15410 articles - 12266 brèves

B. Garantir le respect des droits fondamentaux

Mise en ligne : 30 mars 2004

Texte de l'article :

B. Garantir le respect des droits fondamentaux

Le 6 mars 2000, au terme de ses travaux, la Commission animée par M. Canivet a considéré qu’" admettre que la peine d’emprisonnement a pour finalité la réintégration, dans la société, d’une personne condamnée induit une autre logique juridique, celle d’un détenu qui, à l’exception de la liberté d’aller et de venir, conserve tous les droits puisés dans sa qualité de citoyen, qu’il n’a pas perdue du fait de sa condamnation, mais aussi celle d’un lieu, la prison qui, faisant partie du territoire de la République, doit être régi selon le droit commun, y compris dans les adaptations qu’exige la privation de liberté ".
Cette philosophie est également développée par la Cour européenne des droits de l’homme dans sa jurisprudence : " l’article 3 de la Convention impose à l’Etat de s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier
sont assurés de manière adéquate ".
Pour la Commission Canivet, les carences qui affectent le service public pénitentiaire dans le contenu des normes comme dans leur application ne sauraient être justifiées par " L’argument de sécurité, constamment avancé pour faire obstacle à l’évolution des prisons " qui, comme l’a constaté Jean Favard, " se révèle en définitive le plus souvent impuissant à la contrecarrer, soit en raison de son caractère fallacieux, soit parce qu’il suffit d’adapter la règle de sécurité évoquée ou d’élaborer un nouveau système sécuritaire " . A l’instar de ce haut magistrat, la CNCDH estime que " Trop de sécurité tue la sécurité, en rendant explosive l’atmosphère des prisons. A l’inverse, on a pu constater que l’humanisation des prisons peut être, en elle-même, un facteur d’équilibre de nature à constituer en dernière analyse un excellent garant de leur sécurité ". Pour la Commission Canivet également, " l’artificielle opposition si souvent faite entre sécurité et humanisation des prisons est à récuser sans merci dès lors que l’une et l’autre peuvent parfaitement cheminer de pair ". Elle constitue l’obstacle majeur à la définition et la mise en oeuvre d’une politique pénitentiaire conforme à l’intérêt général.

1. La sauvegarde du droit au respect de la dignité
Le Conseil constitutionnel considère que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’avilissement et de dégradation est un principe " indérogeable " en ce sens qu’il n’a pas à être concilié avec d’autres principes.
Pourtant, comme l’a noté la Commission Canivet, le principe de sécurité en milieu carcéral " conditionne largement l’exercice des droits et libertés à l’intérieur des établissements ". C’est avant tout en son nom que sont utilisés les moyens de contrôle et de contrainte dans les sites pénitentiaires.

a. Les fouilles corporelles
La réglementation en vigueur dispose que " les détenus doivent être fouillés fréquemment et aussi souvent que le chef d’établissement l’estime nécessaire " (art. D. 275 CPP). Cette fouille individuelle peut prendre la forme d’une simple fouille par palpation mais aussi d’une fouille intégrale au cours de laquelle le détenu est entièrement dénudé.
La circulaire du 14 mars 1986 relative à la fouille des détenus décrit dans le détail le déroulement d’une fouille à nu. " L’agent, après avoir fait éloigner le détenu de ses effets, procède à sa fouille corporelle selon l’ordre suivant. Il examine les cheveux de l’intéressé, ses oreilles et éventuellement l’appareil auditif, puis sa bouche en le faisant tousser mais également en lui demandant de lever la langue et d’enlever, si nécessaire, la prothèse dentaire. Il effectue ensuite le contrôle des aisselles en faisant lever et baisser les bras avant d’inspecter les mains en lui demandant d’écarter les doigts. L’entrejambe d’un individu pouvant permettre de dissimuler divers objets, il importe que l’agent lui fasse écarter les jambes pour procéder au contrôle. Dans le cas précis des recherches d’objet ou de substance prohibés, il pourra être fait obligation au détenu de se pencher et de tousser. Il peut également être fait appel au médecin qui appréciera s’il convient de soumettre l’intéressé à une radiographie ou un examen médical afin de localiser d’éventuels corps étrangers. Il est procédé ensuite à l’examen des pieds du détenu et notamment de la voûte plantaire et des orteils ".
La même circulaire prévoit qu’une telle fouille est pratiquée systématiquement à l’occasion de l’entrée ou de la sortie des détenus de l’établissement pénitentiaire.
Elle doit également être effectuée à l’issue de la visite de toute personne (parents, amis, avocats) ou avant tout placement en cellule d’isolement ou de punition. Enfin, des fouilles inopinées peuvent être décidées par le chef d’établissement.
Actuellement, les fouilles de détenus sont pratiquées de façon plus ou moins systématique selon l’importance que chaque chef d’établissement leur attache. De sorte que l’application de la circulaire varie sensiblement d’un établissement à un autre. Dans bon nombre de prisons, les agents soumettent à la fouille un détenu désigné de façon aléatoire à l’issue de chaque parloir. Cette fouille peut alors se limiter à un contrôle des sous-vêtements. Dans d’autres établissements, des fouilles poussées sont réalisées très régulièrement. Les modalités d’accomplissement de la fouille intégrale suscitent un sentiment d’humiliation chez les personnes qui en font l’objet. Elles provoquent également un malaise important chez les agents chargés de la pratiquer. Si la pratique de la fouille intégrale est fortement inscrite dans les habitudes de l’administration pénitentiaire, il n’est pas certain qu’elle présente une efficacité réelle en termes de sécurité.
A l’issue de leur mission d’enquête, les sénateurs ont observé que " l’efficacité des fouilles reste pourtant limitée, comme le démontre la réalité des trafics de stupéfiants en prison : le détenu apprend vite les " ruses " pour échapper à la fouille ". Une analyse qui rejoint celle de Philippe Maître, ancien chef de l’Inspection des services pénitentiaires, pour qui " La réalité des règles est une des questions importantes.
Certaines règles ne sont en réalité pas applicables ou alors dans des conditions extrêmement difficiles. Cela pose un problème quotidien aux personnels pénitentiaires : soit, ils appliquent la règle et il y a des incidents ; soit, ils ne l’appliquent pas, et ils ont ou auraient affaire à l’inspection. Le type même de cette règle est la fouille intégrale. Telle qu’elle est enseignée et pratiquée, elle est, sur un plan strictement moral, évidemment dégradante. Elle consiste à être nu, à s’agenouiller, à tousser, à subir des inspections extrêmement minutieuses, ce qui, vous l’imaginez, n’est absolument pas agréable. Les détenus protestent, créent des incidents et les surveillants, plus ou moins démunis, reculent progressivement. Je ne suis pas sûr disant cela, vous me comprendrez à demi-mot, que ces fouilles soient systématiquement réalisées comme elles le devraient. Faut-il un jour prendre le risque de les supprimer au prix de la sécurité des surveillants ou faut-il les valider, les encadrer très strictement et les faire subir aux détenus ? C’est un point de vue qui dépasse très largement le personnel pénitentiaire, c’est presque un point de vue de société : continue-t-on à tolérer de telles pratiques ou y oblige-t-on ? Il en va de cette règle comme d’un grand nombre de règles de sécurité ".
Il est à noter que le ministre de l’Intérieur a décidé que la pratique des " fouilles de sécurité " dans les locaux de police, en particulier celles qui prévoient un déshabillage, ne devaient être utilisées qu’en cas " d’absolue nécessité, et en concertation avec l’officier de police judiciaire ", car " humiliante pour la personne et pour nous-mêmes [les fonctionnaires] ".

6. La Commission considère que l’installation de moyens modernes de détection est susceptible de diminuer considérablement le nombre de fouilles corporelles nécessaires pour garantir le même niveau de sécurité. La mise en oeuvre systématique de fouilles intégrales telle qu’elle résulte de la circulaire de 1986 s’avère incompatible avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui a noté le caractère exceptionnel qui devait présider à son usage.

b. L’isolement administratif prolongé
Le Code de procédure pénale prévoit que le chef d’établissement peut écarter un prisonnier du reste de la collectivité carcérale en le plaçant dans un quartier spécial par mesure de précaution et de sécurité (art. D. 283-1, CPP).
En dehors des règles de compétence concernant les décisions de prolongation de la mesure, aucune durée maximale de l’isolement n’est prévue par le Code. Les détenus peuvent, par conséquent, être soumis à ce régime pendant plusieurs années. En 2002, 161 détenus étaient ainsi maintenus au quartier d’isolement depuis plus d’un an. Cette mesure produit notoirement des effets délétères sur l’état physique et psychique des détenus qu’elle vise. Elle se traduit par une absence quasi complète de contact avec autrui.
Les praticiens hospitaliers exerçant en milieu pénitentiaire constatent sa nocivité sur le plan médical : altération des sens, déstabilisation des repères spatio-temporels, décompensation psychologique. A tel point que le personnel soignant la dénomme " torture blanche ".
La commission d’enquête de l’Assemblée nationale note à cet égard que " les conséquences désocialisantes et psychiquement déstructurantes d’une décision de mise à l’isolement ont été à la fois dénoncées par les intervenants de l’administration pénitentiaire et constatées lors des visites ".
Ces considérations ont conduit le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) à formuler, dans son rapport de 2000, les observations suivantes : " Le CPT a de sérieuses réserves en ce qui concerne la situation de nombre de détenus placés à l’isolement administratif que sa délégation a rencontrés lors de sa visite ; ses réserves tiennent tant à la durée de l’isolement pendant des années d’affilée qu’au régime éminemment restrictif auxquels de tels détenus sont soumis en l’absence d’activités structurées et d’activités en commun ". En conséquence, le CPT a rappelé que " la mise à l’isolement peut, dans certaines circonstances, constituer un traitement inhumain et dégradant " et qu’" en tout état de cause, elle [devait] être de la durée la plus courte possible ".
La CNCDH partage cette analyse. Le principe du respect de la dignité de la personne humaine implique la prise en compte de sa dimension sociale. Concernant la durée de la mesure, la Chancellerie avait prévu, dans le premier état de l’avant projet de loi pénitentiaire de la limiter à un an. Pourtant, toute idée de modification du régime applicable en cette matière semble avoir été abandonnée. Il est tout à fait regrettable que, plus de trois ans après la communication du rapport du CPT, ses observations demeurent lettre morte.
La CNCDH recommande l’intervention du législateur sur cette question. D’autant plusque, s’agissant des conditions d’existence au sein du quartier d’isolement, il apparaît qu’elles se sont durcies depuis lors. Une note de l’administration pénitentiaire du 18 avril 2003 a remis en cause les adaptations que les chefs d’établissement avaient jusque-là souvent apportées au régime de l’isolement, pour humaniser le quotidien des isolés. La note rappelle " qu’aucune activité ne doit être organisée dans les cours de promenade. Aucun matériel ou équipement ne doit y être entreposé ". Elle affirme que " les détenus dangereux doivent impérativement être placés seuls dans une cour. [Ils] ne doivent pas être autorisés à se regrouper lors des activités ". Le soin d’apprécier la dangerosité des individus est renvoyé aux chefs d’établissement. Cette appréciation s’effectue au vu, notamment, " de l’appartenance [du détenu] au grand banditisme ou à une mouvance terroriste ou de son passé judiciaire et pénitentiaire ".
Concernant les aménagements des cours de promenade du quartier d’isolement, la note prévoit " l’installation d’un barreaudage quadrillé en acier renforcé ; la mise en place sous le barreaudage d’un métal déployé à mailles suffisamment fines pour rendre difficile la récupération d’objets par le détenu isolé ; des rouleaux de concertina de type " detainer " disposés au dessus du barreaudage quadrillé en rangs serrés ". Dans ces conditions, le détenu isolé voit son champ de vision réduit à l’extrême, au-delà du supportable. Les portes, les murs, les grillages fixent des distances toujours courtes et toujours identiques. L’environnement et l’écoulement du temps, parfaitement monotones, contraignent le détenu à un " surplace " mortifiant. Il en résulte un sentiment d’écrasement fortement déstructurant.

7. La CNCDH estime indispensable que ces personnes bien que placées à l’isolement bénéficient cependant d’activités structurées et parfois même en commun. A ce titre, elles doivent être mises en mesure d’exercer des activités professionnelles, culturelles et sportives. En outre, la CNCDH demande que les activités en plein air (promenade, sport…) soient organisées dans les lieux prévus à cet effet pour l’ensemble de la population détenue. En tout état de cause, ces dispositifs spéciaux, décrits par la circulaire, comme la pose de grillage sur les cours de promenade, qui contribuent au sentiment d’écrasement, doivent être prohibés.

c. Les transferts multiples
L’administration peut décider le transfert d’un détenu pour tout motif. Cette mesure intervient généralement pour le maintien de l’ordre et de la sécurité. La mesure peut également être prise pour assurer une meilleure répartition des détenus dans les établissements en période de surpopulation carcérale. Bien que ne constituant pas une sanction aux termes du Code de procédure pénale, le transfert est régulièrement utilisé à titre coercitif. En pratique, certains détenus considérés comme des perturbateurs font l’objet de transferts incessants. Lors de son audition devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, Michel Beuzon, secrétaire général de FO-pénitentiaire/personnels de direction, indiquait ainsi que l’administration était conduite, vis-à-vis des détenus ayant un comportement difficile, " non pas à user de la procédure disciplinaire, mais à pratiquer le "tourisme pénitentiaire", c’est-à-dire le déplacement des détenus d’un établissement à l’autre ".
Le Comité européen pour la prévention de la torture a déjà signifié aux autorités françaises que de telles pratiques portaient atteinte aux droits fondamentaux des personnes détenues. Ainsi, dans son rapport, publié le 19 janvier 1993, le CPT affirmait qu’il " est pleinement conscient que certains détenus sont extrêmement difficiles et le transfèrement de certains d’entre eux vers un autre établissement peut parfois s’avérer nécessaire. Cependant, il se doit de souligner que le transfèrement continuel d’un détenu d’un établissement à l’autre peut engendrer des effets très néfastes sur son bien-être physique et psychique. Les conditions minimales pour l’existence dans un milieu de vie cohérent et suivi ne sont plus assurées. De plus, un détenu qui se trouve dans une telle situation aura de très sérieuses difficultés à maintenir des contacts avec sa famille, ses proches et son avocat. L’effet des transfèrements successifs sur un détenu pourrait, dans certaines circonstances, constituer un traitement inhumain et dégradant ".

8. La CNCDH estime que les transferts en cascade doivent être proscrits. Il convient de rappeler le caractère tout à fait exceptionnel du transfèrement imposé au détenu.

d. L’hygiène et les conditions matérielles de détention
La Cour européenne des droits de l’homme condamne, pour violation de l’article 3, des conditions de détention objectivement inadaptées au bien-être des prisonniers.
La Cour prend en compte l’aménagement des cellules (l’aération et la luminosité, la température, la séparation des sanitaires) et la surpopulation et ses effets (absence de matériel de couchage).
Le Code pénal incrimine le fait de soumettre une personne, dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de l’auteur, à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine (art. 225-14).
Le Code de procédure pénale prévoit depuis 1958 l’emprisonnement individuel de jour comme de nuit tant pour les prévenus (art. D. 58) que pour les condamnés (art. D. 83 et D. 95). Il peut être dérogé, de façon exceptionnelle et provisoire, à ce principe " en raison de la distribution intérieure " des locaux de détention ou de leur " encombrement temporaire ".
Animé par la volonté de garantir le respect de la dignité de la personne poursuivie pénalement, le Parlement avait fixé, avec la loi du 15 juin 2000, une échéance de trois ans pour parvenir à l’encellulement individuel. La loi du 12 juin 2003 relative à la violence routière a prévu un nouveau délai de cinq ans pour atteindre cet objectif. La CNCDH regrette ce report d’une mesure saluée par le CPT et constate que celui-ci a organisé sa dernière visite sur les effets de la surpopulation sur une période coïncidant avec la date symbolique du 15 juin 2003.
Pourtant, la situation de promiscuité imposée à la majorité des personnes incarcérées en maison d’arrêt représente l’un des aspects les plus dégradants des conditions de détention en France. Dans les maisons d’arrêt, la plupart des détenus restent enfermés à deux, trois, parfois quatre, dans des cellules dont l’espace libre, une fois déduite la place prise par les sanitaires, les lits et les quelques meubles, se limite à 3 ou 4 mètres carrés, et ce généralement pendant 22 à 23 heures par jour, compte tenu du nombre limité d’activités, de places de travail ou de formation. Dans ces conditions, un certain nombre de détenus couchent sur des matelas posés à même le sol. Ce surencombrement a des incidences dramatiques sur toutes les dimensions de la vie en prison. Comme le notait la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, " la surpopulation est à l’origine d’un traitement infligé aux détenus qui peut être considéré, à juste titre, comme inhumain et dégradant ; elle n’est pas non plus étrangère à la survenance de plus en plus fréquente d’actes d’auto-agression (automutilations, tentatives de suicides ou suicides), d’agressions entre détenus, de phénomènes de racket ou d’actes de violence envers les surveillants ". Encore la situation décrite s’est-elle nettement dégradée depuis la publication de ce rapport.
Il convient de réaffirmer ici que le principe de l’encellulement individuel constitue un élément essentiel à la préservation de la dignité des personnes et à la protection de leur intégrité physique. Il revient au législateur et au pouvoir exécutif de créer les conditions pour que ce principe soit respecté. La loi devrait énoncer clairement qu’il ne peut y être dérogé que sur demande expresse du détenu ou pour assurer sa protection.
En matière d’hygiène corporelle, la France est en retard par rapport à nombre d’Etats européens. Le Code de procédure pénale prescrit que les détenus doivent pouvoir bénéficier de trois douches par semaine. Cette prescription n’est cependant effective que " dans toute la mesure du possible " (art. D. 358 du CPP). Cette règle, a fortiori assortie de ce tempérament, n’est plus admissible au vingt-et-unième siècle. Les détenus doivent pouvoir se doucher quotidiennement. D’autre part, l’obligation qui est de fait imposée dans la plupart des établissements de se doucher dans des locaux communs constitue non seulement une atteinte à la pudeur et à l’intimité de la personne, mais encore génère des risques en termes de sécurité. C’est pourquoi la réfection des locaux doit s’accompagner de la construction de cabines de douches individuelles, si possible en cellule.
Pour ce qui est des équipements des locaux d’hébergement, l’administration pénitentiaire a entrepris des travaux de réfection dans certains établissements, comprenant le cloisonnement des toilettes. Cet effort doit être poursuivi, afin que toutes les cellules soient rapidement équipées de sanitaires en parfait état de fonctionnement et isolées du regard tant des détenus les occupant, que des personnels pénitentiaires effectuant des rondes.

e. Le maintien en détention des personnes atteintes de troubles mentaux
Pour la Cour européenne des droits de l’homme, " le traitement infligé à un malade mental [en détention] peut se trouver incompatible avec les normes imposées par l’article 3 s’agissant de la protection de la dignité humaine ".
En juin 2000, la commission d’enquête du Sénat constate que, " en raison d’une dérive psychiatrique et judiciaire, des milliers de détenus atteints de troubles psychiatriques errent sur le territoire national, ballottés entre les établissements pénitentiaires, leurs quartiers disciplinaires, les services médico-psychologiques régionaux (SMPR), les unités pour malades difficiles (UMD), les unités fermées des hôpitaux psychiatriques… " Un an plus tard, un rapport conjoint de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ), publié en octobre 2001, souligne que " la proportion de détenus psychotiques suivis a considérablement augmenté dans certains SMPR ". En juillet 2002, une enquête rendue publique par le ministère de la Santé indique en effet que 55% des entrants en prison souffrent d’au moins un trouble psychiatrique et qu’un suivi est préconisé pour 52 %, soit la quasi-totalité de ceux pour lesquels un trouble a été repéré. L’évolution tant de la psychiatrie que de la justice aboutit ainsi à un déplacement de l’hôpital vers la prison et à un nombre croissant de malades mentaux en détention, alors même que, selon le rapport de l’IGAS et de l’IGSJ, " la prison, en soi, est un facteur d’aggravation des troubles mentaux ". Entendu par la commission d’enquête du Sénat, le président de l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire, Evry Archer, insiste sur l’effet " délétère ", " anxiogène, déprimant et déstructurant de toute vie carcérale ", qui n’est " pas vraiment de nature à améliorer l’équilibre psychique et la santé mentale " et entraîne " des conséquences psychiques dont l’ampleur et le prolongement sont faciles à comprendre ".
Mis en place en 1986, les SMPR sont la structure de base de la prise en charge psychiatrique en milieu pénitentiaire. Il en existe 26, uniquement dans les maisons d’arrêt et centres de détention. Le rapport annuel 2001 de l’administration pénitentiaire indique que, dans les établissements non dotés d’un SMPR, " seuls les soins courants sont assurés par des équipes réduites. Dans beaucoup d’établissements, le repérage précoce des troubles mentaux et la prise en charge psychiatrique sont insuffisants ". Dans les hôpitaux psychiatriques, non adaptés à l’accueil de personnes devant faire l’objet d’une surveillance particulière en raison de leur statut de détenu, les hospitalisations sont généralement de trop courte durée pour être efficaces et la personne s’y " retrouve attachée en permanence à son lit, interdite de visite et de promenade, privée d’accès à la cantine et à la télévision, reléguée dans une cellule d’isolement inadaptée ", selon les services d’inspection médicale et judiciaire.

9. La CNCDH a déjà eu l’occasion de rappeler l’urgence de " l’instauration d’aménagements de peines spécifiques aux malades mentaux, compte tenu de l’accentuation des pathologies psychiatriques résultant de la détention. " Une procédure d’aménagement de peine particulière doit être organisée. Dans ce cadre, les modalités de saisine des juridictions devraient être adaptées pour faire face à l’éventuelle incapacité des intéressés.

2. La protection de l’intégrité physique et psychique
L’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme met à la charge des autorités " l’obligation positive de prendre préventivement des mesures pratiques pour protéger l’individu […] dans certaines circonstances particulières contre luimême ". Selon la Cour européenne, " Les autorités pénitentiaires doivent s’acquitter de leurs tâches de manière compatible avec les droits et libertés de l’individu concerné " ; il leur appartient de décider de " mesures et précautions générales […] afin de diminuer les risques d’automutilation sans empiéter sur l’autonomie individuelle ". Par ailleurs, l’article 2 peut, dans certaines circonstances, mettre à la charge des autorités l’obligation positive de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger l’individu dont la vie est menacée par les agissements criminels d’autrui. L’article 3 astreint les autorités à prendre préventivement les dispositions nécessaires à la protection de l’intégrité physique des personnes privées de liberté à l’égard de mauvais traitements infligés par des codétenus.

a. La prévention des suicides
Selon une circulaire du 29 mai 1998, une politique de prévention du suicide " n’est légitime et efficace que si elle cherche, non à contraindre le détenu à ne pas mourir, mais à le restaurer dans sa dimension de sujet et d’acteur de sa vie ". Issue de plusieurs études, dont un rapport sur la prévention des suicides remis en mai 1996 par une mission inter-disciplinaire qui avait conduit à la mise en place, en 1997, d’un programme expérimental sur onze sites pilotes, cette circulaire vise à identifier les facteurs de risque, déconseiller certaines pratiques (dans le domaine disciplinaire par exemple), généraliser des méthodes de prise en charge (telles que le repérage des entrants), former les personnels. Elle insiste aussi sur une amélioration des conditions de détention (possibilité accrue des visites familiales par exemple). Elle a été complétée le 26 avril 2002 par une circulaire cosignée par les ministres de la Justice et de la Santé qui prévoit un ensemble de procédures à mettre en oeuvre concernant la formation des personnels, le repérage du risque suicidaire, le soutien aux personnes présentant ce risque et l’information des proches du suicidé.
Pourtant, selon un récent rapport du professeur Jean-Louis Terra, remis aux ministres de la Justice et de la Santé le 10 décembre 2003, les réformes annoncées depuis 1996 peinent à être mises en oeuvre. Les circulaires de mai 1998 et d’avril 2002 visaient notamment à modifier l’accueil des entrants en prison, à modérer le recours au quartier disciplinaire et à proposer des améliorations des conditions de détention. A ce jour, le programme d’accueil et de repérage des nouveaux détenus est loin d’être opérationnel. Au 1er juillet 2003, seules 75 maisons d’arrêt sur 139 disposaient d’un " quartier arrivants " et certains de ces quartiers étaient loin de présenter des caractéristiques satisfaisantes. Un rapport d’évaluation conjoint de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ) estimait pourtant en 2001 que " les quartiers arrivants sont encore insuffisamment nombreux et l’aménagement de leurs cellules n’est pas souvent de nature à atténuer le stress et la détresse éprouvée à l’entrée en prison ".
Le taux de suicide ne cesse d’augmenter depuis les années 1980. En 2002, 122 personnes se sont suicidées dans les prisons françaises contre 39 en 1980 (138 en 1996), soit un taux de suicide qui est passé de 100 pour 100 000 en 1980 à 224 pour 100 000 en 2002 (130 en 1990, 215 en 2001). Les tentatives de suicide ont connu une évolution analogue passant de 393 en 1980 à 918 en 2000. Quant à la sursuicidité carcérale, elle s’établit à 6,5 depuis la période 1992-1994. L’écart entre la prison et le monde extérieur s’est aussi accru au cours des 20 dernières années puisque ce coefficient était de 4 entre 1981 et 1991. La France connaît un taux de suicide en prison parmi les plus élevés en Europe.
Par ailleurs, le risque suicidaire est sept fois plus important en quartier disciplinaire que dans le reste de la détention. En 2003, au moins 17 suicides se sont produits en ce lieu. Selon le rapport sur la prévention des suicides de 1996, " on ne peut pas expliquer la sursuicidité au quartier disciplinaire par un effet de sélection " puisque " les détenus qui se sont suicidés [en ce lieu] ne sont pas représentatifs des catégories de détenus présentant le plus de risque suicidaire ". Pour le sociodémographe Nicolas Bourgoin, auteur d’un ouvrage qui fait autorité en la matière, " le détenu a une probabilité d’autant plus élevée de se suicider qu’il est mis dans une situation d’inactivité forcée, la détention étant d’autant plus prégnante, donc plus coûteuse, et le suicide devenant alors pour lui un ultime moyen de réaffirmer son autonomie. Cette condition est complètement réalisée dans le cas de l’isolement disciplinaire. […] L’isolement non disciplinaire prédispose aussi au suicide mais d’une façon moins nette car il laisse plus de liberté au détenu (en particulier la déprivation des biens n’est pas totale comme dans le cas de l’isolement disciplinaire) ". Pour Jean-Louis Terra, " les personnes détenues en crise suicidaire ne doivent pas être placées au quartier disciplinaire ". Plus généralement, " la recherche d’alternatives au quartier disciplinaire est à développer ".
Le Comité National d’évaluation du programme de prévention du suicide en milieu carcéral a constaté qu’il convenait de " mieux utiliser la punition de cellule en développant l’usage des sanctions disciplinaires alternatives à la mise en cellule de punition " et préconise le recours au " confinement ". Par ailleurs, il recommande de " maintenir les parloirs familles et visiteurs sauf décision contraire spécialement motivée par le chef d’établissement ".
La surveillance renforcée, consistant à multiplier les rondes durant la nuit et à vérifier le plus souvent possible que le détenu est en vie, demeure la pratique de base. Le rapport interdisciplinaire de 1996 avait pourtant estimé que " la vigilance renforcée ne peut avoir les effets escomptés que dans un temps donné ", ajoutant qu’un " tel système de prévention dans sa dimension totalitaire et déshumanisatrice, par la pression qu’il ferait régner, ne manquerait de générer en lui-même des comportements suicidaires. Il apparaît, non seulement paradoxal, mais encore inutile dans le long terme, de tenter d’empêcher la personne de vivre pour l’empêcher de mourir ". La circulaire d’avril 2002 prend acte de cette position en affirmant que si la vigilance " peut consister en une multiplication des rondes, même de nuit […], il ne saurait être question de réduire la prise en charge d’une personne détenue en détresse à de seules mesures de surveillance qui, dans certains cas, peuvent aggraver son état ".
Les actes auto-agressifs, qui sont souvent un indice du risque suicidaire, peuvent être considérés comme des moyens de pression auxquels l’institution pénitentiaire se doit de ne pas céder. La circulaire de 1998 souligne pourtant que, " s’il est constant que certains actes auto-agressifs constituent, de la part du détenu, un moyen de pression par rapport à l’institution carcérale, il n’en demeure pas moins vrai que celui-ci, qui ne peut être présumé par l’administration, n’est pas exclusif d’une souffrance et d’un risque suicidaire sérieux ". Dans son rapport publié le 19 juin 2001, le Comité européen pour la prévention de la torture estime d’ailleurs que " l’appréciation de gestes auto-agressifs ne peut être laissée à la discrétion de l’administration pénitentiaire. Celle-ci ne peut être valablement faite que par les services de santé qualifiés pour déterminer les causes de tels actes ainsi que leur gravité et proposer une prise en charge appropriée des détenus concernés ".
Le rapport Terra recommande de son côté d’améliorer les conditions de détention afin d’instaurer " un climat propice aux confidences sur leur souffrance pour tous les détenus. Une telle atmosphère impose de réduire au maximum le stress et l’anxiété des personnes détenues notamment grâce à de bonnes relations entre les détenus et le personnel pénitentiaire, à des conditions de vie décentes, à l’assurance de ne pas être brutalisé, au maintien de liens familiaux ". Ces progrès devraient concerner les conditions matérielles de détention (encellulement individuel, salubrité des locaux) mais aussi des actions plus spécifiques pour les personnes qui ont des difficultés psychologiques ou des pulsions suicidaires (possibilité d’accroître les visites familiales au delà des conditions normales, prise en charge des déplacements de la famille).

10. La CNCDH estime que le phénomène de sursuicidité en prison appelle de la part du Gouvernement la mise en oeuvre d’une politique de prévention déterminée, qui soit véritablement considérée comme prioritaire. Cette politique doit s’appuyer sur le rapprochement des conditions d’existence en prison de celles du milieu libre, seule façon de permettre aux personnes détenues les plus fragiles de limiter leur sentiment d’exclusion ou de disqualification et de maintenir une certaine maîtrise sur le cours de leur vie. Cette préoccupation doit guider les autorités dans la détermination des modalités de fonctionnement des établissements. En particulier, la sursuicidité au quartier disciplinaire implique que les autorités lui substituent d’autres formes de sanction, comme le confinement en cellule individuelle.
Par ailleurs, l’accueil des détenus arrivants doit être organisé dans des conditions adéquates afin de permettre de limiter au maximum le " choc carcéral ". Le niveau de la prise en charge medico-psychologique spécialisée doit être considérablement rehaussé, afin que des permanences soient assurées dans les établissements.
D’autre part, la possibilité doit être prévue de recourir à des mesures spécifiques de prise en charge des personnes suicidaires, de nature à restaurer l’estime de soi chez les intéressés, allant de l’adaptation des conditions individuelles de détention (relations avec l’extérieur et activités aménagées) à la prise en charge en milieu hospitalier extérieur.

b. La protection face à la violence d’autrui
La prison est le théâtre de violences importantes. Les actes d’agression contre autrui, détenus comme surveillants, sont quotidiens. Au vu des derniers recensements des fautes disciplinaires opérés par l’administration pénitentiaire, il apparaît d’une part que les fautes consécutives à une agression physique entre détenus sont en augmentation : 6 013 en 2001 puis 6 806 en 2002. L’essentiel de ces actes se déroulent dans les maisons d’arrêt : 4 673 en 2001, 5 358 en 2002.
Pour ce qui est des violences de détenus à l’encontre de personnels, les mêmes dénombrements font état de 1 311 fautes consécutives à une violence physique en 2001 et de 1 785 en 2002. Là encore, l’essentiel du phénomène a lieu en maison d’arrêt :1 086 en 2001, 1 517 en 2002.
Un constat dénoncé par les députés qui notaient que la " surpopulation pénale est donc à l’origine d’un traitement infligé aux détenus qui peut être considéré, à juste titre, comme inhumain et dégradant ; elle n’est bien évidemment pas non plus étrangère à la survenance de plus en plus fréquente d’actes d’auto-agressions (automutilations, tentatives de suicides ou suicides), d’agressions entre détenus, de phénomènes de racket ou d’actes de violence envers les surveillants ". Quant au Sénat, il estimait " Certes, incarcérer des personnes contre leur gré est en soi une situation "violente". Pour autant, les manifestations de cette violence, les violences contre soi, les violences contre les autres ne sont pas une fatalité, et découlent directement de la surpopulation carcérale ". D’autre part, selon des sociologues spécialisés dans le domaine carcéral et particulièrement sur l’univers des personnels de surveillance, " Les risques d’explosion interne, dramatiques dans leurs conséquences, croissent avec la dimension toujours plus contraignante et intrusive des dispositifs de sécurité et l’allongement du séjour en prison ".
Les premières victimes des violences entre personnes détenues sont celles incarcérées pour des affaires de moeurs et les mineurs. La commission d’enquête du Sénat a pu " constater que l’administration pénitentiaire était fréquemment incapable d’assurer la sécurité physique des " pointeurs ", voire fermait les yeux sur les brimades dont ils font l’objet (insultes, crachats, racket, passages à tabac, viols…) ".
Concernant les mineurs, tous les interlocuteurs de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale ont également souligné que " L’administration pénitentiaire se trouve très désemparée en face de ces adolescents qui ont un comportement exacerbé en détention, qui ont leurs rites, leurs codes et qui reconstituent à l’intérieur des phénomènes de bandes ". Par ailleurs, à plusieurs reprises ces dernières années, des violences mortelles entre prisonniers ont eu lieu. Au moins six cas de décès dus à des violences entre détenus auraient été déplorés dans l’espace de cinq ans.

11. La CNCDH réitère ici son souhait de voir rapidement mis en application le principe de l’encellulement individuel, seul à même d’assurer une protection suffisante aux personnes détenues. D’autre part, elle est d’avis qu’une meilleure préservation des droits des personnes incarcérées est de nature à réduire les phénomènes de violence au sein des prisons. Enfin, elle estime que les quartiers de détention doivent être réaménagés en unités de taille humaine, en particulier s’agissant des quartiers réservés aux mineurs. Ceux-ci doivent en tous les cas être strictement séparés des adultes.
L’accès aux soins et les questions relatives à la santé sont encore trop peu considérées qu’il s’agisse des soins dentaires, des problèmes de vue, des traitements d’orthophonie interrompus à cause de la prison, du suivi d’un régime spécial des drogués (et des problèmes de sevrage) des détenus âgés, des personnes grabataires ou en phase terminale de maladie.

3. La protection du droit au respect de la vie privée et familiale
a. La protection de la vie privée
La nécessité d’aménager un espace privatif au profit du détenu
Le droit au respect de la vie privée implique de garantir à tout individu une sphère d’intimité dans laquelle il doit pouvoir conduire son existence comme il l’entend.
L’intimité doit être sauvegardée car elle constitue le coeur de l’identité personnelle et le fondement de la relation à autrui. Cette protection implique que l’individu ait la possibilité de se soustraire au regard d’autrui, et spécialement à celui de la puissance publique, à tout le moins à certains moments de la journée et en certains lieux qu’il puisse considérer comme privatifs. En effet, " La personnalité se déploienécessairement dans une portion d’espace dont l’appropriation - ne serait-elle que psychologique - lui est nécessaire. Ce territoire indispensable doit être respecté par
les tiers ".
En l’état du droit, la personne détenue est soumise à la surveillance constante des personnels pénitentiaires. L’article D. 270 du Code de procédure pénale énonce en effet que ceux-ci " doivent être constamment en mesure de s’assurer de la présence effective des détenus. Pendant la nuit, les cellules doivent pouvoir être éclairées en cas de besoin. Personne ne doit y pénétrer en l’absence de raison grave ou d’un péril imminent […] ". Aux termes de l’article D. 272, " des rondes sont faites après le coucher et au cours de la nuit, suivant un horaire fixé et quotidiennement modifié par le chef de détention, sous l’autorité du chef d’établissement ". L’intensité du contrôle opéré durant la nuit varie suivant les pratiques professionnelles ou selon que les détenus ont fait ou non l’objet de consignes particulières. La nature du contrôle nocturne peut consister en un coup d’oeil au travers de l’oeilleton mais encore en l’éclairage inopiné de la cellule, accompagné d’un ordre intimé au détenu de faire un mouvement. L’espace privé ou intime concédé au détenu se résume alors à peu de chose : " Que l’on soit seul ou non en cellule, le surveillant peut passer à tout moment au hasard, ou dans le cadre de sa ronde. On a toujours présent à l’esprit le fait qu’il va passer, et qu’il peut revenir. Cette pratique induit un climat de persécution terrible. L’individu est mis dans un état de qui-vive permanent, de paranoïa, potentiellement coupable en permanence ".

12. La CNCDH recommande l’aménagement de périodes durant lesquelles le détenu est à l’abri du regard d’autrui. Elle se doit de rappeler les améliorations qu’engendrerait le seul respect du principe de l’encellulement individuel.
Au demeurant, le ministère de la Justice avait prévu, lors de ses travaux préparatoires de l’avant projet de loi pénitentiaire en 2001, que la cellule soit considérée comme un " lieu clos ", pendant la " nuit légale ", délai pendant lequel la surveillance n’aurait plus été exercée, hormis sur sollicitation du détenu ou circonstances spéciales. L’intimité du détenu se trouve également bafouée par la situation de promiscuité à laquelle il est le plus souvent soumis en maison d’arrêt. Le fait d’être exposé en permanence au regard de deux, trois, voire quatre autres personnes est fortement déstructurant et met inévitablement à mal toute action de
réinsertion.
L’encadrement des fouilles des locaux
Les fouilles ordinaires des cellules sont prévues à l’article D. 269 du Code de procédure pénale. Leur fréquence est laissée à la discrétion du chef d’établissement.
Le Code se contente en effet de préciser que " l’inspection doit être fréquente et minutieuse ". Ce texte prescrit que la fouille de la cellule a lieu en l’absence de son occupant, sans en évoquer ni les causes ni les conditions. Ce dispositif peut se traduire en pratique par des abus. Il suscite en tous les cas de nombreuses contestations et provoque des tensions en détention.

13. La CNCDH préconise de définir strictement le régime juridique des fouilles de cellules, en le calquant autant que faire se peut sur celui des perquisitions, compte tenu de l’atteinte à la vie privée et à la propriété qu’elles supposent.
Une telle fouille ne devrait intervenir que sur décision motivée du chef d’établissement. Elle serait alors mise en oeuvre en présence du détenu.
Des " fouilles générales " des locaux d’hébergement et des lieux de vie collective sont réalisées de façon ponctuelle, sur décision de l’administration centrale. Elles sont généralement opérées par des équipes volantes de l’administration pénitentiaire avec le concours des forces de l’ordre. Elles sont parfois l’occasion d’une dégradation ou de la dispersion de certains effets personnels de détenus. Lesconditions dans lesquelles sont réalisées ces fouilles générales ne sont guère satisfaisantes. En particulier, le regroupement des détenus pendant des heures en cour de promenade dans l’attente de l’achèvement des opérations devrait être évité.
En pratique, ces opérations visent souvent à affirmer l’autorité de l’administration, l’expérience démontrant que les bénéfices en termes de sécurité sont limités. La disproportion entre les effets négatifs des fouilles sur la vie des détenus et les résultats qu’elles offrent est notoire. Selon la CGT pénitentiaire, " si ces fouilles d’établissement ont le mérite de ‘faire le ménage’, quel est leur véritable intérêt pour la sécurité, peu ou pas de prises spectaculaires (essentiellement des téléphones portables et un peu de drogue), tension accrue dans les établissements, pour la plupart surpeuplés ".

14. La CNCDH est d’avis que ce type de fouille générale ne doit être mis en oeuvre que sur décision de l’autorité judiciaire en cas de présomption sérieuse de crimes ou de délits. Il apparaît également nécessaire qu’il ne soit pratiqué qu’en présence d’une autorité de contrôle indépendante disposant de moyens suffisants pour veiller au bon déroulement des opérations.

Le contrôle des correspondances
Les correspondances écrites et téléphoniques véhiculent l’intimité de la vie privée.
Elles s’avèrent essentielles en prison, dans la mesure où elles permettent de préserver des relations affectives que l’espacement des visites et l’éloignement géographique du lieu d’incarcération viennent souvent contrarier.
Les prévenus peuvent écrire sans limitation aux personnes de leur choix (art. D. 65 du CPP) sous réserve de disposition contraire émanant du juge d’instruction.
S’agissant des condamnés, ils " peuvent écrire à toute personne de leur choix et recevoir des lettres de toutes personnes […] Le chef d’établissement peut toutefois interdire la correspondance occasionnelle ou périodique avec des personnes autres que le conjoint ou les membres de la famille d’un condamné lorsque cette correspondance paraît compromettre gravement la réinsertion du détenu ou la sécurité et le bon ordre de l’établissement " (art. D. 414 du CPP).
Les courriers doivent être lus par l’administration " tant à l’arrivée qu’au départ " (art. D. 416 du CPP), à l’exception de la correspondance avec les autorités judiciaires et certaines autorités administratives ainsi qu’entre prévenus et avocats. Compte tenu de l’impossibilité pour l’administration de contrôler chaque lettre, la circulaire du 19 décembre 1986, après avoir indiqué que la lecture n’a pas à être systématique, précise que " ceux dont la personnalité fait craindre que leur courrier comporte des informations susceptibles de mettre en cause la sécurité des personnes ou celles des établissements " subissent " un contrôle régulier ". L’administration pénitentiaire peut décider de retenir les lettres " lorsqu’elles contiennent des menaces précises contre la sécurité des personnes ou celles des établissements pénitentiaires " (art. D. 415 du CPP). S’agissant des conversations téléphoniques, elles sont en principe écoutées par le personnel pénitentiaire (art. D. 417 du CPP) et sont parfois enregistrées. Ce contrôle opéré sur la correspondance aboutit à une auto-censure de la part des détenus et de leurs proches dans leurs échanges. Les uns comme les autres s’abstiennent d’évoquer des sujets trop personnels. Cette autolimitation peut conduire à un appauvrissement des rapports affectifs et en définitive à un isolement sentimental de la personne détenue.

15. La Commission préconise une limitation du contrôle des correspondances par l’administration à une vérification externe des lettres. Lorsque cette vérification laisserait présumer la présence d’un objet illicite, le courrier pourrait être ouvert en présence du détenu. Un contrôle plus approfondi du contenu du courrier ne pourrait être opéré que sur décision judiciaire.

Le droit à la sexualité
Le droit à la sexualité trouve son fondement dans diverses règles : droit à l’intimité de la vie privée (article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme), l’obligation de cohabitation du Code civil. Corrélativement, le droit de fonder une famille suppose la possibilité de procréer. Il est à noter à cet égard que si la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas encore, dans l’état actuel des choses, posé en principe que les autorités devaient assurer aux personnes détenues la possibilité d’avoir des relations sexuelles, elle a cependant énoncé dans l’arrêt Kalashnikov c. Russie, du 18 septembre 2001, qu’elle notait avec sympathie le mouvement de réforme dans différents pays européens visant à permettre des visites conjugales. Par ailleurs le Comité européen de prévention de la torture a demandé au gouvernement français, à quatre reprises, de prévoir des visites conjugales.
Le Code de procédure pénale est muet s’agissant de la question de la sexualité des personnes détenues. Aucune autorisation ni aucune interdiction ne la concerne.
L’attitude des services pénitentiaires à cet égard varie fortement d’un établissement pénitentiaire à l’autre. Dans un certain nombre de prisons, les relations sexuelles aux parloirs sont tolérées par le personnel. Dans d’autres, il est recouru à l’article D. 249-2-5° du Code de procédure pénale, qui prohibe le fait " d’imposer à la vue d’autrui des actes obscènes ou susceptibles d’offenser la pudeur ", pour tenter d’y faire échec. Compte tenu de la configuration des parloirs, ces relations se déroulent toujours dans des conditions indécentes. Le CPT formulait à cet égard l’observation suivante : " Entretenir des relations sexuelles dans ces conditions est dégradant à la fois pour le couple en question et les spectateurs obligés (que ce soit d’autres détenus/visiteurs, ou des fonctionnaires pénitentiaires) ". Par conséquent le Comité a invité le gouvernement français à organiser des visites qui " aient lieu dans des conditions aussi voisines que possible de la vie courante, favorisant le maintien de relations stables ".
A ce jour, trois sites expérimentaux ont ouvert (ou doivent ouvrir à brève échéance) à l’intérieur du centre pénitentiaire de Rennes, des maisons centrales de Poissy et de Saint Martin en Ré. Les unités expérimentales de visite familiale (UEVF) offrent aux détenus condamnés la possibilité de recevoir des membres de leur famille au sein de locaux spécialement aménagés dont l’organisation matérielle respecte la discrétion, l’intimité des échanges. Les unités sont des appartements implantés dans l’établissement pénitentiaire. Pour solliciter un accès en UEVF, les détenus doivent être condamnés définitifs (et affectés à l’un des trois sites). Ils ne doivent pas non plus bénéficier de permissions de sortir ou autre aménagement de peine garantissant le maintien des liens familiaux, qu’ils soient ou non dans les conditions légales pour en bénéficier. Peuvent demander un accès aux unités de vie, les membres de la famille proche ou élargie et les personnes justifiant d’un lien affectif solide avec la personne incarcérée dans le cadre d’un projet familial. Le chef d’établissement détermine la durée de la visite, qui s’échelonne entre 6 heures minimum et 48 heures maximum. Une fois par an, une visite de 72 heures peut être accordée. Des contrôles et des interventions des personnels pénitentiaires peuvent avoir lieu au cours de la visite.

16. La CNCDH recommande la généralisation du système d’unités de vie familiale.
Dans le cadre des parloirs ordinaires, elle souhaite également que les visites se déroulent à l’abri des regards extérieurs. Au demeurant, le ministère de la Justice avait envisagé, dans le cadre de ses travaux d’élaboration de l’avant-projet de loi pénitentiaire, que les visites pourraient se dérouler sans surveillance. Ce principe devrait désormais être inscrit dans les textes.

b. Le maintien des liens familiaux
Les visites au parloir
Les relations familiales des personnes détenues sont placées sous la protection de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Aux termes de cet article, les restrictions apportées par les autorités à ce droit constituent des ingérences qui doivent, dès lors, répondre à un besoin social impérieux et ne pas être disproportionnées au regard des nécessités de l’ordre public invoquées. En particulier, les organes de la Convention européenne estiment que " Le fait de détenir une personne dans une prison éloignée de sa famille à tel point que toute visite s’avère en fait très difficile peut constituer une ingérence dans sa vie familiale, la possibilité pour les membres de la famille de rendre visite au détenu étant un facteur pour le maintien de la vie de famille ". L’article 8 astreint d’autre part l’Etat à prendre les mesures nécessaires pour permettre aux intéressés de mener une vie familiale normale. La Cour européenne considère à cet égard qu’il est essentiel " que l’administration pénitentiaire aide le détenu à maintenir un contact avec sa famille proche ".
Par ailleurs, la Convention internationale sur les droits de l’enfant énonce en son article 3-1 que " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait d’institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ". Par conséquent, les autorités administratives ne doivent pas, par leurs décisions, porter atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant, y compris lorsque ce dernier n’en est pas le destinataire direct. L’autorité parentale, comme le droit pour un enfant à voir ses liens familiaux maintenus avec son parent et à voir celui-ci conserver envers lui une responsabilité effective, sont également protégés (art. 9, 16, 18). S’agissant de l’enfant privé de liberté, la Convention affirme qu’" il a le droit de rester en contact avec sa famille par la correspondance et les visites, sauf circonstance exceptionnelle " (art. 37-c).
Le Code de procédure pénale énonce qu’" En vue de faciliter le reclassement familial des détenus à leur libération, il doit être particulièrement veillé au maintien et à l’amélioration de leurs relations avec leurs proches, pour autant que celles-ci paraissent souhaitables dans l’intérêt des uns et des autres " (art. D. 402). Il prévoit un minimum d’une visite par semaine pour les condamnés et trois pour les prévenus (art. D. 410).
Dans la pratique toutefois, " la réponse de l’administration pénitentiaire face à cet impératif de maintien des liens familiaux paraît, à bien des égards, peu satisfaisante ". Les proches des détenus se heurtent fréquemment à des " obstacles matériels souvent démesurés pour des familles défavorisées ". La difficulté la plus importante à laquelle elles peuvent être confrontées est l’éloignement du lieu de détention.
S’agissant des prévenus, ils sont en principe incarcérés dans la maison d’arrêt du ressort du siège de la juridiction saisie de l’affaire pénale. Les condamnés, quant à eux, peuvent être affectés en établissement pour peines sur décision du ministère de la Justice ou d’une direction régionale de l’administration pénitentiaire. Faute de disposition contraignante, le critère du lieu de résidence des proches des intéressés ne revêt qu’une importance relative au regard des considérations de sécurité ou encore des impératifs de gestion de places. La circulaire du 9 décembre 1998 relative aux procédures d’orientation et aux décisions d’affectation des condamnés affirme pourtant que les opérations de transferts en vue de désencombrer un établissement, " en dépit de l’urgence qui le plus souvent s’y attache, doivent être guidées par le même souci d’individualisation qui prévaut à toute affectation et se fonder, autant que possible, sur le volontariat des personnes concernées. Ainsi, doit être évité le transfert de détenus recevant des visites fréquentes ".
Le problème de l’éloignement peut également résulter d’un transfert imposé au détenu durant l’exécution de sa peine. Ce type de mesure demeure couramment utilisé à titre de sanction occulte à l’encontre d’individus jugés difficiles. Un responsable syndical indiquait ainsi devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale que l’administration avait pour habitude de " pratiquer le "tourisme pénitentiaire", c’est-à-dire le déplacement des détenus d’un établissement à l’autre ".
Dans la prise de ses décisions, qui ne devraient pas être considérées comme des mesures d’ordre intérieur, l’administration pénitentiaire refuse encore aujourd’hui de recueillir les observations du détenu dans le cadre du débat contradictoire prévu pourtant par la loi du 12 avril 2000. Dans ces conditions, la situation familiale des destinataires est souvent ignorée par l’autorité administrative. Quel que soit le motif de l’éloignement du proche incarcéré, les coûts des déplacements pour se rendre au parloir peuvent s’avérer très élevés pour les familles. Certaines d’entre elles sont contraintes de parcourir la France entière dans les deux sens pour une visite effective d’une demi-heure.
Parallèlement, l’inaccessibilité d’un certain nombre d’établissements pénitentiaires et les horaires des parloirs peuvent également contraindre les familles à restreindre leurs visites. En maison d’arrêt, il n’est généralement possible de rencontrer les prévenus que durant la semaine, à l’exclusion du week-end. D’autre part, une partie des établissements ne sont pas accessibles en transports publics. Un tiers des prisons ne sont pas desservies par les transports en commun les jours de parloirs.
Enfin, de fortes disparités se font ressentir dans l’organisation des parloirs selon les établissements. La durée des visites varie fortement d’une prison à l’autre, même de catégorie identique. Quant aux modalités de réservations des parloirs, elles se révèlent souvent fort problématiques (bornes électroniques en panne, standards téléphoniques saturés, horaires de prise de rendez-vous absurdes).
Les conditions fort peu satisfaisantes dans lesquelles les détenus entretiennent actuellement des relations avec l’extérieur rendent indispensable une intervention législative en ce domaine. Il convient de garder à l’esprit que non seulement la famille ne doit pas être frappée par la sanction prononcée contre l’individu incarcéré, mais encore que le maintien des liens familiaux est une donnée essentielle pour le retour dans de bonnes conditions à la société libre. Ainsi que l’a souligné le CPT, " permettre aux détenus de maintenir des relations affectives avec leurs proches contribuerait à préserver leur bien-être psychologique et, partant, à alléger la tension inhérente à la privation de liberté, en particulier lorsque celle-ci se prolonge ". Aussi bien, " le principe directeur [en cette matière] devrait être de promouvoir le contact avec le monde extérieur ; toute limitation de tels contacts devrait être fondée exclusivement sur des impératifs sérieux de sécurité ou sur des considérations liées aux ressources disponibles ".

17. Dans cette perspective, la CNCDH estime que les décisions d’affectation des condamnés doivent prioritairement être édictées en considération des exigences de stabilité de leur situation familiale - spécialement s’ils ont des enfants - et au regard d’autres éléments de resocialisation comme la formation, l’emploi ou le contenu d’un plan d’exécution de la peine.
Les décisions devraient nécessairement être motivées en fonction de ces paramètres. D’autre part, une mesure administrative aboutissant à rompre une situation établie et éloignant un détenu de sa famille ne pourrait intervenir que pour un motif impérieux d’intérêt général.

18. La CNCDH recommande également que les prévenus dont l’instruction est terminée et qui attendent leur comparution devant la juridiction de jugement puissent bénéficier d’un rapprochement familial dans cet intervalle.
Les décisions relatives à l’affectation et à ses changements devraient relever de l’autorité judiciaire, ou être prises sur son avis conforme, en raison de leurs conséquences en matière d’application des peines (art. D. 146 du CPP). Elle réitère ici sa demande que les autorités pénitentiaires organisent, avant la prise d’une décision d’affectation, un débat contradictoire avec l’intéressé.

19. S’agissant du régime des visites, la CNCDH est d’avis que le système de parloirs en vigueur dans les établissements pour peines - permettant des rencontres de plusieurs heures voire de deux demi-journées successives en semaine comme en week-end - soit étendu à toutes les prisons.

Le pacte civil de solidarité
Il apparaît impossible pour les personnes détenues de souscrire un pacte civil de solidarité (PACS) en raison de la nécessité pour les deux cocontractants d’en faire la déclaration conjointe - ce qui suppose leur présence concomitante au greffe du tribunal de grande instance - et parce que l’article 515-3 du Code civil exige une résidence commune.

20. La CNCDH recommande donc une modification des modalités d’application de l’article 515-3 du Code civil qui permettent au greffier du tribunal de grande instance de se déplacer dans l’établissement pénitentiaire, sur réquisition du procureur de la République, afin d’enregistrer la déclaration conjointe des cocontractants.

L’enfant d’un parent détenu
Concernant l’ensemble des dispositions relatives au maintien des liens entre parents détenus et leurs enfants, l’intérêt de ces derniers doit prévaloir sur toutes autres considérations. Cette préoccupation doit être présente à l’esprit du législateur d’autant plus que " Chaque année, plusieurs dizaines de milliers d’enfants, entre 70 et 80 000, sont confrontés à la séparation imposée par la détention d’un de leurs parents ". En outre, l’incarcération des parents de jeunes mineurs, et particulièrement des mères de mineurs de cinq ou six ans, doit être exceptionnelle et, conformément aux recommandations européennes, limitée aux situations où la mère est considérée comme dangereuse pour son enfant ou lorsqu’elle a porté atteinte à ses propres enfants. La séparation de la mère et de l’enfant ne doit plus être fixée à l’âge de dixhuit mois, mais étendue, comme dans d’autres Etats, à trois ans, et être très progressive.

L’accès au téléphone
Aujourd’hui, seuls les condamnés détenus en établissement pour peines peuvent téléphoner. La périodicité des communications autorisées est en théorie d’une fois par mois dans les centres de détention et exceptionnelle dans les maisons centrales.
L’usage s’est cependant répandu de permettre aux détenus de téléphoner au moins une fois par semaine dans ces deux catégories d’établissements, même si les chefs d’établissement tendent actuellement à revenir sur cette tolérance. Pour le reste, en ce domaine comme dans bien d’autres, la pratique est fort variable selon les sites.
Dans un certain nombre, les détenus peuvent téléphoner presque sans limitation.
Dans d’autres, quelques-uns bénéficient d’un traitement de faveur vis-à-vis de l’ensemble de leurs codétenus.
En revanche, les détenus des maisons d’arrêt n’ont pas la possibilité de téléphoner.
Cette interdiction est une exception au regard des situations généralement en vigueur en Europe. A quatre reprises (1991, 1994, 1996, 2000) le CPT a demandé aux autorités françaises de revenir sur cette interdiction. " Le CPT considère que le refus total [de contact téléphonique] est inacceptable, notamment à l’égard des détenus qui ne reçoivent pas de visites régulières de membres de leur famille, à cause de la distance séparant celle-ci de la prison ". Le Comité européen relève également " qu’une telle approche s’éloigne de celle suivie dans d’autres pays européens ".

21. La CNCDH préconise une généralisation de l’accès au téléphone à l’ensemble des prisons. Elle recommande de s’affranchir des restrictions quant au nombre des appels vers l’extérieur tant elles apparaissent à la fois injustifiées et inégalement appliquées. Elle souhaite également que la possibilité pour les détenus de recevoir des appels de l’extérieur soit aménagée, au besoin limitée à un nombre restreint de correspondants et suivant des rendez-vous fixés par avance.

4. Le respect du droit à l’enseignement et à la formation
Dans sa résolution du 17 décembre 1998 sur le respect des droits de l’homme dans l’union européenne, le parlement européen " déplorait et s’inquiétait […] de l’absence fréquente, à l’intérieur des structures carcérales, d’activités professionnelles, éducatives, culturelles et sportives indispensables pour préparer efficacement et véritablement le détenu à un retour à la vie civile ". Le même jour, il demandait aux Etats membres " d’appliquer intégralement les dispositions des règles pénitentiaires du Conseil de l’Europe, notamment la participation au travail, à l’enseignement et à la formation ainsi qu’aux activités socio-éducatives, culturelles et sportives, tous éléments qui contribuent à la dignité et la réinsertion civile du prisonnier ".
La prise en charge éducative dans les prisons incombe aux ministères de l’Education nationale et de la Justice. Selon les termes de la convention interministérielle du 29 mars 2002, " L’enseignement correspond à un droit pour les personnes privées de liberté ". La proportion de détenus scolarisés est relativement stable sur les trois dernières années : 59,9 % en 2000, 60,1 % en 2001 et 59,3 % en 2002. A la rentrée de septembre 2002, 368 enseignants ont assuré la formation générale de l’ensemble de la population détenue (361 en septembre 2001). Malgré cette augmentation du nombre d’emplois d’enseignants à temps plein, le taux d’encadrement a baissé pour s’établir à 20,8 heures d’enseignements en moyenne pour 100 détenus en 2002 (23 heures en 2001). Cette " chute brutale du taux d’encadrement tient à la hausse de la population incarcérée que ne compensent pas les créations de postes et l’attribution d’heures supplémentaires " estime la Commission nationale de suivi de l’enseignement en milieu pénitentiaire. Elle souligne également que le budget des Unités pédagogiques régionales (UPR), qui ont en charge les formations initiales et diplômantes, a baissé en 2002 " en valeur absolue comme en valeur relative ". Cette baisse du taux d’encadrement s’est accompagnée d’une baisse du temps de scolarisation. " La tendance à la réduction du nombre d’heures repérée l’an passé se confirme : en 2001, 29 % des personnes étaient scolarisées avec moins de six heures de cours par semaine. En 2002, elles étaient 32,5 % et en 2003, elles sont 33,6 % ", estime la Commission. La moyenne des heures de scolarisation (enseignement et activités transversales : langue, sport, informatique) est de 8, 6 par semaine en établissement pour peines et de 9 en maison d’arrêt.
Si l’obligation scolaire ne s’applique qu’à l’égard des mineurs de moins de seize ans, une politique incitative doit être menée à l’égard des autres jeunes détenus. Ils doivent bénéficier d’une prise en charge spécifique. L’encadrement scolaire de ces jeunes demeure pourtant sérieusement limité. Ainsi, pour ce qui est des heures d’enseignement, la moyenne nationale s’élève à 13,3 heures hebdomadaires. Le principe de " l’isolement complet " prévue par la loi du 9 septembre 2002 interdit dorénavant toute possibilité de faire participer les mineurs aux cours dispensés aux adultes. Ainsi, les effectifs d’enseignants nécessitent d’être doublés. A l’ouverture des nouveaux établissements pénitentiaires pour mineurs prévue pour la fin de l’année 2005, la Commission nationale de suivi de l’enseignement estime que 32 postes d’enseignants à temps plein et 400 heures de vacations seront nécessaires.
Le 26 juin 2002, la commission d’enquête du Sénat sur la délinquance des mineurs a tiré un bilan sévère de la prise en charge éducative des mineurs dans les établissements pénitentiaires. Pour elle, " malgré les efforts accomplis par l’Education nationale et la Justice, le temps de scolarisation des mineurs incarcérés ne dépasse guère dix à douze heures par semaine ". En outre, la commission " constate que cet enfermement est souvent pratiqué dans de mauvaises conditions et qu’il est synonyme de ruptures de prises en charge, de discontinuité ". Un avis qui rejoint celui du Parlement européen qui a estimé dès 1998 " que les mineurs d’âge n’ont pas leur place dans les établissements pénitentiaires " et qui a préconisé " l’instauration d’un droit pénal constructif et humain pour les jeunes, qui soit basé sur leur responsabilité et leurs aptitudes, prévoie des alternatives à leur incarcération et des mesures visant à combler, autant que possible, des lacunes affectives et éducatives souvent à l’origine des attitudes reprochées ".
Les niveaux scolaires très hétérogènes et l’importante proportion de situations d’échec scolaire imposent une pédagogie et un cursus scolaire adaptés. Les personnes en situation d’illettrisme ou d’analphabétisme doivent être considérées comme prioritaires dans l’accès à l’enseignement. Lors des évaluations de l’illettrisme faites par les enseignants au cours de l’année 2002, 18,3 % des détenus étaient en situation d’illettrisme ou d’analphabétisme et 13,9 % éprouvaient des difficultés lors de la lecture. Lors de l’arrivée des personnes en détention, un repérage systématique de l’illettrisme doit être assuré auprès des détenus sans diplôme, de niveau inférieur au CAP ou ceux pour lesquels il existe un doute sur le diplôme déclaré. Néanmoins, le rapport en date 25 avril 2003 de la commission de suivi de l’enseignement souligne que le dispositif de repérage de l’illettrisme n’a touché que 54 % des détenus.
L’administration pénitentiaire rapporte qu’au cours de l’année 2002, 11 503 détenus ont été inscrits dans une formation de niveau primaire et 6 858 détenus ont été inscrits dans une formation de lutte contre l’illettrisme ou d’alphabétisation, ce qui représente 58 % des détenus scolarisés. Il est cependant nécessaire de préciser qu’au cours de l’année 2002, une forte rotation des personnes au sein de ces formations a eu lieu. Les demandes de formation ont souvent été abandonnées au profit d’un emploi pénitentiaire rémunéré.

22. Convaincue que l’éducation est un moyen d’humaniser les conditions de vie au sein de la prison, qu’elle favorise la resocialisation, et qu’elle vient combler de nombreux besoins au sein de la population des personnes incarcérées, la CNCDH considère que tous les détenus doivent être mis en situation, y compris sur le plan matériel par l’octroi de bourses et par l’aménagement de leur emploi du temps, de pouvoir bénéficier d’un enseignement visant " au plein épanouissement de la personnalité humaine ", et conçu comme un moyen permettant de comprendre la société et de pouvoir jouer un rôle dans son fonctionnement dans le futur.

5. L’application du droit du travail
Le Parlement européen a demandé aux pouvoirs publics " de prévoir au sein des structures carcérales un maximum de possibilités de travail et de formation culturelle et sportive, indispensables pour préparer efficacement le retour du détenu à la vie civile ". Il a également estimé que toute personne incarcérée devait avoir " la possibilité d’effectuer un travail digne et dûment rétribué ". Pour sa part, dans le cadre de ses Règles pénitentiaires, le Conseil de l’Europe précise que " l’organisation et les méthodes de travail dans les établissements doivent se rapprocher autant que possible de celles qui régissent un travail analogue dans la communauté, afin de préparer les détenus aux conditions normales du travail libre ".
De son côté, le CPT considère que " La situation de l’emploi au sein d’un établissement pénitentiaire ne devrait pas être dictée exclusivement par les forces du marché ".
En droit interne, l’article 34 de la Constitution prévoit que " la loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail ". Le Code pénal réprime, en son article 225-13, " le fait d’obtenir d’une personne dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de l’auteur, la fourniture de services non rétribués ou en échange d’une rétribution manifestement sans rapport avec l’importance du travail accompli ". Dans sa partie législative, le Code de procédure pénale dispose simplement que " les relations de travail des personnes incarcéréesne font pas l’objet d’un contrat de travail ". Toutefois, les principes généraux du droit du travail doivent être considérés comme trouvant à s’appliquer, à condition qu’ils ne soient pas incompatibles avec les exigences du service public.
Depuis la loi du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire, l’obligation de travail pour le prisonnier a disparu en France pour laisser place à la nécessité pour les services pénitentiaires de prendre " toutes les dispositions pour assurer une activité professionnelle aux détenus qui le souhaitent ". L’article 720 du Code de procédure pénale précise également que " les activités de travail sont prises en compte pour l’appréciation des gages de réinsertion et de bonne conduite des condamnés ". Concrètement, la personne incarcérée peut occuper une fonction de manoeuvre dans un atelier de sous-traitance industrielle ou participer à l’intendance de la prison (nettoyage, distribution des repas, gestion des stocks). Dans le premier cas, il s’agira d’une activité de production qui s’effectue pour le compte de la Régie industrielle des établissements pénitentiaires (RIEP) ou au bénéfice d’une entreprise extérieure qui a passé un contrat de concession avec l’établissement pénitentiaire.
Dans le second cas, il s’agira d’un service général pour le compte de l’administration pénitentiaire.
Les règles régissant les relations de travail sont déterminées par décret. Ainsi, l’article D 103 du Code de procédure pénale énonce que " sont exclusives de tout contrat de travail les relations qui s’établissent entre l’administration pénitentiaire et le détenu auquel elle procure un travail ainsi que les relations entre le concessionnaire et le détenu mis à la disposition selon les conditions d’une convention administrative qui fixe notamment les conditions de rémunération et d’emploi ".
A l’issue de ses travaux en juin 2000, la commission d’enquête de l’Assemblée nationale avait estimé que " l’absence de respect du droit du travail ruine la conception même du travail pénal comme outil d’insertion ". En guise de perspective, les députés estimaient que " l’introduction du droit du travail deviendra de toute façon incontournable et les obstacles juridiques doivent pouvoir être levés ". En juin 2002, un rapport du Sénat sur le travail en prison a considéré que " le pragmatisme de l’administration pénitentiaire correspond à un bricolage permanent, qui amène à faire du travail pénitentiaire un " non-travail " : celui-ci est une occupation parmi d’autres, sans aucun des attributs que revêt le travail ".
En dépit de ces divers constats et recommandations, le dispositif législatif n’a pas connu d’évolution notable. L’absence de contrat de travail, outre qu’elle permet des rémunérations très faibles, induit de multiples dérogations au droit commun qui sont préjudiciables aux détenus. Ainsi, ils ne peuvent toujours pas bénéficier d’une durée du travail définie, de formation professionnelle liée à l’exercice d’une activité, d’une représentation auprès de l’employeur ou d’un droit à la syndicalisation, de congés payés et de prime de licenciement. Par le biais de la circulaire du 27 août 2001, l’administration a certes reconnu la nécessité de " rapprocher le travail pénitentiaire du droit commun ", mais les actions menées dans ce sens restent embryonnaires.
Dans le meilleur des cas, les services pénitentiaires se limitent à remettre au détenu un " support d’engagement professionnel ", sans valeur juridique, qui fixe la durée et la nature de l’emploi, la formation qui lui est associée, la rémunération ainsi qu’un règlement intérieur des ateliers.
Depuis une dizaine d’années, le taux d’activité des détenus (part des détenus disposant d’une activité rémunérée) se stabilise autour de 40 %. Celui-ci était de 41,4 % en 1993, 40,9 % en 1997, 43,2 % en 1999, 46,5 % en 2000 et 43,1 % au premier semestre 2002. Ces fluctuations ne sont pas dues à l’évolution de l’offre de travail.
En effet, le nombre de prisonniers bénéficiant d’un emploi stable ou intermittent continue de stagner : 21 820 détenus ont travaillé en 2000 contre 21 942 en 1996.
Au regard de ces chiffres, il apparaît clairement que la hausse du taux d’activité entre 1997 et 2000 n’est pas due à une croissance de l’offre de travail mais à la diminution du nombre de personnes incarcérées (4 609 détenus en moins entre le 1er janvier 1996 et 2000). A l’issue de ses derniers travaux, le Sénat a constaté que " la hausse du nombre de détenus conduit à une détérioration inéluctable du taux d’activité ". Un avis confirmé par les chiffres les plus récents faisant état d’une réduction du taux d’activité qui est passé de 46,5 % en 2000 à 43,1 % au premier semestre 2002.
Selon les calculs sénatoriaux " en soustrayant du nombre de détenus n’ayant pas de travail ceux qui ne peuvent ou ne souhaitent travailler, il manque plus de 10 000 emplois en prison ". Si l’on s’en tient aux définitions officielles de l’INSEE, la population active en milieu carcéral comprend 32 000 détenus environ (22 000 qui travaillent et 10 000 qui cherchent un emploi) et le taux de " chômage " (part des personnes à la recherche d’un emploi dans la population active) s’élève à 31 % dans les prisons françaises. Ce taux est donc plus de trois fois supérieur à la moyenne nationale. Il est à noter que ces détenus demandeurs d’emploi ne bénéficient d’aucune indemnité de chômage.
Au premier semestre 2002, les détenus affectés au service général percevaient en moyenne 178 euros par mois travaillé. Pour le travail en production, un salaire horaire minimum de l’administration pénitentiaire (SMAP) a été institué. Au 1er janvier 2002, il était fixé à 2,76 euros en maison d’arrêt et 2,99 euros en établissement pour peines. Au premier semestre 2002, un détenu gagne en principe, pour chaque mois travaillé en concession 373 euros (351 euros dans les prisons 13 000) et celui qui occupe un emploi à la RIEP reçoit 460 euros. Mais ces chiffres ne traduisent pas le niveau réel des rémunérations car ils s’appliquent pour un mois travaillé à temps plein alors que la période d’activité d’un détenu sur un an est très réduite. Ainsi, le rapport du Sénat évalue qu’au cours de l’année 2000, les détenus ont en moyenne travaillé 104 jours pour une rémunération moyenne annuelle nette de 1 950 euros, soit 162 euros par mois. Des données qui ont suscité ce commentaire de la part du Sénat : " Les rémunérations mensuelles moyennes restent donc faibles. Compte tenu des périodes d’inactivité, les rémunérations annuelles sont encore plus limitées ". Si l’on rapproche le niveau des rémunérations nettes du coût de la vie en prison, force est de constater que l’équilibre financier d’une personne détenue est précaire. On estime généralement qu’il faut entre 150 et 200 euros minimum pour vivre en prison en considérant les prix majorés de la cantine et la location très onéreuse de la télévision. La rémunération moyenne étant de 162 euros par mois, elle permet à peine au détenu d’assurer les dépenses essentielles et, en aucun cas, d’aider sa famille ou d’accroître le remboursement des parties civiles. A titre de comparaison, selon les informations recueillies par le Sénat, la rémunération du travail des détenus en Italie prévoit que leur " montant ne peut pas être inférieur aux deux tiers de ce qui est prévu par les conventions collectives correspondantes ".
La Commission s’associe à l’analyse développée par les acteurs locaux de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis qui, consultés sur ces questions par le ministère de la Justice le 21 mars 2001, ont jugé qu’" il est indispensable de donner enfin aux personnes incarcérées qui travaillent un salaire décent, dans le cadre d’un contrat de travail réglementant leurs rapports avec leur employeur, ceci afin de leur garantir des congés payés, l’indemnisation des arrêts de travail, des accidents du travail et des congés de maternité, ce qui n’est nullement le cas à l’heure actuelle. Il est manifestement possible de trouver des employeurs qui rémunèrent correctement les détenus, puisque cela se pratique déjà dans certains établissements ".
La Commission a pris acte du fait que le ministère de la Justice s’était déclaré favorable à une telle évolution : " S’agissant du droit au travail, le projet de loi posera le principe d’un contrat de travail régissant l’exercice d’emplois rémunérés au sein des établissements pénitentiaires, passé directement entre le détenu et l’employeur ou bien entre le détenu et l’administration pénitentiaire. Dans tous les cas, le détenu bénéficiera de garanties comparables à celles que le droit commun aménage. Le montant de la rémunération sera fixé par référence au SMIC ".
Les personnes incarcérées qui connaissent des difficultés particulières (indigence, handicap, …) devraient pouvoir bénéficier des aides justifiées par leur état, dans le respect de la législation en vigueur adaptée à la situation de détention. Le droit au travail est bien entendu essentiel et résoudrait sans doute, s’il parvenait à être effectif pour tous ceux qui le souhaitent, la question des ressources des détenus, mais il semble nécessaire de penser aussi, pour ceux qui n’auraient pas la possibilité de travailler et subissent une absence de ressources, à la possibilité d’avoir droit à une aide sociale non discriminatoire.

23. La CNCDH estime que les pouvoirs publics doivent proposer une offre de travail suffisante à la fois en quantité, pour garantir un minimum de ressources, et en qualité, pour inscrire le travail dans une démarche à la fois qualifiante et pédagogique préparant à la réinsertion. Le prisonnier devra bénéficier d’un contrat de travail et l’application du code du travail ne devra plus se limiter au seul respect des conditions d’hygiène et de sécurité, mais concerner à tout le moins les éléments essentiels de la relation individuelle de travail.

6. L’effectivité du droit de vote
L’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques établit " le droit et la possibilité " de voter à tout citoyen, " sans restrictions déraisonnables ". En France, le droit de vote constitue un attribut de la citoyenneté et est consacré par le Conseil constitutionnel. Pourtant, comme le soulignait en juin 2000 la commission d’enquête sénatoriale, " Il est quasiment inexistant en prison car aucune disposition n’est prévue pour en faciliter l’exercice ".
Les prévenus jouissent de la totalité de leurs droits électoraux. Seules les personnes condamnées antérieurement au 1er mars 1994 en sont privées. Depuis cette date, la suppression du droit de vote n’est plus automatique. La seule obligation qui pèse actuellement sur le chef d’établissement est d’informer les personnes détenues suffisamment longtemps à l’avance de leur possibilité de voter par procuration. Mais il n’existe aucune mesure significative pour s’assurer de la bonne exécution de cette " obligation " (simple organisation par circulaire).

24. La CNCDH considère que tout ce qui favorise l’effectivité du droit de vote au sein de la population carcérale contribue à renforcer l’intérêt des détenus pour l’exercice de la citoyenneté et celui des élus pour les questions pénitentiaires. Dans cette perspective, diverses solutions pratiques peuvent facilement être mises en oeuvre.
Chacune de ces mesures constituant d’ailleurs une étape vers la resocialisation, au moins symboliquement. Il pourrait être proposé aux personnes détenues, notamment aux condamnés, de s’inscrire sur les listes électorales du lieu de leur incarcération.
Les prévenus pourraient être recensés et approchés par un agent public chargé de les inscrire sur les listes de leur domicile (s’ils en possèdent un) ou de leur lieu de détention. Pour les personnes détenues qui ne peuvent quitter l’établissement, un bureau de vote pourrait être ouvert dans l’enceinte de la détention afin que ceux qui le souhaitent puissent s’exprimer personnellement (passage dans l’isoloir…). Pour tous les autres, une permission de sortir pourrait leur être accordée le jour des
élections.

7. La reconnaissance des droits collectifs

a. La liberté d’expression
" La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. " Tel est le principe posé par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Par ailleurs, l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme protège aussi le droit à la liberté d’expression, à la liberté d’opinion et à la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées. L’exercice de ces libertés peut être soumis à certaines restrictions prévues par la loi répondant à des objectifs légitimes parmi lesquels la défense de l’ordre, la prévention du crime ou la protection des droits d’autrui. L’ingérence ainsi réalisée doit être " nécessaire dans une société démocratique ".
En droit commun, la liberté d’expression bénéficie donc d’un régime dit répressif : la parole est libre mais l’abus (cas prévus par la loi tels que diffamation, incitation à la haine raciale…) peut conduire à des poursuites et des sanctions. En milieu pénitentiaire, le régime mis en place est préventif : l’administration dispose des moyens de contrôler l’expression des personnes dont elle a la garde. Les détenus ne peuvent pas, dans l’immense majorité des cas, publier de textes. La sortie d’écrits en vue de leur publication ou de leur divulgation sous quelque forme que ce soit ne peut être autorisée que par décision du directeur régional des services pénitentiaires.
L’administration conserve ainsi la capacité de censurer, partiellement ou en totalité, l’écrit d’un détenu en vue de sa publication. Une prérogative en contradiction avec la résolution de décembre 1998 du Parlement européen dans laquelle il a tenu à rappeler que " la privation de la liberté de mouvement n’est pas la privation de toutes les libertés fondamentales ; que les libertés de pensée, d’opinion, d’expression, d’appartenance politique ou religieuse doivent être, à cet égard, impérativement respectées ".

25. La CNCDH considère que la liberté d’expression des personnes détenues doit pouvoir s’exercer dans les conditions du droit commun. Le principe de la libre communication des idées et des informations ne doit pas souffrir d’exception en milieu carcéral, autres que celles prévues par l’article 10 de la CEDH.

b. La liberté d’association
La liberté d’association est inscrite dans notre bloc de constitutionnalité depuis une décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971. Il s’agit de l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Elle a également une dimension internationale puisqu’elle est inscrite dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et la Convention européenne des droits de l’homme.
Actuellement, rien dans la loi n’interdit aux personnes détenues de revendiquer la possibilité de participer à une association ou même de déposer les statuts d’une nouvelle association. La loi du 1er juillet 1901 pose le principe que les associations peuvent se constituer librement sans autorisation préalable, à l’exception des congrégations. L’article premier de cette loi dispose que " l’association est une convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, de façon permanente, leurs connaissances ou leurs activités dans un but autre que de partager les bénéfices. Elle est régie, quant à sa validité, par les principes généraux du droit applicable aux contrats et aux obligations ". Les seules limites possibles à l’engagement des parties sont les dispositions d’ordre public posées par le Code civil. Il apparaît donc que les règles en vigueur qui ont pour conséquence d’empêcher la liberté d’association en prison sont contraires à la hiérarchie des normes car seul le législateur peut en restreindre le champ.
Au Canada les prisonniers se voient garantir, depuis 1992, " la possibilité de s’associer ou de participer à des réunions pacifiques ". En outre, l’administration " doit permettre aux détenus de participer à ses décisions concernant tout ou partie de la population carcérale, sauf pour les questions de sécurité ". Pour ce faire existent depuis le début des années 1970 des " comités de détenus ", représentants des personnes incarcérées qui font part des demandes et des avis de la population carcérale. Pour Guy Lemire, criminologue québécois, " l’administration a intérêt à ce que les détenus se choisissent des représentants le plus démocratiquement possible, afin d’avoir des interlocuteurs valables et de régler les problèmes ". Ce qu’affirmait aussi, en 1992, un groupe de travail de l’administration pénitentiaire sur l’étude des longues peines : " Il est désormais nécessaire de créer une parole reconnue et audible par l’institution […]. Il est indispensable de réfléchir à l’organisation de consultations individuelles et surtout collectives des détenus sur les diverses conditions d’exercice des activités et de l’organisation de la vie quotidienne en détention ".

26. La CNCDH partage cette opinion. La liberté d’association fait partie de ces droits fondamentaux qui, sans entrer en contradiction directe avec la mission de sécurité, sont généralement passés sous silence par la réglementation. En l’absence d’autorisation explicite, celle-ci ne trouve pas à s’appliquer en prison.

Le droit de grève et la liberté syndicale
Le Préambule de la Constitution de 1946 affirme que " tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix ".
Il proclame également que " le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ". Le Conseil constitutionnel considère par conséquent qu’il y a nécessité d’une loi formelle pour édicter des limitations à ce droit. Pour la Haute instance, " le droit de grève doit être concilié avec la sauvegarde de l’intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte ". La continuité des services publics, la sauvegarde de la protection de la santé et de la sécurité des personnes et des biens peuvent ainsi justifier une limitation des conditions d’exercice du droit de
grève.
Aucune disposition légale ou réglementaire ne fait expressément référence à l’exercice du droit de grève en prison. Toutefois, l’article D. 249-3, 7° du Code de procédure pénale incrimine le fait " d’entraver ou de tenter d’entraver les activités de travail (…) ". Cette disposition est en pratique utilisée pour sanctionner les arrêts de travail dans les ateliers.

27. La CNCDH estime que l’interdiction générale et absolue du droit de faire grève qui est de mise en prison, dans le cadre de la relation de travail, pourrait être abandonnée. L’exercice de ce droit nécessiterait d’être formellement reconnu par les textes. Les restrictions qui pourraient y être apportées devraient être proportionnées au but poursuivi. Le législateur français devrait également assurer aux détenus la possibilité de se regrouper pour la défense de leurs droits.

8. Le respect des principes du droit répressif
Le Conseil constitutionnel applique à l’ensemble du droit répressif les principes issus du domaine pénal. Il considère ainsi que " l’exercice du pouvoir de sanction par l’administration " doit être " assorti par la loi de mesures destinées à sauvegarder les droits et libertés constitutionnellement garantis ". Doivent dès lors être respectés, aux termes d’une jurisprudence constante, le principe de légalité des délits et des peines, le principe de nécessité des peines, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale d’incrimination plus sévère ainsi que le principe du respect des droits de la défense.
La Cour européenne des droits de l’homme utilise de son côté des critères " matériels " et " autonomes " pour déterminer l’applicabilité des garanties
procédurales prévues à l’article 6-1 de la Convention (indépendance et impartialité du tribunal ; caractère équitable de la procédure ; durée raisonnable de l’instance ; publicité des audiences). Ces critères sont d’abord " matériels " puisque la Cour s’attache en premier lieu à l’objet de la procédure.
Dès lors que celle-ci porte sur des " droits et obligations de caractère civil " ou une " accusation en matière pénale ", la Cour considère qu’elle doit satisfaire aux prescriptions de l’article 6-1. Ces critères sont ensuite " autonomes " dans la mesure où le sens donné aux concepts " d’accusation en matière pénale " et de " droits et obligations de caractère civil " est propre à la Cour, les qualifications retenues par le droit national n’étant en principe qu’indicatives. Dans ces conditions, un organe administratif non juridictionnel peut être regardé comme un " tribunal " au sens de l’article 6.
En l’état actuel du droit, le régime disciplinaire applicable aux personnes détenues est régi par un décret du 2 avril 1996. Ce texte a été édicté après que le Conseil d’Etat a, par l’arrêt Marie du 17 février 1995, renversé sa jurisprudence qui qualifiait jusque-là la sanction disciplinaire pénitentiaire de mesure d’ordre intérieur, insusceptible comme telle de recours pour excès de pouvoir. Dans ses grandes lignes, ce règlement instaure une liste des infractions pouvant faire l’objet d’une sanction disciplinaire. C’est ainsi que 36 fautes sont énumérées et réparties en trois catégories selon leur gravité. La prise en compte du degré de faute n’intervient que pour la détermination de la durée maximale de la sanction. Le placement en cellule disciplinaire est en effet possible quel que soit le degré de la faute. Cette mesure n’est du reste pas modifiée par rapport à l’état du droit antérieur, que ce soit dans sa durée maximale ou dans son régime, exception faite de l’interdiction de correspondance écrite qui est supprimée. La nouveauté essentielle dans l’arsenal répressif réside dans l’instauration d’une sanction de confinement en cellule individuelle qui emporte privation du droit de participer aux activités collectives (hormis aux promenades et aux offices religieux) mais ne prive pas du droit de visites.
S’agissant de la procédure instaurée par le décret, les avancées sont limitées. La procédure disciplinaire débute avec la rédaction d’un compte-rendu d’incident par un surveillant, à la suite de la survenance d’un manquement à la discipline. Sur la base de ce compte-rendu, un rapport est transmis par un gradé au chef d’établissement, qui apprécie alors l’opportunité des poursuites. Lorsque celles-ci sont engagées, le détenu est convoqué par écrit devant la commission de discipline. Durant cette phase procédurale, le détenu peut être placé en détention disciplinaire provisoire, pour une durée qui ne peut excéder deux jours ouvrables. Il ne dispose que d’un délai minimum de trois heures pour préparer ses explications et ne se voit communiquer qu’un simple exposé des faits reprochés. La commission de discipline devant laquelle le détenu comparaît est composée de trois fonctionnaires pénitentiaires. Le chef d’établissement, ou son délégué, préside cette instance.
Siègent avec lui deux membres du personnel de surveillance ayant voix consultative et désignés par lui. Aux termes du décret de 1996, le détenu présente, seul, ses observations devant la commission. Le président détermine s’il y a lieu ou non de faire entendre des témoins. Enfin, la décision sur la sanction est lue en présence du détenu.
La loi du 12 avril 2000 a entraîné un important bouleversement de la procédure applicable puisqu’elle permet au détenu de se faire assister par un avocat ou un mandataire de son choix durant l’instance disciplinaire. Cependant, cette garantie ne trouve pas à s’appliquer, aux termes de l’article 24 de la loi, " 1° en cas d’urgence ou de circonstances exceptionnelles ; 2° lorsque [sa] mise en oeuvre serait de nature à compromettre l’ordre public ou la conduite des relations internationales ". Cette disposition a donné lieu à des divergences d’interprétation.
Plusieurs indicateurs témoignent pourtant d’un durcissement de la répression disciplinaire. Ainsi, tandis que la population carcérale s’est accrue entre 2001 et 2002 de 8 %, le nombre d’infractions constatées a augmenté de 19,5 %. Le nombre de sanctions prononcées s’est quant à lui accru de 16, 4 % durant cette même période, ce qui porte le taux de sanction à 81,6 pour 100 détenus en 2002, alors qu’il était de 75,7 en 2001 et de 70,1 en 1998.
Les sanctions prononcées sont d’ailleurs de plus en plus sévères, puisqu’en 2002, 76,6 % des détenus condamnés étaient placés dans une cellule d’un quartier disciplinaire, le " mitard " . Les sanctions alternatives au placement en cellule disciplinaire connaissent une certaine érosion. En 2002, elles représentaient 23,4 % du total des sanctions prononcées contre 26,7 % en 2001 et 29,1 % en 2000. Le décret du 2 avril 1996 prévoit pourtant une large palette de sanctions disciplinaires, allant du simple avertissement au confinement en cellule normale, à la privation d’activité ou l’astreinte à des travaux de nettoyage. En fait, l’impact des réformes successives du régime disciplinaire des prisons sur le niveau de sanctions en vigueur au sein des établissements pénitentiaires semble n’être que de courte durée.
Comme, le constate l’Observatoire international des prisons, " à la veille de la réforme, en 1995, le taux de sanction pour 100 détenus s’élève à 94,6. Le décret et la circulaire de 1996 entraînent une baisse instantanée de ce taux en 1997 (69,6) mais il repart ensuite régulièrement à la hausse en 1998 (70,1), 1999 (78,5) et 2000 (83,6). Même effet pour la loi du 12 avril 2000 qui entraîne une baisse sensible du taux de sanction en 2001 (75,7) suivie d’une forte hausse au terme de l’année 2002 (81,6) ".
Parallèlement aux sanctions administratives susceptibles de lui être infligées, le détenu peut se voir retirer le bénéfice des réductions de peine antérieurement octroyées, du fait de sa " mauvaise conduite " en détention. Bien souvent, le placement au quartier disciplinaire entraîne ipso facto un retrait de réductions de peine. Pour Martine Herzog Evans, " dans un très grand nombre d’établissements, le directeur et le juge de l’application des peines [JAP] ont passé un accord (cet accord se perpétuant généralement en cas de changement de JAP consistant en la définition de barèmes. Les chefs d’établissements n’hésitent pas à faire des promesses au cours d’audiences disciplinaires relativement au retrait, ou au contraire à l’absence de retrait, de ces réductions de peines. Ces engagements peuvent d’autant plus être tenus que ce sont en pratique les greffes judiciaires pénitentiaires qui préparent les ordonnances des JAP relatives aux réductions de peine ".
Enfin, les agissements incriminés peuvent donner lieu à des poursuites devant les juridictions répressives, près de la moitié des manquements à la discipline constituent également des infractions pénales (tous pour les fautes du 1er degré, quelques-uns parmi les fautes des deux autres niveaux).

a. Le principe de légalité des incriminations et des sanctions
Le principe de légalité des délits et des peines est affirmé en droit interne par les articles 7 et 8 de la Déclaration de 1789. La Convention européenne prévoit une protection équivalente en son article 7. Le principe posé en droit constitutionnel implique en premier lieu la définition préalable des infractions susceptibles d’être sanctionnées. Cette exigence peut être satisfaite, s’agissant de sanctions administratives, par la référence aux obligations auxquelles l’individu est soumis en vertu de la loi et de ses règlements d’application. Les sanctions doivent être définies par la loi au titre de la compétence réservée au législateur pour la fixation des règles concernant " les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ". Le Conseil constitutionnel fait découler de l’article de la Déclaration de 1789 " la nécessité pour le législateur de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire ". Cette exigence concerne toute sanction ayant le caractère d’une punition. De son côté, la Cour européenne affirme, sur le fondement de l’article 7 et du principe de prééminence du droit, qu’" une infraction doit être clairement définie par la loi " et que la condition de prévisibilité implique que " l’individu peut savoir, à partir du libellé de la clause pertinente et, au besoin à l’aide de son interprétation par les tribunaux, quels actes et omissions engagent sa responsabilité ". Là encore, la Cour développe une conception autonome et matérielle de l’infraction au sens de cet article.
Au cours de ses travaux, la commission Canivet a analysé minutieusement la discipline pénitentiaire et dressé le constat suivant : " Quant au fond, les fautes disciplinaires sont définies en des termes parfois trop compréhensifs pour que la garantie disciplinaire n’en soit pas réduite. Ainsi, incriminer et réprimer le fait, pour un détenu, de "multiplier, auprès des autorités administratives et judiciaires, des réclamations injustifiées ayant déjà fait l’objet d’une décision de rejet" peut être ambigu en raison de l’absence de définition de l’abus. De même, des incriminations telles que "participer à toute action collective de nature à compromettre la sécurité de l’établissement" ou "refuser d’obtempérer aux injonctions des membres du personnel de l’établissement" peuvent être considérées par les pénalistes comme des "qualifications d’ordre général", ou encore de "type ouvert", de nature à entamer le principe de la légalité alors que, selon le Conseil constitutionnel, la loi doit "définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire" ".
Une critique identique est émise concernant les fréquentes dispositions qui relèvent du règlement intérieur ou de textes dérivés, tant elles induisent " une rupture d’égalité entre les établissements et une trop grande marge de manoeuvre laissée aux directions ". On peut citer les fautes que constituent le fait de " pratiquer des jeux non autorisés par le règlement intérieur " ou de " ne pas respecter les dispositions du règlement intérieur ou les instructions particulières arrêtées par le chef d’établissement ". Le règlement intérieur des établissements comporte rarement la liste des objets ou activités autorisés. Il est, en outre, difficilement accessible. En effet, " le règlement intérieur est source d’une incertitude dans la connaissance de la règle au point de provoquer une inégalité entre les détenus sur l’ensemble du territoire de la République. A raison, plus encore, de son absence de publication efficace qui permette à chaque détenu d’en connaître le contenu dans le détail. Cette incertitude constitue la caractéristique la plus apparente d’un droit déficient ". Pour la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, " L’expérience des visites a montré que bien souvent ce règlement intérieur est tout à fait inutilisable. Quasiment toujours obsolète, et toujours annoncé comme étant en cours de refonte, le règlement n’a donc pas l’incontestabilité qu’il devrait avoir ". Pour son homologue du Sénat " il ne faut pas se cacher que l’égalité des détenus devant le service public pénitentiaire n’est qu’une fiction. Chaque établissement a ses spécificités propres, notamment en ce qui concerne les conditions de détention ".

29. La CNCDH a déjà exprimé son souhait " que la définition des principes fondamentaux relatifs à la détermination des infractions et des peines disciplinaires fasse l’objet d’une intervention législative et que, dans ce cadre, un certain nombre d’incriminations soient précisées conformément aux principes posés par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ". Elle estime que les obligations imposées d’une manière générale aux personnes détenues ne sont pas définies avec une clarté suffisante pour que les principes de légalité et de sécurité juridique soient véritablement respectés. Elle considère que la formulation des incriminations est également source d’incertitude en raison de la frontière imprécise qui sépare les trois degrés de fautes. Le fait de " causer délibérément de graves dommages aux locaux ou au matériel affecté à l’établissement " constitue une faute du premier degré tandis que le fait de " causer délibérément un dommage aux locaux ou au matériel affecté à l’établissement, hors le cas prévu au 7° de l’article D. 249-1 " constitue une faute du second degré. Difficile de dire quelle circonstance conduit à retenir la première qualification plutôt que la seconde. La même remarque peut être faite, s’agissant du fait de " participer à toute action collective de nature à compromettre la sécurité de l’établissement " et celui de " participer à des actions collectives de nature à perturber l’ordre de l’établissement, hors le cas prévu au 2° de l’article D. 249-1 ". Le principe de sécurité juridique s’accorde mal de cette incertitude. En conséquence, elle demande à nouveau que la loi vienne précisément déterminer les actions passibles de sanction. D’autre part, l’incrimination de comportements " non autorisés par les règlements " et de " pratiquer des jeux non autorisés par le règlement intérieur " ne semble pas conforme au principe selon lequel " tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché ". La CNCDH recommande donc de revenir sur ce type de formulation.
S’agissant des sanctions susceptibles d’être infligées aux personnes détenues, il convient de noter, à l’instar de la commission Canivet, que " même privé de liberté, le détenu bénéficie encore d’une certaine faculté de mouvement à l’intérieur de la prison, dont l’administration peut le priver par des mesures telles que la mise à l’isolement. Portant atteinte à ses droits de "citoyen détenu", cette restriction supplémentaire de liberté doit être prévue, non par le règlement comme dans le droit actuel, mais par la loi ". D’autre part, comme a eu à le souligner le commissaire du gouvernement Frydman, l’aggravation des conditions de détention induites par les sanctions infligées " s’accompagne d’une atteinte sensible à l’exercice de certains droits individuels que l’incarcération de la personne sanctionnée n’est pas réputée lui avoir en elle-même retirés ".

b. La proportionnalité des sanctions
Le Conseil constitutionnel s’assure, sur le fondement de l’article 8 de la Déclaration de 1789, que le législateur n’édicte pas de sanctions qui soient disproportionnées par rapport à la gravité des faits incriminés. Ce principe est applicable aux sanctions administratives.
La durée maximale de maintien en cellule disciplinaire fixée à l’article D. 251-3 est de 45 jours s’agissant des détenus majeurs et de 15 jours pour ce qui est des mineurs de plus de seize ans. Elle apparaît tout à fait excessive au regard de l’exigence de proportionnalité des peines. Cette durée fait du régime disciplinaire pénitentiaire français l’un des plus sévères d’Europe. Ainsi, les maxima de l’isolement punitif sont de 3 jours en Ecosse et en Irlande, 9 jours en Belgique, 14 jours en Angleterre, 15 jours en Italie ainsi qu’aux Pays-Bas et 28 jours en Allemagne.
Cette considération a conduit la commission d’enquête sénatoriale à affirmer que " la durée maximale de placement dans le quartier disciplinaire, qui est aujourd’hui de 45 jours, [devait] être réduite à 20 jours ". Avec l’accord du gouvernement, le Sénat a adopté le 26 avril 2001 une proposition de loi allant dans ce sens. Pour ce faire, la commission des lois de la haute assemblée a considéré qu’" il était tout à fait anormal que des mesures aussi graves (…) soient prévues par voie de décret " et qu’" il existait une adéquation "irrégulière" entre les infractions et les sanctions disciplinaires ". Lors des débats, le gouvernement a proposé de limiter l’enfermement disciplinaire des mineurs à 8 jours. Au terme des discussions du Sénat, l’article 726 du Code de procédure pénale devait être complété par un alinéa ainsi rédigé : " La durée d’enfermement d’un détenu en cellule disciplinaire pour infraction à la discipline ne peut excéder vingt jours. A l’égard des mineurs de plus de seize ans, la durée maximum d’enfermement en cellule disciplinaire ne peut excéder huit jours ".
En matière de réduction de la durée maximale de punition de cellule, la CNCDH rappelle le précédent de 1972 dont Jean Favard a pu témoigner en ces termes : " On est passé sans inconvénient de quatre-vingt-dix à quarante-cinq jours et ce ne serait pourtant pas mettre en péril l’ordre carcéral que de ramener ce maximum à trente jours. Puis de le réserver à des infractions disciplinaires accompagnées de violences contre les personnes, quinze jours apparaissant suffisants pour les autres (…) Au delà de ces limites, en effet, il apparaît que le degré de sévérité de la sanction excède les impératifs disciplinaires et lui confère la nature d’une véritable sanction pénale relevant dès lors des juridictions ordinaires, avec toutes les possibilités de défense et de recours qui y sont attachées ".

30. La CNCDH a déjà exprimé son souhait " que la nature et l’échelle des sanctions se trouvent en harmonie avec la mission de réinsertion des détenus expressément prévue par la loi ". Elle estime que la gravité des sanctions disciplinaires applicables en France est manifestement disproportionnée, au regard notamment du quantum en vigueur chez nos voisins européens. Elle recommande par conséquent au législateur de procéder à une réduction conséquente de leur durée maximale, tout en érigeant le confinement en cellule individuelle comme régime de sanction le plus contraignant.
D’autre part, les sanctions appliquées aux fautes disciplinaires commises par des personnes détenues se heurtent à un autre principe de la procédure pénale : la règle dite " non bis in idem " en vertu de laquelle un même fait ne doit pas faire l’objet de plusieurs jugements de condamnation. L’article 14-7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques prévoit que : " Nul ne peut être poursuivi ou puni en raison
d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays ". L’article 4 du protocole additionnel n° 7 à la Convention européenne des droits de l’homme reprend ce principe en affirmant la règle selon laquelle " nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat ". La Cour européenne a eu recours à cette stipulation pour interdire le cumul de poursuites administratives et pénales à raison des mêmes faits, après avoir requalifié l’infraction administrative en infraction pénale.
Pour sa part, la Cour de cassation a considéré que le cumul d’une peine correctionnelle, d’une mise en cellule disciplinaire et d’un refus de réductions de peine ne contrevenait pas au principe non bis in idem, les deux dernières mesures ne constituant pas, selon elle, des condamnations supplémentaires.
Les détenus peuvent donc être frappés, à raison d’un fait unique, de plusieurs sanctions administratives, de sanctions pénales et enfin de " sanctions d’application de la peine ".
En effet, la juridiction d’application des peines peut rejeter, ajourner ou retirer des réductions de peine ou un aménagement précédemment accordés en cas de " mauvaise conduite ". De ce fait, et bien que la plupart d’entre elles aient pour critère d’octroi les efforts de resocialisation, les mesures d’application de la peine peuvent ne pas être accordées ou être retirées à raison d’une faute disciplinaire. Ces sanctions sont facultatives, mais sont quasiment automatiques dans le cas des réductions de peine ordinaires de l’article 721, et spécialement lorsque la punition prononcée par la commission de discipline est un placement en cellule disciplinaire. Il est également à noter qu’il peut y avoir en ce cas cumul de plusieurs sanctions d’application de la peine (retrait des réductions de peine de l’année précédente, refus d’octroi des réductions de peine de l’année en cours, rejet d’une demande de libération conditionnelle et/ou de permission de sortir, etc.). Enfin, des sanctions " quasi disciplinaires " peuvent intervenir, comme le transfèrement de l’intéressé ou son placement à l’isolement à l’issue de l’exécution de la punition de cellule disciplinaire.
Une telle accumulation de sanctions en réponse à un fait unique s’accorde mal avec le principe de nécessité posé à l’article 8 de la Déclaration de 1789. De plus, elle est généralement ressentie comme une injustice par les détenus punis et peut conduire à une dégradation du climat de la détention par l’exaspération provoquée.

31. La CNCDH recommande donc de limiter l’éventail des mesures coercitives susceptibles d’être infligées en cas de manquement à la discipline. Elle est d’avis que l’octroi des réductions de peine devrait répondre au seul critère de la resocialisation, qui figure déjà dans l’article 721-1 du Code de procédure pénale.
L’évaluation des efforts du condamné en matière de réinsertion devrait être dissociée de l’appréciation portée par l’autorité pénitentiaire sur son comportement en détention. Un système de pondération ou de confusion devrait être instauré en présence de décisions touchant aux réductions de peine et de condamnations à un emprisonnement ferme. D’autre part, dans l’hypothèse où le juge de l’application des peines aurait à connaître des fautes disciplinaires, il est souhaitable que ce magistrat ne puisse prononcer qu’une seule sanction (disciplinaire ou d’application de la peine). De son côté, et en tout état de cause, l’autorité pénitentiaire devrait avoir l’interdiction stricte de prononcer des mesures comme le transfert ou l’isolement, à titre de sanction.

c. Le respect des principes du procès équitable
Selon la Convention européenne des droits de l’homme, dans l’hypothèse où un " tribunal " est appelé à se prononcer soit sur des " contestations sur des droits et obligations de caractère civil ", soit sur le " bien-fondé d’une accusation en matière pénale ", quatre prescriptions doivent être satisfaites aux termes de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme : indépendance et impartialité des juges, caractère équitable de la procédure, durée raisonnable de l’instance et publicité des audiences. S’agissant des affaires ressortissant au volet pénal de cet article, la présomption d’innocence et les droits de la défense doivent être garantis (art. 6-2 et 6-3 de la Convention européenne des droits de l’homme).
La délimitation de la " matière pénale " est fonction de trois éléments : les qualifications internes, la nature de l’infraction déterminée notamment par la généralité de la norme violée et par son objet, préventif et répressif ; la nature et la sévérité de la sanction. Chacun de ces éléments suffit à qualifier une matière de pénale. Toutefois, lorsque cette analyse ne permet pas de dégager une conclusion claire quant à l’existence d’une accusation en matière pénale, la Cour de Strasbourg raisonne par rapport à un faisceau d’indices. Sur cette base, des sanctions considérées comme administratives, et spécialement des mesures de discipline pénitentiaire, ont été assimilées à des sanctions pénales. Du reste, dans l’arrêt Campbell et Fell, les juges européens affirment d’emblée que " la justice ne saurait s’arrêter à la porte des prisons et rien, dans les cas appropriés, ne permet de priver les détenus de la protection de l’article 6 " (§ 69).
La Cour européenne ne dispense certains organes répressifs du respect des prescriptions de l’article 6 qu’à la condition que les manquements constatés puissent être corrigés à un stade ultérieur de la procédure. Les règles du procès équitable doivent donc saisir la phase préalable au jugement dès l’instant que leur inobservation initiale peut être de nature à compromettre le droit de l’intéressé à se défendre correctement. La Cour affirme en particulier que le défaut d’indépendance et d’impartialité sont de nature à vicier définitivement l’instance considérée. Pour sa part, la Cour de cassation a considéré que le fait de se trouver, au plan matériel, dans le champ d’application de l’article 6-1 impliquait l’obligation de respecter le principe d’impartialité à tous les stades d’élaboration de la sanction, y compris le stade administratif.
Le Conseil d’Etat affirme aujourd’hui que certains organismes administratifs sont assujettis, notamment, au principe d’impartialité, compte tenu de leur " nature, leur composition et de leurs attributions ". La Haute Juridiction considère toutefois que si la procédure disciplinaire pénitentiaire relève de la " matière pénale " au sens de l’article 6-1, la commission de discipline ne peut être assimilée à un " tribunal ", en l’absence de voix délibératives reconnues aux assesseurs du président.
Pour autant, le Conseil d’Etat a consacré comme principe général du droit l’exigence d’impartialité des organes de jugement, qui s’impose donc aux autorités administratives, indépendamment de l’applicabilité de l’article 6 de la CEDH. Cette exigence implique que les membres d’un tribunal ne prennent pas de position qui soit constitutive d’un pré-jugement de l’affaire. L’opinion des juges ne doit se former que lors du procès et le justiciable doit pouvoir avoir raisonnablement la conviction qu’il en est ainsi. La confusion des fonctions de poursuites, d’instruction et de jugement au sein des organes du procès " pénal " est donc prohibée. Comme l’explique le commissaire du gouvernement Rémy Schwartz, " le préjugement d’un litige découle de la phase d’instruction lorsque le juge qui en est chargé est conduit à prendre des décisions susceptibles de déboucher soit sur la mise hors de cause des intéressés, soit sur le renvoi devant la juridiction, soit sur des mesures de contrainte assimilables à un préjugement de la culpabilité " .
Le Conseil d’Etat considère d’autre part que le principe général des droits de la défense implique la possibilité de se faire assister par la personne de son choix. La personne menacée de sanction doit pouvoir consulter son dossier et disposer d’un délai suffisant pour préparer sa défense, en rapport avec la complexité et les particularités de l’affaire. Une décision récente a relevé que le non respect de cette obligation dans le cadre de l’instance disciplinaire pénitentiaire constituait une atteinte grave à une liberté fondamentale, justifiant la demande de suspension en extrême urgence de l’exécution de la sanction de cellule disciplinaire.
La réglementation en vigueur n’est guère satisfaisante au regard des principes consacrés tant en droit européen qu’en droit interne. Pour la commission Canivet, " sous l’angle de la procédure, les limites de ce "régime disciplinaire" apparaissent plus évidentes encore, en ce qu’elles méconnaissent les règles du procès équitable, de l’indépendance et de l’impartialité de l’instance disciplinaire ". Une appréciation reprise par les membres de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale qui estiment que " bien qu’ayant été considérablement améliorée, cette procédure [disciplinaire] souffre de graves manquements en matière de garantie des droits de la défense, de respect d’un procès équitable et d’indépendance et d’impartialité de l’instance disciplinaire ".
En premier lieu, force est de constater que le chef d’établissement concentre tous les pouvoirs, même si la commission de discipline se donne à voir comme une juridiction. Comme le procureur, il déclenche les poursuites, après en avoir apprécié " l’opportunité " et contrôle les agents chargés de l’enquête. Il peut en outre placer le détenu en cellule disciplinaire à titre " préventif ", comme dans le cadre d’une instruction. C’est encore lui qui, comme le juge du siège, rend la décision de condamnation, au sein d’une commission dont il a d’ailleurs désigné les membres.
Enfin, il peut aménager la sanction, comme c’est le cas du juge de l’application des peines.
La commission de discipline ne présente aucune garantie d’indépendance. Ses membres sont des agents soumis au pouvoir hiérarchique de l’administration centrale. Cette relation de subordination est particulièrement marquée : le chef d’établissement est " disciplinairement responsable des incidents imputables à sa négligence ou à l’inobservation des règlements ". Dans ces conditions, il peut être naturellement conduit à faire preuve de sévérité pour éviter de se mettre personnellement en difficulté vis-à-vis de son administration. D’autre part le directeur peut être tenté de donner des gages au personnel de son établissement, pour préserver une certaine " paix sociale ". C’est ce que relevait la commission d’enquête du Sénat : " En réalité, dans certains établissements, la procédure disciplinaire apparaît comme une opération de "communication interne", les surveillants obtenant (dans la plupart des cas) gain de cause. La direction se garde de désavouer un surveillant vis-à-vis des détenus. Elle peut difficilement être un juge impartial ". Enfin, les membres de la commission sont soit collègues soit supérieurs hiérarchiques de l’agent qui est intervenu lors de l’incident. Des liens de solidarité ou des considérations tenant à la nécessité de préserver de bonnes relations
professionnelles peuvent donc entrer en jeu.
S’agissant des droits de la défense, l’application de la loi du 12 avril 2000 à l’instance disciplinaire constitue une avancée notable. La loi prévoit en effet que la personne à l’égard de laquelle l’administration s’apprête à prendre une mesure défavorable doit être mise en mesure de présenter ses observations, avec l’assistance d’un avocat.
Par ailleurs, les frais d’avocat peuvent être pris en charge au titre de l’aide juridictionnelle. Se trouve ainsi satisfaite l’une des demandes de la CNCDH qui, dans son avis du 17 juin 1999, avait considéré que " les mesures disciplinaires prises contre les détenus ne peuvent être édictées que dans le respect du principe constitutionnel des droits de la défense qui s’impose à toute autorité administrative exerçant un pouvoir de sanction. Eu égard à l’importance des punitions et au retentissement qu’elles peuvent avoir sur les réductions de peine, l’administration doit donner toute son amplitude au champ d’application de ce principe ".
La CNCDH observe toutefois que ce droit à l’assistance d’un conseil se heurte à des obstacles pratiques qui rendent son exercice difficile. En particulier, la faible rémunération par le biais de l’aide juridictionnelle et les distances parfois longues à parcourir pour se rendre à l’établissement pénitentiaire découragent nombre d’avocats. D’autre part, les directeurs ont été souvent amenés à invoquer une situation d’urgence pour ne pas mettre en oeuvre les droits prévus par la loi du 12 avril 2000 ; une circulaire est venue préciser davantage les conditions dans lesquelles il peut y être dérogé.

32. La CNCDH préconise que le régime disciplinaire soit mis en conformité avec les principes d’indépendance et d’impartialité des organes de jugement. Dans une première hypothèse, le prononcé des sanctions disciplinaires pourrait être confié à une instance extérieure indépendante. Le conseiller d’Etat Philippe Boucher, rapporteur dans l’affaire Marie, s’est déclaré " fortement partisan d’une institution spéciale ayant compétence juridictionnelle et dont la circonscription pourrait être départementale " avec une composition mettant en oeuvre une forme d’échevinage.
Dans une seconde hypothèse, le pouvoir disciplinaire pourrait être confié à un juge unique de l’ordre judiciaire, par exemple le JAP, ainsi que le réclame la doctrine.
Dans les deux cas, le respect des droits de la défense serait bien entendu assuré selon les conditions du droit commun.

9. La garantie des droits

a. La généralisation du droit au recours juridictionnel
Le Conseil constitutionnel a dégagé, à partir de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, un principe de valeur constitutionnelle du droit au recours devant une juridiction. Pour sa part, le Conseil d’Etat définit le recours pour excès de pouvoir comme le " recours qui est ouvert même sans texte contre tout acte administratif, et qui a pour effet d’assurer, conformément aux principes généraux du droit, le respect de la légalité ".
La Convention européenne des droits de l’homme consacre, aux termes de son article 13, le droit à un recours effectif. La Cour européenne affirme que " la place de l’article 13 dans le système de protection des droits de l’homme institué par la Convention milite en faveur d’une limitation maximale des restrictions implicites à cette clause ". Pour la Cour, " le droit interne doit offrir une certaine protection aux droits garantis contre des atteintes arbitraires de la puissance publique […] Or, le danger d’arbitraire apparaît avec une netteté singulière là où le pouvoir exécutif s’exerce en secret ". Par conséquent, elle considère que les détenus doivent disposer, en vertu de cet article, d’un recours visant à annuler les mesures administratives avant qu’elles ne soient exécutées ou parvenues à terme.
Le droit applicable à la prison a longtemps été le terrain d’élection des " mesures d’ordre intérieur ", insusceptibles de recours devant le juge de l’excès de pouvoir.
Cette jurisprudence a donné lieu à de vives contestations de la part de la doctrine.
Ces critiques ont été relayées plus récemment par les commissions d’enquête parlementaires ainsi que par la commission Canivet. Pour cette dernière, " cette médiocre qualité [du droit pénitentiaire] est, au surplus, relayée par le fait que, jusqu’à une époque récente, les juridictions administratives considéraient le plus souvent que les actes de l’administration, qu’ils consistent dans des prescriptions générales ou dans des décisions individuelles, devaient s’analyser en des "mesures d’ordre intérieur" insusceptibles de recours, à moins qu’ils n’ajoutent à la loi. L’arrêt Marie a fait évoluer l’accès du détenu au droit, mais la voie de recours demeure étroite ". Elle ajoute qu’" il est regrettable que la mise à l’isolement ou le transfert imposés ne soient pas traités comme une sanction disciplinaire et soumis à des garanties permettant au moins d’en contrôler les motifs ". Pour la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, " en matière de contentieux administratif, les droits des détenus se trouvent également remis en cause par la position tout à fait exceptionnelle qu’occupe la prison dans la jurisprudence du juge administratif. Ce dernier a ainsi contribué, en définissant les mesures d’ordre intérieur, insusceptibles de recours, à rejeter la prison dans le règne de l’arbitraire ".
Par un arrêt Remli du 30 juillet 2003, le Conseil d’Etat a renversé sa jurisprudence Fauqueux qui qualifiait le placement à l’isolement de " mesure d’ordre intérieur ".
L’ouverture d’une voie de recours en matière d’isolement administratif avait été demandée instamment par le CPT depuis sa visite de 1991. Pour autant, le Conseil d’Etat n’a pas abandonné la qualification de mesure d’ordre intérieur pour l’ensemble des mesures. Ainsi en est-il du placement préventif au quartier disciplinaire. La mesure entraîne pourtant une aggravation tout a fait sensible des conditions de détention pour son destinataire. Il convient de noter à cet égard que le taux de suicide y est particulièrement élevé. Comme l’a constaté récemment l’Observatoire international des prisons, " Après une augmentation de la part des suicides au quartier disciplinaire jusqu’en 1999 (17,6 % de l’ensemble des suicides en prison en 1999 contre 8 % en 1996), cette dernière a de nouveau diminué ces dernières années (9 % en 2002). Toutefois, au 31 juillet 2003, sur les 73 suicides qui ont eu lieu depuis le début de l’année, au moins 13 sont survenus au quartier disciplinaire […] La moitié des suicides au quartier disciplinaire surviennent durant la période de prévention et le quart de ces décès a lieu lors de la première heure qui suit le placement. "
De la même manière, le transfèrement d’un détenu d’une maison d’arrêt vers une autre a été jugé par le Conseil d’Etat comme n’entraînant pas de modification dans le régime de détention et ayant trop peu d’importance pour donner lieu à recours. A ce jour, les juges du fond semblent continuer de considérer qu’il en est ainsi pour tous les transferts, y compris entre une maison d’arrêt et un établissement pour peine.

33. La CNCDH estime indispensable qu’une voie de recours soit ouverte pour l’ensemble des mesures prises à l’égard du détenu. La commission Canivet et la commission d’enquête de l’Assemblée nationale avaient souhaité que la loi du 30 juin 2000 relative au référé d’urgence trouve à s’appliquer largement pour les décisions administratives entraînant les effets les plus sensibles pour les détenus (transfèrement, isolement, sanction).
S’agissant des décès survenus en détention, la Cour européenne estime qu’ " eu égard à l’importance fondamentale du droit à la vie, l’article 13 implique, outre le versement d’une indemnité là où il convient, des investigations approfondies et effectives propres à conduire à l’identification et à la punition des responsables et comportant un accès effectif du plaignant à la procédure d’enquête ".
Actuellement, deux séries de difficultés se posent aux familles : l’impossibilité d’obtenir des informations sur les circonstances du décès, et les difficultés pour obtenir la condamnation pour faute de l’administration. Sur le premier point, il est fréquent que le ministère public ouvre une information judiciaire pour recherche des causes de la mort, type de procédure qui ne permet pas la constitution de partie civile par voie d’intervention. Les familles sont rarement informées par les magistrats instructeurs de la possibilité qui leur est reconnue de se constituer partie civile devant le doyen des juges d’instruction dans les conditions du droit commun.

34. La CNCDH recommande qu’une obligation d’information soit prévue au profit des proches.
Le régime de faute retenu par le juge administratif a également longtemps été un obstacle majeur à l’octroi d’une indemnisation pour les familles. Jusqu’il y a peu, une faute lourde était exigée pour la mise en jeu de la responsabilité des services pénitentiaires. Toutefois, le Conseil d’Etat a récemment condamné cette administration à raison de fautes simples s’agissant du suicide d’un détenu. Cette décision s’inscrit dans un mouvement de recul de la faute lourde qui traverse l’ensemble du contentieux administratif depuis une dizaine d’années. Toutefois, les juges du fond semblent encore aujourd’hui exiger une faute lourde pour engager la responsabilité des services pénitentiaires. Le droit à la vie étant une valeur fondamentale, le régime de la faute simple doit trouver à s’appliquer.

35. Pour la CNCDH, les fautes simples du service pénitentiaire doivent ouvrir droit à réparation.

b. Le renforcement de la protection de la liberté individuelle par le juge judiciaire
Le droit à la sûreté personnelle, entendu comme la garantie face aux arrestations et détentions arbitraires, se situe au coeur de la philosophie de l’organisation politique de la nation. La Déclaration de 1789 proclame ainsi que " Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. ". L’article 7 énonce que " Nul ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par loi, et selon les formes qu’elle a prescrites ". L’affirmation de la compétence de l’autorité judiciaire est rattachée à la liberté individuelle, aux termes de l’article 66 de la Constitution.
Deux types de services concourent à l’exécution des peines privatives de liberté. En premier lieu les tribunaux judiciaires comportent un " service de l’exécution des peines ", relevant du parquet, à la tête duquel se trouve un substitut spécialisé.
Ensuite, le " greffe judiciaire ", service administratif de la prison, assure sous l’autorité du chef d’établissement, la gestion de la " situation pénale " des détenus, c’est-à-dire l’examen continu de leur situation par rapport à la privation de liberté.
Une fois la peine mise à exécution par le ministère public, débute un processus dont l’administration détient, concrètement, la maîtrise. Le greffe pénitentiaire assure la computation de la durée des peines à subir, en fonction des événements qui affectent le cours de leur exécution (grâces collectives, réductions de peine, amnisties, confusions, etc).
Des erreurs peuvent parfois survenir lors de ces différentes opérations. L’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ) a ainsi affirmé que " Nombre de magistrats ne visent que les extraits pour écrou, sans se faire présenter la minute ou le dossier et opérer les vérifications nécessaires. Des JAP ont rapporté avoir à plusieurs reprises alerté le parquet sur des peines illégales ou des erreurs en matière d’imputation de la détention provisoire sur la condamnation restant à subir. Des fonctionnaires [des services d’exécution des peines] ont ainsi déclaré se sentir "livrés à eux-mêmes" et en être réduits à devoir se débrouiller ". Des erreurs de calcul peuvent être commises par les greffes pénitentiaires dans le courrant de l’exécution de la peine. L’OIP observe en pratique que des rectifications sur les situations pénales sont assez souvent pratiquées par les greffes des établissements pour peines à la suite du transfèrement de condamnés en provenance de maisons d’arrêt.
Des détentions arbitraires accidentelles peuvent toutefois survenir. Les erreurs commises interviennent globalement dans le cadre d’opérations courantes (inscription répétée d’une même peine à l’écrou, non prise en compte d’un décret de grâce en cas de pluralité de peines à l’écrou, etc.), s’agissant de situations pénales ne présentant pas de difficultés juridiques particulières.
Pour remédier à cette situation, la direction des affaires criminelles et des grâces a indiqué avoir organisé des réunions conjointes avec la direction de l’administration pénitentiaire pour concevoir une réponse coordonnée des services judiciaires et pénitentiaires. De son côté, l’administration pénitentiaire a fait valoir qu’elle avait entrepris de recenser les principales erreurs commises par les greffes et d’élaborer un guide méthodologique à destination des greffes. La réalisation d’un tel document, comportant l’ensemble des principes consacrés par la Cour de cassation concernant l’exécution des peines, s’avère aujourd’hui particulièrement nécessaire, tant les circulaires édictées en cette matière sont nombreuses et souvent anciennes.
Toutefois, plusieurs autres facteurs contribuent aux dysfonctionnements constatés.
La formation initiale dispensée aux greffiers des établissements pénitentiaires apparaît en premier lieu insuffisante. Les chefs de service du greffe sont en principe issus du corps des secrétaires administratifs. Les missions susceptibles d’être exercées par ces agents durant leur carrière sont multiples. Outre la responsabilité d’un greffe, ils peuvent se voir confier celle d’un service de comptabilité, de gestion du personnel ou d’intendance.
La formation initiale qui leur est dispensée à l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire (E.N.A.P.) a donc pour objectif d’en faire des agents polyvalents. Cette formation, échelonnée sur six mois, s’organise autour d’un tronc commun d’enseignements en rapport avec les différentes fonctions susceptibles d’être exercées par les agents durant leur carrière. Les futurs secrétaires administratifs doivent en effet être en mesure de passer d’un emploi à un autre. Lors de la première phase de la scolarité, plusieurs matières sont traitées sous la forme d’une présentation générale. S’en suit un stage en établissement au cours duquel les élèves découvrent concrètement les métiers proposés, et à l’issue duquel ils optent pour un service d’affectation particulier. Ils reçoivent alors une formation ciblée qui se décompose en trois modules d’enseignements techniques. Chaque module de spécialisation consiste en trois journées de cours à l’E.N.A.P. Les agents bénéficient donc, en tout et pour tout, d’une soixantaine d’heures d’enseignements ciblés. Sont traitées, dans ce délai, des questions aussi diverses et complexes que l’exercice des voies de recours, le régime des infractions en concours, les aménagements de peines, le rétablissement d’un sursis précédemment révoqué, etc. Le temps consacré à la formation est donc sans rapport avec les exigences techniques requises par les fonctions assumées. A ce problème s’ajoute celui de la faiblesse des effectifs de personnels statutairement compétents pour assurer la gestion du greffe.
En maison d’arrêt, les fonctions de greffiers sont en effet souvent exercées par des personnels de surveillance.
Les difficultés rencontrées par l’administration pénitentiaire dans l’accomplissement des opérations d’exécution de peine sont relayées par la faiblesse des contrôles de l’autorité judiciaire. En premier lieu, le suivi " au cas par cas " de ces opérations par le ministère public est limité. D’ordinaire, le parquet de la juridiction de condamnation se contente d’enregistrer la date à laquelle la peine commence à recevoir à exécution. Ce parquet n’est pas informé des opérations accomplies ultérieurement par le greffe pénitentiaire. En particulier, l’administration pénitentiaire transmet directement au casier judiciaire national les indications concernant les remises gracieuses obtenues par le condamné, contrairement à ce que dispose le Code de procédure pénale. Bien souvent, l’exécution de la peine est perçue comme un processus purement administratif, du ressort des services pénitentiaires. Selon les propos d’un président de juridiction cité par l’IGSJ, " d’une manière générale, les magistrats n’ont pas la culture de l’exécution de leurs décisions ".
La tenue régulière des commissions de l’application des peines (CAP) dans les établissements pénitentiaires n’est pas toujours, en pratique, l’occasion de pallier cette absence de contrôle en " temps réel ". Concrètement, les dossiers des condamnés inscrits au rôle de la CAP sont préparés par le greffe pénitentiaire. En particulier, le dossier individuel du condamné tenu par le greffier du JAP est alimenté par le service pénitentiaire. Les échéances établies par le greffe pénitentiaire concernant l’exécution de la peine ne font donc pas l’objet de discussions au sein de la commission.
S’agissant ensuite des visites des magistrats en prison, elles ne permettent pas véritablement de s’assurer du bon fonctionnement des greffes. Le rapport Canivet relève que " selon l’opinion communément répandue, le contrôle de l’autorité judiciaire, ni effectif, ni efficace, apparaît souvent formel. D’une manière générale, toutes les personnes entendues, y compris les agents de l’AP, déplorent le fait que les magistrats légalement investis de ce pouvoir de visite se rendent rarement dans les établissements pénitentiaires. Comme l’a noté l’Inspecteur général des services judiciaires, il est à craindre que [ces] autorités n’exercent qu’un contrôle très théorique ". Si les visites des établissements pénitentiaires par les magistrats sont peu fréquentes, il est plus rare encore que ces missions donnent lieu à des vérifications concernant spécifiquement le greffe. Les " contrôles par sondage " des registres d’écrou, autrefois semble-t-il assez largement pratiqués, consistant à vérifier de façon aléatoire la régularité des opérations enregistrées sur une fiche pénale, ne sont quasiment plus effectués.
Au demeurant, il est tout à fait significatif que les formalités prescrites par l’article D. 148 du CPP, consistant dans le visa des registres d’écrou, s’avèrent matériellement impossibles à pratiquer. Depuis 1978 en effet, le registre d’écrou est en réalité constitué de feuilles volantes, se rapportant à la " fiche d’écrou " ou à " la fiche pénale " des condamnés. Ces pièces sont classées dans des dossiers différents prévus à cet effet. Aucun texte ne prévoit les modalités de contrôle de ces documents lors des visites des magistrats. Aucune application du logiciel GIDE n’a été prévue pour enregistrer une telle vérification.
Le contrôle juridictionnel des opérations d’exécution de peine s’avère enfin difficile, en pratique, à mettre en oeuvre. L’administration pénitentiaire refuse actuellement de communiquer leur fiche pénale aux détenus qui en font la demande. La Commission d’accès aux documents administratifs et les juridictions administratives considèrent pourtant que ce document est communicable de plein droit. Les détenus n’ont donc souvent qu’une idée assez imprécise de leur situation personnelle sur le plan de l’exécution de la peine. Ils n’ont pas non plus accès aux circulaires édictées en cette matière. De ce fait, le contentieux ne se forme quasiment pas. La communication de ce document, en permettant aux détenus et à leurs avocats d’exercer un droit de regard sur les opérations les concernant, contribuerait pourtant à limiter les risques d’erreurs. Il convient de rappeler que les détenus disposent, aux termes de l’article 5-4 de la Convention européenne des droits de l’homme, du droit de faire examiner la légalité de leur privation de liberté. La Cour européenne considère que ce contrôle de la régularité de la détention, postérieurement à la décision de condamnation, doit pour intervenir à un " rythme raisonnable ". L’exercice de ce droit implique nécessairement que le justiciable dispose des informations concernant l’exécution de la peine et que les normes applicables lui soient accessibles.
Les opérations des greffes pénitentiaires ayant pour objet de mettre à jour la situation pénale des condamnés emportent, pour la plupart, des conséquences sur la durée de la privation de liberté à subir par les condamnés. Elles peuvent par conséquent aboutir, en cas d’erreur, à des prolongations indues de détention. Elles doivent, dès lors, être soumises à un contrôle étroit de la part de l’autorité judiciaire, aux termes de l’article 66 de la Constitution.

36. La CNCDH recommande le rattachement organique du greffe de la prison aux juridictions judiciaires et souhaite que soit placé à sa tête un agent issu de l’Ecole nationale des greffes.
S’agissant des règles mises en oeuvre par les greffes pénitentiaires, il apparaît qu’elles sont le plus souvent énoncées dans des circulaires " réglementaires ". Ces instructions ministérielles sont dépourvues de tout effet contraignant à l’égard des magistrats du siège. Il s’ensuit que des dispositions contenues dans les nombreuses circulaires de l’administration pénitentiaire sont susceptibles d’être invalidées par les juridictions judiciaires saisies d’un incident d’exécution de peine. L’ensemble des situations pénales des personnes condamnées auxquelles elles auraient servi de fondement se trouveraient alors entachées d’illégalité dès l’origine.
Il ne s’agit pas là d’une hypothèse d’école. Par un arrêt Bidault du 20 juin 2001, la Chambre criminelle a invalidé les dispositions contenues dans les circulaires prises par le ministère de la Justice entre 1988 et 2000 pour l’application des décrets de grâces collectives. La Cour a en effet confirmé la position de la Cour d’appel de Montpellier qui avait jugé que les circulaires litigieuses avaient " un effet réglementaire contraire aux décrets qu’elles interprètent ". Il en résulte que parmi les nombreux condamnés qui ont été illégalement privés du bénéfice des grâces collectives, un certain nombre ont été arbitrairement détenus. La Chancellerie a donc été contrainte d’abroger les parties concernées des circulaires. Pourtant, c’est encore par voie de circulaires que le ministère détermine aujourd’hui les conditions d’application des décrets de grâces collectives.

37. A cet égard, la CNCDH ne peut qu’exprimer des réserves sur l’appréciation qui est faite des exclusions du décret de grâces. En cas de pluralité de peines à l’écrou, l’exclusion qui affecte une peine inscrite à l’écrou mais non encore purgée s’étend à la peine en cours d’exécution au jour du décret. Il en résulte que la portée de l’exclusion varie désormais en fonction de l’ordre dans lequel les peines sont portées à l’écrou. Il y a là une rupture d’égalité manifeste s’agissant de condamnés se trouvant dans des situations juridiques identiques.
Il apparaît qu’un certain nombre de dispositions énoncées par voie de circulaires sont prises dans le champ de la loi. Pour le Commissaire du gouvernement Franc, " Ce qui nous paraît justifier la compétence, et donc l’intervention du législateur dans le domaine de l’exécution des peines, c’est notamment la nécessité […] de définir des mesures, qui directement ou indirectement, remettent en cause les caractéristiques légales de la peine et notamment sa durée ".

38. La CNCDH recommande par conséquent au législateur de définir précisément les règles applicables en matière d’exécution des peines.

c. La mise en oeuvre d’un contrôle extérieur, indépendant et permanent
L’environnement international, par le biais des recommandations du Conseil de l’Europe du Parlement européen ou des Nations Unies, incite les Etats à créer un contrôle spécifique des prisons. Edicté par les Nations Unies, l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus prévoit que " des inspecteurs qualifiés et expérimentés, nommés par une autorité compétente, devront procéder à l’inspection régulière des établissements et services pénitentiaires. Ils veilleront en particulier à ce que ces établissements soient administrés conformément aux lois et règlements en vigueur et dans le but d’atteindre les objectifs des services pénitentiaires et correctionnels ". Le protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adopté le 18 décembre 2002 par l’Assemblée générale des Nations Unies invite les Etats à mettre en place un ou plusieurs " mécanismes nationaux de prévention indépendants ", chargés d’" examiner régulièrement la situation des personnes privées de liberté " afin d’" améliorer le traitement et la situation des personnes privées de liberté " et de " prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ".
Au regard de leurs principes fondamentaux, les Règles pénitentiaires européennes affirment que " le respect des droits individuels des détenus, en particulier la légalité de l’exécution des peines, doit être assuré par un contrôle exercé conformément à la réglementation nationale par une autorité judiciaire ou toute autre autorité légalement habilitée à visiter des détenus, et n’appartenant pas à l’administration pénitentiaire. "
A l’initiative de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, une " Convention pénitentiaire européenne " tendant " à harmoniser les conditions de détention et à instaurer un contrôle extérieur permanent " est en cours d’élaboration. Dans sa résolution du 17 décembre 1998, le Parlement européen dresse les grandes lignes de ce que doit être le contrôle extérieur des prisons. Outre l’élaboration d’une " loi fondamentale sur les établissements pénitentiaires qui définisse un cadre réglementant à la fois le régime juridique interne (matériel), le régime juridique externe, le droit de réclamation ainsi que les obligations des détenus ", il est demandé aux Etats membres de prévoir " un organe de contrôle indépendant auquel les détenus puissent s’adresser en cas de violation de leurs droits ".
En matière de contrôle des établissements pénitentiaires, les défaillances des divers dispositifs en vigueur sont connues des pouvoirs publics. En juillet 1999, au moment de confier au Premier Président de la Cour de cassation sa mission de réflexion sur l’amélioration du contrôle extérieur, la Chancellerie décrivait, en ces termes, les " lacunes " existantes : " Les modalités de contrôle de droit commun s’avèrent parfois inadaptées aux réalités pénitentiaires, soit en raison de leur caractère ponctuel, soit du fait de leur absence de conséquences immédiates pour la situation du détenu.
Quant aux mécanismes de contrôle spécifiques aux établissements pénitentiaires, s’ils sont très variés, leur mise en oeuvre concrète est parfois défaillante, la rareté des visites des autorités judiciaires ou le formalisme des réunions de la commission de surveillance sont ainsi régulièrement dénoncés ".
Dans son rapport, la commission Canivet a confirmé ces insuffisances : " Toutes les constatations convergent vers l’idée que les prisons connaissent un grand nombre de contrôles, toutes révèlent aussi que ces contrôles sont souvent effectués a minima […]
En sorte qu’il s’agit, trop souvent, d’un contrôle en retrait de celui qui est opéré dans la société "libre". Comme si les prisons étaient un autre monde largement soustrait à la norme, leur état inéluctable et les détenus des personnes dont les droits ne sont pas pleinement reconnus. "
Deux instances exercent actuellement le contrôle interne au sein du ministère de la Justice. L’article D. 229 du Code de procédure pénale prévoit que " les établissements pénitentiaires font l’objet du contrôle général de l’Inspection des services pénitentiaires, de la direction de l’administration pénitentiaire et des directeurs régionaux ou de leurs adjoints ". Par ailleurs, l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ) est compétente pour effectuer des inspections d’établissements pénitentiaires sur demande du ministre de la Justice. Ces contrôles sont cependant confidentiels et peu réguliers. La commission Canivet a relevé qu’en 1998, seules 61 missions avaient pu être effectuées par l’Inspection des services pénitentiaires (ISP) pour l’ensemble des 187 établissements. Pour ce qui est de l’IGSJ, il remarque que son intervention a " consisté dans des rapports sur des questions relevant de l’administration " et qu’elle " ne paraît pas en mesure de multiplier ses inspections en milieu pénitentiaire ".
En matière de contrôle des prisons, l’autorité judiciaire intervient à plusieurs niveaux.
Cependant, " force est de constater que les magistrats ont largement laissé tomber en désuétude les dispositions de l’article 727 du Code de procédure pénale ", qui prévoit que le juge de l’application des peines, le juge d’instruction, le président de la chambre de l’instruction, le procureur de la République, le procureur général visitent les établissements pénitentiaires. Outre " l’imprécision des textes qui le régissent ", la commission Canivet a finalement considéré que " le contrôle de l’autorité judiciaire se révèle, dans l’exercice quotidien, imparfait et insatisfaisant ".
Concernant la commission de surveillance, instituée auprès de chaque établissement, elle est censée symboliser le regard de la société civile sur la prison.
Présidée par le préfet, elle est composée notamment de magistrats du ressort, du bâtonnier de l’ordre, du maire de la commune comme de personnes issues d’associations ou d’oeuvres sociales. Elle doit se réunir à la prison au moins une fois par an et entendre le rapport d’activités du chef d’établissement. Il est possible aux détenus d’être entendus par elle et d’adresser des requêtes à son président sous pli fermé. La commission Canivet note cependant que " ses pouvoirs apparaissent limités ", à l’exception de la formulation d’" observations ou suggestions " transmises dans des rapports adressés au ministère de la Justice et " n’apparaît pas d’une grande efficacité ".
Depuis la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence, l’article 720-1-A du Code de procédure pénale autorise députés et sénateurs à " visiter à tout moment les locaux de garde à vue, les centres de rétention, les zones d’attente et les établissements pénitentiaires ". En pratique cependant, peu de parlementaires utilisent cette prérogative.
Dans le cadre de ses propositions, la commission Canivet a jugé nécessaire la mise en place d’un dispositif de contrôle extérieur des prisons afin de " s’assurer du traitement correct du détenu et de l’évolution de l’état des prisons, permettre le traitement des différends, source de tensions, et instaurer l’indispensable transparence dans ce monde clos pour éviter que des dysfonctionnements graves de l’administration ne soient révélés, comme cela a pu se produire, que plusieurs mois après leur apparition ". Pour être efficace, ce contrôle doit " avoir une indépendance par rapport au pouvoir politique et à l’administration pénitentiaire, ainsi qu’une objectivité reconnue par tous ", posséder " un cadre de référence constitué tant par des règles précises que par une politique pénitentiaire préalablement fixée ", " obéir à une méthode qui lui assure sa régularité ainsi que son uniformité, et conforte l’objectivité de ses résultats ", " disposer des prérogatives nécessaires à l’accomplissement de ses fonctions ", publier ses rapports afin " d’informer l’opinion publique sur l’état des prisons ainsi que sur le niveau de réalisation des objectifs, et les personnels pénitentiaires comme les détenus sur les constats effectués, les
résultats obtenus, les améliorations possibles et les efforts restant à accomplir " et d’" amener le ou les organes de contrôle à rendre compte de l’exécution de leur mission ", " recouvrir l’ensemble de la société carcérale que constitue l’établissement contrôlé " et " constituer, pour le directeur de l’établissement, une aide à la gestion ".
Pour ce faire, il a été proposé l’instauration d’un contrôle extérieur réparti en trois organes distincts, répondant aux trois fonctions communément entendues par les recommandations internationales, " les contrôles spécifiques étant stimulés pour assurer leur effectivité " : la vérification (" s’assurer du respect du droit dans la prison et de la réalisation, par l’administration, des objectifs de ses politiques, nationale et locale "), la médiation (qui " vise à apporter une solution aux différends de toute nature entre le détenu et l’administration, et à préciser les points de réglementation présentant des difficultés d’interprétation "), l’observation (qui " tend à introduire dans l’établissement pénitentiaire un "regard extérieur" qui permette un contrôle quotidien identique à celui que pratique le citoyen dans la société libre, afin d’instaurer la transparence nécessaire au bon fonctionnement de l’institution ").
Pour la commission Canivet, la vérification " rend impératif l’éloignement par rapport à l’établissement contrôlé ". Elle propose donc l’instauration d’un " contrôleur général des prisons ". Assisté d’une vingtaine de collaborateurs, il aura " pour compétence le contrôle des conditions générales de détention, de l’état des prisons, de l’application du statut du détenu, des rapports entre administration et détenus, des pratiques professionnelles et de la déontologie des personnels pénitentiaires, de leur formation, de l’organisation et des conditions de leur travail, de l’exécution des politiques pénitentiaires ". A cette fin, il disposerait d’un " pouvoir de contrôle permanent, de visite, de constat d’audition, d’obtention de documents, d’évaluation, d’observation, d’étude, de recommandation et de publication de ses rapports ". Il devrait ainsi disposer du pouvoir d’effectuer des visites " programmées " (avec vérification approfondie), des visites " inopinées " (suite à la dénonciation d’une situation ou d’un événement), ou " de suivi " (pour vérifier les mesures prises suite à une précédente visite). Haut fonctionnaire de l’Etat, le contrôleur général serait, selon les travaux de la commission Canivet, proposé par la Commission nationale consultative des droits de l’homme et nommé par le président de la République pour un mandat d’au moins six ans. Irrévocable, il ne serait soumis à " aucun pouvoir hiérarchique " et ne pourrait " recevoir d’instructions de quiconque ".
En second lieu, la commission Canivet préconise la mise en place d’un corps de médiateurs des prisons indépendants institué pour les " litiges d’ordre individuel opposant les détenus à l’administration ", organisé à l’échelon des régions pénitentiaires dans des services régionaux de médiation pénitentiaire et réunis dans une " Conférence des médiateurs ". " Soumis à aucun pouvoir hiérarchique, indépendants, permanents et qualifiés ", ils pourraient recevoir des requêtes déposées par les détenus, en toute confidentialité par écrit ou oralement lors d’un entretien, et auraient pour compétence de " rechercher et proposer une solution aux conflits entre détenus et administration ". Pour l’instruction des requêtes, ils auraient " des pouvoirs de visite, de constat, d’information, d’audition et d’obtention de documents ", comprenant notamment le droit de " se faire ouvrir les cellules des détenus même si ceux-ci sont placés au quartier disciplinaire et à l’isolement ", de rencontrer toute personne, d’assurer au sein de la prison " toutes permanences qu’ils estiment nécessaires ". Des boîtes aux lettres fermées seraient placées dans chaque prison pour que les détenus puissent déposer leurs courriers adressés au médiateur et collectés quotidiennement.
Enfin, des " citoyens bénévoles ", nommés dans chaque établissement, interviendraient comme " délégués du médiateur des prisons ". Réunis dans un " Comité " élisant son président, ils auraient en charge d’observer les conditions de détention et " l’intermédiation " dans les relations des détenus avec l’administration pénitentiaire. Ils auraient également des " prérogatives de visite, d’audition, de transmission des requêtes des détenus et de saisine du directeur régional ou du ministre de la Justice ", sans entrave ni restriction. Leur présence sur les lieux a aussi été prévue pour constituer un " organe d’information précieux autant pour le contrôleur général que pour les médiateurs ".
Si la fonction de médiation et d’observation est retenue, le médiateur des prisons et leurs délégués devraient être placés sous l’autorité du Médiateur de la République.
A la suite des propositions de la commission Canivet, le législateur a tenté à plusieurs reprises d’instaurer un contrôle extérieur. Le 26 avril 2001, une proposition de loi, présentée par Guy Cabanel et Jean-Jacques Hyest, a été adoptée à l’unanimité en première lecture au Sénat. Le 17 juillet 2002, Christian Poncelet, président du Sénat, la transmet à Jean-Louis Debré, son homologue de l’Assemblée nationale. Cette initiative législative vise notamment la création d’" un contrôle général des prisons chargé de contrôler l’état, l’organisation et le fonctionnement des établissements pénitentiaires, ainsi que les conditions de la vie carcérale et les conditions de travail des personnels pénitentiaires ". Sur le bureau de la présidence de l’Assemblée nationale, cette proposition de loi en rejoint une autre, celle déposée le 6 février 2002 par le député Michel Hunault. L’exposé des motifs souligne que, " face aux dysfonctionnements constatés à l’intérieur des prisons, il apparaît nécessaire et indispensable d’instaurer un contrôle permanent et indépendant du système carcéral français. Ce contrôle est nécessaire pour s’assurer de l’évolution des politiques carcérales et instaurer une plus grande transparence dans ce monde clos. Il est donc proposé de créer un poste de "contrôleur général des prisons", indépendant, qui serait assisté dans sa tâche d’un corps de contrôleurs, collaborateurs et personnels administratifs, placés sous son autorité directe ".

Aucune de ces propositions n’a cependant abouti.
Lors des auditions effectuées par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, le chef de l’Inspection des services pénitentiaires a admis que : " Même si nous avons l’impression, nous, membres de l’administration pénitentiaire, d’être transparents, nous ne le sommes point ". Quant au représentant du syndicat national FO des personnels de surveillance, il a déclaré : " Nous sommes tout à fait favorables à un contrôle pour démontrer que le personnel pénitentiaire fait bien son travail. Bien entendu, la profession comprend également des marginaux, comme partout. Simplement les médias ne parlent que de ce qui va mal. Un contrôle pourrait donc mettre en valeur ce que l’on fait de positif ".

39. La CNCDH estime indispensable l’instauration d’un contrôle extérieur et permanent. Elle préconise la mise en oeuvre du dispositif proposé le 6 mars 2000 par la commission du ministère de la Justice présidée par le Premier Président de la Cour de cassation, à la lumière des dispositions du Protocole additionnel à la Convention des Nations unies (18 décembre 2002).

40. Par ailleurs, la CNCDH entend poursuivre sa réflexion, notamment sur la situation spécifique des mineurs et des étrangers en prison, les droits des détenus malades, le développement des alternatives à l’incarcération, et sur les modalités du maintien des liens familiaux.