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CEDH, 4 février 2003 - Affaire Van Der Ven : condamnation des Pays Bas

Mise en ligne : 21 janvier 2007

Dernière modification : 9 août 2010

Texte de l'article :

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AFFAIRE VAN DER VEN c. PAYS-BAS
(Requête no 50901/99)

ARRÊT
STRASBOURG
4 février 2003

DÉFINITIF
04/05/2003

En l’affaire Van der Ven c. Pays-Bas,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Mmes E. Palm, présidente,
 W. Thomassen,
 MM. Gaukur Jörundsson,
 R. Türmen,
 C. Bîrsan,
 J. Casadevall,
 R. Maruste, juges,
et de M. M. O’Boyle, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 janvier 2003,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 50901/99) dirigée contre le Royaume des Pays-Bas et dont un ressortissant néerlandais, M. Franciscus Cornelis van der Ven (« le requérant »), avait saisi la Cour le 30 août 1999 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). 2. Le requérant, qui s’est vu accorder le bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Mme J.J. Serrarens, avocate inscrite au barreau de Maestricht. Le gouvernement néerlandais (« le Gouvernement ») l’a été par son agent, M. R.A.A. Böcker, du ministère néerlandais des Affaires étrangères.

3. Dans sa requête, M. van der Ven alléguait que le régime de détention auquel il avait été soumis dans une prison de sécurité maximale s’analysait en un traitement inhumain et/ou dégradant qui avait violé ses droits au respect de sa vie privée et familiale.

4. La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour ; ci-après « le règlement »). Au sein de cette section a alors été constituée, conformément à l’article 27 § 1 du règlement, la chambre appelée à examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention).

5. Par une décision du 28 août 2001, rendue à la suite d’une audience consacrée à la recevabilité et au fond de l’affaire (article 54 § 4 du règlement), la Cour a déclaré la requête partiellement recevable.

6. Requérant et Gouvernement ont ensuite chacun déposé des observations sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement). Le requérant a répondu par écrit aux observations du Gouvernement. Cette réponse écrite a été versée au dossier sur décision du président de la chambre (article 38 § 1).

7. Le Gouvernement a invité les membres de la première section à venir visiter la prison de sécurité maximale. Le 21 février 2002, la Cour a décidé qu’elle pouvait s’acquitter de ses fonctions sans effectuer pareille visite.

8. Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement), mais la présente affaire est demeurée confiée a la chambre constituée au sein de l’ancienne section I.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

9. Le requérant est né en 1949 ; il est actuellement détenu à Maestricht.

10. Accusé notamment de meurtre, d’homicide involontaire/coups et blessures graves, de viol et de plusieurs infractions à la législation sur les stupéfiants, il fut placé en détention provisoire (voorlopige hechtenis) le 11 septembre 1995. La procédure pénale engagée à son encontre connut son aboutissement le 26 mars 2002, lorsque la Cour de cassation (Hoge Raad) confirma l’arrêt par lequel la cour d’appel (gerechtshof) de Bois-le-Duc avait condamné l’intéressé à quinze ans d’emprisonnement. Pour fixer la peine, la cour d’appel avait tenu compte du fait que le requérant avait passé une grande partie de sa détention provisoire dans un établissement de sécurité maximale. Elle avait de surcroît prononcé la mise de l’intéressé à la disposition du gouvernement (terbeschikkingstelling, ci-après « TBS ») avec internement dans un établissement psychiatrique de haute sécurité (met bevel tot verpleging van overheidswege).

11. Le requérant fut dans un premier temps détenu dans des maisons d’arrêt (huizen van bewaring) ordinaires. Dans une lettre datée du 7 octobre 1997 adressée au directeur de la maison d’arrêt où l’intéressé se trouvait détenu à l’époque, le procureur de la Reine s’exprima comme suit :

« (...) Je tiens à vous informer qu’il existe relativement [au requérant] un risque de sécurité nettement accru. Le Service de renseignements concernant les détenus (Gedetineerde Recherche Informatie Punt - « GRIP ») a obtenu des informations - que j’ai examinées moi-même et que j’ai trouvées suffisamment pertinentes, fiables et concrètes, mais que je ne puis divulguer pour des raisons de sécurité - d’après lesquelles [le requérant] projette de s’évader et s’emploie, à cet effet, à établir des contacts en dehors de la maison d’arrêt.

Il est probable que si tentative d’évasion il y a, elle se fera avec une aide extérieure et s’accompagnera de violences à l’égard des personnes.

J’attire aussi votre attention sur le fait qu’il ressort également des informations précitées que [le requérant] aborde certaines personnes, ou les fait aborder pour son compte, d’une manière menaçante et intimidante.

Je vous conseille de prendre les mesures appropriées pour garantir que l’intéressé demeure détenu sans interruption ainsi que pour prévenir tout dommage, en particulier tout dommage aux personnes extérieures à votre établissement. »

12. Le 14 octobre 1997, le directeur de la maison d’arrêt où le requérant se trouvait détenu proposa au comité spécial de sélection de l’établissement de sécurité maximale (Extra Beveiligde Inrichting - « EBI ») de transférer le requérant dans l’EBI, qui fait partie du nouveau complexe pénitentiaire de Vosseveld à Vught. Lors d’une réunion du comité de sélection qui eut lieu le 24 octobre 1997, le requérant fut sélectionné aux fins de placement, puis l’intéressé fut transféré vers l’EBI le 29 octobre 1997.

13. Par une lettre du 4 novembre 1997, le ministre de la Justice confirma le placement du requérant et lui notifia les motifs qui avaient justifié la décision. Il renvoya à la lettre (qualifiée de « rapport officiel » [ambtsbericht]) du 7 octobre 1997. En ce qui concerne les faits de menace et d’intimidation, le ministre de la Justice écrivait qu’ils avaient visé non seulement des codétenus du requérant mais également des personnes extérieures à la maison d’arrêt. Il ajoutait que l’évasion de l’intéressé représenterait un risque inacceptable pour la société. Le ministre précisait également qu’il avait décidé que le régime dit A s’appliquerait au requérant, ce dernier ayant menacé de se suicider si on le transférait vers l’EBI.

14. En janvier puis en mars 1998, le requérant sollicita de la cour d’appel de Bois-le-Duc son transfert dans une maison d’arrêt ordinaire. Sa première demande fut déclarée irrecevable, la seconde fut écartée. La cour d’appel fonda sa seconde décision sur des informations obtenues du GRIP que le procureur général près la cour d’appel avait détaillées sous le sceau du secret lors d’une audience qui avait eu lieu le 26 mars 1998. Ni le requérant ni son avocat n’avaient été autorisés à entendre ce que le procureur général avait à dire à la cour d’appel. Une fois le requérant et son avocat autorisés à revenir dans la salle d’audience, la cour d’appel leur avait fourni quelques brèves informations au sujet de ce que le procureur général avait dit, mais elle n’avait livré aucune précision concernant la provenance des renseignements obtenus du GRIP ou les dates auxquelles ces renseignements avaient été communiqués à ce dernier.

15. Le 29 octobre 1998, le ministre de la Justice décida que le placement du requérant dans l’EBI devait se poursuivre. Le libellé de cette décision était pratiquement identique à celui de la décision du 4 novembre 1997. En revanche, le ministre décida que l’intéressé ne devait plus être soumis au régime A.

16. Le 17 décembre 1998, le requérant invita une nouvelle fois la cour d’appel de Bois-le-Duc à ordonner son transfert dans une maison d’arrêt ordinaire, soutenant que son placement dans l’EBI était entaché d’illégalité. Invoquant explicitement l’article 8 de la Convention, il affirmait que son placement dans l’EBI avait entraîné de graves conséquences relativement à la possibilité pour lui d’avoir la jouissance de sa vie privée et familiale au sens de ladite disposition : tant l’intimité de la vie privée que les contacts avec le monde extérieur étaient sévèrement limités dans l’EBI. Ainsi, les personnes qui s’y trouvaient détenues ne pouvaient recevoir qu’une fois par mois des visites de leurs conjoints, parents et enfants sans être séparés de leurs visiteurs par une vitre, et le seul contact physique autorisé en ces occasions était une poignée de main au début et à la fin de la visite. Les visites des autres membres de la famille (y compris les frères et sœurs) n’étaient autorisées qu’avec une vitre de séparation. De surcroît, il n’était possible aux détenus d’entretenir des contacts par téléphone avec les membres de leurs familles que deux fois par semaine, chaque fois pour une durée de dix minutes.

17. Lors de l’audience qui eut lieu le 18 février 1999 devant la cour d’appel siégeant à huis clos, le requérant soutint également que ses conditions de détention au sein de l’EBI s’analysaient en un traitement inhumain contraire à l’article 3 de la Convention. A cet égard, il renvoya aux constatations du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT - voir ci-dessous).

18. La cour d’appel, siégeant à huis clos, rejeta la demande par une décision datée du 16 mars 1999. Elle considéra que les motifs contenus dans la décision du ministre en date du 29 octobre 1998 justifiaient le maintien du placement du requérant dans l’EBI. Elle jugea par ailleurs que les conditions de détention dans l’EBI n’étaient pas contraires à l’article 3, dès lors que le régime EBI avait une base légale et que le sort réservé au requérant en vertu de ce régime ne pouvait être qualifié de torture ni de traitement ou peine inhumains ou dégradants. En ce qui concerne l’article 8, enfin, la cour d’appel estima que les atteintes portées aux droits garantis au requérant par cette disposition étaient justifiées dès lors qu’elles étaient prévues par la loi et nécessaires, notamment, à la sécurité publique.

19. Lorsque son placement dans l’EBI fut à nouveau prorogé par une décision du 10 novembre 2000, le requérant saisit la Commission de recours (Beroepscommissie) du Conseil central pour l’application du droit pénal (Centrale Raad voor Strafrechtstoepassing). Le 12 février 2001, la Commission de recours débouta le requérant. Tout en jugeant que l’on ne pouvait plus considérer qu’il était extrêmement probable que l’intéressé tentât de s’échapper, elle estima que le requérant représenterait, dans l’hypothèse d’une évasion, un risque inacceptable pour la société, compte tenu de la nature des infractions dont il se trouvait accusé et des effets que pareille évasion produirait sur la société et l’opinion publique.

20. En mai 2001, le requérant fut transféré dans une prison à régime ordinaire de Maestricht.

21. Le requérant affirme que pendant son séjour dans l’EBI il éprouva un sentiment d’impuissance et devint dépressif. Son état psychologique fut examiné par le Centre de sélection pénitentiaire (Penitentiair Selectie Centrum - « PSC ») à plusieurs reprises avant l’intervention d’une décision sur la prolongation de son placement dans l’EBI. Les paragraphes qui suivent contiennent des extraits des rapports établis à l’issue d’un certain nombre de ces examens par M. V., le chef du service psychiatrique du PSC.

22. Rapport du 28 octobre 1999 :

« C’est le 21 avril 1999 que le PSC a émis pour la dernière fois un avis consultatif relativement [au requérant] (...) La conclusion qu’il formula à l’époque était la suivante :

« Eu égard à la personnalité [du requérant] et à la manière dont se déroule sa détention, il y a lieu de considérer que l’intéressé est capable d’actes de désespoir. Il est quasiment certain qu’au sein de l’EBI il ne pourra diriger de tels actes que contre lui-même. Si un régime moins strict devait lui être appliqué, il pourrait reporter ses émotions sur d’autres. Pour l’heure, il demeure nécessaire d’exercer à son égard une attention particulière. La question se pose de savoir si, à plus long terme, nonobstant tous les efforts déployés, l’EBI sera capable d’offrir les soins requis. Si le risque d’évasion n’exige plus que l’on garde [le requérant] dans l’EBI, un transfert vers une unité spéciale d’accompagnement individuel (bijzondere individuele begeleidingsafdeling - « BIBA ») pourra être envisagé.

Le rapport des six derniers mois confirme l’image donnée par [le requérant]. Son état psychologique connaît des hauts et des bas. Il est passé par une période de dépression. Différents facteurs jouent un rôle dans l’apparition de ces creux psychologiques : le fait que sa famille manque [à l’intéressé] (sa détention dans l’EBI contribue certainement à ce phénomène), la tension permanente résultant du pourvoi formé par lui (l’enjeu est en effet considérable pour lui), le caractère relativement peu intégré de sa personnalité (sa stabilité psychologique est faible), de même que ses capacités cognitives, qui sont jugées relativement peu élevées.

[Le requérant] séjourne à présent depuis deux ans dans l’EBI, et il a manifestement des difficultés à supporter ce régime. A cela s’ajoute le fait qu’un certain nombre de caractéristiques personnelles et l’incertitude quant à son sort carcéral sollicitent lourdement ses forces limitées. Je préfèrerais qu’il soit placé dans une BIBA, mais cela n’est malheureusement pas possible dès lors qu’il se trouve en détention provisoire.

En ce qui concerne la présente prorogation, je préconise qu’au moment où il s’agira de prendre la décision sur le maintien en détention de l’intéressé au sein de l’EBI, on donne un poids relativement important aux aspects précités par rapport aux informations qui seront alors disponibles concernant un risque éventuel d’évasion. »

23. Rapport du 13 avril 2000 :

« Il ressort des rapports relatifs à la manière dont se déroule la détention [du requérant] qu’avant son placement dans l’EBI il était considéré comme un homme dominateur, rompu à la routine quotidienne de la détention. Des informations étaient régulièrement communiquées d’après lesquelles il exerçait une grande influence (négative), au travers notamment de menaces. Du fait de ces informations, on dut procéder à de nombreux transferts. Depuis qu’il séjourne dans l’EBI, un côté plus instable, abattu, est devenu beaucoup plus apparent chez l’intéressé.

[Le requérant] est décrit par l’équipe médico-soignante de la prison comme un homme vulnérable qui présente une tendance dépressive et prend des médicaments pour ces problèmes. Une série de raisons peuvent expliquer le contraste entre la manière dont [le requérant] se comportait en détention avant son placement dans l’EBI et la manière dont il se comporte aujourd’hui. Il y a bien sûr en premier lieu la menace du prononcé d’une peine d’emprisonnement (à vie). Le fait que son pourvoi a été accueilli a fait renaître chez l’intéressé un grand espoir, mais lorsqu’il avait appris qu’on l’avait condamné à la réclusion à perpétuité, il avait été extrêmement bouleversé. D’après les membres de l’équipe médico-soignante, il commence à se remettre de ce choc. Deuxièmement, il y a le régime EBI lui-même, que [le requérant] a du mal à supporter. L’intéressé a toujours été une personne sans code de conduite morale et sans considération pour les droits d’autrui. Au sein de l’EBI, il y a des limites clairement définies et un système de dépendance. [Le requérant] trouve cette perte de contrôle sur sa propre vie difficile à accepter, et il semble que cela contribue à l’apparition et à la persistance de ses troubles dépressifs. Un autre élément réside dans les contacts qu’il entretient avec sa famille. Le personnel de l’EBI a l’impression que ces contacts se détériorent et que, petit à petit, une distance est en train de se créer.

Le rapport relatif aux six derniers mois confirme ce tableau. L’état psychologique [du requérant] connaît des hauts et des bas. L’intéressé traverse actuellement une phase de troubles dépressifs. Ces creux psychologiques sont souvent essentiellement de nature réactive (mauvaises nouvelles, problèmes avec d’autres détenus, perte d’un « pote » au sein de l’unité, etc.). A cela s’ajoute le stress persistant lié à l’attente de l’issue de la procédure pénale (il est clair que l’intéressé risque gros), et tout cela doit être mis en regard de la personnalité relativement peu intégrée [du requérant] (sa stabilité psychologique est faible et ses capacités cognitives sont jugées relativement peu élevées). Compte tenu de l’ensemble de ses problèmes, l’équipe médico-soignante lui consacre une attention soutenue. Il a des contacts réguliers avec le psychiatre, le psychologue et les travailleurs sociaux. Quoique de façon parfois intermittente, il est prêt à prendre des médicaments qui ont un effet postif sur son humeur.

Le fait demeure que [le requérant] traverse une dure épreuve et qu’il a des difficultés à supporter les contraintes de l’EBI. Si les informations concernant le risque d’évasion et l’inacceptabilité du risque pour la société qui s’y trouve associé sont jugées ne plus requérir strictement le maintien [du requérant] au sein de l’EBI, il devrait y avoir une solution de rechange dans un établissement de haute sécurité qui tolère une certaine souplesse dans la fixation des limites. Une BIBA serait indiquée mais, compte tenu du fait que [le requérant] se trouve en détention provisoire, un placement en BIBA n’est pas possible pour l’heure. J’estime néanmoins que l’impossibilité actuelle de placer l’intéressé dans l’établissement qui lui conviendrait le mieux ne doit pas jouer un rôle décisif dans le processus décisionnel relatif à la question de savoir s’il convient ou non de prolonger son placement dans l’EBI. »

24. Rapport du 18 avril 2001 :

« Les problèmes les plus graves que [le requérant] affirme connaître au sein de l’EBI tiennent aux conditions dans lesquelles les visites ont eu lieu et au fait qu’il ne voit pas certains de ses enfants. L’intéressé s’émeut visiblement lorsqu’il parle de ces problèmes. Il se plaint de boulimie, d’apathie, d’anxiété et d’insomnie. Comme les rapports précédents l’indiquaient déjà, il donne l’image d’un homme vulnérable, qui aspire à des contacts, qui accuse une tendance à la morosité et qui éprouve des difficultés à supporter sa détention. Rien n’indique qu’il souffre de troubles psychopathologiques graves (psychose, dépression ou anxiété profondes). Ce qu’il présente, ce sont seulement des symptômes dépressifs faibles à modérés et un affect instable.

Il ressort des rapports établis par le personnel de l’unité de sécurité au cours des six derniers mois que [le requérant] se comporte bien. Il apprécie les contacts avec certains de ses codétenus. De son propre point de vue, il participe dans une mesure raisonnable au programme offert. Il est toutefois perçu comme quelqu’un qui se plaint beaucoup et qui aime formuler des critiques tous azimuts. On peut conclure qu’au cours de la période considérée [le requérant] semble avoir trouvé ses marques.

D’après l’équipe médico-soignante, [le requérant] voit régulièrement le travailleur social.

Compte tenu de tout ce qui précède, l’intéressé s’est donc bien comporté au cours des six derniers mois. L’imposition d’une peine de quinze ans d’emprisonnement et le prononcé d’une ordonnance TBS, qui, contrairement à une peine d’emprisonnement à vie, offre une certaine perspective, ont certainement contribué à cette amélioration (...)

Quant à savoir si [le requérant] doit être maintenu ou non dans l’EBI, cela dépend en premier lieu de l’ampleur du risque de le voir s’évader (...) Même si l’intéressé éprouve des difficultés à supporter son placement au sein de l’EBI, les constatations effectuées ne sont pas de nature à constituer des contre-indications militant fortement contre une prolongation de ce placement. »

25. A la demande du juge d’instruction chargé d’instruire les poursuites pénales dirigées contre le requérant, un psychologue et un psychiatre établirent, le 21 novembre 2000, à la suite d’une période au cours de laquelle celui-ci avait séjourné dans une clinique d’observation psychiatrique, un rapport concernant ses facultés mentales. Le passage ci-dessous a été extrait du chapitre du rapport décrivant les rencontres du requérant avec le psychiatre.

« Il est remarquable qu’alors que [le requérant] a été admis il y a peu à la clinique d’observation psychiatrique, son apparence semble déjà beaucoup plus soignée : les cheveux coupés court, rasé de près et proprement vêtu, il donne une impression totalement différente de celle qu’il avait donnée lors de la première rencontre. Il affirme que le régime en vigueur au sein de l’EBI ne l’incite pas à prendre soin de lui : il peut s’écouler des jours sans qu’il parle à quiconque, il ressent les fouilles à corps répétées comme des humiliations et, en conséquence, il préfère ne pas se rendre chez le coiffeur ni prendre de douche. Lorsqu’il compare le traitement dont il fait l’objet dans la clinique d’observation psychiatrique et qui lui est réservé au sein de l’EBI, il qualifie le premier de « paradis » et affirme se sentir beaucoup mieux dans la clinique d’observation psychiatrique. »

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. La décision de placer un individu dans un établissement déterminé

26. Les établissements pénaux aux Pays-Bas sont classés en cinq catégories, selon le niveau de sécurité offert. L’éventail va des établissements où les mesures de sécurité sont très limitées (zeer beperkt beveiligd) à ceux où elles sont maximales (extra beveiligd). Le ministre de la Justice fixe les critères permettant de répartir les détenus entre les différents établissements en fonction de leur niveau de sécurité (article 13 §§ 1 et 3 de la loi relative aux principes pénitentiaires - Penitentiaire beginselenwet).

La sélection concrète est effectuée par un agent de placement du ministère de la Justice (article 15 §§ 1 et 3 de la loi de 1999 sur les principes pénitentiaires).

27. Les EBI sont conçus pour accueillir, par ordre décroissant d’importance, les détenus

a. dont on considère qu’il est extrêmement probable qu’ils tentent de s’évader d’établissements pénaux fermés et qui, s’ils y parvenaient, représenteraient un risque inacceptable pour la société, compte tenu de la probabilité de les voir commettre à nouveau des infractions violentes graves ; ou

b. qui, s’ils devaient parvenir à s’évader, représenteraient un risque inacceptable pour la société, compte tenu des graves troubles à l’ordre public qu’entraînerait leur évasion, le risque de les voir s’évader revêtant en tant que tel une importance moindre.

28. Une circulaire spéciale du ministère de la Justice régit les décisions de placer un détenu dans un établissement de sécurité maximale ou EBI (circulaire no 646188/97/DJI du ministère de la Justice en date du 22 août 1997). En principe, les placements en EBI sont faits depuis un établissement pénitentiaire ordinaire. Le directeur de l’établissement pénitentiaire soumet à l’agent de placement une proposition expliquant les raisons pour lesquelles la personne concernée doit être placée en EBI. Avant de soumettre pareille proposition, le directeur sollicite des informations au sujet de la personne concernée auprès du secrétaire d’un comité spécial de sélection EBI, qui comprend un représentant du parquet, un psychologue et un représentant du comité directeur du nouveau complexe pénitentiaire de Vosseveld à Vught. Une fois que le secrétaire a recueilli les informations demandées auprès de diverses sources, le directeur discute alors de sa proposition avec le détenu. Pour finir, il complète son rapport en ajoutant les observations et objections éventuelles du détenu, puis soumet sa proposition au comité de sélection.

29. L’agent de placement examine la proposition, consulte le directeur et entend le détenu. Il établit alors son propre rapport sur la proposition du directeur et le soumet au secrétaire du comité de sélection. Si le détenu purge une longue peine ou si un psychologue juge la chose nécessaire, la proposition peut être transmise au Centre de sélection pénitentiaire, responsable de la formulation de recommandations sur les aspects psychologiques de l’exécution des peines d’emprisonnement et des ordonnances y relatives. Le CSP est toujours consulté lorsqu’il s’agit de premiers placements. Le cas est ensuite discuté par le comité de sélection, présidé par l’agent de placement.

30. La décision de placer un détenu dans un EBI est réexaminée tous les six mois. Le directeur de l’EBI doit soumettre tous les six mois un rapport sur le comportement du détenu (gedragsrapportage). Avant que ne soit prise la décision de prolonger ou non le placement dans l’EBI, le détenu est entendu par l’agent de placement. A tous autres égards, la procédure est la même que celle suivie pour le placement.

Les décisions visées ci-dessus sont nominalement prises par le ministre de la Justice.

B. Le régime EBI

31. La loi de 1999 sur les principes pénitentiaires et le règlement pénitentiaire (Penitentiaire maatregel) s’appliquent dans leur intégralité aux détenus placés dans l’EBI et donnent à ceux-ci les mêmes droits et obligations qu’aux détenus séjournant dans des établissements ordinaires. Le régime comporte un certain nombre de mesures de sécurité, et les détenus font l’objet d’une surveillance constante lorsqu’ils se trouvent en dehors de leur cellule. Ce régime spécial est décrit dans le règlement intérieur de l’EBI (Regeling model huisregels EBI, 12 octobre 1998, 715635/98/DJ, Journal officiel 1998, no 233). Parmi les caractéristiques du régime EBI, on peut citer les suivantes :

- tous les contacts avec le monde extérieur sont contrôlés ; toutes les lettres et toutes les conversations téléphoniques (deux de dix minutes chacune par semaine) sont contrôlées, à l’exception de celles échangées avec des contacts privilégiés ; les détenus doivent être séparés de leurs visiteurs (une visite d’une heure par semaine) par une vitre transparente (« visites fermées ») ; les membres de leurs proches familles, conjoints et partenaires, peuvent venir en visite une fois par mois sans qu’il y ait ladite séparation (« visites ouvertes »), même si les contacts physiques sont alors limités à une poignée de main à l’arrivée et au départ ; les visiteurs doivent se soumettre à une fouille de leurs vêtements avant une visite « ouverte » ;

- le personnel de l’EBI ne peut avoir de contacts qu’avec un détenu à la fois, et il doit y avoir toujours au moins deux agents ; à cet effet, des couloirs spéciaux ont été construits qui conduisent à des aires où se déroulent les activités de groupe ; ces aires font l’objet d’une vidéo-surveillance ou sont surveillés par des agents qui se trouvent physiquement séparés des détenus par une cloison ;

- les détenus peuvent participer à des activités sportives au moins deux fois par semaine ; ils peuvent passer au moins une heure par jour dehors et peuvent utiliser la cour d’exercice à des heures déterminées, lors des périodes de récréation que prévoit leur programme ; ils ont le droit de passer au moins six heures par semaine dans des activités récréatives de groupe ;

- les activités de groupe ne peuvent rassembler plus de quatre personnes à la fois ;

- les détenus qui quittent les locaux doivent être menottés, par exemple lorsqu’ils se rendent au tribunal ou à l’hôpital pour y subir un traitement ; ils peuvent également être menottés à l’intérieur de l’EBI, dans les secteurs où ils pourraient avoir accès à des objets avec lesquels ils pourraient blesser des membres du personnel ou prendre des otages, par exemple lorsqu’ils se rendent chez le coiffeur ou à la clinique, ou lorsqu’on les escorte au parloir pour une visite « ouverte » ;

- les cellules sont régulièrement (en pratique, chaque semaine) soumises à une fouille approfondie ; au même moment ou immédiatement après, les détenus sont fouillés à corps et leurs vêtements sont aussi fouillés ; la fouille à corps, qui comporte un examen externe des orifices et crevasses du corps, y compris une inspection anale, est effectuée dans une pièce fermée, et, chaque fois que c’est possible, par une personne du même sexe que le détenu ;

- il est également procédé à la fouille des vêtements du détenu et à la fouille à corps du détenu lui-même

 ? lors de l’admission du détenu dans l’EBI et lors de sa sortie ;

 ? avant et après les visites « ouvertes » ;

 ? après les visites à la clinique, au cabinet du dentiste ou chez le coiffeur ;

- le directeur de l’EBI ou, en cas d’urgence, un agent ou employé de l’EBI, peut décider que le détenu doit être soumis à une fouille corporelle interne si la mesure est jugée nécessaire pour éviter que le maintien du bon ordre ou de la sécurité à l’intérieur de la prison soient mis en danger ou pour protéger la santé du détenu lui-même ; une fouille corporelle interne est normalement effectuée par un médecin, mais celui-ci peut également déléguer cette tâche à une infirmière.

III. LES CONSTATATIONS DU COMITÉ EUROPÉEN POUR LA PRÉVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES ET TRAITEMENTS INHUMAINS OU DÉGRADANTS

32. Le CPT a effectué une visite aux Pays-Bas du 17 au 27 novembre 1997. Ses constatations relativement au (T)EBI (Tijdelijke Extra Beveiligde Inrichting - Etablissement temporaire de sécurité maximale) et à l’EBI étaient les suivantes (rapport au Gouvernement néerlandais concernant la visite effectuée aux Pays-Bas par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines et traitements inhumains ou dégradants (CPT) du 17 au 27 novembre 1997, CPT/Inf (98) 15, extraits) :

« 58. Le nouveau complexe pénitentiaire de Vosseveld, qui est situé dans un secteur très boisé de Vught, a vu le jour en 1953. Conçu à l’origine pour accueillir quelque 140 jeunes délinquants, il a depuis été agrandi, pour devenir l’un des complexes pénitentiaires les plus vastes aux Pays-Bas. A l’époque de la visite du CPT, il avait une capacité totale de 621 places pour jeunes délinquants et détenus mâles adultes.

Lors de la visite qu’il y a effectuée, le CPT a mis l’accent sur l’établissement national de sécurité maximale (unité 5), qui comporte 35 places pour des détenus dont il a été jugé probable qu’ils tenteraient de s’évader en ayant recours à la violence (17 places pour des prévenus séjournant en détention provisoire et 18 places pour des détenus condamnés). L’unité est située dans deux bâtiments distincts : l’ « Etablissement temporaire de sécurité maximale » (Tijdelijk Extra Beveiligde Inrichting - (T)EBI), qui compte 11 places, a été ouvert en août 1993 et est physiquement situé dans une aile de l’unité 1, tandis que l’« Etablissement de sécurité maximale » (Extra Beveiligde Inrichting - EBI), qui compte 24 places et qui a été construit pour répondre à des besoins de sécurité spécifiques, a été achevé en août 1996.

b. Conditions matérielles

59. Les cellules visitées par la délégation du CPT tant dans les locaux du (T)EBI que dans ceux de l’EBI étaient de dimensions raisonnables pour une occupation individuelle (quelque 9 m2), adéquatement meublées (lit, chaise, armoire et table) et équipées d’un lavabo et d’une bassine.

La lumière artificielle à l’intérieur des cellules était d’une bonne qualité dans les deux bâtiments ; en revanche, l’accès à la lumière du jour était nettement plus faible au sein du (T)EBI (où les fenêtres des cellules sont partiellement obscurcies par des panneaux de verre dépoli) que dans l’EBI. La ventilation à l’intérieur des cellules du (T)EBI laissait également quelque peu à désirer. Un certain nombre des détenus du (T)EBI entendus par la délégation se sont plaints de ces problèmes.

Le CPT recommande que des mesures soient prises pour améliorer l’accès à la lumière du jour dans les cellules du (T)EBI. La délégation du CPT a été informée que des travaux d’amélioration du système de ventilation à l’intérieur du (T)EBI devaient commencer en janvier 1998 ; le Comité aimerait recevoir confirmation que ces travaux ont à présent été effectués, ainsi que le relevé détaillé des améliorations apportées.

60. D’une manière plus générale, si l’EBI est situé dans des locaux clairs et raisonnablement spacieux, le (T)EBI (qui est également connu sous le nom de « oud bouw » ou « vieux bâtiment »), est un bâtiment nettement plus décrépi. Le CPT aimerait qu’on l’avise si les autorités néerlandaises envisagent de fermer l’Etablissement « temporaire » de sécurité maximale dans un proche avenir.

c. Régime

61. Le CPT a exposé de manière détaillée, dans le rapport établi à l’issue de sa visite aux Pays-Bas en 1992, son avis concernant la nature du régime qui devrait être offert aux personnes détenues dans des unités de sécurité spéciale. A cette occasion, il avait salué la recommandation de la Commission Hoekstra d’après laquelle tout EBI futur devrait avoir « un régime aussi normal que possible ».

Dans son rapport de 1992, le CPT soulignait que les détenus devaient bénéficier d’un régime relativement souple (possibilité pour eux de se mêler à leur gré au petit nombre de codétenus séjournant dans l’unité ; permission d’évoluer librement à l’intérieur de ce qui ne peut guère être qu’un espace physique relativement restreint ; offre d’un choix varié d’activités, etc.) en guise de compensation pour leurs dures conditions d’incarcération. Le CPT ajoutait que des efforts particuliers devaient être faits pour promouvoir une bonne atmosphère interne à l’intérieur de pareilles unités. L’objectif devait être de construire des liens positifs entre le personnel de la prison et les détenus, semblable attitude étant dans l’intérêt non seulement du traitement humain des occupants de l’unité, mais aussi du maintien d’un contrôle effectif sur les détenus et de la sécurité de la prison et de son personnel. L’existence d’un programme d’activités satisfaisant est tout aussi importante - sinon plus - dans une unité spéciale de détention qu’elle ne l’est dans des locaux ordinaires. Elle peut contribuer nettement à contrecarrer les effets délétères que produit sur la personnalité d’un détenu le fait de vivre dans l’atmosphère confinée d’une telle unité. Les activités offertes doivent être aussi diverses que possible (éducation, sport, travail à valeur d’apprentissage). En ce qui concerne en particulier les activités de travail, il est clair que les considérations de sécurité peuvent mettre obstacle à de nombreux types d’activités que l’on trouve dans les établissements pénitentiaires ordinaires. Il faut toutefois éviter de n’offrir aux prisonniers que des tâches de nature fastidieuse. A cet égard, on peut renvoyer aux suggestions formulées au paragraphe 87 de l’exposé des motifs de la Recommandation no R (82) 17 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe.

62. Le régime actuellement en vigueur au sein des unités du (T)EBI et de l’EBI est régi par une circulaire qui a été édictée par le Directeur général des services pénitentiaires le 22 août 1997 (cf. document 646189/97/DJI). D’après ce texte,

« L’établissement de sécurité maximale (EBI) de Vught impose un régime où les communications sont limitées. A cet égard, il y a lieu de distinguer, au sein de l’EBI, entre ce que l’on appelle le régime A et le régime B, le premier prévoyant des restrictions plus sévères que le second.

Des groupes de deux à quatre détenus au maximum prennent part aux activités. Dans le cadre du régime B, le nombre de détenus pouvant participer à des activités de groupe est de quatre, tandis que dans le cadre du régime A, il est de trois. Les activités collectives ne sont partagées que par les détenus d’une même section.

Pour des raisons de sécurité, le personnel en contact avec les détenus doit toujours être supérieur en nombre à ceux-ci, et il doit même parfois même être complètement séparé d’eux physiquement par une cloison (vitrée) transparente. De surcroît, afin d’assurer la sécurité du personnel en question, dans les cas couverts par l’article 15 alinéas 2 et 3 du chapitre III du règlement intérieur de l’EBI de Vught, les mouvements des détenus sont entravés par des menottes. »

63. La délégation a estimé qu’en pratique le temps passé par les détenus en dehors de leurs cellules à l’intérieur du (T)EBI et de l’EBI chaque jour variait d’un minimum d’une heure (d’exercice en extérieur) à un maximum de quelque quatre heures et demie (d’exercice et d’activités récréatives et/ou sportives en extérieur). En fonction du régime (A ou B) qui lui a été déclaré applicable et du groupe auquel il a été affecté, chaque détenu partage ses activités avec un à trois autres détenus.

Les cours d’exercice extérieures au sein de l’EBI sont de dimensions raisonnables et un tapis roulant est disponible pour les détenus qui souhaitent s’adonner à des activités physiques plus intenses. Les cours d’exercice à l’intérieur du (T)EBI sont également assez grandes pour permettre aux détenus de faire de l’exercice physique ; en revanche, leur design en forme de cage en font des lieux plutôt oppressants.

Au cours des périodes de récréation (une à deux heures), les détenus se voient conférer l’accès à des aires communes, où ils peuvent se mêler les uns aux autres, cuisiner et manger leur propre nourriture, utiliser un ordinateur et/ou jouer à des jeux, notamment au tennis de table.

En ce qui concerne les facilités offertes pour le sport, chacune des quatre unités de l’EBI est équipée d’une palette impressionnante d’équipements situés dans une salle aux murs de verre relativement hauts. En revanche, les détenus n’ont accès à ces équipements qu’une ou deux fois quarante-cinq minutes par semaine. Là encore, les facilités correspondantes du (T)EBI sont de moins bonne qualité. L’EBI dispose également d’un vaste gymnase bien équipé mais, à l’époque de la visite, il semblait n’en être fait que relativement peu usage.

Il n’y a pas d’activités éducatives organisées. Il n’y a pas non plus de travail hors cellule ; du travail à effectuer en cellule est parfois offert aux détenus, mais il s’agit de tâches d’une nature peu stimulante (par exemple, monter de petits crochets en plastique pour rideaux sur de petites tringles).

64. Toutes les activités offertes aux détenus à l’intérieur du (T)EBI et de l’EBI font l’objet d’une surveillance importante de la part du personnel (ce qui est parfaitement compréhensible dans une unité de ce type) ; toutefois, les contacts directs entre le personnel et les détenus sont très limités (le personnel et les détenus étant la plupart du temps séparés par des panneaux de verre armé). Cela ne favorise pas l’établissement de liens positifs entre le personnel et les détenus. Les contacts avec le personnel non affecté à la surveillance des détenus - notamment avec le personnel médical - sont également soumis à une série de restrictions très importantes (...).

65. Il convient également de relever que les détenus font régulièrement l’objet de fouilles corporelles (pratique qualifiée par euphémisme de « visite » (« visitatie »)). Pareilles fouilles - qui comportent des inspections anales - sont effectuées au moins une fois par semaine sur tous les détenus, indépendamment de la question de savoir si les intéressés ont eu ou non des contacts avec le monde extérieur.

66. En ce qui concerne les contacts avec le monde extérieur, il convient de noter que le règlement intérieur des unités du (T)EBI et de l’EBI prévoit que les détenus ont le droit de recevoir une visite d’une heure par semaine des membres de leurs familles et d’autres personnes préalablement autorisées par la direction de la prison. En principe, les visites ont lieu dans des conditions « fermées » (c’est-à-dire au travers d’un panneau de verre armé dans une cabine de visite). Les détenus ont également le droit de demander une visite « ouverte » par mois de membres de leurs familles ; toutefois, les contacts physiques lors de ces visites sont limités à une poignée de main au début et à la fin de la visite. Le détenu et sa famille demeurent séparés par une table équipée d’une barrière située à hauteur de la poitrine, et des surveillants se tiennent juste derrière le détenu tout au long de la visite. Un certain nombre de détenus entendus par la délégation ont déclaré que, compte tenu des effets bouleversants produits par ces restrictions sur les membres de leurs familles, ils ne demandent plus de visites « ouvertes ».

67. Pour résumer, les détenus qui séjournent dans les unités du (T)EBI et de l’EBI sont soumis à un régime très appauvri. Ils passent trop peu de temps en dehors de leurs cellules ; en dehors de celles-ci, ils ne se mêlent qu’à un petit nombre de leurs codétenus, et leurs relations avec le personnel et les visiteurs sont très limitées ; en conséquence, ils n’ont pas assez de contacts humains. De surcroît, trop peu d’activités leur sont proposées. Tel est notamment le cas en matière d’éducation et de travail. Toutefois, même en ce qui concerne le sport, les détenus n’ont pas suffisamment accès aux très bons équipements disponibles. De surcroît, certains aspects du régime (en particulier les fouilles à corps systématiques) ne paraissent pas répondre à des besoins légitimes de sécurité et sont humiliants pour les prisonniers.

68. Les longs entretiens que la délégation a eus avec huit détenus du (T)EBI et de l’EBI ont fait apparaître que le régime dans son ensemble emporte des conséquences psychologiques dommageables pour ceux qui y sont soumis. De fait, les entretiens ont révélé une association constante de symptômes psychologiques paraissant avoir été induits par le régime. Les détenus interrogés présentaient le profil symptomatique suivant :

- un sentiment de désarroi, prenant la forme de troubles de l’identité normale et de difficultés importantes de projection dans l’avenir ; dans certains cas, la perte d’identité s’accompagnait d’épisodes de dépersonnalisation caractérisés ;

- un sentiment d’impuissance, étroitement lié au précédent et conduisant à une régression et à une préoccupation excessive pour les fonctions corporelles ;

- un sentiment de colère, l’émotion prédominante étant celle d’une rage (clairement liée au sentiment d’impuissance) dirigée à la fois contre soi (avec des manifestations de mésestime de soi, de manque de confiance, et les symptômes dépressifs associés) et contre autrui ;

- des difficultés de communication, associées aux symptômes de dépersonnalisation précités.

La délégation a vu ses préoccupations concernant les conséquences psychologiques préjudiciables du régime renforcées lors de sa visite subséquente à la clinique du docteur S. van Mesdag, où elle a interrogé un certain nombre de patients qui avaient précédemment séjourné dans le (T)EBI ou dans l’EBI et qui présentaient manifestement des séquelles psychologiques persistantes (insomnie ; symptômes d’anxiété ; troubles de l’identité ; troubles émotifs et symptômes psychosomatiques).

Le CPT ajoute qu’il n’ignore pas que le psychologue employé par le (T)EBI s’est dit publiquement convaincu que le régime n’emporte « aucun effet dommageable important sur les détenus ». Cet avis n’a toutefois jamais été soumis à la moindre forme de contrôle ou d’évaluation par des spécialistes. Il convient d’ajouter que le conseiller psychiatrique du bureau médicolégal du ministère de la Justice a exprimé devant la délégation un avis contraire à celui du psychologue de l’EBI, citant comme exemple le cas d’un détenu ayant développé une psychose paranoïde sévère lors de son séjour dans le (T)EBI.

69. A la lumière de toutes les informations à sa disposition, le CPT est amené à conclure que le régime actuellement appliqué au sein du (T)EBI et de l’EBI peut s’analyser en un traitement inhumain. Soumettre des détenus qualifiés de dangereux à pareil régime est de nature à rendre les intéressés plus dangereux encore.

70. Les facilités disponibles au sein de l’établissement de sécurité maximale sont d’un standard élevé. Elles sont parfaitement à même d’offrir un régime remplissant les critères énoncés au paragraphe 61 du présent rapport sans mettre à mal les préoccupations légitimes de sécurité.

Le CPT recommande que le régime actuellement appliqué au sein de l’établissement de sécurité maximale soit corrigé à la lumière des remarques formulées aux paragraphes 61 à 67 du présent rapport. En particulier, le système de groupe existant, s’il n’est pas supprimé, doit à tout le moins être assoupli, et les détenus doivent se voir offrir la possibilité de passer plus de temps en dehors de leurs cellules, ainsi qu’une palette plus diversifiée d’activités. De surcroît, les politiques de fouille actuellement en vigueur doivent être revues de manière que les fouilles ne soient plus opérées que lorsqu’elles sont strictement nécessaires du point de vue de la sécurité. De même, les règles régissant actuellement les visites doivent être révisées ; l’objectif doit être de permettre aux visites de se dérouler dans des conditions plus ouvertes. »

33. Le gouvernement néerlandais a répondu comme suit (rapport provisoire du gouvernement néerlandais en réponse au rapport établi par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines et traitements inhumains ou dégradants (CPT) à la suite à sa visite aux Pays-Bas du 17 au 27 novembre 1997, CPT/Inf (98) 15, extraits) :

« 3. L’« Etablissement de sécurité maximale » ((T)EBI/EBI) au sein du nouveau complexe pénitentiaire de Vosseveld

Recommandations du CPT

28. (...)

(...)

29. Le CPT recommande que le régime actuellement appliqué au sein de l’établissement de sécurité maximale soit corrigé à la lumière des remarques formulées aux paragraphes 61 à 67 du présent rapport. En particulier, le système de groupe existant, s’il n’est pas supprimé, doit à tout le moins être assoupli, et les détenus doivent se voir offrir la possibilité de passer plus de temps en dehors de leurs cellules, ainsi qu’une palette plus diversifiée d’activités. De surcroît, les politiques de fouille actuellement en vigueur doivent être revues de manière que les fouilles ne soient plus opérées que lorsqu’elles sont strictement nécessaires du point de vue de la sécurité. De même, les règles régissant actuellement les visites doivent être révisées ; l’objectif doit être de permettre aux visites de se dérouler dans des conditions plus ouvertes (paragraphe 70).

Réponse : Le (T)EBI abrite des détenus dont on considère qu’il est extrêmement probable qu’ils tentent de s’évader, soit avec une aide extérieure, soit par des moyens violents. D’une manière générale, ces déteneus se répartissent en trois catégories : ceux qui sont supposés faire partie d’organisations criminelles ; ceux qui purgent des peines pour homicide involontaire et meurtre ; et ceux qui se sont évadés de prison par le passé soit en prenant des agents pénitentiaires en otage, soit en faisant usage d’armes à feu (et, le cas échéant, en bénéficiant d’une aide extérieure). Les règles régissant la détention de pareilles personnes doivent se fonder d’abord et avant tout sur des dispositions systématiques permettant d’assurer une sécurité étanche, même si un régime humain doit être prévu dans ce contexte. La tâche de l’EBI, comme celle de toute autre prison, est de permettre l’exécution ininterrompue de peines privatives de libertés. Les restrictions imposées aux prisonniers ne doivent pas excéder ce qui est nécessaire pour les priver de leur liberté. Ce qui distingue l’EBI d’autres prisons, c’est la nature des restrictions requises pour atteindre cet objectif. Elles doivent être plus sévères, car les détenus présentent, par définition, un risque supérieur à la moyenne d’évasion ou de perturbation du régime carcéral ordinaire. En pratique, cela signifie que l’objet du (T)EBI et de l’EBI est de créer un lieu et un régime dont il est impossible de s’évader, même en prenant des agents pénitentiaires en otage.

Le régime en vigueur au sein de l’EBI est le plus sévère que l’on puisse trouver aux Pays-Bas. Pour cette raison, l’utilisation de l’institution est réduite au minimum, et la décision d’y placer des prisonniers est prise par un comité extérieur, composé de manière très diversifiée, et sa justification est par la suite contrôlée à des intervalles fréquents. Nonobstant la sévérité du régime, les détenus séjournant dans l’EBI peuvent passer suffisamment de temps en dehors de leurs cellules (§ 63), et ils ont la possibilité de participer à des activités récréatives, sportives, musicales, créatives, éducatives et autres. L’éventail des activités disponibles donne aux détenus des occasions régulières d’avoir des contacts humains, et le personnel de l’EBI s’efforce délibérément d’encourager pareils contacts et la participation à des activités chaque fois que c’est possible. La petite taille de la population de l’unité (§ 67) est essentielle au maintien de l’ordre, de la sécurité et de la surveillance, ainsi qu’à la prévention des évasions. Il est vrai qu’il existe des restrictions spéciales aux contacts avec le monde extérieur (sous la forme d’une cloison vitrée qui sépare les prisonniers de leurs visiteurs), mais la fréquence des visites est la même que dans les prisons ordinaires.

Les règles régissant les fouilles au sein du (T)EBI et de l’EBI sont essentielles pour garantir la sécurité du personnel. Elles ont été examinées par le passé dans le cadre de l’évaluation semestrielle de l’EBI, et il a été décidé que les détenus ne doivent pas être fouillés plus souvent qu’il n’est strictement nécessaire. Cela signifie que les détenus ne sont pas toujours fouillés à leur retour dans leurs cellules mais qu’ils ne le sont que s’ils se sont trouvés hors du champ de vision du gardien qui les a extraits de leur cellule.

Les visites sont organisées de manière à permettre des contacts visuels, verbaux et non verbaux, tout en empêchant des contacts physiques directs. Les règles spéciales régissant les visites figurent parmi les mesures de sécurité les plus importantes censées prévenir les évasions. Si les visites devaient être plus « ouvertes » et si l’on devait rendre possible l’introduction frauduleuse d’objets dans la prison, l’EBI n’aurait plus guère de raison d’être.

30. Le CPT recommande que les autorités néerlandaises ordonnent la réalisation d’une étude indépendante concernant l’état psychologique des détenus actuels et anciens de l’établissement de sécurité maximale (paragraphe 70)

Réponse : Le ministre de la Justice envisage d’étudier le fonctionnement de l’EBI début 1999. Il examinera alors l’opportunité de prescrire une étude complémentaire concernant l’impact du régime de l’EBI sur l’état psychologique des prisonniers si les résultats de la première étude le justifient. »

34. Le ministère de la Justice a chargé des chercheurs de l’université de Nimègue de mener une étude préliminaire concernant la politique de l’EBI en matière de prise en charge du bien-être psychologique des détenus et la faisabilité d’une étude théorique sur l’impact d’un régime de haute sécurité sur le bien-être psychologique des (anciens) détenus. Le 17 avril 2000, un rapport intitulé « Prise en charge psychologique des détenus à l’intérieur et à l’extérieur de l’Etablissement de sécurité maximale » (Zorg in en om de Extra Beveiligde Inrichting) a été remis par les chercheurs. Ceux-ci y concluaient que la préoccupation exprimée dans les instructions censées assurer le bien-être psychologique des détenus séjournant dans des conditions de sécurité maximale était effectivement manifeste dans la gestion quotidienne de l’EBI, le personnel de l’établissement se montrant conscient de la tension entre sécurité et humanité et s’efforçant de la réduire. Ils ajoutaient qu’une étude de l’impact psychologique d’un régime de haute sécurité sur les détenus était faisable. Cela dit, ils soulignaient qu’ils n’avaient examiné ni la qualité de la prise en charge du bien-être psychologique des détenus séjournant dans l’EBI, ni l’état psychologique réel des détenus, ni les effets que le régime produisait sur eux.

35. Le ministre de la Justice a ordonné la réalisation par les mêmes chercheurs d’une étude de suivi comportant la surveillance du stress provoqué par le rythme jour-nuit et d’autres facteurs parmi les détenus séjournant dans des conditions de sécurité maximale, sur la base d’une comparaison avec un groupe de contrôle formé de détenus séjournant dans des conditions de semi-isolement. Cette étude devrait être terminée d’ici l’été 2003.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

36. Le requérant allègue que sa détention au sein de l’EBI a violé l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Thèses défendues par les comparants

1. Le requérant

37. Le requérant considère qu’à la lumière des commentaires très critiques formulés par le CPT sur divers aspects du régime de l’EBI, il ne peut y avoir aucun doute que celui-ci doit être qualifié d’inhumain.

38. Pour illustrer le fait que les constatations du CPT s’appliquent aussi spécifiquement à lui, il met en relief un certain nombre d’aspects concernant sa situation individuelle. Il fait valoir en premier lieu que sa détention dans l’EBI a duré au-delà des deux ans qui, comme l’a affirmé le Gouvernement dans diverses procédures internes, constituent la durée moyenne de placement. Deuxièmement, le régime applicable au sein de l’EBI aurait produit sur son état psychologique des effets énormes : il l’aurait véritablement miné, et cela se serait traduit par toute une série de probèmes psychologiques et physiques. La substance de la plupart des rapports établis par M. V., du service psychologique du Centre de sélection pénitentiaire, confirmerait que son placement dans l’EBI aurait pesé lourdement sur lui, qui avait été jugé inapte à être soumis à pareil régime. Lors de leur dernière conversation, qui donna lieu au rapport du 18 avril 2001 (paragraphe 24 ci-dessus), M. V. lui aurait confessé qu’il avait conscience de la gravité du préjudice psychologique que le régime lui causait. Le requérant affirme regretter que M. V. n’ait pas jugé bon de formuler cet avis par écrit.

39. Les contacts avec le médecin, le psychologue et le psychiatre de l’établissement n’auraient pas entraîné d’amélioration notable de sa situation. Pareille amélioration n’avait d’ailleurs guère de chance de se produire, dès lors que la source principale de sa tension et de sa frustration résidait dans le régime lui-même, qui avait créé une situation de privation sensorielle et d’isolement social. Aucun des travailleurs sociaux et des médecins de l’EBI n’aurait jamais exprimé une compréhension réelle de ses problèmes psychologiques, et ce serait exactement cette sous-estimation des effets produits par le régime sur lui qui aurait aggravé ses sentiments d’impuissance et de solitude. De surcroît, les contacts avec lesdits professionnels devaient avoir lieu derrière une vitre, ce qui ne pouvait guère favoriser l’établissement d’un cadre de confidentialité.

40. Deux aspects du régime auraient pesé particulièrement lourdement sur le requérant, alors qu’ils n’étaient pas strictement nécessaires du point de vue de la sécurité. Premièrement, le requérant aurait été soumis à des fouilles à corps - y compris à des inspections anales - toutes les semaines, et souvent même plus fréquemment, pendant trois ans et demi, et, lorsqu’elles avaient lieu en même temps que l’inspection hebdomadaire de sa cellule, indépendamment de la question de savoir s’il avait eu des contacts avec le monde extérieur ou s’il avait quitté sa cellule. Jugée humiliante par lui, la fouille à corps supposait qu’il se déshabille complètement, qu’il soit inspecté et touché et qu’il prenne des positions qu’il trouvait embarrassantes.

Deuxièmement, l’application du régime des visites aurait eu pour effet de le priver de contacts humains normaux, et notamment de contacts physiques avec ses proches. Le requérant accuse le Gouvernement de ne pas avoir ménagé un juste équilibre entre les considérations de sécurité et son souhait justifié de contacts physiques, compte tenu du fait qu’il n’y avait jamais eu la moindre indication concrète, tangible qu’il échafaudait des plans pour s’évader. De surcroît, la sévérité des règles de sécurité entourant les visites faisait qu’il était impossible de faire entrer en fraude des objets dangereux dans l’établissement. A supposer que cela fût possible, les objets en question ne pouvaient qu’être découverts lors de la fouille à corps opérée immédiatement après la visite.

41. Aussi le requérant maintenait-il dans ses observations ses griefs aux termes desquels il avait été traité de manière inhumaine ou, à tout le moins, dégradante.

2. Le Gouvernement

42. Le Gouvernement explique que la nécessité d’une prison de sécurité maximale était apparue après la vague d’évasions de détenus que les Pays-Bas avaient connue dans les années 80 et au début des années 90. Ces évasions avaient souvent comporté l’usage d’armes à feu, de couteaux ou d’armes analogues, ainsi que des prises d’otages. Le public avait fini par s’alarmer, tandis que les agents pénitentiaires avaient commencé à craindre pour leur sécurité.

43. Tout en ne niant pas que le régime en vigueur au sein de l’EBI impose des restrictions sévères - raison pour laquelle, au demeurant, les autorités placent aussi peu de monde que possible dans cet établissement - le Gouvernement estime qu’on ne peut le qualifier ni d’inhumain ni de dégradant. Chacune des strictes mesures de sécurité applicables au sein de l’EBI serait justifiée, compte tenu des risques graves que l’adoption de mesures moins contraignantes emporterait. Le Gouvernement affirme être très conscient de son obligation de minimiser les risques pour le personnel pénitentiaire, ainsi que de son devoir de faire tout son possible pour protéger le public en empêchant les personnes condamnées pour des crimes graves de retourner dans la communauté avant d’avoir purgé leur peine légale.

44. Pour le Gouvernement, l’observation du CPT selon laquelle le régime « peut s’analyser en un traitement inhumain » ne signifie pas qu’il soit réellement inhumain, puisqu’il est impossible de dire comment le régime affecte les détenus en général ; les effets produits dépendraient plutôt de la personnalité de chaque individu, de son caractère, et d’autres facteurs personnels. En l’espèce, rien ne prouverait que la santé mentale du requérant ait sérieusement souffert du fait de la détention de l’intéressé dans l’EBI. Le requérant aurait eu des contacts avec ses codétenus, il aurait été autorisé à recevoir des visites de ses parents et amis et il aurait eu amplement l’occasion de passer des appels téléphoniques et de participer à une grande variété d’activités. Son bien-être physique et mental aurait été surveillé de près : comme cela aurait été reconnu dans le rapport « Prise en charge psychologique à l’intérieur et à l’extérieur de l’établissement de sécurité maximale », il y aurait au sein de l’EBI un système opérationnel de prise en charge psychologique et psychiatrique, qui ferait qu’il est peu probable que la santé mentale d’un détenu subisse des dommages importants sans que l’on s’en rende compte. Enfin, le rapport de M. V. en date du 18 avril 2001 (paragraphe 24 ci-dessus) montrerait que si le requérant a effectivement présenté, au cours de la période examinée, des symptômes d’une dépression faible à modérée, il n’a souffert d’aucune pathologie sérieuse et a eu un comportement tout à fait normal.

45. En conclusion, le Gouvernement estime que le requérant est resté en défaut de démontrer au-delà de tout doute raisonnable que sa détention dans l’EBI doit être qualifiée de traitement inhumain au sens de l’article 3 de la Convention.

B. L’appréciation de la Cour

1. Principes généraux

46. La Cour réaffirme d’emblée que l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs les plus fondamentales des sociétés démocratiques. Il prohibe en termes absolus la torture et les traitements ou peines inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances et les agissements de la victime (voir, par exemple, Labita c. Italie [GC] no 26772/95, § 119, CEDH 2000-IV).

47. La Cour rappelle par ailleurs sa jurisprudence selon laquelle, pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge, de l’état de santé de la victime, etc. (voir, parmi d’autres, l’arrêt Irlande c. Royaume-Uni du 18 janvier 1978, série A no 25, p. 65, § 162).

48. La Cour a jugé un traitement « inhumain » au motif notamment qu’il avait été appliqué avec préméditation pendant des heures et qu’il avait causé soit des lésions corporelles, soit de vives souffrances physiques ou mentales. Elle a par ailleurs considéré qu’un traitement était « dégradant » en ce qu’il était de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier et à les avilir (voir, par exemple, Kud ?a c. Pologne [GC], no 30210/96, § 92, CEDH 2000-XI). Pour qu’une peine ou le traitement dont elle s’accompagne puisse être qualifiée d’« inhumain » ou de « dégradant », la souffrance ou l’humiliation doivent en tout cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitimes (voir V. c. Royaume-Uni [GC], no 24888/94, § 71, CEDH 1999-IX). S’il convient de prendre en compte la question de savoir si le but du traitement était d’humilier ou de rabaisser la victime, l’absence d’un tel but ne saurait exclure de façon définitive le constat de violation de l’article 3 (voir, par exemple, Peers c. Grèce, no 28524/95, § 74, CEDH 2001-III, et Kalashnikov c. Russie, no 47095/99, § 101, CEDH 2002-VI).

49. Des conditions de détention peuvent, le cas échéant, s’analyser en un traitement inhumain ou dégradant (voir Peers précité, § 75). Lorsqu’on évalue des conditions de détention, il y a lieu de prendre en compte leurs effets cumulatifs, ainsi que les allégations spécifiques du requérant (Dougoz c. Grèce, no 40907/98, § 46, CEDH 2001-II).

50. Si les mesures privatives de liberté impliquent souvent un élément de souffrance ou d’humiliation, on ne peut pas dire que la détention dans un établissement pénitentiaire de haute sécurité, que ce soit à titre provisoire ou à la suite d’une condamnation au pénal, soulève en soi une question sous l’angle de l’article 3 de la Convention. La tâche de la Cour se limite à l’examen de la situation personnelle du requérant ayant subi le régime litigieux (voir Aerts c. Belgique, arrêt du 30 juillet 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-V, pp. 1958-1959, §§ 34-37). A cet égard, la Cour souligne que si des considérations d’ordre public peuvent amener des Etats à créer des prisons de haute sécurité pour des catégories particulières de détenus, l’article 3 de la Convention leur impose toutefois de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (arrêt Kud ?a précité, §§ 92-94).

51. Dans ce contexte, la Cour a précédemment jugé qu’un isolement sensoriel complet doublé d’un isolement social total peut détruire la personnalité et constitue une forme de traitement inhumain qui ne saurait se justifier par les exigences de la sécurité ou d’autres raisons. En revanche, l’interdiction de contacts avec d’autres détenus pour des raisons de sécurité, de discipline et de protection ne constitue pas en elle-même une forme de peine ou de traitement inhumains (voir Messina c. Italie (déc.), no 25498/94, CEDH 1999-V). Pour apprécier si pareille mesure peut tomber sous le coup de l’article 3 dans une affaire donnée, il y a lieu d’avoir égard aux conditions de l’espèce, à la sévérité de la mesure, à sa durée, à l’objectif qu’elle poursuit et à ses effets sur la personne concernée (voir Dhoest c. Belgique, requête no 10448/83, rapport de la Commission du 14 mai 1987, Décisions et rapports (DR) 55, pp. 20-21, §§ 117-118 ; McFeeley et autres c. Royaume-Uni, requête no 8317/78, décision de la Commission du 15 mai 1980, DR 20, p. 44).

2. Application au cas d’espèce

52. Se tournant vers les circonstances de l’espèce, la Cour observe tout d’abord que les griefs formulés par le requérant à l’encontre des conditions de sa détention ne concernent pas les conditions matérielles régnant au sein de l’EBI mais plutôt le régime qui lui a été imposé. Dans cette mesure, l’affaire peut être comparée à une série d’autres ayant concerné l’Italie et où les requérants alléguaient que le régime pénitentiaire particulier auquel ils avaient été soumis en vertu de l’article 41 bis de la loi sur l’administration pénitentiaire avait créé des conditions violant l’article 3 de la Convention (voir, par exemple, Messina c. Italie (déc.), précitée ; Indelicato c. Italie (déc.), no 31143/96, 6 juillet 2000, non publiée ; Ganci c. Italie (déc.), no 41576/98, 20 septembre 2001, non publiée, et Bonura c. Italie (déc.), no 57360/00, 30 mai 2002, non publiée).

53. La Cour note que les paragraphes 62 à 66 du rapport du CPT reproduits ci-dessus (paragraphe 32) contiennent une description détaillée, établie à la suite d’une visite dans les locaux en cause, des conditions qui régnaient au sein de l’EBI. Nul ne soutenant que cette description ne correspond pas à la réalité, la Cour admet qu’elle reflète de manière adéquate la situation existant au sein de l’EBI. Toutefois, la réponse à la question de savoir si le requérant a ou non été soumis à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention dépend d’une appréciation de la mesure dans laquelle il a été personnellement touché (paragraphe 50 ci-dessus).

54. Nul ne conteste que, au travers de sa détention dans l’EBI, le requérant a été soumis à des mesures de sécurité draconiennes. La Cour constate par ailleurs que les contacts sociaux de l’intéressé étaient strictement limités, puisqu’on l’empêchait d’avoir des contacts avec plus de trois codétenus à la fois, que les contacts directs avec le personnel de la prison étaient limités et que, hormis une fois par mois pour recevoir la visite de membres de sa proche famille, il ne pouvait rencontrer ses visiteurs que derrière une cloison vitrée. Toutefois, contrairement à la situation qui prévalait dans les affaires italiennes citées au paragraphe 52 ci-dessus, la Cour ne peut estimer que le requérant a été soumis à un isolement sensoriel ou à un isolement social complet. En vérité, le régime spécial qui était contesté en Italie était nettement plus restrictif, tant du point de vue de la possibilité pour les détenus de se mêler aux autres détenus qu’en ce qui concerne la fréquence des visites : il était formellement interdit aux détenus de se mêler les uns aux autres, et seuls les membres de leurs familles étaient autorisés à venir les voir, à raison d’une visite d’une heure par mois (voir Messina, précitée, § 13).

55. Le requérant fut placé dans l’EBI car les autorités compétentes estimaient qu’il était extrêmement probable qu’il tente de s’évader si on l’incarcérait dans un bâtiment connaissant un régime moins strict et que, s’il venait à s’évader, il représenterait un risque de récidive d’infractions violentes graves inacceptable pour la société (paragraphe 27 ci-dessus). Par la suite, le risque de voir le requérant s’évader fut jugé moins élevé ; toutefois, les autorités continuèrent à considérer qu’en cas d’évasion il représenterait un risque inacceptable pour la société, compte tenu de la nature des infractions qui lui étaient reprochées et de leurs effets sur la société et sur l’opinion publique (paragraphe 19 ci-dessus). Même si le requérant nie avoir eu de telles intentions, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur la validité de l’appréciation effectuée par les autorités internes. Eu égard à la gravité importante des infractions dont le requérant se trouvait accusé et pour lesquelles il a par la suite été condamné (paragraphe 10 ci-dessus), la Cour accepte le jugement porté par les autorités internes.

56. A l’appui de son affirmation selon laquelle le régime qui lui a été appliqué au sein de l’EBI a eu des effets tellement néfastes sur sa santé mentale qu’il tombe sous le coup de l’article 3 de la Convention, le requérant a produit une série de rapports établis par M. V., du service psychologique du Centre de sélection pénitentiaire (paragraphes 22-24 ci-dessus). Plusieurs de ces rapports confirment effectivement que, pendant la plus grande partie de son séjour au sein de l’EBI, le requérant a beaucoup souffert et a éprouvé des difficultés à accepter les restrictions imposées par l’EBI. Il a manifesté des symptômes dépressifs. La Cour observe par ailleurs qu’ont également été cités comme facteurs aggravants le fait que sa famille manquait au requérant et la tension résultant de la procédure pénale menée contre lui.

57. La Cour ne voit aucune raison de s’écarter de l’avis du CPT selon lequel la situation au sein de l’EBI est problématique et source de préoccupation. Il en va assurément encore plus ainsi si les détenus sont soumis au régime en vigueur au sein de l’établissement pour de longues périodes.

58. Le requérant soutient de surcroît que s’il n’est pas jugé inhumain, le traitement auquel il a été soumis doit à tout le moins être qualifié de dégradant. A cet égard, la Cour observe qu’en application du règlement intérieur de l’EBI, le requérant était fouillé à corps avant et après chaque visite « ouverte », ainsi qu’après chaque visite à la clinique, chez le dentiste ou chez le coiffeur. En outre, pendant une période de trois années et demie, l’intéressé a été obligé de se soumettre à la fouille à corps, et notamment à l’inspection anale, lors de chaque inspection hebdomadaire de sa cellule (paragraphe 31 ci-dessus), même lorsqu’au cours de la semaine précédant l’inspection il n’avait pas eu de contacts avec le monde extérieur (paragraphe 65 du rapport du CPT), et nonobstant le fait qu’il avait déjà été fouillé à corps s’il avait reçu une visite « ouverte », ou s’il s’était rendu à la clinique, chez le dentiste ou chez le coiffeur. Cette fouille à corps hebdomadaire était ainsi effectuée de manière routinière, et elle ne répondait pas à un impératif de sécurité concret et ne résultait pas du comportement du requérant.

La fouille à corps telle qu’elle était pratiquée au sein de l’EBI obligeait le requérant à se déshabiller en présence d’agents pénitentiaires et à se soumettre à une inspection rectale qui le contraignait à adopter des positions embarrassantes.

59. Pour le requérant, c’était là l’une des caractéristiques du régime les plus difficiles à supporter, tandis que le Gouvernement affirme que les fouilles à corps étaient nécessaires et justifiées.

60. La Cour a précédemment jugé que les fouilles à corps peuvent s’avérer nécessaires parfois pour garantir la sécurité à l’intérieur de la prison ou pour prévenir des troubles ou des infractions (voir Valašinas c. Lituanie, no 44558/98, § 117, CEDH 2001-VIII ; Iwa ?czuk c. Pologne, no 25196/94, § 59, 15 novembre 2001, non publié ; McFeeley et autres c. Royaume-Uni précité, §§ 60-61). Dans les affaires Valašinas et Iwa ?czuk, c’était un cas de fouille à corps qui était au cœur du litige, tandis que l’affaire McFeeley et autres concernait des fouilles à corps intimes comportant des inspections anales qui étaient pratiquées à des intervalles de sept à dix jours avant et après les visites et avant chaque transfert d’un détenu vers une nouvelle aile de la prison de Maze, en Irlande du Nord, où des objets dangereux avaient par le passé été découverts dissimulés dans les rectums de détenus protestataires.

61. En l’espèce, la Cour est frappée par le fait que le requérant était soumis à la fouille à corps chaque semaine, en plus de toutes les autres mesures de sécurité draconiennes en vigueur au sein de l’EBI. Eu égard au fait que les autorités internes, au travers des rapports établis par le service psychologique de leur Centre de sélection pénitentiaire, savaient très bien que le requérant éprouvait de sérieuses difficultés à supporter le régime et qu’à aucun moment au cours du séjour du requérant au sein de l’EBI les autorités n’ont découvert quoi que ce soit à l’occasion d’une fouille à corps, la Cour estime que la fouille à corps systématique du requérant requérait davantage de justifications que le Gouvernement n’en a avancé en l’espèce.

62. Tenant compte du fait que le requérant était déjà soumis à un grand nombre de mesures de contrôle, la Cour considère que la pratique des fouilles à corps hebdomadaires, qui fut imposée au requérant pendant une période d’environ trois ans et demi, alors qu’il n’y avait pour cela aucun impératif de sécurité convaincant, a porté atteinte à sa dignité humaine et a dû provoquer chez lui des sentiments d’angoisse et d’infériorité de nature à l’humilier et à le rabaisser. Le requérant lui-même déclara que tel était effectivement le cas lors d’un entretien avec un psychiatre, au cours duquel il affirma également qu’il préférait par exemple renoncer à se rendre chez le coiffeur, de manière à ne pas avoir à subir une fouille à corps (paragraphe 25 ci-dessus).

63. En conséquence, la Cour conclut que la combinaison des fouilles à corps routinières et des autres mesures de sécurité draconiennes en vigueur au sein de l’EBI s’analysent en un traitement inhumain ou dégradant contraire à l’article 3 de la Convention. Il y a donc eu violation de cette disposition.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

64. Le requérant allègue également que sa détention au sein de l’EBI a violé ses droits garantis par l’article 8 de la Convention. La partie pertinente en l’espèce de cette disposition est ainsi libellée :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

65. Le requérant soutient que le grand nombre de mesures de sécurité qui étaient en vigueur au sein de l’EBI, en particulier la fouille à corps systématique mais également la surveillance de ses conversations téléphoniques et de sa correspondance et l’inspection quotidienne de sa cellule, ne lui ménageaient pas le moindre espace de vie privée. Il se plaint également des conditions dans lesquelles devaient se dérouler les visites que lui rendaient ses proches : derrière une cloison vitrée, sans aucune possibilité de contact physique hormis une poignée de main une fois par mois dans le cas de sa proche famille.

66. Le Gouvernement rétorque que les restrictions mises à la vie privée et familiale du requérant étaient inhérentes à sa détention et nécessaires au sens du paragraphe 2 de l’article 8. Le régime en vigueur au sein de l’EBI visait spécialement à renforcer les deux maillons les plus faibles de toute chaîne de sécurité : les contacts avec les personnes extérieures à l’institution, qui sont en mesure de fournir des informations et des moyens propres à permettre aux détenus de s’évader, et les contacts avec le personnel pénitentiaire, vulnérable aux agressions. C’est la raison pour laquelle les détenus n’étaient pas autorisés à s’entretenir sans surveillance avec leurs visiteurs, ni à avoir des contacts physiques susceptibles de leur permettre de recevoir des objets de nature à faciliter leur évasion. Et le Gouvernement de conclure que les contrôles et la surveillance systématiques étaient justifiés.

67. Dans la mesure où le grief du requérant selon lequel il a été victime d’une atteinte injustifiée à son droit au respect de sa vie privée englobe les fouilles à corps auxquelles il a été soumis, la Cour observe qu’elle a déjà examiné cet aspect du régime de l’EBI dans le contexte de l’article 3 de la Convention. Eu égard à la conclusion à laquelle elle a abouti à cet égard (paragraphe 63 ci-dessus), elle considère qu’il n’est pas nécessaire d’intégrer cet élément dans l’examen du présent grief.

68. La Cour rappelle que toute détention régulière au regard de l’article 5 de la Convention entraîne, par nature, une restriction à la vie privée et familiale de l’intéressé. S’il est essentiel au respect de la vie familiale que l’administration pénitentiaire aide le détenu à maintenir le contact avec sa famille (voir Messina c. Italie, no 25498/94, § 61, CEDH 2000-X), la Cour reconnaît par ailleurs qu’une dose de contrôle des contacts des détenus avec le monde extérieur est nécessaire et non incompatible en soi avec la Convention (voir Kalashnikov c. Russie (déc.), no 47095/99, CEDH 2001-XI).

69. En l’espèce, le requérant a été soumis à un régime qui comportait davantage de restrictions à sa vie privée et familiale qu’un régime carcéral ordinaire aux Pays-Bas. C’est ainsi que sa cellule était inspectée quotidiennement, que sa correspondance était lue, que ses entretiens téléphoniques et ses conversations avec ses visiteurs étaient surveillés, qu’il n’était autorisé à se mêler qu’à un nombre limité de codétenus et qu’il était séparé de ses visiteurs par une cloison vitrée, hormis la possibilité d’une visite « ouverte » par mois pour les membres de sa proche famille, auxquels il pouvait serrer la main au début et à la fin de la visite. Dès lors qu’il y a ainsi eu atteinte au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale au sens de l’article 8 § 1 de la Convention, la question se pose de savoir si cette atteinte était justifiée au regard du paragraphe 2 de l’article 8, c’est-à-dire si l’on peut considérer qu’elle était « prévue par la loi », qu’elle poursuivait un ou plusieurs des buts légitimes mentionnés dans ledit paragraphe et qu’elle était « nécessaire dans une société démocratique ».

70. La Cour note que les restrictions incriminées se fondaient sur la loi de 1999 relative aux principes pénitentiaires, sur le règlement pénitentiaire et sur le règlement intérieur de l’EBI, et elle n’aperçoit donc aucun élément permettant de dire qu’elles n’étaient pas « prévues par la loi ». Elle admet également que ces restrictions poursuivaient le but légitime que constituent la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales, au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.

71. La Cour observe que le requérant a été placé dans l’EBI au motif que les autorités jugeaient probable qu’il tente de s’évader. Ainsi qu’elle l’a relevé ci-dessus (paragraphe 55), il ne lui appartient pas d’apprécier la justesse de cette supposition, mais elle admet que les autorités étaient fondées à considérer qu’une évasion du requérant aurait représenté un risque sérieux pour la société. Dans cette mesure, la présente espèce se distingue donc des affaires concernant l’Italie auxquelles référence a été faite ci-dessus (paragraphe 52) : dans ces dernières, les caractéristiques particulières du point de vue de la sécurité du régime spécial en cause avaient été conçues afin de couper tous les liens entre les prisonniers concernés et l’environnement criminel auquel ils avaient appartenu. En l’espèce, les mesures de sécurité incriminées ont été établies afin d’empêcher les évasions. La Cour considère que les traits particuliers du régime spécial italien et ceux du régime appliqué au sein de l’EBI illustrent parfaitement cette différence. Ainsi, dans le régime spécial italien, l’accent était davantage placé sur la restriction des contacts avec les autres détenus et avec les membres de la famille, tandis que le régime EBI concentrait les efforts de sécurité sur les moments et les lieux où les détenus pouvaient recevoir ou conserver des objets susceptibles d’être utilisés lors d’une tentative d’évasion ou obtenir ou échanger des informations concernant pareille tentative. Dans le cadre de ces contraintes, le requérant pouvait recevoir des visiteurs pendant une heure chaque semaine et avoir des contacts et prendre part à des activités de groupe avec d’autres détenus de l’EBI, même s’il y avait des limites au nombre de détenus que pouvait compter le groupe.

72. Eu égard aux circonstances de la présente espèce, la Cour estime que les restrictions mises au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale n’ont pas dépassé ce qui était nécessaire dans une société démocratique pour atteindre les buts légitimes recherchés.

En conséquence, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

73. L’article 41 de la Convention est ainsi libellé :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

74. Réaffirmant que le régime en vigueur au sein de l’EBI lui a causé des dommages psychologiques et physiques, le requérant demande 34,03 euros (EUR) par jour qu’il a passé dans l’EBI à titre de compensation du préjudice moral éprouvé par lui, soit au total 43 528,87 EUR.

75. Le Gouvernement juge cette prétention excessive. Il considère qu’un constat de violation de la Convention représenterait une satisfaction adéquate pour tout dommage moral pouvant avoir été subi par le requérant. Il fait observer en outre que dans son arrêt du 6 mars 2001 (paragraphe 10 ci-dessus) la cour d’appel de Bois-le-Duc a pris en compte le fait que le requérant avait passé une grande partie de sa détention provisoire dans un établissement de sécurité maximale pour déterminer la peine devant lui être infligée.

76. Gardant à l’esprit ses constatations ci-dessus relatives aux griefs du requérant, la Cour considère que l’intéressé a subi un dommage moral du fait du traitement auquel il a été soumis dans l’EBI. Statuant en équité, elle lui accorde 3 000 EUR de ce chef.

B. Frais et dépens

77. Le requérant soutient qu’il a plaidé le caractère contraire à la Convention de sa détention au sein de l’EBI tant à Strasbourg que dans diverses procédures suivies aux Pays-Bas. Bien que l’intéressé ait bénéficié de l’assistance judiciaire pour lesdites procédures, son avocat invite la Cour à lui allouer au total de 14 134,71 EUR, montant censé correspondre aux honoraires que les avocats ayant représenté le requérant dans les deux procédures lui auraient réclamé s’il n’avait pas bénéficié de l’assistance judiciaire.

78. Le Gouvernement estime qu’il ne serait pas normal qu’on l’oblige à payer une deuxième fois les frais de représentation en justice du requérant.

79. La Cour rappelle sa jurisprudence constante aux termes de laquelle, pour avoir droit au remboursement de ses frais et dépens, la partie lésée doit les avoir supportés afin d’essayer de prévenir ou de faire corriger une violation de la Convention, d’amener la Cour à la constater et d’en obtenir l’effacement. Il faut aussi que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, parmi beaucoup d’autres, Boultif c. Suisse, no 54273/00, § 61, CEDH 2001-IX).

Le requérant n’ayant pas eu effectivement à engager des frais, rien ne justifie l’octroi d’une somme de ce chef.

C. Intérêts moratoires

80. La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage (voir Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, § 124, CEDH 2002-VI)..

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

2.. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 000 EUR (trois mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai de trois mois et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en anglais et communiqué par écrit le 4 février 2003 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Michael O’Boyle Elisabeth Palm
 Greffier Présidente