compte rendu intégral

PRÉSIDENCE DE M. Christian Poncelet

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures.)

1

PROCÈS-VERBAL

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n'y a pas d'observation ?...

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.

2

Modification de l'ordre du jour

M. le président. J'ai reçu de M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement une lettre par laquelle le Gouvernement modifie l'ordre du jour prioritaire de la présente semaine.

Compte tenu du nombre d'amendements déposés sur le projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté, le Gouvernement nous demande de poursuivre l'examen de ce texte ce soir et si nécessaire mercredi après-midi et éventuellement le soir.

Il nous propose, en outre, de siéger jeudi après-midi et si nécessaire le soir pour la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire sur le service minimum dans l'espoir que nous n'aurons pas à siéger vendredi.

Il n'y a pas d'observation concernant la tenue de nos séances ?...

L'ordre du jour sera ainsi modifié et je vais vous faire distribuer un document récapitulant notre programme de travail.

3

Dépôt d'un rapport en application d'une loi

M. le président. J'ai reçu de M. Bertrand Fragonard, président du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie, le rapport pour 2007 de cet organisme.

Acte est donné du dépôt de ce rapport.

Il sera transmis à la commission des affaires sociales et sera disponible au bureau de la distribution.

4

Contrôleur général des lieux de privation de liberté

Discussion d'un projet de loi

 
Dossier législatif : projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté
Demande de renvoi à la commission (début)

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi instituant un contrôleur général des lieux de privation de liberté (nos 371, 414).

Madame le garde des sceaux, avant d'engager ce débat, je voudrais d'abord vous féliciter de votre initiative et souligner combien il est important que ce projet de loi, qui concerne les libertés publiques, ait été déposé en premier sur le bureau du Sénat. (Très bien ! sur les travées de la commission.)

Nous y en sommes d'autant plus sensibles que ce projet de loi fait suite à une proposition de loi adoptée par le Sénat en 2001 relative aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et au contrôle général des prisons.

Cette proposition de loi était elle-même le fruit des travaux d'une commission d'enquête dont le rapporteur était notre ancien collègue M. Guy-Pierre Cabanel et le président, M. Jean-Jacques Hyest, aujourd'hui rapporteur du projet de loi.

Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois et rapporteur de ce projet de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est un honneur pour moi de me présenter devant vous pour la deuxième fois au cours de cette session extraordinaire.

Le projet de loi que vous examinez aujourd'hui s'inscrit dans notre volonté de rénover en profondeur notre système pénitentiaire. C'est une première étape. La seconde sera la future loi pénitentiaire dont nous débattrons à l'automne.

Je sais que vous attachez une grande importance au contrôle extérieur des lieux de privation de liberté.

C'est l'honneur du Sénat d'accompagner toutes les avancées de notre État de droit.

Le Sénat a toujours veillé à protéger la dignité de la personne humaine dans notre législation.

La République doit pouvoir s'assurer du respect des droits fondamentaux de ceux qu'elle a décidé d'isoler.

Elle doit pouvoir garantir des conditions de vie dignes dans les lieux de privation de liberté.

Mesdames, messieurs les sénateurs, l'institution d'un contrôleur général des lieux de privation de liberté est une belle et grande idée. Elle est née de vos réflexions et de vos travaux. Ai-je besoin de le rappeler ? Ce projet de loi est d'abord le vôtre.

À la suite de la commission d'enquête du Sénat en 2000 sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, une proposition de loi présentée par M. Jean-Jacques Hyest et votre ancien collègue M. Guy-Pierre Cabanel avait été adoptée le 26 avril 2001.

Votre réflexion s'appuyait alors sur les conclusions du rapport de la commission présidée par M. Guy Canivet, Premier président de la Cour de cassation, qui recommandait la mise en place d'un contrôle extérieur des prisons.

Le texte que je vous présente aujourd'hui, s'il a une portée plus large, reprend la substance des dispositions que prévoyait le Sénat.

Notre ambition est grande. Le projet de loi permet d'y répondre.

Cette ambition, c'est une volonté de modernité, une volonté d'humanité, une volonté de respect des engagements européens et internationaux de la France.

Ce projet de loi est, d'abord, porteur d'une volonté de modernité.

Le contrôleur général des lieux de privation de liberté aura le statut d'autorité indépendante, comme le Médiateur de la République, comme la Commission nationale de l'informatique et des libertés, comme la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, pour ne citer que ces trois-là.

Les autorités indépendantes contribuent au bon fonctionnement de nos institutions. Elles jouent un rôle de veille, de contrôle, de régulation, qui est le propre des démocraties modernes. Elles ont acquis leur légitimité. Elles ont établi leur efficacité. Elles ont démontré qu'un État de droit n'a pas à craindre le contrôle d'une autorité indépendante du pouvoir exécutif.

Je le dis aux fonctionnaires des différents ministères concernés. Je le dis en particulier aux personnels de l'administration pénitentiaire, qui accomplissent un travail remarquable dans des conditions souvent difficiles.

Ce sont eux qui m'ont confortée dans ce projet. Ils sont les premiers à déplorer que les conditions réservées aux détenus ne soient pas partout à l'honneur de la France. Ils sont les premiers à souffrir d'une image de leur métier et de leurs missions qui est parfois dévalorisée. Leurs organisations me l'ont confirmé.

Ce regard extérieur sur un monde intérieur leur est indispensable. Il l'est tout autant pour eux que pour les personnes qu'ils ont la charge de surveiller.

Cette charge qu'ils accomplissent avec un dévouement quotidien ne doit pas les isoler à leur tour.

Ce contrôle n'est pas une marque de défiance. Il est la contrepartie de missions et de responsabilités très étendues.

La décision de priver quelqu'un de sa liberté - que ce soit une décision de justice ou une mesure prise par une autre autorité - sera d'autant plus légitime que sa mise en oeuvre fera l'objet d'un contrôle. Elle sera d'autant mieux comprise que l'on saura rendre compte des conditions dans lesquelles on le fait.

Il existe déjà de nombreuses institutions qui veillent au respect de la dignité humaine dans les lieux fermés.

Les parlementaires exercent leur droit de visite dans les prisons.

Le Médiateur de la République instruit les réclamations individuelles qui lui sont soumises.

Ses travaux, comme les vôtres, ont été d'une infinie richesse pour notre réflexion. Ils ont mis en évidence la nécessité d'un contrôleur indépendant.

Son rôle sera d'aller bien au-delà de simples observations. Il aura pour mission d'agir, de garantir à celles et ceux qui ont été privés de liberté le respect de leur dignité.

Ce projet est porteur d'une volonté d'humanité.

La privation de liberté, quelle que soit sa forme, quelle que soit sa durée, est parfois nécessaire.

Elle n'autorise pas l'humiliation. Elle n'autorise pas les atteintes à l'intégrité physique. Elle oblige au respect de la personne et de ses droits fondamentaux.

Elle est, pour reprendre la belle formule de votre collègue le président Jacques Pelletier, « indissociable du droit légal à la rédemption et à la réhabilitation. »

Ainsi, pour prendre l'exemple de la prison, la détention doit préparer à la réinsertion. Or, trop souvent, elle conduit à l'exclusion, au désarroi et au ressentiment des détenus.

Leurs conditions de vie ou d'hygiène sont trop inégales. Leurs droits sont trop peu reconnus. L'accès à l'éducation n'est pas suffisamment généralisé. Leur sortie est insuffisamment préparée.

Enfin, la promiscuité ajoute à cette détresse et favorise la récidive.

J'ai pris l'exemple de la prison. Dans les autres lieux de privation de liberté aussi, des conditions matérielles décentes doivent être garanties.

Les étrangers en centre de rétention, les personnes gardées à vue ont également des droits fondamentaux qu'il faut respecter.

Les malades dans les hôpitaux psychiatriques doivent être pris en charge avec dignité.

Pour notre nation qui a écrit la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il serait indigne de ne pas veiller au respect des droits fondamentaux, jusque dans les lieux où l'on est privé de liberté.

Ce sera la mission du contrôleur général.

Enfin, le projet de loi qui vous est soumis répond à notre volonté de respecter les engagements européens et internationaux de la France.

Le 11 janvier 2006, le Conseil de l'Europe réaffirmait sa volonté de replacer les détenus au coeur des missions de l'administration pénitentiaire.

Les règles pénitentiaires européennes prévoient le contrôle des conditions de vie dans les lieux de privation de liberté par un organe indépendant, qui rendra publiquement compte de ses conclusions.

Par ailleurs, la France va ratifier le protocole facultatif à la convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, signé le 16 septembre 2005.

Ce protocole recommande l'instauration d'un mécanisme national de visites régulières dans tous les lieux où des personnes sont privées de liberté sur décision de l'autorité publique. Trente-cinq États l'ont ratifié. Les solutions qu'ils ont adoptées sont diverses. Certains pays répartissent les missions de contrôle entre plusieurs organismes existants. La France a fait le choix d'un contrôle unique, inspiré du modèle que la Grande-Bretagne a mis en place en 1981, celui de l'inspecteur en chef des prisons.

J'ai rencontré vendredi dernier, à Londres, en compagnie du président Jean-Jacques Hyest, Mme Anne Owers, qui exerce cette fonction depuis 2001. Elle m'a dit combien le regard porté sur les lieux d'enfermement par l'inspecteur en chef des prisons est fondamental pour les détenus, et pour les personnels des prisons, qui attendent son intervention comme une bouffée d'air venu de l'extérieur. Mme Owers fait état d'améliorations considérables réalisées depuis 1981. Des progrès ont été accomplis en faveur de la santé, de l'humanisation des lieux d'enfermement et de la prévention des suicides depuis 1981.

Nous connaissons tous l'attachement historique de la Grande-Bretagne aux droits de la personne humaine. La France peut s'enrichir de l'expérience de son voisin européen et doit en faire bénéficier ses citoyens.

Permettez-moi à présent de vous exposer, mesdames, messieurs les sénateurs, la manière dont nous avons conçu la fonction de contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Ce contrôleur sera nommé par décret pour un mandat de six ans, non renouvelable. Cette nouvelle institution sera compétente pour l'ensemble des lieux de privation de liberté. Elle pourra être largement saisie et sera dotée de pouvoirs étendus.

Tout d'abord, le contrôleur général exercera sa mission pour l'ensemble des lieux de privation de liberté. La notion de lieu de privation de liberté est très large. C'est toute l'originalité de ce projet de loi par rapport aux propositions antérieures qui ont été faites en France et par rapport au contrôle britannique tel qu'il est effectué.

Les lieux de privation de liberté englobent bien évidemment les établissements du ministère de la justice : les maisons d'arrêt, les centres de détention, les maisons centrales, les centres pénitentiaires, les centres de semi-liberté, les établissements pénitentiaires pour mineurs, les centres éducatifs fermés.

Le contrôle s'appliquera également aux locaux de garde à vue de la police et de la gendarmerie, aux dépôts des tribunaux, aux centres et aux locaux de rétention administrative, aux zones d'attente des aéroports, des ports et des gares, aux quartiers d'arrêt des armées et aux lieux de privation de liberté gérés par les douanes.

Enfin, ce contrôle s'appliquera aux secteurs psychiatriques des hôpitaux.

Au total, le projet de loi vise 5 788 lieux de privation de liberté et 219 d'entre eux relèvent du ministre de la justice.

Les ministres de l'intérieur, de l'immigration et de l'intégration, ainsi que de la défense, de la santé et du budget se partagent la responsabilité des autres lieux de privation de liberté.

L'indépendance que nous garantissons au contrôleur général sera la condition de son succès. Il ne recevra aucune instruction de la part des autorités ministérielles, ni de leurs administrations.

Les modalités de saisine du contrôleur général seront très larges.

Toute personne physique ou morale qui aura connaissance d'atteintes aux droits de la personne dans un lieu de privation de liberté pourra s'adresser au contrôleur général. Cela signifie, par exemple, qu'un détenu pourra lui écrire directement, et sous pli fermé. Le recours au contrôleur général doit être simple. Il est important que cette institution soit connue de tous, puisque tous pourront saisir le contrôleur général. C'est pourquoi il faudra qu'elle s'incarne en une personnalité éminente, qui saura faire entendre sa voix.

Le contrôleur général ne se substituera pas à toutes les instances qui interviennent déjà dans les lieux de privation de liberté, car celles-ci accomplissent un travail rigoureux et nécessaire. Je pense en particulier à la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

Ces institutions rencontrent pourtant des difficultés à se faire entendre et reconnaître, en raison même de la diversité de leurs champs d'intervention et de leurs modes de saisine. Le contrôleur général travaillera en coordination avec elles. Il rendra plus visibles l'ensemble des actions qu'il mènera, en prêtant un nom et un visage à leur cause commune. Il permettra d'attirer l'attention de nos concitoyens sur les enjeux que représente le respect des droits fondamentaux dans les lieux de privation de liberté.

Enfin, le contrôleur général sera doté de pouvoirs étendus. Son contrôle prendra la forme de visites dans les lieux de privation de liberté, quels qu'ils soient et où qu'ils se trouvent.

Le contrôleur général aura une seule mission : s'assurer par lui-même des conditions de prise en charge des personnes privées de liberté. Bien entendu, il disposera, pour ce faire, d'une équipe de contrôleurs qu'il recrutera lui-même. Les visites pourront intervenir à tout moment. Le contrôleur général pourra s'entretenir avec toutes celles et tous ceux qu'il jugera utile de rencontrer dans le cadre de son investigation, c'est-à-dire non seulement les personnes privées de liberté, mais aussi l'ensemble des personnels, des médecins et des auxiliaires de justice.

Au terme de sa visite, le contrôleur général fera connaître ses observations, et l'administration devra y répondre.

Je reprendrai ici l'exemple du mécanisme de contrôle britannique.

Chaque visite de l'inspecteur en chef donne lieu à un rapport, accompagné de recommandations aux autorités. Ainsi, 95 % de ces recommandations sont admises par l'administration et 75 % d'entre elles en moyenne sont suivies d'effet dans les deux ans. L'inspecteur en chef le vérifie à l'occasion d'une visite inopinée. Je crois que c'est la bonne méthode. Comme le souligne d'ailleurs le président Jean-Jacques Hyest dans son remarquable rapport, le dialogue est complémentaire de la démarche d'investigation. Il est la meilleure promesse de résultats concrets.

Le projet de loi prévoit enfin que le contrôleur général rendra compte de ses observations dans un rapport annuel au Président de la République et au Parlement. Ce rapport sera donc public.

Le contrôleur général pourra proposer les modifications des lois et des règlements qu'il jugera nécessaires à la protection du droit des personnes privées de liberté.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai conscience des efforts que la mise en place de ce contrôle demandera aux différents ministères concernés. Cependant, je suis convaincue que le respect des libertés et des droits fondamentaux est à ce prix. La République fera la preuve qu'elle ne s'arrête pas aux portes de ses institutions fermées. Elle veillera à l'égalité humaine de traitement dans tous les lieux où elle prive des personnes de leur liberté. Elle renforcera la confiance de nos concitoyens dans leurs institutions, ainsi que l'a souhaité le Président de la République.

Vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi représente bien plus qu'une réforme technique. Il est porteur d'un message politique fort. Je ne doute pas que le Sénat, qui en a été l'instigateur, lui apportera très largement son soutien. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. Madame le garde des sceaux, c'est peu de dire que le projet de loi que vous venez de présenter était longuement attendu. Que ce texte soit d'abord présenté au Sénat, comme l'a rappelé M. le président du Sénat, est, pour nous, un signe, le signe d'une juste reconnaissance de la part prise par notre assemblée dans un processus qui touche maintenant à son terme.

Le Sénat a largement ouvert la voie au projet de loi par le biais, tout d'abord, des recommandations de la commission d'enquête sénatoriale de 2000, dont le rapport intitulé Prisons : une humiliation pour la République a, je crois, contribué à réveiller les consciences et, ensuite, de la proposition de loi sénatoriale relative aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et au contrôle général des prisons adoptée ici, en 2001, à l'unanimité.

Bien entendu, le Sénat n'a pas plaidé seul en ce sens. Il faut saluer la contribution majeure de la mission conduite par M. Guy Canivet, alors Premier président de la Cour de cassation, sur l'amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, ainsi que les travaux de l'Assemblée nationale réalisés sous l'égide de notre collègue, Louis Mermaz.

Ce projet de loi s'inscrit donc dans un climat très consensuel, même si certains médias font croire le contraire. Certes, des débats peuvent s'engager sur certains points du projet de loi, mais, en l'espèce, on ne peut pas ne pas parler de consensus, au moins au sein de notre assemblée.

L'instauration d'un contrôle extérieur répond à quatre exigences.

D'abord, je veux le souligner avant tout, la privation de la liberté d'aller et de venir ne doit jamais porter atteinte au respect de la dignité de la personne, qui est l'une des valeurs essentielles de nos sociétés démocratiques. Le contrôle extérieur apparaît, à cet égard, comme une garantie pour prévenir les abus que peut éventuellement favoriser un milieu clos.

Ensuite, le contrôle extérieur est aussi une nécessité pour les administrations chargées des lieux de privation de liberté. Ces administrations et leurs personnels, comme nous en ont convaincu les nombreuses personnes entendues, attendent d'un contrôle extérieur qu'il dissipe les suspicions qui s'attachent, par principe, aux yeux de l'opinion publique, aux lieux d'enfermement. Ces doutes sont le plus souvent injustes, si l'on considère les progrès réels accomplis, au cours de ces dernières années, pour humaniser les conditions de détention dans les prisons.

Un contrôle extérieur permettra aussi de prendre la mesure des efforts et du dévouement des personnels auxquels, moi aussi, je souhaite rendre ici un hommage mérité.

Le contrôle extérieur est également une exigence non pas parce que les lieux d'enfermement seraient soustraits à tout contrôle mais, au contraire, parce qu'ils sont soumis à des contrôles, dont la multiplicité conduit à une certaine déresponsabilisation. Fragmentés et parfois bien théoriques, ces contrôles ne donnent pas vraiment satisfaction.

Ces insuffisances justifient donc pleinement la mise en place d'un contrôle unifié et cohérent.

La dernière exigence à laquelle répond le contrôle extérieur est une exigence internationale.

Le protocole facultatif à la convention des Nations unies contre la torture, que la France a signé le 16 septembre 2005 et qu'elle devrait ratifier avant la fin du premier semestre 2008, prévoit la mise en place d'un mécanisme national de prévention indépendant chargé d'examiner régulièrement la situation des personnes privées de liberté.

Plusieurs de nos voisins ont déjà institué le dispositif de contrôle prescrit par le protocole facultatif, ou sont en voie de le faire. Notre pays ne saurait donc rester à l'écart de ce mouvement.

Aux termes du protocole facultatif, le contrôle extérieur doit porter sur l'ensemble des lieux de privation de liberté. Cette extension nous paraît très opportune, car les lieux d'enfermement soulèvent une problématique commune au regard du respect des libertés et de la dignité des personnes.

Madame le garde des sceaux, vous avez présenté l'économie générale du dispositif qui nous est proposé ; je n'y reviens donc pas.

La commission des finances a approuvé le choix d'instituer une fonction de contrôle spécifique, unifiée et indépendante. Aurait-il fallu rattacher cette fonction au Médiateur de la République, comme l'avait d'abord envisagé le précédent gouvernement ? Nous avons bien sûr longuement discuté de cette option au sein de notre commission, et nous en débattrons de nouveau à l'occasion de l'examen des amendements.

Toutefois, nous pensons qu'il est préférable de confier la fonction de contrôle à une autorité spécifique, et ce choix ne procède évidemment pas d'une quelconque défiance à l'égard du Médiateur. Bien au contraire ! Jean-Paul Delevoye, l'actuel Médiateur de la République, a accompli un travail exemplaire dans les prisons, en développant, en accord avec l'administration pénitentiaire, l'action des délégués du Médiateur dans les prisons. Simplement - et tel est le cas en Grande-Bretagne - le travail de médiation est différent de celui du contrôle.

Le Médiateur de la République lui-même évoque l'« obligation de séparation stricte des deux missions ». Une grande majorité des personnalités que nous avons entendues, en particulier le représentant du Conseil de l'Europe, ont plaidé pour la mise en place d'une fonction de contrôle spécifique et autonome. Tel était d'ailleurs l'esprit des recommandations de la mission présidée par M. Guy Canivet et le principe retenu par la proposition de loi sénatoriale. Sans doute, notre position aurait-elle été différente si la France disposait, sur le modèle de certains pays scandinaves, d'un véritable « ombudsman »,...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. ... sous l'autorité duquel les deux fonctions de contrôle et de médiation auraient pu être réunies.

M. Robert Badinter. Exactement !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais, en l'état du droit, le rattachement de la fonction de contrôle au Médiateur serait, de l'avis de la commission, source de confusion.

Cette nouvelle autorité, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, la commission des finances s'est efforcée, par les amendements qu'elle vous proposera d'adopter, d'en conforter l'indépendance et l'autorité. Elle s'est inspirée en particulier des recommandations formulées dans le rapport fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation par notre éminent collègue Patrice Gélard sur les autorités administratives indépendantes.

Avant de conclure, je souhaite formuler trois observations.

Tout d'abord, la commission s'est montrée très attentive à l'indispensable cohérence des contrôles.

En premier lieu, l'institution du contrôleur général ne met nullement en cause les prérogatives de l'autorité judiciaire, gardienne des libertés individuelles. Il faut espérer qu'elle pourra assurer de manière plus effective la mission de contrôle qui lui est reconnue.

Lors des travaux de la commission d'enquête sur les prisons, nous avons constaté que ces contrôles, qui sont pourtant prévus par le code de procédure pénale, n'étaient pas effectués. En outre, un procureur général nous a indiqué qu'il avait le sentiment que tous les rapports dans lesquels il recensait les observations des juges de l'application des peines restaient dans un placard. (Sourires.) Dans l'administration, les rapports resteraient dans des placards ? Non, cela n'est pas possible et c'est sans doute la raison pour laquelle on en demande toujours autant ! (Nouveaux sourires.)

Par rapport au rôle confié aux juges, l'apport du contrôleur général est de permettre une action préventive qui n'existe pas réellement aujourd'hui.

Par ailleurs, l'articulation avec les autres autorités administratives indépendantes ne devrait pas soulever de difficultés de fond dans la mesure où chacune assume une fonction spécifique.

La commission vous présentera un amendement permettant la saisine du contrôleur général par les autres autorités administratives indépendantes qui peuvent avoir connaissance de situations de personnes placées dans des lieux de privation de liberté, afin d'harmoniser l'action de chacune de ces autorités dans le respect de leurs compétences respectives.

La question se pose cependant du maintien de certains organismes ou commissions administratives dont le rôle « doublonne » celui qui est confié au contrôleur général. Quel sera en particulier le sort de la Commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention administrative et des zones d'attente, la CRAZA ? Je tiens à saluer le travail qui a été accompli grâce à cette commission, sur l'initiative de son président, et ce en dépit de la modestie des moyens qui lui sont alloués. Cependant, ses attributions apparaissent pour une très large part redondantes avec celles qui sont dévolues au contrôleur général. Dans la mesure où les dispositions constitutives de cette commission présentent un caractère réglementaire, il appartiendra au Gouvernement de décider de son avenir. Madame le garde des sceaux, peut-être pourrez-vous nous donner quelques indications sur ce point.

En tout état de cause, il sera utile d'évaluer et, le cas échéant, de revoir les dispositifs de contrôle à la suite de l'institution du contrôleur général.

Ensuite, madame le garde des sceaux, la commission des lois souhaite attirer votre attention sur les moyens dévolus au contrôleur général, qui exercera sa mission sur quelque 5 500 locaux. Même s'il est vrai que l'on ne passe pas le même temps à contrôler une brigade de gendarmerie et un grand établissement pénitentiaire, car les problèmes sont de nature différente, il lui faudra impérativement disposer des ressources humaines et matérielles nécessaires à l'accomplissement de cette tâche.

À titre indicatif, l'inspecteur en chef des prisons d'Angleterre, dont le rôle apparaît comparable à celui du contrôleur général, compte une équipe d'une quarantaine de personnes pour visiter cent trente-neuf établissements.

Enfin, ma dernière observation portera sur le pouvoir d'action du contrôleur général. Certains souhaitent lui conférer un pouvoir d'injonction. Or, le pouvoir d'injonction n'est cependant pas toujours synonyme d'efficacité. Il peut susciter un réflexe de défense des administrations et le repli sur certains corporatismes. L'expérience témoigne à l'inverse que le dialogue et la persuasion peuvent, dans le cadre d'une démarche d'investigation, obtenir de réels résultats. Vous l'avez rappelé, madame le garde de sceaux et, de ce point de vue, l'exemple de la Grande Bretagne est particulièrement pertinent.

L'autorité du contrôleur général se bâtira non pas contre les administrations, mais avec elles, dans une relation de confiance.

À la lumière de ces observations, on mesure mieux l'importance que revêtira le choix de la personnalité appelée à assurer ces fonctions. Le magistère moral que devra exercer le contrôleur général implique à l'évidence une expérience et une compétence incontestées.

La représentation nationale est appelée à se prononcer sur un projet qui répond à un voeu très largement partagé sur l'ensemble de nos travées. Je ne doute pas que cet esprit de consensus nous animera dans notre débat et nous permettra de parfaire un projet de loi destiné à nous réunir et non à nous diviser. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, ce texte vient en discussion au Sénat alors que l'examen du projet de loi sur la récidive et l'adoption, récente, de textes à caractère répressif replacent la question des conditions de détention en France au coeur des débats.

L'absence de grâce collective du 14 juillet s'inscrit également dans ce cadre. S'ajoute à ce contexte un fait malheureusement incontestable, à savoir que les prisons, en France, sont surpeuplées. Pour environ 50 000 places opérationnelles, on comptabilise plus de 60 000 personnes écrouées. Dans bien des cas, la vétusté et l'insalubrité des prisons rendent les conditions de détention intolérables, même si le personnel pénitentiaire s'efforce de bien faire fonctionner nos lieux de détention.

Depuis déjà quelques années, de nombreux rapports ont souligné cette situation. Je n'en citerai que deux : le rapport de Guy Canivet, alors Premier président de la Cour de cassation, dont les conclusions ont été publiées en mars 2000, et celui de Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois du Sénat et rapporteur du présent texte, qui a été publié en juin 2000 à la suite de la commission d'enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France.

Madame le garde des sceaux, devant l'urgence de la situation, vous avez été amenée à installer, le 11 juillet dernier, un comité d'orientation restreint en vue de l'élaboration d'un projet de loi pénitentiaire que vous entendez présenter à l'automne.

Mais, avant d'attaquer ce vaste et indispensable travail législatif, vous nous proposez aujourd'hui d'adopter la création d'un contrôleur général des lieux de privation de liberté. Bien entendu, nous souscrivons pleinement à cette initiative, et ce pour deux raisons essentielles.

D'abord, elle permet à la France de se mettre en conformité avec des textes européens et internationaux, en particulier avec le protocole facultatif additionnel à la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, signé par la France le 16 septembre 2005. À cet égard, il faut regretter que notre pays soit l'un des derniers États signataires à ne pas avoir ratifié ce texte.

Ensuite, ce texte reprend les conclusions du rapport Canivet qui proposait en particulier la création d'un « contrôle général des prisons » indépendant, confié à un contrôleur général assisté d'un corps de « contrôleurs des prisons ».

Nous sommes d'autant plus satisfaits que cette idée avait fait l'objet d'une proposition de loi que M. le président de commission des lois, aujourd'hui rapporteur de ce texte, avait présentée et que le Sénat avait adoptée en avril 2001.

L'objet du présent projet de loi est plus large puisque, outre les établissements pénitentiaires, le contrôleur peut visiter l'ensemble des lieux de privation de liberté. Sont donc également concernés les centres de rétention administrative, les lieux de garde à vue, les dépôts des palais de justice, en tout plus de 5 000 lieux. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

Avec ce projet de loi, on pose donc la première pierre d'un vaste édifice qui abordera la problématique des prisons dans son ensemble. On ose enfin ouvrir les portes des prisons et regarder ce que vous avez appelé, monsieur le président de la commission, « une humiliation pour la République ».

Ce texte soulève cependant quelques réserves et appelle quelques explications qui feront l'objet soit d'amendements, soit de demandes de précisions que les différentes personnalités entendues par la commission des lois ont évoquées.

En premier lieu, la procédure de désignation ne nous semble pas satisfaisante au regard de la nécessité de nommer dans cette éminente fonction une personnalité dont l'autorité morale et l'indépendance ne sont pas contestées. Nous proposerons donc de compléter le dispositif en précisant que le décret nommant le contrôleur général est pris en Conseil des ministres, après avis des commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat. Cet amendement s'inscrit d'ailleurs dans la droite ligne de ce que souhaite le Président de la République dans le cadre de la réforme des institutions.

Ensuite, nous nourrissons quelques doutes et interrogations sur les dispositions liées aux pouvoirs du contrôleur. D'une manière générale, le dispositif encadre ses interventions de manière excessive, avec le risque de pouvoir limiter trop facilement ses pouvoirs et son influence.

D'abord, nous souhaitons supprimer les alinéas qui prévoient que le contrôleur doit prévenir les responsables des lieux visités avant son intervention, sauf dans certains cas particuliers. Or on ne sait pas très bien ce que vise cette expression. Il nous semble que cette condition risque de limiter l'intérêt des contrôles. C'est pourquoi, comme cela avait été voté en 2001 par le Sénat, nous proposerons de modifier ce système en inversant tout simplement sa logique : la visite inopinée deviendrait la règle, même si l'on peut penser que, par correction, dans la plupart des cas, le contrôleur annoncera sa visite.

Un autre point d'inquiétude a trait aux règles relatives au secret. La crainte est qu'en se retranchant derrière le texte dans sa rédaction actuelle on puisse trop facilement opposer au contrôleur général le secret de la défense nationale, le secret de l'enquête et de l'instruction ou l'atteinte à la sécurité des lieux et limiter ainsi ses investigations. C'est pourquoi nous vous proposerons là aussi d'inverser la logique du dispositif : les responsables des établissements ne pourraient plus opposer le secret au contrôleur et c'est le contrôleur lui-même, ainsi que ses collaborateurs, qui serait tenu de respecter le secret de la défense nationale, le secret de l'enquête et de l'instruction ou le secret professionnel applicable aux relations entre un avocat et son client.

S'agissant des prérogatives attribuées au contrôleur général, nous nous étonnons du peu de cas qui est fait des relations entre ce dernier et les responsables des lieux visités. Il doit, nous semble-t-il, être expressément fait mention de son droit de communiquer ses observations et ses recommandations aux chefs d'établissement.

En contrepartie, afin que ces observations soient réellement utiles, nous proposerons que les responsables des lieux visités répondent au contrôleur en indiquant quelles mesures ils entendent prendre au regard de ses observations. Ce dispositif ne constitue pas une innovation, il existe dans de nombreux systèmes de contrôle.

Le contrôleur général doit également pouvoir informer d'autres autorités telles que la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE, le Défenseur des enfants ou la Commission nationale de déontologie pour la sécurité, la CNDS, lorsqu'il a connaissance de faits qui lui semblent justifier leur saisine. Le rapporteur proposera un amendement spécifiant que le contrôleur peut saisir la CNDS, mais il nous semble opportun qu'il puisse également saisir la HALDE et le Défenseur des enfants.

Enfin, nous proposerons de reprendre, comme le rapporteur, une des dispositions votées en 2001, à savoir que le contrôleur général porte sans délai à la connaissance du procureur de la République les faits laissant présumer l'existence d'une infraction pénale, conformément à l'article 40 du code de procédure pénale.

Parallèlement, le contrôleur général doit pouvoir porter sans délai à la connaissance des autorités ou des personnes investies du pouvoir disciplinaire les faits de nature à entraîner des poursuites de ce type.

Parallèlement à ces amendements que nous présenterons au nom du groupe de l'UC-UDF, je souhaite, madame le garde des sceaux, que vous m'apportiez une précision.

L'article 5 du projet de loi dispose que « toute personne morale » dont « l'objet est le respect des droits fondamentaux » peut s'adresser au contrôleur général. Cette expression me semble assez vague et peu usitée dans notre ordonnancement juridique actuel. Je souhaite donc savoir précisément qui peut, ou ne peut pas, saisir le contrôleur général des lieux privatifs de liberté. Il semble, à la lecture du projet de loi, que toute personne physique puisse le saisir.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Absolument !

M. Yves Détraigne. Ce point mérite donc une explication.

Je terminerai mon intervention par quelques réflexions.

D'abord, comme de nombreuses personnes entendues l'ont souligné, et M. le rapporteur vient lui-même de le rappeler, de nombreux textes prévoient déjà des contrôles et des inspections sur les conditions de détention. Ainsi, des services d'inspection doivent notamment s'assurer du respect des normes d'hygiène et de sécurité, une commission de surveillance, présidée par le préfet et rassemblant des élus, des magistrats, des fonctionnaires et des membres d'associations, doit se réunir régulièrement, certains magistrats doivent - ou devraient - visiter les établissements pénitentiaires de leur ressort et établir des rapports.

Il existe donc déjà de nombreux contrôles, même s'ils sont parfois oubliés.

Il devrait donc, me semble-t-il, y avoir un nécessaire travail de toilettage et de mise en cohérence des différents types de contrôles existants.

La commission d'enquête du Sénat sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires avait déjà dressé un constat sévère à propos des contrôles qui sont actuellement réalisés dans les établissements pénitentiaires. Voici un extrait de son rapport : « Au terme des travaux de la commission, il apparaît que les contrôles prévus sont nombreux, variés, mais qu'ils sont à peu près dépourvus d'effets, soit parce qu'ils ne sont pas exercés, soit parce qu'ils sont exercés de manière trop formelle, soit encore parce que l'habitude a été prise de faire preuve de beaucoup moins de rigueur - notamment en ce qui concerne l'hygiène et la sécurité - dans le contrôle des établissements pénitentiaires que dans celui des autres établissements recevant du public. Le bilan en matière de contrôles est clairement accablant ».

Il est évident qu'on ne peut rester indifférent à de tels propos, et c'est le moment d'en tirer les conséquences.

Je souhaite également attirer l'attention sur la nécessité d'établir un droit applicable dans les lieux privatifs de liberté. Le Premier président de la Cour de cassation, M. Guy Canivet, avait insisté sur cet aspect, s'agissant notamment des prisons. Je le cite : « L'instauration d'un contrôle dans les prisons implique donc un inventaire du droit applicable dans ces lieux, particulièrement pour une institution telle que l'administration pénitentiaire dans laquelle le droit occupe une place déterminante parce qu'elle met en oeuvre la contrainte étatique. (...)

« Le droit de la prison révèle certaines carences. Ainsi, il comprend essentiellement des règlements et un droit subordonné, composé de circulaires, mais aussi de règlements intérieurs variables entre les établissements, alors que la reconnaissance au détenu d'un statut de citoyen aurait commandé une intervention législative pour régir ses rapports à l'administration. (...)

« En prison comme ailleurs, les droits doivent être « concrets et effectifs ». Or les nombreux constats ou auditions ont montré que, du fait de leur isolement et de la diversité des cultures, les détenus n'ont pas un égal accès au droit, identique à tout citoyen, ne pouvant trouver une personne indépendante pour obtenir une réponse à leurs questions ou une solution à leur litige. »

Il y a, là aussi, matière à nourrir la réflexion, dans la perspective de la réforme pénitentiaire qui s'annonce.

Enfin, pour conclure, j'insisterai sur la nécessité d'un effort budgétaire substantiel pour cette nouvelle institution et pour les lieux de détention en général. Ce n'est pas la peine de se donner bonne conscience s'il n'y a pas de moyens ! On le sait, cette question est cruciale.

Si le contrôleur général n'a pas de moyens suffisants, notamment pour assurer le recrutement de ses collaborateurs, il y a peu de chances pour que l'institution d'un contrôle extérieur et indépendant ait une réelle efficacité.

À cet égard, j'ouvrirai une parenthèse concernant les contrôleurs qui seront recrutés par le contrôleur général. Selon moi, il est très important que le recrutement s'attache à diversifier les compétences, compte tenu de la variété des situations et, surtout, des domaines sur lesquels le contrôleur général pourra porter son regard. Il est nécessaire que celui-ci ait les moyens d'avoir une vision très large du contrôle qu'il aura à effectuer.

Tels sont, mes chers collègues, les quelques éléments de réflexion que je voulais apporter à notre débat. Il y aurait évidemment beaucoup d'autres choses à dire, notamment sur l'état de nos prisons et la nécessité d'améliorer les conditions d'hygiène, d'adapter la formation des personnels ou de permettre aux détenus d'avoir accès sans difficulté à des formations ou à des soins. L'examen d'un projet de loi pénitentiaire, que vous nous avez annoncé, madame le garde des sceaux, sera l'occasion de revenir sur ces sujets majeurs.

Vous avez choisi aujourd'hui de circonscrire la question des prisons à celle de leur contrôle. Même si ce choix ne couvre qu'une partie de la problématique, je crois que nous ne pouvons que saluer une telle initiative, qui était attendue depuis longtemps. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille.

M. Laurent Béteille. Madame le garde des sceaux, vous déclariez très récemment devant le tribunal de grande instance de Bobigny : « La justice ne peut être ferme si elle n'est pas humaine. Une justice humaine, c'est aussi une justice qui respecte totalement ceux qui sont condamnés. » Comment pourrions-nous ne pas souscrire pleinement à cette affirmation ?

Après avoir examiné le projet de loi visant à instaurer des peines minimales pour les récidivistes, nous sommes aujourd'hui saisis d'un texte qui institue, conformément aux engagements du Président de la République, un contrôleur général indépendant des lieux privatifs de liberté.

Ces deux projets de loi, loin d'être antinomiques, constituent les fondements d'une justice que vous souhaitez, à juste titre, à la fois ferme, lisible et humaine.

Si la fermeté à l'égard des délinquants et des récidivistes est une nécessité, et si notre arsenal juridique devait être renforcé afin de nous prémunir contre des cas de récidive parfois très graves, il convient, toutefois, de respecter pleinement les droits fondamentaux des personnes privées de liberté.

La sanction doit être sévère, lorsque la gravité de l'acte commis l'exige, parce que le comportement de l'auteur de l'acte incriminé le nécessite. Pour autant, une justice se doit de toujours garder un visage humain. Une justice humaine, c'est une justice qui reste attentive non seulement aux victimes, mais aussi à la situation des condamnés. C'est une justice soucieuse du respect dû aux personnes. La volonté d'améliorer l'efficacité de notre justice ne peut pas se faire au détriment des principes fondamentaux de notre droit. L'emprisonnement doit toujours s'effectuer dans des conditions qui s'accordent avec le respect des personnes.

La privation de liberté ne signifie en aucun cas privation de l'accès au droit. La justice doit savoir concilier une exigence d'efficacité et de fermeté et le respect des libertés individuelles. Il importe d'assurer un juste équilibre entre ces différents objectifs.

Aujourd'hui, notre assemblée a toutes les raisons de se réjouir que la justice, placée sous votre autorité, madame le garde des sceaux, soit l'un des grands chantiers ouverts par le Gouvernement au début de cette nouvelle législature. Comme cela vient d'être rappelé, c'est avec constance, et ce depuis de nombreuses années, que le Sénat accorde une attention toute particulière au fonctionnement de la justice.

Voilà sept ans, le Sénat décidait la création d'une commission d'enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires. Son président et son rapporteur étaient respectivement notre éminent président de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest, et notre ancien collègue Guy-Pierre Cabanel. Dans son rapport d'enquête, la commission soulignait la nécessité absolue d'améliorer sans attendre les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires. Sa conclusion était sans appel : « Il y a urgence... Il y a urgence depuis deux cents ans ». (M. le rapporteur acquiesce.)

La commission d'enquête dressait également un constat sévère à propos des contrôles exercés dans les établissements pénitentiaires et estimait indispensable que « la France se dote d'un organe de contrôle externe des établissements pénitentiaires ». Ainsi, en avril 2001, soucieux de répondre aux critiques adressées au système pénitentiaire français, le Sénat adoptait une proposition de loi de MM. Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel, qui visait à mettre en oeuvre sans attendre les propositions de la commission d'enquête relevant du domaine de la loi.

L'objectif de ce texte était double. Il s'agissait d'améliorer sans délai les conditions de détention et de créer un contrôleur général des prisons doté de larges pouvoirs d'investigation. Le Sénat apportait déjà des solutions législatives à une préoccupation récurrente.

Certes, cela vient d'être rappelé, les prisons font l'objet de plusieurs contrôles - je dirais même d'une multiplicité de contrôles -, mais ce système n'est absolument pas satisfaisant.

Quel est l'état actuel du droit ?

Tout d'abord, la loi fait obligation aux magistrats du parquet, aux juges de l'application des peines, aux juges d'instruction, aux juges des enfants et aux présidents des chambres de l'instruction de visiter régulièrement les établissements pénitentiaires, afin de contrôler les conditions de détention des personnes dont ils ont la charge.

Dans chaque établissement, une commission de surveillance placée sous la présidence du préfet du département contrôle le fonctionnement de l'établissement et peut communiquer ses observations au ministre de la justice.

Les prisons sont soumises au contrôle de l'inspection des services pénitentiaires et, plus largement, à celui de l'inspection générale des services judiciaires.

Depuis la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, les députés et les sénateurs sont autorisés à visiter à tout moment les établissements pénitentiaires de leur choix. Ils peuvent aussi saisir, sur la base de la dénonciation d'un fait précis, la Commission nationale de déontologie de la sécurité. Celle-ci peut ensuite formuler des recommandations qui font l'objet d'une publication. J'oublie certainement dans cette liste un certain nombre d'autres dispositifs !

Ces modalités d'un contrôle atomisé présentent, dans les faits, certaines limites. Les contrôles apparaissent souvent trop ponctuels, s'agissant par exemple de la saisine de la commission nationale de déontologie de la sécurité. Ils sont parfois - il faut bien le dire ! - dépourvus d'effectivité et d'efficacité. Ainsi, dans beaucoup d'établissements, la tenue de la commission de surveillance s'apparente à un exercice formel. Les garanties d'indépendance font également parfois défaut.

Sous l'impulsion du gouvernement précédent, un premier pas a été franchi pour accorder une plus grande attention aux droits des victimes. En mars 2005, madame le garde des sceaux, votre prédécesseur, Pascal Clément, et le Médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, ont signé une convention permettant l'expérimentation de l'intervention des délégués du Médiateur de la République dans dix établissements pénitentiaires. Cette expérimentation, qui a été couronnée de succès, a été généralisée en janvier 2007.

En effet, vingt-cinq nouvelles permanences ont été créées dans les établissements pénitentiaires de plus de 300 détenus, parmi lesquels figure la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, situé dans mon département, qui est, avec 3 500 détenus, le plus grand établissement pénitentiaire de France.

Le bilan de l'expérimentation s'est donc avéré particulièrement positif et extrêmement encourageant. La tenue de permanences de délégués dans les prisons a rendu l'institution accessible et a permis de répondre à un réel besoin, puisque le nombre annuel de saisines du Médiateur de la République est de l'ordre de 700.

L'intervention des délégués s'est avérée efficace, puisqu'elle a permis de prendre en compte des litiges qui ne pouvaient être traités par une autre voie. Un tiers des réclamations concernent des litiges opposant des détenus et l'administration pénitentiaire. Il s'agit notamment de demandes de transfert ou de la perte d'effets personnels. L'administration pénitentiaire a pleinement joué le jeu - et c'est tout à fait satisfaisant - en facilitant la tâche des délégués, tout en respectant leur indépendance. D'ailleurs, les directeurs d'établissement n'hésitent pas à dire que la présence du délégué constitue un facteur important de réduction des tensions et de prévention des conflits à l'intérieur des établissements.

Le gouvernement précédent souhaitait que la mission de contrôle des établissements pénitentiaires soit confiée au Médiateur de la République. Votre choix, madame le garde des sceaux, est différent, puisque vous proposez de créer une autorité administrative indépendante chargée de contrôler tous les lieux de privation de liberté. À titre personnel, je m'en félicite, car cela permettra d'éviter un mélange des genres entre la médiation et le contrôle. D'ailleurs, ce mélange des genres était si évident que le Médiateur de la République lui-même prévoyait de bien différencier, au sein de ses services, les deux fonctions, ce qui prouve bien que, en réalité, elles n'ont pas grand-chose à voir l'une avec l'autre. J'aurais d'ailleurs craint que le contrôle du Médiateur de la République ne soit qu'un contrôle de plus, dont nous n'avons pas réellement besoin, comme nous l'avons vu.

Madame le garde des sceaux, ce projet de loi montre clairement la volonté de la France de s'engager pleinement dans un contrôle indépendant, effectif et efficace non seulement des établissements pénitentiaires, mais de l'ensemble des lieux de détention, quelle qu'en soit la nature : les centres hospitaliers spécialisés, les dépôts des palais de justice, les centres de rétention administrative ou toutes les cellules des gendarmeries et des commissariats de police.

Le contrôleur pourra même faire des contrôles inopinés, en tout cas lorsque des circonstances particulières l'exigent. Ne recevant, dans l'exercice de ses attributions, aucune instruction d'aucune autorité, c'est à lui que revient d'apprécier ces circonstances.

Ce projet de loi permet ainsi à notre pays de répondre aux standards européens en la matière et de respecter les stipulations du protocole facultatif à la convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, que la France a signé le 16 septembre 2005.

Il ne serait en effet pas normal que la législation d'un grand pays démocratique comme le nôtre ne soit pas en conformité avec les normes européennes.

Je voudrais maintenant dire quelques mots du problème de la surpopulation carcérale, que la commission d'enquête du Sénat sur les prisons avait dénoncée comme « la honte de la République ».

Ce problème majeur perdure malgré les efforts importants et louables consentis ces dernières années par la Chancellerie en matière de constructions immobilières.

Ce sont en effet près de 61 000 détenus, selon l'administration pénitentiaire, qui peuplent actuellement les 188 établissements français, dont la capacité totale est de 51 000 places.

Ainsi, 10 000 détenus supplémentaires sont venus grossir la population carcérale ces cinq dernières années.

Toujours selon l'administration pénitentiaire, 80 000 personnes pourraient être détenues en 2017. Or les prisons, à cet horizon, ne devraient disposer que de 64 000 places.

Ces chiffres sont inquiétants.

La situation des prisons françaises a, en outre, donné lieu à une appréciation sévère de M. Álvaro Gil-Robles, ancien commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, dans le cadre de son rapport sur le respect effectif des droits de l'homme en France, présenté en février 2006 au terme d'une mission conduite du 5 au 21 septembre 2005.

Si je ne peux qu'acquiescer au constat dressé quant à la surpopulation carcérale et à la vétusté de certains établissements pénitentiaires, j'estime en revanche que ce bilan ne tient pas suffisamment compte des évolutions engagées au cours des dernières années dans plusieurs domaines pour améliorer les conditions de détention, en particulier à travers la modernisation des infrastructures pénitentiaires ou l'amélioration de la prise en charge médicale.

Vous ne m'en voudrez pas revenir sur la situation de Fleury-Mérogis, la plus grande prison d'Europe, pour laquelle un programme immobilier de 340 millions d'euros est actuellement en cours. Après une longue période d'abandon incompréhensible de l'entretien de cet établissement, ce programme, lancé en 2004, s'étalera sur plusieurs années. Il permettra la remise en état de 350 cellules qui, malgré la surpopulation carcérale, étaient insalubres et, de ce fait, inoccupées - situation inadmissible et incompréhensible. Heureusement, les choses reviennent dans l'ordre.

Sont encore à réaliser la rénovation de l'ensemble des autres hébergements et la construction d'un nouveau quartier de 120 places dédié aux courtes peines, qui favorisera la réinsertion des détenus.

Il faut poursuivre ces efforts pour améliorer le parc immobilier pénitentiaire français, mais il convient également d'aller plus loin.

Parce qu'il est temps de porter un regard nouveau sur la prison, parce qu'il faut transcrire dans notre ordre juridique interne les règles pénitentiaires européennes, parce qu'il est temps d'accorder toute sa place aux impératifs d'insertion et de réinsertion à la sortie de prison, parce qu'il importe d'assurer un meilleur respect des droits fondamentaux des personnes détenues, la mise en oeuvre rapide d'une profonde réforme du système carcéral est nécessaire et urgente.

À cet égard, nous nous félicitons de la discussion prochaine d'une grande loi pénitentiaire, que nous appelons de nos voeux.

Pour reprendre vos propos, madame la ministre, « ce qui est en jeu, ce sont, d'une part, la sécurité des Français et, d'autre part, la réinsertion des détenus. C'est l'affaire de tous. La fermeté n'exclut pas l'humanité. »

Sachons protéger la société en ne laissant pas s'installer le sentiment d'impunité. Mais sachons également prévenir, éduquer et sanctionner. Sachons aussi favoriser la réinsertion des personnes les plus vulnérables.

Au vu de ces observations, les membres de mon groupe et moi-même, nous réjouissant de son dépôt devant le Sénat, soutiendrons ce projet de loi car il permet de garantir le respect des droits fondamentaux des personnes privées de liberté. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

(M. Jean-Claude Gaudin remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.)