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Arles, Moulins, Clairvaux, Borgo, Fresnes : Prisons d’une guerre à l’autre (SNEPAP-FSU)

Mise en ligne : 10 avril 2003

Dernière modification : 15 août 2010

Texte de l'article :

SNEPAP FSU
SYNDICAT NATIONAL DE L’ENSEMBLE DES PERSONNELS DE L’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

 

Arles, Moulins, Clairvaux, Borgo, Fresnes : Prisons d’une guerre à l’autre

Paris, le 10 avril 2003

La démonstration est sans doute faite aujourd’hui de l’efficacité du discours sécuritaire dont nous abreuve le gouvernement par la voix du ministre de l’intérieur avec la participation parfois complaisante des média.

Pour appliquer le concept paranoïaque de tolérance zéro il faut en avoir les moyens mais pour en obtenir les moyens il n’est pas acceptable de piétiner les valeurs fondatrices de la République.

Nous voilà tenu de rouvrir le débat sur la sécurité publique et particulièrement sur la prison, sous la menace des bazookas !

En ce qui concerne la prison, un travail de réflexion a été largement entamé entre 1999 et 2002.

Si le livre de Véronique Vasseur, les commissions d’enquête parlementaires, l’élaboration d’une loi pénitentiaire, la prise d’otage de Fresnes, le mouvement des travailleurs sociaux de l’automne 2001 ont donné l’occasion à certains de dénoncer et à d’autres de frétiller dans les média autour d’un sujet vendeur, et la situation des prisons n’a non seulement pas été modifiée, mais s’est largement aggravée dès le début de la campagne électorale de 2002.

La construction de nouveaux établissements, le recrutement massif de personnels, constituent une injure quand dans le même temps le gouvernement supprime des postes à l’Education Nationale comme si la dernière des raffarinades pouvait être : ouvrir une prison c’est fermer une école !

Et les projets sécuritaires qui font la part belle au béton, blindage, gilets pare-balles et équipement électronique, nous éclaire sur l’humanisme gouvernemental.

Mais qui parle de cette réglementation pénitentiaire kafkaïenne, cette aberration juridique qui fixe dans le marbre qu’en prison tout ce qui n’est pas autorisé est interdit ?

La prison est une réalité sociale mais aussi un discours, une représentation qui masque les échecs d’une société enfermant ses enfants et où la punition prime sur la réparation.

Il ne suffit pas de gloser sur l’échec programmé d’un système orienté sur la répression, il faut poser les bonnes questions.

L’application à tous les détenus d’un régime de sécurité à maxima est-elle socialement rentable ?

Ne serait-il pas temps de diffuser des statistiques réalistes, mettant en avant que l’Administration Pénitentiaire, a en charge 58000 détenus dont une bonne part ne récidive pas et 250 000 mesures par an, suivies par les SPIP en milieu ouvert, dont la part de réussite n’est jamais évoquée ?

Qu’en est-il de ces malades incarcérés pour des raisons économiques (le prix de journée en prison est très inférieur à celui des hôpitaux psychiatriques) et qui sont difficilement gérables en établissement pénitentiaire, créant des incidents du fait de leur pathologie ?

Il serait temps que la prison devienne le lieu de sanction des crimes les plus graves quitte à redéfinir objectivement son rôle de « mise à l’écart temporaire de la société ».

L’attaque par un commando de la maison d’arrêt de Fresnes ce mercredi 12 mars 2003 marquera peut-être un tournant dans l’histoire de la prison.

Centre névralgique de l’administration pénitentiaire, cet établissement est réputé pour sa capacité à gérer les personnalités les plus diverses, les détenus les plus difficiles et le régime y est strict, par tradition mais surtout pour des raisons objectives.

On peut y croiser des détenus condamnés à de faibles peines correctionnelles comme des condamnés à perpétuité, des malades psychiatriques comme des stars des média.

Un personnel qualifié et efficace y est quotidiennement confronté à une violence qui n’est pas toujours symbolique, à la folie, à la mort.

Et tous sont consternés de constater que malgré les mâles affirmations sécuritaires du gouvernement, c’est d’ici, du cœur du système pénitentiaire, de l’archétype carcéral qu’est Fresnes qu’un détenu s’évade au son d’une musique guerrière.

Ne serait-il pas temps de reprendre le débat là où il fut abandonné pour cause de démagogie pré-électorale ?

Pour prévenir l’aggravation de la tension carcérale actuelle et pour garantir une intégration du droit européen il faudrait d’abord rouvrir les discussions sur une loi pénitentiaire.

Il faut admettre le besoin d’élaborer une doctrine juridique de l’exécution des peines intégrant les questions de durées des peines et de réhabilitation ainsi que celles relatives à l’entrée du droit commun en détention. Et il nous faudra bien aborder les questions plus philosophiques de suppression des peines perpétuelles ou de l’application de l’article 122-1 du Code Pénal sur la responsabilité des malades mentaux.

Or qu’en est il ?

Le Garde des Sceaux annonce, après les évènements des derniers mois la création des ERIS (équipes régionales d’intervention et de sécurité).

Le SNEPAP-FSU s’interroge sur la création de ces équipes d’intervention dont la principale mission serait le maintien de l’ordre. Cette substitution aux forces de l’ordre (gendarmerie et police) seules habilitées a ce jour par la loi pour cette mission, par des fonctionnaires pénitentiaires hors cadre statutaire, est susceptible de mettre en danger l’ensemble des personnels pénitentiaires qui, de fait risque d’être assimilé aux membres de ces groupes.

D’autres questions se posent :

  • qui décidera de leur intervention et dans quelles conditions ?
  • quelle sera la légitimité de ces équipes ?
  • quelles garanties en cas de débordements voir d’utilisation « abusive » ?
  • s’agit- il d’une police pénitentiaire ?
  • ne peut-on voir dans cette mesure le signe d’une tentative de ramener l’administration pénitentiaire dans le giron du ministère de l’intérieur, la remettant dans son état d’avant 1911 ?

    Nous ne pouvons adhérer à un discours contradictoire de l’institution qui présente dans une surréaliste campagne télévisuelle de recrutement, des surveillants vantant le contact avec la population pénale et qui annonce dans le même temps la formation de groupes de répression composés de ces mêmes surveillants !

    De plus il est à craindre que les opérations envisagées de maintien de l’ordre ou d’opérations « coups de poing » ne mobilisent de plus en plus de personnels du fait de la nécessité des rotations dues aux périodes de repos, de congés ou au rythme de travail.

    En ne prenant pas en compte la réalité du travail quotidien des personnels et en jouant sur de démagogiques effets d’annonce le Garde des Sceaux ne fait qu’alimenter le ressentiment de personnels déjà éprouvés par les difficulté d’exercer ses missions de garde et de réinsertion.

    Mais il y a pire !

    Dans la note d’information du 17 mars 2003 concernant la sécurité, le garde des Sceaux annonce parmi les neuf actions visant à renforcer « la discipline et le contrôle des détentions pour augmenter la sécurité » (point 3) : « L’anonymat des surveillants effectuant les fouilles pourra être assuré, par le port de cagoules » (sic).

    Quelle est donc la conception de ceux qui non seulement nous signifient ainsi que nous ne pouvons être fiers d’exercer nos missions (en contradiction semble-t-il avec le Directeur de l’AP qui essaie de nous rappeler que ces missions sont républicaines et que nous sommes dignes de respect) ?

    Qui sont ceux qui, la bouche emplie de discours sécuritaires voire guerriers, nous signifient ainsi qu’ils sont incapables de garantir, par l’attribution des moyens décents, notre propre sécurité ?

    Après les évènements de Fresnes, d’aucuns ont mis en avant un discours guerrier.

    Ils devraient en ce jour se référer à ces paroles de D. Wolton ce matin même sur France Inter, à propos d’une vrai guerre : « On peut gagner une guerre militairement et la perdre moralement ».

    Pour le SNEPAP-FSU
    Michel Flauder, Secrétaire Général.
    Erick Aouchar, BN, Section locale Fresnes.