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> Edito

Bertrand Cantat jugé par la France d’en haut.

Mise en ligne : 10 septembre 2003

Texte de l'article :

La première audience du procès de Bertrand Cantat s’est tenue en France Dimanche 7 septembre à 19 h 45. En clôture de l’émission « Sept à huit » sur TF1, sous forme d’un document présenté aux attentions distraites comme « très émouvant », une vedette commise d’office a endossé une nouvelle fois le rôle de témoin irréfutable et polyvalent que se passe les figures de la jet set depuis la mort tragique de Marie Trintignant.

Madame Lio, meilleure amie de la disparue, guidée par une habile structure de questions, livre au peuple idolâtre les points essentiels d’un réquisitoire violent et univoque : la partie adverse, jugée par contumace, n’a pas droit à la parole.

La mise en scène conforte l’autorité économique et intellectuelle de la star : filmage en contre-plongée, majesté de l’opulent fauteuil en cuir qui sert de barre au milieu d’un loft lumineux, vaste bibliothèque à l’arrière plan, visage grave marqué par les épreuves.

En premier lieu, les résultats d’une expertise psychiatrique fondée sur son expérience personnelle. Bertrand Cantat est un malade qui appartient à la catégorie des « pervers à tendance narcissique ». Ensuite elle verse à l’audience son rapport de médecine légale. Marie Trintignant, « défigurée comme après un match de boxe », si elle n’a reçu qu’un seul coup, c’est alors un « coup de boule ». Puis viennent les indices. Elle mentionne avoir croisé le regard vide de la victime lorsqu’elle surprit Bertrand Cantat amoureusement agenouillé à ses pieds dans la loge. Un regard qui en disait long, confirmé par un « c’est dur » livré peu de temps après la scène. Le « je ne survivrai pas à Marie » déclaré par Bertrand Cantat alors qu’elle était encore vivante, aveu évident de sa conscience d’avoir donné la mort. Le temps d’agonie de la victime, abandonnée à ses blessures. Madame Lio réfute le drame passionnel pour privilégier un acte de psychopathe tellement prévisible qu’elle se reproche de ne pas avoir ouvert les yeux à temps.

Accablé, Bertrand Cantat fait trois petit tours sur l’écran entre les policiers lituaniens sous le jour minable de chien galeux livré en boucle depuis l’été. Le reportage se termine par un sublime portrait glamour en plan fixe de l’actrice défunte avec en voix off Madame Lio qui cite son amie : « depuis toute petite j’ai choisi de faire confiance ».

La galvanisation des peuples sur les affaires judiciaires est installée dans les mœurs depuis de nombreuses années. Portée par la force de pénétration des médias, elle institue chaque jour un peu plus loin l’alarmante faillite du droit et du principe d’égalité devant la loi qui fonde les systèmes démocratiques.

URSS, Allemagne Nazie, Roumanie, Irak, Maccarthysme, etc., les actualités couvrant les procès intentés par les dictatures sont moulées de la même façon : Construction et démonstration sans appel d’une évidence d’ignominie, recrutement de personnalités réputées indépendantes du pouvoir pour authentifier la neutralité de l’accusation, élimination par mansuétude d’une défense qui, renforçant en creux l’architecture souveraine de la flétrissure, ne viendrait qu’aggraver le cas du condamné d’office, magnification de l’institution agressée, exposition du coupable sous son jour le plus misérable.

Vindicte contre libre-arbitre. Démantèlement systématique des contextes de pensée et inflation des slogans. Les conséquences délétères des techniques déployées sur les écrans à tout propos pour assurer la cohésion nationale sont incalculables. Prenons date : elles constituent le prix annoncé de l’amnésie.

JC Poisson
7 septembre 2003