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Suicides et morts suspectes

Conseil d’Etat, 31 mars 2008 (n°291342) - suicide d’un prisonnier : la faute simple suffit pour engager la responsabilité de l’Etat (plus besoin de faute lourde)

Publication originale : 31 mars 2008

Dernière modification : 15 août 2010

[...] l’absence de précaution suffisante prise par l’administration pénitentiaire pour assurer la surveillance du détenu était constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat à l’égard des ayants droits de la victime ;

[...] la responsabilité de l’Etat du fait des services pénitentiaires en cas de dommage résultant du suicide d’un détenu peut être recherchée en cas de faute ; dès lors, le moyen tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit en ne recherchant pas si l’administration avait commis une faute lourde ou une succession de fautes de nature à engager sa responsabilité, ne saurait être accueilli ; [...]

Texte de l'article :
 
Conseil d’Etat, 31 mars 2008, n° 291342, Garde des Sceaux, Ministre de la justice c/ Consorts S.
 
La responsabilité de l’Etat du fait des services pénitentiaires en cas de dommage résultant du suicide d’un détenu peut être recherchée en cas de faute.
 
CONSEIL D’ETAT Statuant au contentieux
N° 291342
 
GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE c/ Consorts S.
 
M. Richard Senghor : Rapporteur
M. Mattias Guyomar : Commissaire du gouvernement
 
Séance du 12 mars 2008 / Lecture du 31 mars 2008
 
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux (Section du contentieux, 6ème et 1ère sous-section réunies)
Sur le rapport de la 6ème sous-section de la section du contentieux
Vu le pourvoi, enregistré le 14 mars 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, du GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ; le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE demande au Conseil d’Etat :
 
1°) d’annuler l’arrêt du 29 décembre 2005 par lequel la CAA Lyon a rejeté son recours dirigé contre le jugement du 19 novembre 2003 du TA Grenoble le condamnant, en réparation du préjudice subi du fait du décès par suicide en prison de M. Gilles S., à verser une indemnité de 4 500 euros aux ayants droit de Mme Corina S., de 15 000 euros à Mme Marie-France S., de 15 000 euros chacun à M. Lyonel S. et à Melle Florence S., et de 2 000 euros chacun à MM. Eric et Thierry S. ;
 
2°) statuant au fond, de rejeter la demande des consorts S. devant le TA de Grenoble ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code de justice administrative ;
 
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Richard Senghor, Maître des Requêtes,
- les observations de SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat des Consorts S.,
- les conclusions de M. Mattias Guyomar, Commissaire du gouvernement ;
 
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. Gilles S., écroué à la maison d’arrêt de Saint-Quentin-Fallavier depuis le 2 octobre 1997, souffrait d’un syndrome dépressif nécessitant un traitement psychotrope ; qu’il avait déclaré à plusieurs reprises qu’en cas de condamnation il mettrait fin à ses jours, menaces explicitement réitérées le 29 mai 1998 lors de son retour à la maison d’arrêt, à l’issue de l’audience lors de laquelle le tribunal correctionnel de Vienne l’a condamné à une peine de quatre ans d’emprisonnement ; que cette situation a donné lieu à un signalement puis à des entretiens, successivement avec un surveillant pénitentiaire et l’infirmière psychiatrique ; que, placé en cellule avec un autre détenu, il s’est donné la mort le 30 mai au matin en absorbant une quantité importante d’antidépresseurs ; que, par un arrêt du 29 décembre 2005 contre lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, se pourvoit régulièrement en cassation, la cour administrative d’appel de Lyon a confirmé le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 19 novembre 2003 qui a fait droit à la demande de réparation des ayants-droits de la victime et a condamné l’Etat à leur verser une indemnisation ;
 
Considérant que, pour rejeter le recours du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, la cour a jugé que l’absence de précaution suffisante prise par l’administration pénitentiaire pour assurer la surveillance du détenu était constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat à l’égard des ayants droits de la victime ;
Considérant que la responsabilité de l’Etat du fait des services pénitentiaires en cas de dommage résultant du suicide d’un détenu peut être recherchée en cas de faute ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit en ne recherchant pas si l’administration avait commis une faute lourde ou une succession de fautes de nature à engager sa responsabilité, ne saurait être accueilli ;
Considérant qu’aucun des autres moyens invoqués devant le juge de cassation n’est de nature à justifier l’annulation de l’arrêt attaqué ; que, dès lors, le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, n’est pas fondé à la demander ;
 
D E C I D E :
 
Article 1er : Le pourvoi du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, à Mme Marie-France S., à M. Lyonel S., à Mme Florence S., à M. Thierry S. et à M. Eric S..