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Confidences de Christophe sans concession sur sa vie en prison

Mise en ligne : 2 mars 2006

Dernière modification : 28 septembre 2010

Christophe nous livre ici un témoignage sans concession sur sa vie en prison et son quotidien sans insister sur les détails matériels mais plutôt en mettant en avant son sentiment de solitude et de désespoir.

Texte de l'article :

« Il est toujours difficile de s’exprimer sur un sujet tabou comme la prison. Encore plus lorsque l’on est soi-même enfermé en vivant ce qui est pour moi un véritable cauchemar.
Mon analyse serait certainement plus complète et plus directe encore si je n’étais pas à ce jour incarcéré. Il est quand même réconfortant de savoir que quelques personnes s’intéressent à ce sujet, même si vous n’êtes pas très nombreux. Débattre de la prison ne préoccupe pas grand monde et pourtant c’est un sujet qui touchera de plus en plus de familles dans les années à venir. Personne - je dis bien personne - ne peut s’imaginer les fractures morales, physiques ou psychologiques que peut entraîner l’enfermement pur et dur. »

« L’individu est placé hors du temps, dans un monde fait d’isolement, de détresse, d’extrême précarité psychologique et dont personne ne veut s’occuper. Ici, on vit mais on n’existe plus ! Chacun est « doté » d’un numéro - c’est sa carte d’identité. En un instant, vous tombez dans un monde imaginaire, irréel, dont vous n’avez jamais pu imaginer l’existence dans notre beau pays de France, pays des droits de l’homme. D’un seul coup, toutes les valeurs avec lesquelles j’avais évolué et bâti mon existence, sont tombées et se sont évaporées comme neige au soleil. »

« L’arrivée d’un nouveau dans une cellule perturbe l’équilibre de la chambrée, cela se comprend aisément. On le jauge et il est rapidement « catalogué ». Malheur aux faibles ou à l’individu en dépression. Il y a donc une double exclusion à subir pour certains : celle de la société et celle de ses codétenus... Un autre problème tient lieu d’électrochoc dans votre cerveau et peut survenir dès votre arrivée, si vous n’avez pas de lit pour vous accueillir ! Dormir sur un matelas, à même le sol, me paraissait inconcevable : avant de me trouver une place dans un lit, je suis resté plus d’un mois à vivre par terre, un sac de plastique à mes pieds... dégradant quand même ! »

La surpopulation carcérale, la promiscuité, l’insalubrité, l’insécurité, concourent à fragiliser psychologiquement la personne incarcérée. Les barreaux aux fenêtres sont une contrainte majeure qui occulte la vision de l’extérieur, ne laissant apparaître que les murs et une minuscule cour bitumée bordée de barbelés.
« A force de ne plus avoir de responsabilités, plus d’activités, plus de buts, plus de visions douces et apaisantes de la nature elle-même, vous avez l’impression de stagner sinon de régresser. »

L’environnement de la prison a une influence directe sur les cinq sens qui se réduisent à leur plus simple expression.
« La vue, c’est la faculté de voir, de percevoir la lumière, les couleurs, la forme ou le relief des objets. Le béton, la pénombre, le gris et le noir, les arêtes vives sans vision de loin (sauf le ciel) sont mon lot quotidien...
L’ouie, est le sens par lequel sont perçus les sons. Oubliées les paroles de mon épouse, la douceur de sa voix. Réalité est la vue de la télévision allumée quasi continuellement, accouplée de quelques transistors. Oublié le calme reposant d’une soirée en famille. Réels sont les bruits des clefs des surveillants qui vous réveillent et vous font sursauter à chaque instant. Le toucher, est le sens par lequel on perçoit la présence des objets, la pression, le froid et la chaleur. Ce sont des impressions qui sont retenues par notre cerveau. Ce qui me manque le plus est de ne pas pouvoir serrer mes êtres chers dans mes bras. 30 minutes de visite, c’est presque inhumain. Quel bonheur de me mettre joue contre joue avec mon épouse, de serrer mes enfants dans mes bras, de leur faire des câlins « gros comme le plafond du ciel » ou encore d’embrasser amicalement un ami qui vient me rendre visite. Souvent, à chaque fois devrais-je dire, je tiens la main ou le bras de mes interlocuteurs pendant tout le temps du parloir. J’ai besoin de ça. Le goût et l’odorat : ces deux sens me paraissent intimement liés. Le goût est le sens par lequel on perçoit les saveurs. L’odorat est celui qui permet la perception des odeurs. La nourriture, bien que mangeable, est déstructurante pour ces deux sens. Les repas sont peu variés, peu appétissants, sans épices et font que vous vous nourrissez pour survivre. Quel bonheur de respirer le parfum d’une femme dans un couloir de cette maison d’arrêt. C’est si rare. J’ai l’impression de rechercher des sensations qui me paraissent si importantes ici alors qu’elles me semblaient si futiles à l’extérieur. »

Cet appauvrissement des cinq sens déshumanise... Cette vie sans but a pour conséquence la perte de la mémoire (celle des visages, des noms, des sentiments), elle plonge le corps et l’esprit dans l’hébétude la plus totale.
« Pour me concentrer il me faut faire de gros efforts. Réfléchir et penser fatiguent terriblement ».

Les rapports avec son corps, ses désirs, sont transformés, inhibés. La sexualité inexistante, les fouilles à corps, l’homosexualité de circonstance... concourent à vous traumatiser.
« C’est comme si votre corps ne vous appartenait plus. Vous devenez un objet. »

La constatation de l’échec de la répression totale est très présente dans le discours de Christophe.
« Que penserait le citoyen moyen si l’État engageait des sommes importantes pour s’occuper de personnes qui ne méritent que le châtiment ? ».

L’opinion publique n’a pas conscience que n’importe qui peut se retrouver incarcéré du jour au lendemain, que n’importe qui peut être touché par le drame de la prison, de près ou de loin.
« Tôt ou tard, de plus en plus de personnes se devront d’ouvrir les yeux, et là, elles devront se convaincre de l’utilité ou de l’inefficacité de l’incarcération. Car, à l’heure actuelle, rien n’est fait ou presque pour la réinsertion des individus ».

Pour lui la société ne doit pas exclure, mais favoriser une intégration basée
sur le respect de soi même et des autres.
« Ce n’est pas en détruisant les êtres ou en développant chez eux un sentiment de révolte qu’on les soignent. Il faut responsabiliser les personnes détenues en les répartissant par petits groupes afin de les structurer. Il faut y adjoindre des soins psychologiques et psychiatriques pour certains. Il faut développer la semi-liberté pour la réinsertion et faire vivre les individus au contact de la nature. »

Dans la société, il pointe aussi l’individualisme exacerbé des individus, le manque de communication, la non connaissance de ses propres voisins... Il dénonce la désinformation et la surinformation qui déforme la réalité et empêche de véhiculer de vraies idées novatrices pour faire changer la situation.
« Analyser et comprendre le problème de l’incarcération devient urgent car d’une part personne aujourd’hui n’est à l’abri de la vivre et d’autre part, il faut bien penser qu’un jour toutes ces personnes sortiront de prison et qu’il serait préférable pour tous qu’ils ne récidivent pas ! ».

Témoignage recueilli par l’ANVP
Source Jéricho 190, Février 2005, ANVP