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7 Table ronde : Prise en charge en santé mentale

Mise en ligne : 19 juin 2005

Texte de l'article :

Enquête de prévalence des troubles mentaux parmi les personnes détenues
Bruno Falissard
Professeur, directeur de l’unité de santé publique de l’hôpital Paul-Brousse à Villejuif
Frédéric Rouillon
Professeur, conseiller scientifique auprès du DGS, chef de service de psychiatrie à Créteil

Face à l’insuffisance des données épidémiologiques nationales, le ministère de la Santé a décidé, en collaboration avec le ministère de la Justice, soucieux de l’accès aux soins des personnes incarcérées, de réaliser une étude épidémiologique sur la santé mentale des personnes détenues dans les établissements pénitentiaires français. Le protocole a été écrit à cet effet en 2002 par un groupe d’experts dirigé par les Professeurs Bruno Falissard et Frédéric Rouillon (Inserm), sous l’égide d’un comité de pilotage présidé par les ministères de la Santé et de la Justice associant des représentants des professionnels de santé intervenant en milieu pénitentiaire. Un appel d’offres a été lancé par le ministère de la Santé pour la réalisation de l’étude (cofinancée par le ministère de la Justice). Il a été remporté par la société d’épidémiologie Cemka-Eval.

Méthodologie
L’étude [1] comportait trois phases distinctes :
1) une étude transversale visant à évaluer la prévalence des troubles mentaux dans la population carcérale : cette étude transversale portait sur 1000 personnes détenues, dont 800 hommes tirés au sort dans les établissements pénitentiaires de France métropolitaine (plan de sondage en grappe en fonction du type d’établissement pénitentiaire), 100 femmes détenues et 100 hommes détenus dans un établissement d’un département d’outre-mer ;
2) une étude longitudinale avec un suivi sur neuf mois de 300 personnes primo-incarcérées ;
3) une étude rétrospective portant sur 100 personnes détenues condamnées à des longues peines. Un comité de pilotage associant les deux ministères et les différentes directions concernées assuraient le suivi de l’étude avec l’aide de représentants de professionnels intervenant en milieu pénitentiaire. Les résultats présentés ici portent sur l’étude de prévalence des troubles mentaux parmi la population détenue, soit 799 sujets masculins de France métropolitaine inclus dans la phase 1 (seul volet de l’étude à être actuellement terminé).
La méthodologie d’évaluation des troubles mentaux utilisée dans ces trois phases a été élaborée avec un double souci de fiabilité (reproductibilité) et de pertinence clinique. Cette méthodologie a fait l’objet d’un développement spécifique et d’une publication dans une revue internationale à comité de lecture. En pratique, deux cliniciens (un psychiatre de plus de 4 ans d’expérience et un psychologue clinicien) ont rencontré ensemble la personne interrogée. Le psychologue a conduit dans un premier temps un entretien structuré conformément aux directives du MINI (Mini international neuropsychiatric interview), instrument largement utilisé en épidémiologie psychiatrique. Le psychiatre a ensuite conduit par un entretien libre avec la personne détenue. Cet entretien portait également sur des données personnelles, familiales et judiciaires d’avant l’incarcération. À la suite de ces entretiens, les cliniciens ont donné chacun, indépendamment l’un de l’autre, un (ou plusieurs) diagnostic(s), issus du MINI et de la clinique. Dans un second temps, ils se sont concertés et ont proposé un (ou plusieurs) diagnostic(s) dit(s) consensuel(s). L’accord entre les deux cliniciens s’est avéré « bon » à « très bon » ; le niveau de confiance dans les diagnostics proposés est donc élevé.
Les entretiens ont été réalisés entre juillet 2003 et septembre 2004. L’accueil et la coopération des personnels de l’Administration pénitentiaire ont été généralement très bons. Le taux de participation des personnes détenues à l’étude a été de 57 %, avec des variations selon les établissements pénitentiaires.

Résultats
Quels que soient les populations et le type d’établissement, les personnes détenues présentent de lourds antécédents personnels et familiaux, qu’il s’agisse du décès d’un membre de leur famille proche, de maltraitances de nature physique, psychologique ou sexuelle ou d’autres événements traumatisants (violence chez des proches, accidents...). Avant leur incarcération, plus du tiers des personnes détenues ont déjà consulté un psychologue, un psychiatre ou un médecin généraliste pour un motif d’ordre psychiatrique. Seize pour cent des hommes détenus en métropole ont déjà été hospitalisés pour raisons psychiatriques. En métropole, 6 % des personnes détenues ont été suivis par le dispositif de lutte contre la toxicomanie et 8 % par celui de lutte contre l’alcoolisme.

Sur la base des 799 hommes détenus interrogés, les principales prévalences actuelles projetées sur la population carcérale masculine de France métropolitaine sont estimées à :
• dépression : 40 %
• anxiété généralisée : 33 %
• névrose traumatique : 20 %
• agoraphobie : 17 %
• schizophrénie : 7 %
• paranoïa, psychose hallucinatoire chronique : 7 %

Ces résultats sont à replacer dans leur contexte. Une dépression peut être envisagée sous l’angle d’un syndrome, c’est-à-dire d’un ensemble de symptômes. Elle est définie par certains psychiatres comme un deuil sans objet. Le milieu carcéral est peut-être propice à un deuil naturel. Plus généralement, ces chiffres indiquent qu’un grand nombre de personnes détenues a un niveau de souffrance psychique élevé. La transposition en termes de pathologie psychiatrique avérée nécessite une analyse plus approfondie des données.
En ce qui concerne la toxicomanie, 8 % des personnes interrogées présentaient un abus ou une dépendance aux substances illicites, et 31 % un abus ou une dépendance à l’alcool.
Sur une échelle de gravité allant de 1 à 7, 12,6 % des 799 personnes détenues interrogées ont été décrits comme « gravement malades (niveau 6 de l’échelle de gravité) » ou « parmi les patients les plus malades (niveau 7 de l’échelle de gravité) ». Par ailleurs, 22 % des entretiens ont conduit, après accord de la personne, à un signalement auprès de l’équipe soignante pour « trouble psychiatrique méritant d’être signalé ».

Limites de l’étude
Du fait de possibles fluctuations d’échantillonnage (tirage au sort des lieux de détention et des personnes détenues), les prévalences précédentes ont une marge d’incertitude absolue (au seuil de 95 %) de ± 10 % pour les syndromes dépressifs, ± 4 % pour la schizophrénie et les psychoses chroniques non schizophréniques. Afin de tenir compte des personnes détenues tirées au sort mais ayant refusé de participer à l’étude, deux hypothèses ont été posées :
• en faisant l’hypothèse que ces personnes détenues aient des prévalences moitié moindres que les prévalences des personnes détenues ayant accepté de participer, les prévalences projetées sur la population carcérale masculine de France métropolitaine seraient de 33 % pour les syndromes dépressifs, 6 % pour la schizophrénie et les psychoses chroniques non schizophréniques ;
• en faisant l’hypothèse que ces personnes détenues aient des prévalences égales au double des prévalences de celles ayant accepté de participer, les prévalences projetées sur la population carcérale masculine de France métropolitaine seraient de 56 % pour les syndromes dépressifs, 10 % pour la schizophrénie et les psychoses chroniques non schizophréniques.
Les prévalences de ces troubles n’ont jamais été évaluées dans la population générale française avec une méthodologie comparable. Il est cependant communément admis que la prévalence de la schizophrénie en France est d’environ 1 %, alors que 5 % des Français présenteraient un état dépressif une année donnée.

Conclusion
L’interprétation des résultats doit être différenciée et mesurée. En ce qui concerne l’anxiété, la dépression, l’abus, la dépendance et les troubles psychotiques, les prévalences élevées doivent être interprétées différemment les unes des autres. Les compléments d’analyse nécessaires seront réalisés d’ici au mois de juin. L’étude qui va être réalisée sur les primo incarcérés permettra de comparer les prévalences. En attendant, et en dépit des limites inhérentes à ce type d’enquêtes, il convient de saluer la décision de mener une telle étude.

Témoignage d’un surveillant de SMPR
Thierry Cadet,
Surveillant principal au SMPR de la prison de la Santé à Paris

Surveillant principal au SMPR de la prison de la Santé à Paris, Thierry Cadet témoigne de la nécessité absolue de la présence des SMPR et des Ucsa au sein des établissements pénitentiaires. « Cette présence », affirme-t-il, « est à mettre en relation avec les principes fondateurs de toute démocratie, notamment à travers le droit à la santé pour tous. Plus ces grands principes entreront dans les prisons, plus ces dernières s’humaniseront. »
Il rappelle le rôle essentiel tenu par le surveillant au SMPR, que ce soit dans la mise en oeuvre de plannings de consultations, l’accueil des détenus, la gestion des mouvements et la sécurité des personnes et des locaux. « Par sa fonction », rappelle-t-il, « le surveillant constitue un lien incontournable entre le SMPR et la détention. Il est observateur et témoin privilégié du respect des droits des détenus (dignité, hygiène...). »
Dix ans après la mise en place de la loi de 1994, Thierry Cadet fait part de ses inquiétudes. Il relève des conditions de détention parfois déshumanisantes et des situations professionnelles qu’il qualifie de « chaotiques ». À partir de ces constats, il suggère quelques propositions en vue d’améliorer le travail des surveillants, à commencer par la définition et l’application d’un règlement intérieur. Compte tenu du rôle pivot du surveillant en prison, la mise en place de réunions inter-services lui semble incontournable. Enfin, dans le cadre de sa pratique quotidienne au SMPR et face à l’importante détresse psychologique rencontrée en prison, il invoque la nécessité de former les surveillants aux problématiques psychiatriques fréquemment rencontrées dans le contexte carcéral et aux modes d’intervention d’urgence.
Pour conclure, il souligne que la prison n’est pas et ne doit surtout pas devenir un monde d’exclusion : « Elle est intimement liée à notre quotidien. Lorsque la société souffre, la prison agonise. »

Les UHSA : une fausse bonne idée ?
Gérard Dubret
Psychiatre des Hôpitaux, expert près de la cour d’appel de Versailles, C. H. René Dubos de Pontoise

Les psychiatres ont toujours milité pour que leurs patients bénéficient de la même considération que les patients souffrant de toute autre pathologie. Et parmi les psychiatres, ceux qui interviennent en milieu carcéral ont toujours milité pour que les patients détenus bénéficient de la même qualité de soins que tout autre patient. De là, peut-être, provient l’idée que l’hospitalisation psychiatrique des détenus, lorsqu’elle est nécessaire, devrait se faire dans des unités spécialement aménagées, sur un modèle voisin des unités prévues pour l’hospitalisation somatique des détenus, c’est-à-dire les UHSI. Mais réclamer une offre de soins de même qualité pour tous ne doit pas nous faire méconnaître la spécificité de la psychiatrie et des pathologies mentales. Dans le champ de la santé mentale des personnes détenues, il existe deux spécificités de la psychiatrie : la première concerne la morbidité psychiatrique de la population pénale ; la seconde a trait aux soins psychiatriques sous contrainte.

La morbidité psychiatrique de la population pénale
Le nombre de détenus présentant des troubles psychiatriques est important et toutes les études montrent que ce nombre ne cesse d’augmenter. On pourra aussitôt objecter que c’est précisément parce que ce nombre est très élevé qu’il importe de développer en prison un dispositif de soins qui comprenne des possibilités d’hospitalisation. Mais parmi les troubles psychiatriques de la population pénale, on rencontre de plus en plus souvent des pathologies lourdes (psychotiques, délirantes, schizophréniques...), pathologies dont on disait autrefois qu’elles avaient une dimension aliénante. Et c’est là une des spécificités de la pathologie psychiatrique, car contrairement aux autres affections et notamment aux affections somatiques, un grand nombre de maladies mentales rencontrées en prison ne sont ni consécutives à la privation de liberté, ni même simplement intercurrentes à la détention. En effet, bon nombre d’entre elles sont à l’origine même de l’infraction ou du crime qui a conduit la personne en prison. Dès lors, ne nous y trompons pas : développer au sein du système pénitentiaire un dispositif d’hospitalisation psychiatrique permettant de prendre en charge les pathologies les plus lourdes sans chercher en amont à remédier à cet afflux derrière les barreaux de personnes souffrant de maladie mentale, c’est à coup sûr prendre le risque d’amplifier ce mouvement. Accroître l’offre de soins psychiatriques en prison, c’est aussi malheureusement accroître le risque de voir les tribunaux condamner davantage les malades à des peines de prison, puisque l’incarcération pourra s’accompagner de soins psychiatriques, y compris pour les pathologies les plus graves. Créer des UHSA susceptibles de recevoir des malades mentaux hospitalisés sans leur consentement, c’est entériner le principe de l’incarcération des malades mentaux.
Malgré les messages d’alerte établis durant l’année 2000 par les rapports parlementaires du Sénat et de l’Assemblée nationale, il semble bien que la grande majorité de l’opinion publique et des médias reste indifférente à cette situation honteuse et persiste à ne voir dans l’institution psychiatrique et l’institution pénitentiaire que les deux volets complémentaires des aspirations sécuritaires de notre société. Pire, pour certains idéologues se dessine l’idée que la prison pourrait venir concrétiser un principe de réalité chez les patients schizophrènes. Confondant les registres du réel et du symbolique, certains n’hésitent pas à s’appuyer sur la recherche d’une confrontation à la loi pour vanter la valeur thérapeutique de la sanction pénale et de l’incarcération. Ainsi, la prison devient l’ultime institution psychiatrique qui permet tout à la fois de soigner et punir. Dans ce contexte, renforcer les dispositifs de soins psychiatriques aux personnes détenues doit obligatoirement s’accompagner d’une réflexion en amont. Parmi les facteurs à prendre en compte, il y a l’évaluation psychiatrique initiale que constitue l’expertise psychiatrique pénale, mais aussi la nature de l’offre de soins de la psychiatrie publique, telle qu’elle existe dans les dispositifs de secteur.
Concernant l’expertise pénale, l’article 64 de l’ancien code pénal faisait entrer dans la loi un principe très ancien du droit, celui de l’irresponsabilité pénale des malades mentaux. Il s’agissait de circonscrire un champ clinique au sein duquel l’action de la justice était contre-indiquée et devait laisser la place à un processus de soin. Dans ce cadre, l’expert était chargé d’indiquer clairement si le comportement d’un sujet mis en examen pour une infraction correspondait aux symptômes d’une maladie pouvant bénéficier de soins spécialisés, ou bien s’il résultait de la transgression d’une loi parfaitement repérée et relevant alors d’une sanction pénale. Il semble bien que la mise en place du nouveau code pénal en 1994 ait entraîné une très nette diminution du nombre des décisions d’irresponsabilité pénale pour raisons psychiatriques. L’article 122.1 - qui a remplacé l’article 64 - distingue en effet, à côté des sujets dont les troubles psychiques ont aboli le discernement et qui peuvent être déclarés irresponsables, des sujets ayant seulement présenté une altération de ce discernement et qui demeurent punissables. En dix ans, le nombre d’affaires se terminant par un non-lieu pour irresponsabilité s’est trouvé divisé par dix, passant de 3 ou 4 % à 0,45 %. Au cours de cette même période, les personnes pour lesquelles l’altération du discernement a été invoquée se sont vues infliger un quantum de peines très souvent supérieur à celui des condamnés pour qui aucun trouble psychique n’avait été signalé par les experts. À peu près dans le même temps, le nombre d’hospitalisations d’office de personnes détenues (article D. 398 du Code de procédure pénale) décompensant leur pathologie psychiatrique en prison s’est trouvé multiplié par treize.
Pourtant, une grande majorité de malades mentaux entre en prison sans avoir jamais vu aucun expert, la plupart du temps dans le cadre de procédures correctionnelles ou de comparutions immédiates pour lesquelles les expertises ne sont pas systématiques. Une très récente conférence de consensus sur « l’intervention du médecin en garde à vue » a parfaitement montré combien les troubles psychiatriques étaient largement sous-diagnostiqués avant l’entrée en prison. Tandis que, paradoxalement, les parquets harcèlent les experts psychiatres pour leur poser la question de l’opportunité d’une éventuelle injonction de soins dans les dossiers de délinquance sexuelle (question qui n’a jamais un caractère d’urgence) et ne se préoccupent pas de la compatibilité de la garde à vue ou de la détention avec de graves pathologies psychiatriques.
Concernant l’offre de soins de la psychiatrie publique, on constate un grave déficit en lits sécurisés. Au cours des vingt dernières années, les services d’hospitalisation psychiatrique du dispositif de secteur public se sont largement ouverts sur la ville et sur l’extérieur. On ne peut que se féliciter de cette évolution. Parallèlement, le personnel infirmier des institutions psychiatriques s’est majoritairement féminisé. Cette libéralisation des conditions d’hospitalisation psychiatrique, si elle est souhaitable pour l’immense majorité des patients, place cependant les équipes soignantes en difficulté dès lors qu’elles sont confrontées à des pathologies s’exprimant sur un mode de violence comportementale ou de forte agressivité. Le seul recours des équipes - lorsque leurs capacités soignantes se trouvent dépassées - est de faire appel aux Unités pour malades difficiles (UMD), dont le nombre de places est ridiculement faible au regard des besoins. En effet, le nombre de places disponibles pour les quatre UMD existant en France ne dépasse pas 386 lits. Il en résulte de longues semaines d’attente avant de pouvoir adresser un patient difficile dans ce type d’unité. Il n’est pas interdit de penser que cette carence en lits pour malades difficiles dans l’offre générale de soins de la psychiatrie publique pèse lourdement dans la décision des experts. Ces derniers sont en effet confrontés à des individus dont les actes médico-légaux exigent des unités d’hospitalisation beaucoup plus « contenantes » que ne le sont celles de la psychiatrie de secteur. En l’absence d’un nombre suffisant d’UMD, la prison (complétée par les UHSA) devient l’ultime institution psychiatrique sécurisée.

Des UHSA pour des hospitalisations sans consentement ?
La psychiatrie est la seule spécialité médicale pour laquelle la loi organise des modalités de soins sans le consentement du patient. La méconnaissance par les patients des troubles qu’ils présentent est souvent l’un des symptômes de la maladie mentale. Mais il serait contraire à l’éthique de laisser sans soins les patients qui dénient leurs troubles et refusent toute prise en charge. Pour autant, on ne peut pas imposer des soins sous contrainte à un patient privé de liberté. C’est pourquoi les hospitalisations psychiatriques sans consentement des personnes détenues commencent toujours par une sortie du milieu pénitentiaire qui ne doit pas être pour autant assimilée à une levée d’écrou. On peut parfaitement concevoir que les troubles dépressifs ou anxieux des patients détenus atteignent une intensité telle qu’une hospitalisation soit nécessaire et que ces patients soient consentants, voire demandeurs, pour cette hospitalisation. Dans ces conditions, l’hospitalisation en service libre, dans une UHSA, constitue une réponse plus pertinente que les hospitalisations d’office dans un service de secteur et plus adaptée que les hospitalisations dans les lieux mêmes de détention où la pratique s’essouffle. Mais, il est bien précisé dans l’article 48 de la loi de programmation de la justice que les UHSA auront vocation à recevoir des personnes détenues avec ou sans leur consentement. Ainsi, c’est bien d’une proposition d’organisation des soins sous contrainte pour des malades mentaux incarcérés dont il est question, ce qui n’est pas sans soulever des questions d’ordre éthique. En effet, voilà les des individus qu’on a jugés suffisamment lucides pour qu’ils assument la responsabilité pénale de leurs comportements délinquants, mais dont on découvre, une fois qu’ils sont incarcérés, qu’ils ne disposent pas de la lucidité suffisante pour consentir aux soins psychiatriques dont ils ont besoin.
Enfin, et sans trop entrer dans les détails, il importe d’ores et déjà de réfléchir aux futurs personnels d’encadrement infirmiers de ces UHSA. Si ces unités doivent recevoir des détenus hospitalisés sans leur consentement, elles nécessiteront en effet des taux d’encadrement proches de ceux des UMD. Si leur taux d’encadrement est insuffisant, elles ne pourront recevoir que des patients consentants ou ceux dont les troubles ne comportent pas de débordements comportementaux bruyants. Mais dans ce cas, pour les patients présentant un potentiel de dangerosité psychiatrique, les psychiatres des SMPR n’auront d’autres alternatives que de continuer à faire appel aux UMD dont les capacités d’accueil risquent pourtant de stagner si leurs crédits de développement sont en concurrence avec ceux des UHSA. Enfin, le rôle du personnel pénitentiaire des futurs UHSA pose question. Ces agents pourront-ils se cantonner à un rôle de surveillance périmétrique si les taux d’encadrement infirmier sont insuffisants au regard de la gravité des pathologies rencontrées.

La nécessité de réformes en profondeur
La présence sans cesse croissante de malades mentaux dans les prisons exige beaucoup plus de notre société qu’un simple renforcement des moyens de la psychiatrie en milieu pénitentiaire, renforcement dont on a vu qu’il pouvait avoir des effets pernicieux. Elle exige que l’ensemble des paramètres soit analysé, non seulement au regard de la psychopathologie et de la justice, mais aussi au regard de l’éthique. Bref, elle nécessite beaucoup plus que des adaptations, elle nécessite des réformes profondes.
L’offre générale de soins de la psychiatrie de secteur public doit être complétée par des unités plus « contenantes » et plus sécurisées, sur le modèle des UMD dont il est urgent d’accroître le nombre de lits.
L’évaluation psychiatrique initiale des personnes détenues, telle qu’elle est pratiquée dans les expertises pénales présentencielles et dans les examens de garde à vue, doit être optimisée puisque la majorité des personnes détenues ne bénéficie d’aucune expertise psychiatrique et que, parmi ceux qui en bénéficient, beaucoup subissent les effets délétères du deuxième alinéa de l’article 122-1.

Evolution de la prise en charge de la santé mentale des personnes détenues, dix ans après la loi
Catherine Paulet,
psychiatre, praticien hospitalier, chef de service du SMPR de Marseille

La loi du 18 janvier 1994 est une réforme d’importance. Le dispositif législatif et réglementaire, initié pour la psychiatrie en 1985 avec la loi sur le secteur psychiatrique et développé en 1994, a clairement intégré le soin aux personnes détenues comme une mission hautement prioritaire de service public hospitalier. C’est un modèle pertinent et performant que nos voisins européens nous envient et dont ils s’inspirent (Norvège, Italie, Belgique, Luxembourg...). Ils saluent particulièrement l’intérêt du transfert de compétences « Justice-Santé » tant pour les patients (intégration dans le dispositif de la population générale) que pour les soignants (indépendance technique et statutaire).

Un dispositif de soin psychiatrique spécifique plus performant mais encore insuffisant
Nous soignons plus et mieux qu’il y a dix ans mais les moyens attribués sont encore insuffisants pour répondre aux ambitions de la réforme et à l’ampleur des besoins, particulièrement dans les établissements pour peine et les établissements dépourvus de SMPR. La spécificité du milieu pénitentiaire et du travail psychiatrique qui s’y accomplit a entraîné le développement de dispositifs spécifiques performants :
• prises en charge intensives et/ou spécifiques dans les SMPR des 26 secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire ;
• équipes psychiatriques des secteurs de psychiatrie générale dévolues à la prise en charge des personnes détenues ;
• consultations post-pénales ;
• et, bientôt, les unités d’hospitalisation spécialement aménagées (UHSA) pour l’hospitalisation psychiatrique (libre et sous contrainte) des personnes détenues dans l’enceinte de l’hôpital : UHSA dont on peut espérer - si leur nombre et leurs moyens sont suffisants et si le travail d’articulation est le maître mot de leur projet médical - qu’elles amélioreront sensiblement les conditions d’hospitalisation qui sont actuellement déplorables.

Une morbidité psychiatrique de la population pénale en constante augmentation
Mais dans le même temps, voire en contre-partie, nous constatons une augmentation sensible du nombre de personnes incarcérées souffrant de troubles mentaux sévères. Les premiers résultats de l’enquête épidémiologique DGS/Dap conduite par les professeurs Bruno Falissard et Frédéric Rouillon vont d’ailleurs bien au-delà des chiffres des enquêtes dont nous disposions jusqu’à présent. Ainsi, le chiffre de 40 % de troubles dépressifs et le taux de 14 % de psychoses avérées (dont 7 % de schizophrénies) sont extrêmement préoccupants. Le phénomène ne saurait se résumer au principe des vases communicants (l’hôpital psychiatrique qui se vide tandis que la prison se remplit). Il est évidemment beaucoup plus complexe et met en jeu plusieurs phénomènes :
• une responsabilisation pénale accrue des malades mentaux par l’articulation de trois théories intellectuellement séduisantes mais dont l’application est critique sur le plan éthique : - la thèse de la citoyenneté, de l’appartenance de tout un chacun, fût-il malade mental, à la communauté des Hommes, - la théorie psychanalytique du « Sujet » auteur de ses actes, mais dont les ressorts et les déterminants sont pour partie inconscients, - la thèse du procès qui fait sens - parole publique et inscription dans la réalité commune - et qui, selon D. Salas, « rétablit le fil, déchiré par le crime, de la relation entre la victime et l’auteur » ;
• un élargissement des missions de la psychiatrie vers le champ de la santé mentale (« qui trop embrasse mal étreint ? ») ;
• une évolution de la clinique psychiatrique proprement dite : nombre de patients psychotiques ou « états limites » recourent aujourd’hui aux béquilles identitaires de l’air du temps : conduites addictives, conduites délinquantes ;
• une moindre tolérance de la société, y compris des soignants (et pas seulement parce qu’ils manquent de moyens) vis-à-vis de l’expression violente et comportementale de la pathologie mentale ;
• une focalisation sur les notions de prévention des risques et de prédiction des comportements.

Un risque ségrégatif à éviter
Sommes-nous victimes de notre succès ? La prison devient-elle une « alternative », un instrument privilégié de régulation des troubles psychiatriques ? Nous sommes à cet égard à la croisée des chemins et il n’y a qu’un pas à franchir pour passer d’une filière spécifique à une filière ségrégative qui mette hors circuit un nombre important de personnes.
La caricature d’un tel risque est incarné dans la figure de la « prison-hôpital », outil ségrégatif par excellence, qui irait à l’encontre de l’esprit même de la réforme : une politique intégrative fondée sur l’idée du soin de proximité, sur la mixité des publics et la réinsertion, et non pas sur le fantasme de neutralisation et/ou d’élimination. Du reste, et d’une voix unanime, les professionnels de psychiatrie sont fermement opposés à une telle éventualité, évoquée ici et là comme une « fausse bonne solution » à un problème qui ne se résout pas en posant la question de l’aval mais bien celle de l’amont. D’ailleurs, les hôpitaux psychiatrico-judiciaires italiens et les instituts de défense sociale belges, qui en seraient le modèle, sont régulièrement dénoncés (notamment par le Comité européen pour la prévention de la torture) pour être des lieux de relégation et de non-droit, exempts de démarche thérapeutique. L’enjeu est d’importance et nous devons ouvrir un vrai débat de société sur la place des personnes souffrant de maladies mentales.

L’impact de la politique pénale et pénitentiaire sur la santé mentale
La place de la psychiatrie en prison pose nécessairement la question de « l’amont et de l’aval ». La psychiatrie en prison est évidemment en lien étroit avec la psychiatrie du milieu libre dont elle est indissociable. Toute une partie du travail avec un patient détenu est un travail de préparation à la sortie et d’organisation des relais. Mais, bien sûr, on ne peut pas envisager un relais cohérent à la libération si, en aval de l’incarcération, les relais sanitaires et sociaux sont inexistants ou réticents à prendre en charge les patients sortants de prison. De même, si, en amont, les moyens du soin sont insuffisants et si les professionnels se désengagent vis-à-vis des patients difficiles à soigner, le nombre de détenus souffrant de troubles mentaux ne peut que croître.
La psychiatrie en prison est également en lien (indirect mais prégnant) avec la politique pénale et la politique pénitentiaire. Si les conditions de détention sont mauvaises ou indignes, si les alternatives à l’incarcération et les aménagements de peine sont inexistants, si les peines sont démesurées, alors la psychiatrie en prison n’est pas soignante, elle est au mieux palliative.

Une identité professionnelle plus assurée qui permet un meilleur travail en partenariat
Le maître mot du soin en prison, et singulièrement du soin psychiatrique, est « articulation ». Dans la prison, l’équipe psychiatrique est généralement un partenaire de choix, fortement sollicité et à l’égard duquel les attentes sont fortes, à commencer par celles des patients. On parle souvent de la difficulté de communication et d’articulation des équipes de soins avec les
Colloque « Santé en prison » - Dix ans après la loi : quelle évolution dans la prise en charge des personnes détenues ?
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professionnels et les intervenants pénitentiaires ou judiciaires. Cela reste vrai, même si la situation a évolué en dix ans (on peine souvent à le reconnaître). Dans les prisons, les personnels pénitentiaires et sanitaires ont appris à se connaître et à se reconnaître. L’ajustement de la position de soignant en prison est un exercice passionnant qui exige de la rigueur et une aptitude à la sérénité. Il est possible d’esquisser quelques lignes de conduite :
• toujours rester à l’écoute du patient et le mettre au centre du dispositif qui le concerne (le solliciter et entendre sa parole) ;
• établir avec le patient une relation thérapeutique fondée sur la confiance et la confidence, ce qui suppose la confidentialité des échanges. Ce principe de confidentialité n’exclut pas cependant d’échanger une information pertinente avec d’autres professionnels (ou intervenants), dès lors que le patient en a été informé et qu’il a donné son accord ;
• expliquer aux différents partenaires le rôle et les limites du soin et rappeler que le médecin traitant n’a pas un rôle d’expert ;
• occuper sa place de soignant et pas celle de l’autre (surveillant, conseiller d’insertion et de probation, avocat, juge...) sans pour autant la méconnaître.
Il reste encore beaucoup à faire en matière de communication et d’articulation, mais dès lors que les professionnels ont une identité professionnelle assurée et affirmée, sans confusion des rôles et des registres, un réel travail de partenariat peut se mettre en place.

On peut citer à titre d’exemples :
1) les commissions pluriprofessionnelles qui se sont parfois développées dans les établissements pénitentiaires en réponse à des injonctions (correspondant le plus souvent à un besoin réel) d’établir des relations de travail et des modalités de fonctionnement articulées. Un bon exemple en est la prévention du suicide ;
2) la pratique de formations continues multicatégorielles - qui contribuent, au-delà de la base de connaissances communes, à permettre un échange sur les métiers et leurs limites techniques et déontologiques - est propice au dépassement des idées reçues et des clivages.

Les obstacles à la continuité des soins en santé mentale
Luc Montuclar
Médecin, Ucsa des Hauts-de-Seine

La prison constitue à plusieurs titres un milieu spécifique pour l’exercice de la médecine. Outre une influence directe sur le cadre de soin, l’incarcération génère une symptomatologie réactionnelle importante diminuant la spécificité des explorations complémentaires et rendant le diagnostic plus difficile. Par ailleurs, les patients sont parfois tentés d’utiliser leurs symptômes pour influencer le système carcéral à leur bénéfice. Dans ce contexte, la présence au sein des Ucsa de psychiatres entraînés à exercer dans ce contexte est fondamentale.

Les SMPR : un outil important aux moyens insuffisants
De même, la possibilité d’orienter les patients dans un lieu adapté à la prise en charge de leur pathologie est nécessaire. À ce titre, le système actuel n’est pas optimal, notamment en raison d’un nombre de lits insuffisant dans les SMPR pour accueillir les patients. Concernant les soins offerts, ils correspondent le plus souvent à une hospitalisation de jour qui n’est pas adaptée aux patients suicidaires puisque le cadre légal n’autorise pas à prendre en charge les patients sans leur consentement aux soins. Dans ces conditions, il n’y a souvent pas d’autre possibilité que de recourir à des hospitalisations d’office. Celles-ci sont généralement courtes et n’ont le plus souvent pour effet que de pallier une crise aiguë, sans perspective de prise en charge prolongée de pathologies chroniques parfois mal acceptées en détention par les autres détenus et mal comprises par les surveillants pénitentiaires. Ces insuffisances dans la prise en charge médicale peuvent conduire au placement du patient à l’abri des autres détenus - au quartier d’isolement - où la perte prolongée de repères sociaux laisse présager bien des difficultés de réinsertion, entre autres.

Le stigmate : un obstacle à la prise en charge
La présence de ces patients en prison n’est pas sans interroger la politique de fermeture de lits de long séjour en psychiatrie. De la même façon, on s’étonne parfois d’observer des états délirants de patients ayant été jugés responsables et condamnés en comparution immédiate, sans que ces signes aient été relevés ou signalés lors de l’incarcération. La faible tolérance sociale à la pathologie mentale et à ses éventuelles conséquences médico-légales ne peut suffire à faire de l’incarcération de ces patients une solution satisfaisante. Elle ne constitue souvent qu’une parenthèse dont le sens reste parfois inaccessible au patient détenu. En outre, elle tend à rendre encore plus complexe la prise en charge sociale de la personne qui se trouve dès lors affligée du double stigmate de la délinquance et de la maladie mentale. Une plus grande sensibilisation des différents intervenants du système judiciaire (médecin légiste compris) au repérage de telles pathologies est donc souhaitable. De même, l’évolution du système d’hospitalisation vers la création de structures permettant des soins prolongés et une réelle préparation à la sortie de ces patients, apparaît nécessaire. L’intégration de telles structures au sein d’établissements hospitaliers permettrait, en plus d’offrir une meilleure continuité des soins à la sortie, de privilégier le statut de patient pour une population déjà fortement stigmatisée.

Notes:

[1Cette étude a répondu aux exigences de la loi Huriet sur la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales et a reçu un avis favorable d’un comité consultatif de protection des personnes dans les recherches biomédicales (CCPPRB). Toutes les procédures de respect des personnes (demande et recueil du consentement des personnes détenues, procédure de signalement aux équipes sanitaires intervenant en milieu carcéral) ont été scrupuleusement respectées