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> Edito

A propos des suicides en prison… ne nous trompons pas de combat !

Mise en ligne : 12 août 2002

Texte de l'article :

« […] Lorsque les prisonniers étaient sortis de leur néant d’inconscience, leur première affirmation de liberté avait été le suicide. La renaissance de la douleur les avait libérés. Ils avaient cessé alors d’être des esclaves parfaits puisqu’ils pouvaient choisir de se tuer ou de continuer à lutter. »
STEINER (Jean-François), Treblinka, la révolte d’un camp d’extermination, Paris, Fayard, 1966, p. 100.

Dénoncer les « suicides en prison » simplement parce que ce serait indigne d’une Démocratie, contraire aux droits de l’homme, ou tout bêtement trop triste de crever en taule… ça me paraît un peu court, voire carrément à l’opposé de mes idées. Je m’explique.

Fondamentalement, la liberté de choisir la mort, c’est à dire le droit de chacun d’apprécier si la vie vaut ou pas d’être vécue, est l’ultime liberté. Je suis donc effrayée par la possibilité d’imaginer un système carcéral qui maintiendrait vivant (mais « vivre » et « être vivant » ne sont pas réductibles l’un à l’autre) les individus afin qu’ils n’échappent pas à leur punition.

C’est d’ailleurs le principe même de la torture de faire subir l’insupportable, mais de ne jamais commettre l’irréparable : « surtout, qu’il ne nous claque pas entre les mains ! ».

Cette protection du « vivant » au nom de la sentence à subir se retrouve dans l’application de la peine de mort. Souvenez-vous de ce condamné à mort américain qui avait tenté de se tuer quelques heures avant son exécution et ranimé à grand renfort de moyens médicaux afin de subir sa peine…

Se contenter de dénoncer les « suicides en prison », c’est se tromper de combat parce que la réponse logique, adéquate de l’Etat humaniste et gestionnaire sera l’accroissement de la surveillance (psychologique et électronique), et aussi une logique d’acceptation de la peine, notamment en banalisant sa forme (bracelet électronique ou matons – éducateurs sympas). Parce qu’il ne faut pas se tromper : si l’Etat se scandalise de la proportion de suicides, c’est bien parce qu’il y a ce postulat que la prison reste un moyen efficace de recyclage, de gré ou de force, des délinquants en honnêtes citoyens économiquement productifs.

Il m’apparaît aussi essentiel de s’interroger sur les moyens judiciaires utilisés par les proches de disparus en prison. Je vois se profiler une dérive odieuse : la multiplication des plaintes pour « défaut dans la mission de surveillance de l’Administration Pénitentiaire ».

La prison n’est pas une garderie. S’il y a encore des proches qui – après des années de parloir et le décès de l’être aimé en détention – pensent qu’on met les gens en prison pour leur bien, c’est tout de même un comble. Et à part des coups de pied au cul, je ne vois pas trop quoi leur répondre !

Sérieusement, certes, en droit, l’Administration Pénitentiaire a pour mission de surveiller les détenus. Pourtant, personnellement, je refuse de porter plainte à ce niveau-là. Lorsqu’il y a un décès en prison, ça se situe entre la non - assistance à personne en danger et l’assassinat. Quand j’entends reprocher à l’Administration Pénitentiaire son manque de surveillance, ça me fait le même effet que si un récidiviste portait plainte parce que la prison a failli à sa mission de formatage….

Dans les moyens que nous utilisons pour abattre les murs, il faut toujours avoir à l’esprit que les luttes carcérales sont périlleuses. On a lutté hier pour l’abolition des QHS, on lutte aujourd’hui pour l’abolition du mitards et des QI… Finalement, ne nous auraient-ils pas entendu en construisant ces nouvelles prisons qui sont un monstrueux mélange de QHS, mitard et QI ?

Pour moi, dénoncer les « suicides en prison » ne doit pas occulter le fait que les détenus sont des adultes à part entière, pas des êtres irresponsables dont la survie devrait quelque chose à l’Administration (ce n’est jamais le cas…), pas des pions que nous, associations et militants anti-carcéraux, utiliserions pour démontrer la monstruosité de la prison. Nous n’avons pas besoin des morts en prison pour être convaincu et le répéter que la prison n’est faite pour personne. Je ne rêve pas d’une prison sans suicide, mais d’un monde sans prison !

Et ne vous méprenez pas… Chaque mort, suicide ou assassinat, me révolte. Je la ressens dans ma chair, car c’est à chaque mort le souvenir intime de mon deuil.

Pourtant, à chaque suicide, je pense à cette dernière liberté, à ce choix bien sûr inacceptable pour les proches… mais comment ne pas respecter ce qui reste de liberté entre quatre murs ?

Pourtant, à chaque assassinat, je pense à cette mort distillée incidemment tous les jours, invisible et cependant bien réelle.

Jamais je ne voudrai d’une « vie à tout prix », surtout quand le prix est fixé par l’Administration Pénitentiaire. Nous valons mieux que ça, nos morts en prison l’ont prouvé...

Gwénola Ricordeau
ricordeaugwen@aol.com