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Aménagements de peines de prison ferme

Béatrice Penaud : L’aménagement de peine : une révolution méconnue (article 723-15 du code de procédure pénale )

Mise en ligne : 10 septembre 2009

Texte de l'article :

Par Béatrice Penaud Vice-Présidente chargée de l’application des peines au tribunal de grande-instance de Pontoise

L’aménagement de peine : une révolution méconnue ( article 723-15 du code de procédure pénale ) 

La loi du 09/03/2004 institue l’aménagement par le juge de l’application des peines des condamnations à des peines d’emprisonnement ou des reliquats de peine inférieurs ou égaux à un an dans l’article 723-15 du code de procédure pénale ; elle conduit à une révolution du régime des peines dont les conséquences à différents niveaux sont sous-estimées .

Cette nouvelle procédure est le fruit d’une histoire entamée à la fin du 19 ? siècle avec l’émergence du principe de l’individualisation des peines allié à la remise en cause de la Prison .
Ainsi Raymond Saleilles dans son ouvrage “L’individualisation des peines” (1898) prônait “une peine adaptée à la nature de celui qu’elle va frapper”, une société qui “punit mais qui ne ferme pas”.
 L’introduction par la loi du 11/07/1975 des peines substitutives à l’emprisonnement constituera une étape ultérieure déterminante ; elle s’inscrit sur fond de contestation de la Prison perçue comme école du crime par le mouvement d’après-guerre de la Défense sociale nouvelle , contestation bientôt radicalisée dans les années 1970-1980 par les partisans de l’abolition du système pénal, pourvoyeur selon eux d’une souffrance stérile .

Réduire (par la dépénalisation) ou abolir la justice pénale ?
Et s’il s’agissait plutôt de l’aménager ?
C’est ce choix d’une voie médiane qui inspire la procédure de l’article 723-15 du cpp . Elle relève clairement d’une logique nouvelle . Dans son ouvrage “Le flou du droit ” dont la première édition date de 1986, le professeur Mireille Delmas-Marty mettait déjà en lumière l’émergence d’un système en réseau dans lequel le Droit, sortant d’une logique binaire ( prison/sursis par exemple ) ,doit “penser le multiple”et “dynamiser le Temps”.
C’est bien dans cette mouvance que s’inscrit l’aménagement des peines dont le caractère modulable va transformer la nature même des peines tout en modifiant les pouvoirs et les fonctions des juges pénaux, en premier lieu celui de l’application des peines .

 

 

Des termes réducteurs :

L’appellation de juge de “l’application des peines “est réductrice car elle ne correspond plus à la réalité de ses pouvoirs , singulièrement ceux exercés dans le cadre de la procédure de l’article 723-15 du cpp .
Cet article lui-même limite la définition de l’aménagement de peine à la “détermination des modalités d’exécution de la peine ”.
En réalité , le Juge de l’application des peines est conduit à redéfinir la nature même de la peine à travers son aménagement .

La peine dans tous ses états :

Petites et longues peines :
A travers l’aménagement de peine , le Juge de l’application des peines procède à la refonte d’une grande part des condamnations pénales .
La prise en compte du reliquat de peine (inférieur ou égal à un an ) via le décompte de la détention provisoire et les réductions de peine afférentes conduit à un large champ d’application de l’article 723-15 du cpp incluant peines criminelles et correctionnelles . Il en est ainsi des agressions sexuelles et des viols correctionnalisés .

La peine dissociée : entre nature et quantum
La détermination de la peine tend à être scindée en deux étapes : au juge correctionnel revient la fixation du quantum ; au juge de l’application des peines par le biais de l’aménagement de peine , le choix de sa nature .
S’agira t-il d’une peine de prison ? Sinon quel aménagement de peine décider :

  • semi-liberté
  • placement sous surveillance électronique
  • placement extérieur
  • libération conditionnelle
  • jours-amende
  • sursis assorti de l’obligation d’effectuer un travail d’intérêt général
  • suspension ou fractionnement de la peine ?

    A ce large éventail de mesures correspond la nécessité pour le Juge de l’application des peines de manier de multiples paramètres relatifs à la situation du condamné tant personnelle que sociale .Ce travail reposant sur la saisine et l’ analyse précise de multiples données aux fins de déterminer l’aménagement de peine adapté requiert du temps pour instruire, décider et mettre en place la mesure (entretiens, enquête du Service pénitentiaire d’insertion et de probation,
    expertise , débat contradictoire , gestion des incidents ...).
     
    La peine choisie :
    Le Juge de l’application des peines qui propose donc une gamme de mesures cherche à recueillir l’assentiment du condamné sur l’une d’elles aux fins d’en garantir une meilleure exécution . La fonction du juge s’en trouve modifiée ; elle devient celle d’orientateur vers la peine la plus adaptée . Ce faisant, elle gagne en complexité au risque de l’ambiguïté .

    Le placement extérieur ou le sursis travail d’intérêt général reposent en outre sur un autre accord , celui du partenaire associatif qui assurera le déroulement de la mesure .A travers l’implication nouvelle des partenaires privés dans la Justice s’exprime l’adhésion du corps social. Cette dernière est cependant source d’inégalités entre les justiciables dans la mesure où les moyens associatifs offerts au juge de l’aménagement des peines varient fortement selon les ressorts géographiques .

    La peine sur-mesure :
    Les prestations offertes par certaines associations de placement extérieur permettent un suivi très personnalisé des personnes placées grâce à un large éventail d’activités spécialisées , collectives ou individuelles ( groupe de réflexion, atelier de gestion du stress, cours d’informatique , suivi auprès d’un psychologue , chantiers de réinsertion etc...) . Le placement extérieur tel qu’actuellement élaboré s’avère ainsi un outil innovant et sophistiqué au service de la réinsertion .

    La peine évolutive :
    La sentence ne se résout plus à l’instant où elle est prononcée. L’aménagement de peine est le résultat d’un processus fluide considérant l’évolution du condamné , récompensant ses efforts d’insertion , sanctionnant la violation de ses obligations par la révocation ou la prolongation de la mesure . L’aménagement repose sur un projet à remplir et sa validité est testée dans le temps . Le temps au travers d’un parcours pénal est “dynamisé”, “ interactif ” pour reprendre les termes de M.Delmas-Marty . Cette nouvelle dimension temporelle périme la représentation traditionnelle du glaive de la justice qui s’abat .

    La peine fragmentée :

    La peine a perdu son monolythisme ; elle est désormais divisée en plusieurs séquences modulables .
     
    Aménagée par le Juge de l’application des peines après son prononcé , elle pourra déboucher à mi-peine sur une libération conditionnelle, susceptible d’être révoquée .A l’issue du temps aménagé, une mise à l’épreuve prendra le relai en cas de peine mixte ,elle-même susceptible de révocation ou prolongation...
    Un placement extérieur ou un placement sous surveillance électronique pourront être ordonnés à titre probatoire à une libération conditionnelle .
    Un sursis-travail d’intérêt général pourra inclure un stage de citoyenneté ou de sensibilisation à la sécurité routière ; ces stages que le législateur a érigé en peine autonome se trouvent ici intégrés dans le sursis-tig .
    Un placement extérieur comportera plusieurs temps d’activités (formations , soins , aide à la recherche d’emploi...) .
    La peine “poupée-gigogne” , à scénario multiple, entend ainsi répondre par la pédagogie ou la thérapie à la finalité de la réinsertion .

    La peine à “mi-temps” - Vers sa systématisation ?
    Dans cette optique, afin de préserver l’emploi ou la formation du condamné, certains aménagements de peine limitent la contrainte de l’enfermement à la période nocturne de la vie du condamné .
    Tel est le cas du placement sous surveillance électronique et de la semi-liberté qui l’autorisent à sortir librement travailler ou se former .
    Une question se pose alors : faudrait-il qu’à l’avenir la loi systématise ,tout au moins en matière correctionnelle ,ce mode d’exécution de la peine à temps partiel dont l’intérêt fondamental est de sanctionner sans désinsérer , tout en limitant les dépenses supportées par l’administration pénitentiaire ?
     Si la systématisation légale de l’aménagement de peine en matière correctionnelle pose question , sa systématisation dans les faits s’opère , non sans difficulté.

    De la systématisation à l’inapplicabilité :
    La saisine obligatoire du Juge de l’application des peines par le Parquet en application de l’article 723-15 du cpp a produit une brusque et très massive augmentation du contentieux traîté par le Juge de l’application des peines sans que des moyens en Personnel supplémentaires (juges, greffe, secrétariat) aient été affectés corrélativement .
    Le service de l’application des peines au TGI de Meaux a connu par exemple un quadruplement de ce contentieux entre 2005 et 2006.
    Cet alourdissement a généré une augmentation problématique des délais de traîtement des dossiers qui excèdent de beaucoup le délai légal de 4 mois . Ainsi il était de 14 mois au service de l’application des peines de Pontoise en 2007.

     
    Plus grave, cette explosion dont la portée a été mal évaluée contraint certains Juges de l’application des peines submergés à renvoyer au Parquet pour exécution toutes les condamnations susceptibles d’être aménagées . Le dispositif de l’article 723-15 du cpp est ainsi purement et simplement éludé faute d’avoir les moyens de l’appliquer .
    Cette réalité semble méconnue du législateur dont un actuel projet de loi propose de porter à deux ans le quantum des peines ou reliquats de peine susceptibles d’être aménagées .

    Glissement des pouvoirs :
    Quand elle est appliquée , la procédure de l’article 723-15 du cpp a accru de manière tentaculaire les pouvoirs du Juge de l’application des peines au détriment de ceux du juge correctionnel . Seule exception : la comparution immédiate conduisant au mandat de dépôt à l’audience .
    Un glissement s’est opéré le long de la chaîne pénale .
    Le Juge de l’application des peines détient désormais le pouvoir de décider seul, dans le huit-clos de son cabinet de l’emprisonnement ou de l’aménagement de la peine. A cet égard il est devenu à l’égal du juge d’instruction un des hommes (ou femmes...) les plus puissants de France .

    Cette évolution demeure méconnue du public comme des professionnels de la Justice ; ainsi elle n’est pas encore pleinement intégrée par les avocats pénalistes dont l’action auprès de leur client s’arrête trop souvent au terme du procès correctionnel ; méconnaissant la continuité du processus pénal et les pouvoirs du juge de l’application des peines, ils s’arrêtent au milieu du gué judiciaire .

    Justice apparente-justice cachée :
    Le pouvoir du juge de l’application des peines est donc méconnu de l’opinion publique . Ses bureaux semblent d’ailleurs faire souvent l’objet d’une mise à l’écart symbolique dans les palais de justice (annexe, entresol , aile séparée ..) !
    Cachez ce jap que je ne saurais voir ?
    La même occultation frappe le Service pénitentiaire d’insertion et de probation auquel le Juge de l’application des peines délègue le suivi des mesures .Son rôle central dans la réinsertion et la prévention de la récidive est méconnu ; le discours politico-médiatique sur la délinquance l’ignore.
    La justice pénale apparaît ainsi double .Il existe une justice visible, celle du tribunal correctionnel .Le discours politique est centré sur lui.
    La volonté actuelle du législateur d’une justice plus sévère y est donnée à voir ( peines-plancher ...). Pourtant dans les coulisses oeuvre la discrète justice du juge de l’aménagement des peines, à qui reviendra le dernier mot .

     
    Ce janus judiciaire pose non seulement un problème de lisibilité de la politique criminelle vue de l’extérieur mais aussi de cohérence dans le choix des peines en interne.
    En effet ,au sein des tribunaux les juges correctionnels ignorent trop souvent les enjeux de leur décision sur le devenir de la peine en phase postsentencielle . Il conviendrait peut-être de remédier à cette méconnaissance par une formation ciblée des juges correctionnels en matière d’application des peines ainsi que par une meilleure communication des Juges de l’application des peines à leur adresse .

    Les juges correctionnels savent-ils le caractère déterminant des paramètres suivants ?

    -le seuil d’un an : si la peine ou le reliquat de peine est supérieur à un an, l’aménagement ne sera pas possible . D’où la nécessité de décompter précisément la détention provisoire et les réductions de peine afférentes ;

    -le seuil de six mois : si la peine est supérieure à 6 mois, les jours-amende ou le sursis-tig ne seront pas possibles ;

    -autre élément-clé, la mixité de la peine : selon la jurisprudence de la cour de cassation , si la peine est mixte, le condamné sera exclu du bénéfice des jours -amende ou du sursis-tig ; la mixité de la peine aura pour effet pervers de le priver de ces mesures plus légères et rapides à appliquer .

    L’instauration de la procédure de l’aménagement de peine et sa quasi-systématisation constituent donc une révolution , certes discrète, mais profonde en terme de politique criminelle .Est-elle l’amorce de changements plus radicaux ?
    C’est non seulement le régime des peines mais aussi la philosophie même de notre système pénal qui s’en trouvent modifiés .Encore faut-il que les moyens humains et matériels soient à la mesure de cette révolution porteuse d’idéal .

    En effet, à travers les modalités multiples de l’aménagement de peine et la chaîne des décisions qui le détermine est affirmée la valeur centrale de l’individu, la confiance dans son évolution positive .
    En ce sens , l’aménagement de peine est un Humanisme .
    Il pourrait illustrer la vision du philosophe Henri Bergson :
     “ Cette justice ...procède par des créations successives dont chacune est une réalisation plus complète de la personnalité, et par conséquent de l’humanité .”