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Prisons dans le monde

Chine : Petit guide des tortures policières sur les prisonnier(e)s

Mise en ligne : 27 février 2004

Texte de l'article :

CHINE
Petit guide des tortures policières
http://www.courrierinternational.com/mag/Asie1.htm

"LiaoWang Dongfang" , Shanghai

Le livre d’un universitaire décrit les méthodes utilisées par les forces de l’ordre pour soutirer des aveux aux détenus. Un sujet sensible, rarement abordé dans la presse.

"La torture constitue encore un grave problème en Chine !” Tel est le cri d’alarme que lance le célèbre juriste Chen Yunsheng, 61 ans, directeur de thèses à l’institut de droit de l’Académie chinoise des sciences sociales. Pour faible que cet appel paraisse, il n’en est pas moins strident. Oser aborder ouvertement la question de la torture est une démarche extrêmement rare, que l’auteur qualifie lui-même de “délicate”.

En Chine, de nos jours, la torture sert surtout à arracher des aveux. C’est la conclusion à laquelle est arrivé M. Chen après avoir enquêté plusieurs années sur la question. Il énumère avec horreur quelques supplices encore infligés à la fin des années 90. Je les retranscris ici à l’intention de tous ceux qui disent ignorer le phénomène :

- Le passage à tabac. La victime est rossée à coups de poing et de pied, mais aussi à coups de matraque. Il n’est pas exceptionnel que ces mauvais traitements entraînent des décès, ainsi que des fausses couches chez les femmes enceintes.

- La suspension accompagnée d’un passage à tabac. La victime est rouée de coups alors qu’elle est ligotée en position suspendue. Ces sévices ont souvent une issue fatale.

- L’enchaînement avec des menottes passées dans le dos ou en tordant les bras. Outre l’enchaînement par les doigts, la forme la plus douloureuse est celle qui consiste à attacher les deux mains dans le dos, un bras passant par-dessus l’épaule et l’autre dans le bas du dos. Un tel procédé a déjà provoqué des arrêts cardiaques.

- Le marquage au fer rouge. Il s’agit d’un ancien supplice, malheureusement encore utilisé.

- Les brûlures de cigarette, souvent employées pour martyriser des femmes.

- Les décharges électriques. Certes, des décès ont été enregistrés à la suite de l’administration de décharges électriques avec des lampes torches, mais, le plus souvent, les victimes meurent électrocutées après avoir été frappées avec des matraques électriques.

- Braquer sur les yeux d’une personne à très courte distance un faisceau de lumière vive. Un tel procédé provoque souvent une forte baisse de l’acuité visuelle.

- Forcer le supplicié à adopter la “position du cavalier”, dite également celle du “motard” [jambes écartées, genoux pliés, le poids du corps réparti sur les deux jambes]. C’est une position de base de l’art martial chinois. Je n’aurais jamais pensé qu’elle puisse aussi servir à châtier mes concitoyens !

- Soumettre la victime aux morsures de chiens féroces. Le supplice rappelle la bestialité de l’armée japonaise en son temps.

- Extorquer des aveux en organisant un simulacre de fusillade ou en utilisant des méthodes salaces. Cela consiste à dénuder un individu pour frapper ses parties intimes à coups de poing et de pied ou à l’aide d’une matraque, ou pour y appliquer des décharges électriques.

- Faire manger ou absorber des choses sales telles que des excréments humains ou de l’urine, ce qui peut pousser au suicide les victimes incapables d’endurer plus longtemps l’humiliation subie.

- Faire subir un interrogatoire ou infliger des traitements dégradants. Alors que l’usage de méthodes salaces cause une douleur physique, ici le préjudice est d’ordre moral par atteinte à la dignité humaine.

Lorsque, fin 2003, j’ai lu, à sa sortie en librairie, l’ouvrage de Chen Yunsheng Vers un respect des droits de l’homme et du pouvoir législatif : libres propos contre la torture , j’ai pour la première fois vraiment pris conscience de l’existence de situations aussi déchirantes et je n’ai pu m’empêcher d’éprouver une immense admiration pour ce spécialiste qui a eu le courage de révéler au grand jour cette “tare de son propre pays”.

Aux temps féodaux, la Chine était déjà connue dans la société humaine en raison de son goût pour les supplices. Elle avait inventé des formes de peine capitale particulièrement cruelles. C’est ainsi qu’un supplicié pouvait être condamné à mourir transpercé par des lances, à marcher sur une colonne de cuivre graissée placée au-dessus d’un feu, à être découpé en tranches, à être bouilli, à être brûlé vif, à avoir la tête exposée sur une perche et son cadavre se décomposer en public, à absorber de la centaurée ou à être condamné au supplice de l’énervation... De tels procédés sont restés en vigueur pendant plusieurs milliers d’années. M. Chen estime que la persistance de la torture est indissociable de cette longue tradition.

Par ailleurs, d’autres facteurs sont à prendre en compte pour expliquer le phénomène : la Révolution culturelle a laissé se perpétrer des actes cruels et inhumains ; la notion de droit est fort peu ancrée dans nos mentalités, et le respect des droits de l’homme pas davantage ; il n’existe pas de véritable contrôle du pouvoir judiciaire ; la population, dans l’ensemble, connaît très mal le système judiciaire et ignore ses droits ; les autorités locales et hiérarchiques couvrent souvent les actes de leurs fonctionnaires ; la corruption est très répandue ; le système pénal comporte de nombreuses lacunes et, enfin, le civisme est une notion en déclin...

La Chine a signé en 1986 la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. La persistance, malgré les interdictions, des actes de torture est un véritable fléau qui, tout en faisant peser une menace sur la vie et la sécurité de chaque citoyen, entame le crédit du Parti et entache l’image de la Chine sur la scène internationale.

Han Yi