu’un châtiment qu’il estimait cent fois mérité n’ait eu finalement d’autre effet que de lui retourner le coeur. Quand la suprême justice donne seulement à vomir à l’honnête homme qu’elle est censée protéger, il paraît difficile de soutenir qu’elle est destinée, comme ce devrait être sa fonction, à apporter plus de paix et d’ordre dans la cité. Il éclate au contraire qu’elle n’est pas moins révoltante que le crime, et que ce nouveau meurtre, loin de réparer l’offense faite au corps social, ajoute une nouvelle souillure à la première. Etc. »

Nous avons ici je pense un exemple, narré qui plus est avec talent, de l’intolérable viscéral face à la peine de mort.

Il est donc certain que l’argument de l’intolérable est un argument pertinent en faveur de l’abolition de la peine de mort... mais il reste à mon sens un argument qui convainc difficilement les partisans de la peine capitale... restant sans doute trop une affaire de convictions...
Au-delà donc du sentiment insoutenable que la peine de mort peut susciter, je voudrais maintenant essayer de montrer l’incohérence de cette peine dans un système de justice comme le nôtre.

 

2) L’argument de l’incohérence :

La peine capitale n’a pas toujours eu la même fonction au cours de l’histoire ou selon les sociétés. Sa pratique est historique et donc, fragile et instable.

2-1) La logique des supplices :

Michel Foucault s’interroge dans la première partie de Surveiller et punir sur les supplices de l’Ancien Régime afin de comprendre la mutation qui va s’effectuer dans l’exercice du pouvoir de châtier.
Si Foucault nomme ce premier chapitre « l’éclat des supplices », c’est qu’il est important d’insister sur l’aspect manifeste du châtiment de la place publique. L’atrocité, la souffrance et la douleur, le spectacle et l’effroi que véhicule la cérémonie du supplice concourent à la réactivation d’un pouvoir qui a besoin de se montrer après avoir été bafoué. Le duel qui oppose le souverain à l’accusé ne permet aucune compromission ; seul le pouvoir du monarque doit triompher. Mais si aucune réciprocité n’est possible et si le prélèvement l’emporte toujours sur la dépense, ce n’est pas le fait d’une violence gratuite ou d’une « rage sans loi ».
Toute une « arithmétique pénale », nous dit Foucault, est établie dans la procédure pour aboutir à une sentence nullement laissée au hasard ou au bon plaisir du bourreau. Toute une économie du pouvoir est investie dans la procédure pénale. Les preuves, la torture et l’aveu participent à cette construction inquisitoriale, secrète et écrite, du jugement. Le supplice, public, se fait « révélateur de vérité et opérateur de pouvoir ». À travers l’atrocité du supplice, c’est l’atrocité du crime et l’offense faite au souverain qui sont mises en lumière, exposées sur la place publique. L’atrocité, qui servira d’argument pour dénoncer l’intolérable du supplice justement, est en réalité une des conditions même d’exercice de ce pouvoir de punir.

Mais lorsque le peuple se sent de plus en plus proche des suppliciés, lorsque les agitations populaires se multiplient autour de l’échafaud, lorsqu’une solidarité naît entre les petits délinquants... Bref, lorsqu’un seuil d’intolérance est atteint, le pouvoir souverain se trouve en danger. Le pouvoir de punir doit alors adopter une autre forme d’exercice : il est déplacé de la vengeance du souverain à la défense de la société.
La nouvelle pratique de la guillotine va permettre également de rendre une autre forme de châtiment capital, plus humaine et moins violente où le médecin va remplacer le bourreau.

2-2) La guillotine :

La guillotine va permettre, d’une certaine manière, de médicaliser et donc de cautionner la peine capitale. S’instaure une nouvelle « morale » propre à l’acte de punir : « Tout condamné à mort aura la tête tranchée » (article 3 du Code pénal de 1791).
Guillotin réclamait déjà en 1789 que « Les délits du même genre [soient] punis par le même genre de peine, quels que soient le rang et l’état du coupable ». La guillotine assure effectivement une même mort pour tous.
La guillotine annule le spectacle des supplices et son atrocité. Le bourreau est remplacé par un « technicien de la justice » et permet en ce sens de légitimer l’acte de tuer sans que personne n’en soit réellement responsable. C’est la « machine judiciaire » qui assure sa fonction, avec le plus d’humanité possible.
La guillotine assure enfin à tout condamné une mort rapide, qui ne dure qu’un instant, sans douleur .

Comme le dit Foucault dans Surveiller et punir : « Presque sans toucher au corps, la guillotine supprime la vie, comme la prison ôte la liberté, ou une amende prélève des biens. Elle est censée appliquer la loi moins à un corps réel susceptible de douleur, qu’à un sujet juridique, détenteur, parmi d’autres droits, de celui d’exister ». « La mort y est réduite à un événement visible, mais instantané ».

Par la volonté de supprimer la douleur, la justice se défend d’être une vengeance. La peine capitale se présente comme un mal nécessaire au bon fonctionnement de la société : il faut défendre la société contre l’ennemi social qui a rompu le contrat. Sous couvert de la médecine, la justice peut rendre le crime légal acceptable. Sous couvert d’humanité, la justice se donne le droit légitime de tuer.

2-3) Comment comprendre la peine de mort dans une société du « faire vivre » ?

La société s’expose donc à une incohérence en légalisant le crime alors même qu’elle l’interdit. Beccaria parlait déjà à propos de la peine de mort d’un « assassinat légal ». Hugo, après lui, dénonçait cette scandaleuse légalisation du meurtre par la société au nom de la justice. Citons-le une dernière fois : « Rien qu’une chose horrible et inutile, rien qu’une voie de fait sanglante qui s’appelle crime quand c’est l’individu qui l’accomplit, et qui s’appelle justice quand c’est la société qui la commet. Sachez ceci, qui que vous soyez, législateurs ou juges, aux yeux de Dieu, aux yeux de la conscience, ce qui est crime pour l’individu est crime pour la société ».
Nous voyons poindre ici, complétant les scandales moral et social, l’incohérence même de la peine de mort dans une société qui n’applique pas à soi-même les principes qu’elle défend. De même, lorsque la société affiche la peine de mort comme devant servir d’exemple : Que peut-elle enseigner comme exemple ? Qu’il ne faut pas tuer. Et comment le fait-elle ? En tuant.
Incohérence donc que la société résout en affirmant qu’il s’agit bien là d’un mal nécessaire pour assurer la protection de la société.

Pourtant, à y regarder de plus près, la société a d’autres moyens d’assurer sa conservation et la sécurité de ses citoyens. La peine de prison est inscrite dans le Code pénal de 1791 comme une peine privative de liberté. Or, enfermer un criminel, le priver de sa liberté, ne permet-il pas de protéger la société ? Si le criminel a commis un crime des plus atroces et que la société veut l’éliminer de l’espace public, l’institution judiciaire peut le condamner à la réclusion à perpétuité. Pourquoi donc l’éliminer en le tuant ?

Nous retrouvons ici un des arguments les plus défendus pas les abolitionnistes américains. Plutôt que d’affirmer simplement la peine de mort comme inhumaine, ils essayent de montrer à travers l’article 8 de leur Constitution, l’incohérence ou l’excès juridique de la peine capitale. L’article 8 de la Constitution américaine stipule en effet que « Les cautions et les amendes excessives, ainsi que les châtiments cruels ou exceptionnels, sont interdits ».

D’une part donc, l’institution judiciaire possède d’autres moyens pour exclure les criminels de la société mais d’autre part, la peine de mort rentre en contradiction avec les principes même de ce nouveau pouvoir de punir et avec la politique pénitentiaire qui se donne comme principe premier depuis près de deux siècles : « l’amendement du condamné ».

Une peine ne doit plus seulement être intimidante, éliminatrice, expiatoire, elle doit permettre le relèvement du condamné. L’individu commence à s’amender lorsqu’il est capable d’accepter sa propre punition, de prendre en charge sa propre culpabilité. Or, comment peut-il entreprendre cette introspection alors qu’il est condamné à mourir ?
Si l’amendement est premier, la politique qui consiste à se séparer des multirécidivistes, des « irrécupérables » devient caduque. La société propose une politique, non plus d’élimination, mais, d’assimilation des criminels et délinquants. 
La peine de mort entre alors en contradiction avec la volonté affichée de resocialisation. La peine de mort exclut toute rédemption. 

Si le système judiciaire aujourd’hui ne consistait qu’à appliquer les lois, les justiciables seraient des sujets purement juridiques soumis au Code. Nous pourrions alors reconnaître la cohérence d’un système de rétribution. L’institution judiciaire serait basée sur une parfaite proportionnalité des crimes et des peines. À chaque crime, sa peine. Le sujet juridique ayant donné la mort, il serait cohérent, selon un certain point de vue et en dehors donc de toutes considérations humanistes, qu’il la reçoive.
Cependant aujourd’hui, la psychiatrie investit le champ judiciaire et le biographique vient se greffer sur le juridique. L’aveu n’est plus simplement l’aveu du crime mais l’aveu d’une identité intérieure. Au XIXème siècle, le système judiciaire en danger a trouvé dans la psychiatrie une caution scientifique. La psychiatrie, se posant comme une hygiène sociale, offrait à la justice le savoir de la prévention. Au delà du degré de responsabilité des délinquants et criminels, la psychiatrie proposait de connaître le degré de perversion et donc de dangerosité de l’individu. Qu’est-ce qui, dans son identité intérieure, profonde, dans son individualité, a fait qu’il a commis cet acte ? Le sujet psychologisé vient doubler le sujet juridique. La possibilité était donnée à la justice d’individualiser la peine. Le jeu des circonstances atténuantes exige de penser la possible rédemption du condamné. L’amendement ou la resocialisation devient possible au travers d’un traitement, lui même individualisé.
Dans cette optique, la peine de mort n’est pas compatible avec le fonctionnement même de la justice. La peine de mort devient contradictoire, incohérente dans un système qui se donne pour exigence de corriger l’individu, de le saisir dans son identité intérieure pour le transformer, le rééduquer, le resocialiser.

Posons maintenant une question plus générale : comment comprendre que la peine de mort puisse fonctionner dans une société du « faire-vivre » ?

Longtemps, une des caractéristiques et un des privilèges du souverain a été de disposer du droit de vie et de mort de ses sujets. Si l’un de ses sujets remettait en cause son pouvoir, le mettait en danger en enfreignant ses lois, il pouvait exercer son droit de tuer. C’est ce que nous avons expliqué au travers de la logique des supplices et c’est ce que Foucault entend lorsqu’il parle du droit de « faire mourir ou laisser vivre » .
Mais depuis la fin du XVIIIème siècle et le début du XIXème, une mutation s’est produite dans les mécanismes du pouvoir. Pour le dire schématiquement, le pouvoir de souveraineté s’est transformé en un pouvoir disciplinaire. Dès lors, les stratégies se déplacent. Le pouvoir devient un pouvoir qui produit et la société, une société du « faire-vivre ».
Pourtant, si le pouvoir se donne pour fonction d’assurer la vie et de la gérer, comment comprendre que la peine de mort puisse être encore appliquée ?
La peine de mort semble se poser de nouveau comme une incohérence et une contradiction. La légitimation de la peine capitale passera donc par l’argument selon lequel il faut tuer ceux qui mettent en péril la vie de la population dans son ensemble, ceux qui sont, pour reprendre les termes de Foucault, « une sorte de danger biologique ».
Cette mutation vers une société du « faire vivre » a eu cependant des conséquences majeures dans la pratique judiciaire, l’application de la peine de mort est rendue de plus en plus difficile. Malgré cela, elle persiste : la peine de mort devient alors une « exception de souveraineté » dans une mécanique d’un pouvoir qui se doit de « faire-vivre ».

S’il s’agit donc davantage d’une « exception de souveraineté » que d’une incohérence interne au système disciplinaire du « faire-vivre », il me semble peut-être plus convaincant d’opposer cet argument aux partisans de la peine de mort plutôt que celui de l’intolérable viscéral. Comment en effet convaincre lorsqu’il s’agit essentiellement de convictions, de certitudes catégoriques ?
De même, les arguments dits « humanistes » ne me paraissent pas suffirent.
D’une part, la peine de mort est, à proprement parler, bien humaine. Elle est appliquée dans le cadre d’une législation humaine, décidée par des juges bien humains et pratiquée par des « techniciens », des « fonctionnaires » tout aussi humains. La peine de mort n’est pas monstrueuse, elle est parfaitement humaine.
D’autre part, les valeurs de l’humanisme, on le sait, ont servi à justifier de nombreuses causes diverses et variées, souvent contradictoires. L’humanisme est historiquement variable et ses valeurs ne sont en rien universelles. L’humanisme est en ce sens inconsistant pour réfléchir notre histoire et hasardeux d’un point de vue politique comme le prouve l’expérience du XXème siècle. On sait que les partisans du national-socialisme par exemple se présentaient comme des humanistes.
L’humanisme ne me paraît donc pas être un argument suffisamment tangible. Il peut difficilement, à mon sens, servir d’axe à la réflexion ou de base pour l’action. Bien évidemment, cela ne signifie pas que nous devons rejeter la notion des « droits de l’homme », ni leurs principes. Mais peut-être pouvons-nous utiliser, aux côtés de l’argument humaniste, les normes juridiques et juridico-internationales qui fondent notre système de gouvernementalité.

Dès lors, l’intolérable de la peine de mort se situerait à un autre niveau. Il ne s’agirait plus d’un intolérable viscéral mais d’un intolérable politique.
Pour résumer donc ce deuxième moment de notre réflexion, je dirai qu’il est certes insupportable de voir une société légaliser le meurtre mais il est, plus encore, intolérable qu’un système de justice ne respecte pas les règles qu’il dicte aux autres et s’arroge le droit de rompre avec le droit et les normes courantes de la société.
Le « droit d’exception souveraine » dans une société du « faire-vivre » est un intolérable politique.

J’en arrive donc à ma conclusion dans laquelle je voudrais ouvrir cette problématique sur un sujet non moins révoltant : la peine de prison.

 

Conclusion :

La peine de mort a été abolie en France le 9 octobre 1981 .
L’exécution capitale était cependant peu pratiquée en France depuis les années 60-70. La dernière exécution a lieu en 1977 . Par ailleurs, la peine de mort ne possède plus depuis 1939 le même statut de spectacle puisque désormais la lame de la guillotine tranche à l’abri des regards dans l’enceinte de la prison . La mort n’a bien évidemment plus du tout la même signification que sous l’Ancien Régime. D’une part, depuis le XIXème siècle déjà, nous l’avons dit, la peine de mort suscite de vives désapprobations. D’autre part, grâce aux évolutions de la médecine et à l’attention portée depuis des années à la santé publique, la mort rendue moins familière devient plus tragique. Pourtant, la peine de mort ne sera abolie en France qu’en 1981 et ceci en désaccord avec la majorité de l’opinion publique.

Sans remettre bien évidemment en question l’abolition de la peine de mort en France, je veux conclure sur ce qu’elle a permis de cautionner et signaler pour finir un des problèmes majeurs qu’elle a pu entraîner dans la pratique judiciaire : à savoir l’allongement des peines. Aujourd’hui, persiste le problème de la prison, des conditions inacceptables de détention et de la perpétuité.
Dans cette optique, je tiens à vous lire l’appel lancé le 16 janvier 2006 par 10 détenus de la Centrale de Clairvaux condamnés à perpétuité. Ils demandent dans ce texte le rétablissement de la peine de mort.

Voici cet appel qui nous donne à réfléchir, sérieusement et gravement : 

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« A ceux de l’extérieur osant affirmer que la peine de mort est abolie. Silence ! On achève bien les chevaux !...

Nous, les emmurés vivants à perpétuité du Centre pénitentiaire le plus sécuritaire de France (dont aucun de nous ne vaut un Papon) nous en appelons au rétablissement effectif de la peine de mort pour nous.

Assez d’hypocrisie ! Dès lors qu’on nous voue en réalité à une perpétuité réelle, sans aucune perspective effective de libération à l’issue de notre peine de sûreté, nous préférons encore en finir une bonne fois pour toute que de nous voir crever à petit feu, sans espoir d’aucun lendemain après bien plus de 20 années de misères absolues. A l’inverse des autres pays européens, derrière les murs gris de ses prisons indignes « la République des Lumières et des libertés » de 2006 nous torture et nous anéantit tranquillement en toute apparente légalité, « au nom du peuple Français », en nous assénant en fonction du climat social ou à la faveur d’un fait divers ou encore d’échéances électorales, mesures répressives sur mesures répressives sur le fondement du dogme en vogue du « tout sécuritaire » érigé en principe premier supplantant tous les autres.

Qu’on se rassure : de nos jours, ici, même « les mauvaises herbes ne repoussent plus. » Il n’y a que le noir et le désespoir De surenchères en surenchères : la machine à broyer l’homme a pris impitoyablement le pas.

A quoi servent les peines de sûreté qu’on nous inflige quand une fois leur durée dûment purgée on n’a aucun espoir de recouvrer la liberté ? (depuis l’année 2000 à la Loi Perben II de 2005- on a fait mine de s’appliquer à légiférer en instituant de nouvelles « juridictions de libération conditionnelle », seulement, comme hier le ministre de la justice, les juges d’aujourd’hui à l’oreille de l’administration nous opposent... refus sur refus, nous vouant à des durées de détention à la Lucien Leger).

Pourtant sur « la finalité de la peine » l’État français, admettant que nous avons vocation de sortir un jour, et s’inscrivant dans le cadre des recommandations du Conseil de l’Europe a posé pour principe s’étendant aux longues peines et aux (700) condamnés à perpétuité que : « L’exécution des peines privatives de liberté (...) a été conçue non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné mais aussi pour favoriser l’amendement de celui-ci et préparer sa réinsertion » ? En réalité : tout est au châtiment [...] ». Et de conclure : « À choisir à notre mort lente programmée, nous demandons à l’État français, chantre des droits de l’homme et des libertés, de rétablir instamment pour nous tous la peine de mort effective ».

Clairvaux, le 16 janvier 2006

Soussignés, les susnommés ci-après du mouroir de Clairvaux : Abdelhamid Hakkar, André Gennera, Bernard Lasselin, Patrick Perrochon, Milivoj Miloslavjevic, Daniel Aerts, Farid Tahir, Christian Rivière, Jean-Marie Dubois et Tadeusz Tutkaj

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 Audrey Kiéfer.