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CEDH, 12 avril 2005 - Arrêts concernant la République tchèque, le Royaume-Uni et la Turquie

Mise en ligne : 3 février 2006

Dernière modification : 9 août 2010

Texte de l'article :

197
12.4.2005

Communiqué du Greffier

Arrêts de chambre concernant la République tchèque, le Royaume-Uni et la Turquie

 La Cour européenne des Droits de l’Homme a communiqué aujourd’hui par écrit les trois arrêts de chambre suivants, dont aucun n’est définitif [1].

Ma ?ík c. République tchèque (requête no 73116/01) Violation de l’article 6 § 1

Le requérant, Bohumir Ma ?ík, est un ressortissant tchèque né en 1929 et résidant à Dana Point (Etats-Unis).

Il intenta une procédure en vue d’obtenir la restitution des biens qui avaient été nationalisés et vendus par l’Etat à des tiers à la suite de son émigration dans les années soixante-dix. Les juridictions du fond rejetèrent ses prétentions ainsi que sa demande d’admission d’un pourvoi en cassation. L’intéressé forma un recours constitutionnel qui fut rejeté par la Cour constitutionnelle au motif qu’il ne s’était pas pourvu en cassation.

Invoquant l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable) de la Convention, le requérant soutenait que le rejet de son recours constitutionnel pour non-épuisement des voies de recours avait porté atteinte à son droit d’accès à un tribunal.

La Cour européenne des Droits de l’Homme note qu’en droit tchèque le pourvoi en cassation est une voie de recours extraordinaire non accessible de plein droit et dont la recevabilité est laissée au pouvoir discrétionnaire de la Cour suprême ; il ne saurait être considéré comme un recours efficace dont le non-exercice pourrait être reproché au requérant.

L’interprétation particulièrement rigoureuse faite par la Cour constitutionnelle de la règle de procédure en cause a privé le requérant du droit d’accès à un tribunal. Dès lors, la Cour conclut, à l’unanimité, à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Elle estime que le constat d’une violation fournit une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant et lui alloue 1 000 euros (EUR) pour frais et dépens. (L’arrêt n’existe qu’en français).

Whitfield et autres c. Royaume-Uni (nos 46387/99, 48906/99, 57410/00 et 57419/00)

Violation de l’article 6 § 1 Violation de l’article 6 § 3 c) Non-violation de l’article 5 Non-violation de l’article 5 combiné avec l’article 13

L’affaire porte sur les requêtes de quatre ressortissants britanniques concernant des procédures qui se sont déroulées en milieu pénitentiaire, à la suite d’incidents disciplinaires survenus dans les établissements où ils étaient détenus.

Le premier requérant, Steven Whitfield, est né en 1968 et est actuellement incarcéré sur l’île de Wight ; le deuxième, Ronald Pewter, est né en 1961 et réside à Londres ; le troisième, Joslyn Gaskin, est né en 1980 et vit à Leeds ; le quatrième, Jonathan Clarke, qui est né en 1976, est décédé en juin 2003.

MM. Whitfield, Pewter et Clarke furent accusés d’avoir commis des infractions au règlement pénitentiaire, et M. Gaskin d’avoir porté atteinte au règlement sur les établissements pour jeunes délinquants. Durant les procédures consécutives qui se déroulèrent en milieu pénitentiaire, les quatre requérants se virent refuser la possibilité d’être représentés par un avocat. M. Whitfield fut déclaré coupable de coups et blessures et condamné et 21 jours supplémentaires de détention. M. Pewter fut reconnu coupable d’avoir mis en péril, volontairement ou par imprudence, la santé et la sécurité d’autrui, et fut condamné à 35 jours supplémentaires. M. Gaskin fut déclaré coupable de coups et blessures et condamné à 35 jours supplémentaires. M. Clarke fut reconnu coupable d’atteinte à la discipline carcérale au motif qu’il avait jeté un objet enflammé par la fenêtre d’une cellule ; il fut condamné à 18 jours supplémentaires de détention, mais fut remis en liberté après avoir purgé cinq jours, le ministre ayant annulé la sanction prise à son encontre.

Les principaux griefs des requérants étaient les suivants :

Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention (droit à un procès équitable), MM. Whitfield, Pewter et Gaskin remettaient en cause l’indépendance et l’impartialité de l’organe ayant statué sur leur cas (le directeur de la prison et le controller). Sur le terrain de l’aticle 6 § 3, les quatre requérants se plaignaient de ne pas avoir été autorisés à se faire représenter par un avocat, M. Clarke insistant aussi sur l’impossibilité de consulter son avocat.

MM. Pewter et Clarke s’appuyaient en outre sur l’article 5 §§ 1 et 5 de la Convention (interdiction de toute détention arbitraire et droit à réparation en cas de détention irrégulière). M. Clarke invoquait l’article 13 de la Convention (droit à un recours effectif) combiné avec l’article 5.

Concernant le défaut allégué d’indépendance et d’impartialité, la Cour observe que des personnes comptables de leurs actes devant le ministère de l’Intérieur (en qualité de gardien de prison, directeur ou controller dans chaque établissement où l’un des requérants était incarcéré) ont formulé des accusations à l’encontre des intéressés, ont enquêté et engagé des poursuites sur cette base, puis ont statué sur la culpabilité ou l’innocence des requérants ainsi que sur les peines à leur infliger. Dès lors, on ne saurait conclure à l’existence d’une indépendance structurelle entre les fonctions qui consistent à poursuivre et celles qui consistent à statuer. Les doutes de MM. Whitfield, Pewter et Gaskin quant à l’indépendance et à l’impartialité des décisions dont ils ont fait l’objet étaient donc objectivement justifiés. Partant, il y a eu pour cette raison violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce qui concerne MM. Whitfield, Pewter et Gaskin.

 

S’agissant du refus d’autoriser les requérants à se faire représenter par un avocat, la Convention exige qu’une personne qui fait l’objet d’une accusation en matière pénale et qui ne souhaite pas se défendre elle-même puisse avoir recours à l’assistance d’un défenseur de son choix. L’organe décisionnel a estimé qu’une représentation pour l’audience relative à chacun des requérants était inutile et, de plus, que M. Clarke n’avait pas besoin de consulter son avocat avant l’audience le concernant. On a donc refusé aux requérants le droit d’être représentés par un avocat, au mépris de la garantie offerte par l’article 6 § 3 c) de la Convention ; partant, il y a eu violation de cette disposition dans le chef des quatre requérants.

En ce qui concerne les griefs tirés des articles 5 et 13, la Cour ne constate aucune violation.

La Cour estime que pour MM. Whitfield, Pewter et Gaskin le constat de violation représente une satisfaction équitable suffisante. Elle octroie à la succession de M. Clarke 3 000 EUR pour préjudice moral. Par ailleurs, elle alloue à chacun des requérants 2 500 EUR pour frais et dépens. (L’arrêt n’existe qu’en anglais.)

Ertürk c. Turquie (no 15259/02) Violation de l’article 6 § 1

Le requérant, Hasan Ertürk, est un ressortissant turc né en 1959 et résidant à Ankara.

Le 21 novembre 1983, il fut arrêté et placé en garde à vue, car il était soupçonné d’être membre d’une organisation illégale, Dev-Yol (Devrimci Yol - Voie révolutionnaire). Il fut mis en détention provisoire, où il demeura du 30 décembre 1983 au 14 décembre 1988.

Le 19 juillet 1989, il fut déclaré coupable d’appartenance à une organisation illégale et condamné à une peine d’emprisonnement de sept ans. Cette décision fut annulée en décembre 1996. Le 28 mai 2004, après un nouveau procès dans la même affaire, le requérant fut déclaré coupable de tentative d’atteinte à l’ordre constitutionnel, en vertu de l’article 146 du code pénal. La procédure est toujours pendante.

Invoquant l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable dans un délai raisonnable), le requérant se plaignait de la durée des poursuites pénales dirigées contre lui.

La Cour note que la procédure litigieuse s’est entendue à ce jour sur plus de 21 ans. Eu égard aux circonstances de l’espèce, elle estime qu’une telle durée est excessive et ne répond pas à l’exigence de « délai raisonnable ». Dès lors, la Cour conclut, à l’unanimité, à la violation 6 § 1 de la Convention et alloue 14 000 EUR à M. Ertürk pour dommage moral. (L’arrêt n’existe qu’en anglais).

***

Rédigés par le greffe, ces résumés ne lient pas la Cour. Le texte complet des arrêts de la Cour est disponible sur son site Internet (http://www.echr.coe.int).

Greffe de la Cour européenne des Droits de l’Homme
F - 67075 Strasbourg Cedex
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La Cour européenne des Droits de l’Homme a été créée à Strasbourg par les Etats membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme de 1950. Elle se compose d’un nombre de juges égal à celui des Etats parties à la Convention. Siégeant à temps plein depuis le 1er novembre 1998, elle examine en chambres de 7 juges ou, exceptionnellement, en une Grande Chambre de 17 juges, la recevabilité et le fond des requêtes qui lui sont soumises. L’exécution de ses arrêts est surveillée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. La Cour fournit sur son site Internet des informations plus détaillées concernant son organisation et son activité.

Notes:

[1L’article 43 de la Convention européenne des Droits de l’Homme prévoit que, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’arrêt d’une chambre, toute partie à l’affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre (17 membres) de la Cour. En pareille hypothèse, un collège de cinq juges examine si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses protocoles ou encore une question grave de caractère général. Si tel est le cas, la Grande Chambre statue par un arrêt définitif. Si tel n’est pas le cas, le collège rejette la demande et l’arrêt devient définitif. Pour le reste, les arrêts de chambre deviennent définitifs à l’expiration dudit délai de trois mois ou si les parties déclarent qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre