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6 Les discriminations d’accès à l’emploi

Mise en ligne : 7 mai 2012

Dernière modification : 9 mai 2012

Texte de l'article :

6. Les discriminations d’accès à l’emploi

Parallèlement à la fonction judiciaire d’information liée au prononcé et à l’exécution des sanctions, le casier judiciaire national exerce une fonction sociale de divulgation du passé pénal par la communication du bulletin n°2 à certaines administrations et organes habilités, et du bulletin n° 3 aux employeurs du secteur privé dès lors qu’ils en font la demande auprès de l’intéressé.

6.1 L’accès aux fonctions publiques

Le fonctionnaire incarne traditionnellement les valeurs essentielles du service public. Il doit donc être choisi non seulement au regard de ses mérites mais aussi compte tenu des divers éléments qui forment sa personnalité. L’ancien statut de 1959 imposait en ce sens le recrutement de fonctionnaires d’Etat de "bonne moralité".

Aujourd’hui, l’article 5-3 de la loi du 13 juillet 1983, relative aux droits et obligations des fonctionnaires, dispose que les mentions du bulletin n°2 du casier judiciaire doivent être compatibles avec l’exercice des fonctions. La suppression de la condition de bonne moralité, et son remplacement par l’exigence d’une simple compatibilité des mentions portées au bulletin n°2 du casier judiciaire avec l’exercice des fonctions exprime une volonté de mieux encadrer les pouvoirs de l’administration. Cette évolution peut être comprise comme déterminant, de façon restrictive et objective, ce que doit être le mode d’appréciation de la moralité et de l’honorabilité des candidats.

Les mentions portées au bulletin n°2 du casier judiciaire constituent, bien sûr, la première référence à partir de laquelle l’autorité compétente se prononce. La seule présence de condamnations inscrites au bulletin n’exclut pas l’accès à la fonction publique. Encore faut-il, comme l’impose la loi, que les infractions sanctionnées soient incompatibles avec l’exercice des futures fonctions.

Les garanties offertes par un candidat à un emploi public ne sauraient toutefois être identifiées au seul vu du casier judiciaire. L’ensemble des éléments constitutifs du passé pénal de la personne peut être pris en considération. Ainsi, l’autorité administrative peut tenir compte des faits à l’origine d’une condamnation dont le juge pénal a décidé qu’elle ne serait pas inscrite au casier judiciaire ou qui aurait été effacée du casier (CE 13 octobre 1989). De la même façon, le prononcé d’un non-lieu est indifférent, dès lors, bien sûr, que la matérialité des faits qui avaient donné lieu à poursuite est établie (CE 14 novembre 1980, Ministère de la Défense c/ Tricard). L’appréciation à laquelle se livre l’autorité administrative pour déterminer si le comportement antérieur d’un candidat justifie un refus d’accès à la fonction publique est donc indépendante de celle portée par les autorités judiciaires. Le juge admet de façon constante que l’administration puisse se fonder sur tous les faits simplement portés à sa connaissance, sans qu’ils aient fait nécessairement l’objet d’une enquête diligentée dans le cadre d’une procédure judiciaire.

La nature des faits et leur gravité constituent les principaux critères d’appréciation de la moralité des candidats. La gravité des faits est d’abord déterminée par le contenu des agissements. Toutes les formes de comportement qui représentent un trouble important à l’ordre social, en particulier le vol et la conduite en état d’ivresse, qui sont les faits les plus souvent retenus par l’administration, sont susceptibles d’interdire l’accès à des fonctions de défense ou de sécurité.

L’ancienneté des faits est aussi un critère d’appréciation mais, là encore, au regard de l’ensemble des circonstances du dossier, notamment du niveau de responsabilité de l’agent (par exemple inscription au concours de gardien de la paix ou à celui de commissaire de police).

Le niveau d’exigence de l’administration est naturellement fonction de la nature de l’emploi ouvert au recrutement.
En pratique, dans l’examen des dossiers des candidats à une fonction publique, l’administration :
- peut pousser son examen au-delà des seules mentions inscrites au casier judiciaire
- peut même, pour estimer que le candidat ne présente pas des garanties suffisantes pour l’exercice des fonctions auxquelles il postule, se fonder sur des faits qui n’ont pas donné lieu à une condamnation pénale
- permet à l’autorité administrative de mener des enquêtes sur le candidat s’agissant d’un certain nombre d’emplois de souveraineté, l’article 17-1 de la loi du 21 janvier 1995.
Le juge administratif exerce un contrôle entier sur l’appréciation ainsi portée par l’administration.

Tous ces critères comportent une part importante de subjectivité et empêchent trop souvent les candidats d’accéder aux emplois dans la fonction publique. Ban Public estime que le secteur public a une mission d’aide à la réinsertion et doit servir comme levier d’intégration ou de réintégration sociale. Il doit donc tenir compte des compétences des candidats et non de leur passé pénal.

Témoignage de Sébastien
Sébastien, embauché à la ville de Paris en 2002, titularisé en janvier 2004. Il a été incarcéré le 28 mai 2004 et libéré le 16 novembre 2004.
Le procès a eu lieu en mai 2005, la condamnation a été de 18 mois dont 12 avec sursis et surtout sans inscription au bulletin n° 2.
Il est donc sorti le 16 novembre 2004 et a repris son travail le 18 novembre 2004, c’est à dire 48H00 après avoir été libéré. Il a près de 4 ans d’ancienneté à la mairie de Paris.
Le 14 mai 2006, 18 mois après sa reprise de travail, la mairie de Paris a décidé de le révoquer après passage en conseil de discipline, sous le motif de sa condamnation, alors qu’il n’y a aucune inscription au bulletin n° 2.

Conseil d’Etat
le Conseil d’Etat (CE 25/10/2004) reconnaît la légalité du refus préfectoral d’agréer une candidature au concours d’agent de surveillance, chargé notamment d’assurer le contrôle du stationnement payant sur la voie publique aux motifs que :" la requérante a commis des faits de vol à l’étalage dans un centre commercial en juillet 1996", alors même que ces faits avaient été classés sans suite et qu’ils n’avaient pas été inscrits au bulletin n° 2 du casier judiciaire, un tel comportement étant jugé incompatible avec l’exercice de cette fonction.

6.2 L’accès aux emplois privés.

L’accès à l’emploi n’est pas seulement difficile dans le secteur public, il existe aussi de nombreux empêchements pour accéder aux emplois privés, et plus particulièrement à certaines professions.

a) L’accès aux professions commerciales ou industrielles

Ordonnance n° 2005-428 du 6 mai 2005, relative aux incapacités en matière commerciale et à la publicité du régime matrimonial des commerçants :

Art. L. 128-1. -
"Nul ne peut, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, entreprendre l’exercice d’une profession commerciale ou industrielle, diriger, administrer, gérer ou contrôler, à un titre quelconque, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale s’il a fait l’objet depuis moins de dix ans d’une condamnation définitive :
"1° Pour crime ;
"2° A une peine d’au moins trois mois d’emprisonnement sans sursis (pour de nombreux délits listés dans la loi).
Article 2. -
"Les personnes exerçant une profession ou activité mentionnée à l’article L. 128-1 du code de commerce qui, antérieurement à l’entrée en vigueur de la présente ordonnance, ont été condamnées pour des faits énoncés par les articles L. 128-1 et L. 128-3 du même code dans leur rédaction issue de la présente ordonnance sont frappées, à compter de la date de publication de cette dernière, d’une incapacité d’exercer.
"Toutefois, ces personnes peuvent, dans un délai de trois mois suivant la date de publication de l’ordonnance, demander à la juridiction qui les a condamnées ou, en cas de pluralité de condamnation, à la dernière juridiction qui a statué, soit de les relever de l’incapacité dont elles sont frappées, soit d’en déterminer la durée. Les personnes qui font usage de ce droit peuvent exercer leur profession ou activité jusqu’à ce qu’il ait été statué sur leur demande."
Voir également la loi du 30 août 1947 relative à l’assainissement des professions commerciales.

b) Les autres professions

Aucune interdiction à la production du bulletin n° 3 n’existe. Les textes n’interdisent pas à l’employeur du secteur privé de demander, lors de l’embauche, la production du bulletin n° 3 du casier judiciaire, extrait délivré uniquement à l’intéressé lui-même.

L’article L.122-45 du Code du travail, modifié par l’article 164 de la loi nº 2002-73 du 17 janvier 2002 sur la modernisation sociale et par l’article 4 III de la loi nº 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, prévoit une liste de discriminations sur lesquelles l’employeur ne peut se fonder pour refuser un candidat à l’emploi, à savoir :

"Aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise en raison de son origine, son sexe, ses mœurs, son orientation sexuelle, son âge, ses caractéristiques génétiques, son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, ses opinions politiques, ses activités syndicales ou mutualistes, ses convictions religieuses, son apparence physique, son patronyme ou sa situation de famille, son état de santé ou son handicap."

Lors du recrutement (donc de la sélection), l’employeur va être amené à demander aux candidat(e)s à un emploi divers renseignements, à leur faire remplir des questionnaires d’embauche et à leur réclamer un certain nombre de documents.

La seule protection qui pourrait bénéficier alors aux ancien(ne)s prisonnier(e)s repose sur les dispositions de l’article L121-6 du Code du travail qui pose les principes suivants :

"Les informations demandées, sous quelque forme que ce soit, au candidat à un emploi ou à un salarié ne peuvent avoir comme finalité que d’apprécier sa capacité à occuper l’emploi proposé ou ses aptitudes professionnelles. Ces informations doivent présenter un lien direct et nécessaire avec l’emploi proposé ou avec l’évaluation des aptitudes professionnelles. Le candidat à un emploi ou le salarié est tenu d’y répondre de bonne foi."
Et si le(la) candidat(e) omet de mentionner ses antécédents judiciaires ? Dans un arrêt rendu le 25 avril 1990, la Chambre Sociale de la Cour de cassation a admis que, lors de son embauche, un salarié engagé en qualité de veilleur de nuit n’a pas l’obligation de faire mention d’une condamnation pénale antérieure. Les juges du fond en déduisent justement que le silence gardé par l’intéressé sur ses antécédents judiciaires n’a pas de caractère dolosif et que le licenciement fondé sur cet élément ne procède pas d’une cause réelle et sérieuse.
C’est, au contraire, à l’employeur de se renseigner sur le passé des candidats qu’il engage, ce qu’il fait généralement, lorsqu’il effectue des enquêtes sur les candidats à l’aide d’un questionnaire.
Dans ces circonstances, l’abstention intentionnelle du candidat n’est plus constitutive d’une faute.
Dans le cas de l’arrêt de la Chambre Sociale, si l’employeur avait demandé à l’intéressé de fournir un extrait de casier judiciaire, il n’aurait pas été informé des antécédents judiciaires du candidat dans la mesure où les condamnations avec sursis ne figurent pas sur le bulletin n° 3.
Dès lors, sauf à respecter les principes posés par cet article, rien n’interdit théoriquement à tout employeur d’exiger la communication par le candidat du bulletin n° 3 de son casier judiciaire. Ici encore, il sera vérifié qu’il n’y a pas d’incompatibilité de la condamnation avec l’exercice de la fonction pour laquelle l’ancien(ne) détenue postule.

Le secteur privé, dans une certaine mesure, ne favorise pas lui non plus, à l’instar du secteur public, la réintégration des personnes libérées. Pourquoi ne pas réglementer ou prohiber certains moyens d’investigation utilisés par les employeurs ?

6.3 Les dispositions spécifiques à certains emplois

Il existe par ailleurs des dispositions spécifiques pour accéder à certaines professions dont le passé pénal du candidat est érigé comme condition d’accès à l’embauche (banque, assurance, sécurité...). En voici quelques unes :

- gérant ou administrateur d’une société après faillite ou banqueroute, décret-loi du 8 août 1935 relatif à la déchéance
- personnel des banques, article 18 de la convention collective nationale du personnel des banques (prévoit la production systématique d’un extrait de casier judiciaire par les candidats)
- agent d’affaires, loi du 28 septembre 1942
- personnel de surveillance privée, gardiennage et sécurité, loi du 12 août 83 (interdiction aux entreprises de sécurité de recruter des salariés ayant fait l’objet d’une condamnation à une peine correctionnelle ou à une peine criminelle inscrite au bulletin n°2 du casier judiciaire)
- personnel ayant une activité de contrôle des établissements de crédit, loi du 24 janvier 1984
- exploitant d’un débit de boissons, code de la santé publique
- responsables d’établissement, auxiliaires médicaux, code de la santé publique
- directeur(trice) d’établissement d’accueil des personnes âgées, code de l’action sociale et des familles (322-5 )
- création et gestion de sociétés civiles immobilières, code construction L. 241-3
- agent de change, courtier, code des douanes, article 432
- commerçant d’armes, décret du 6 mai 1995 sur les armes
- formateur à la circulation routière, code de la route, article R. 212-4
- bouquiniste sur les quais de Seine (obligation de fournir un extrait du casier judiciaire de moins de 3 mois)
- gérant d’une activité commerciale (déclaration obligatoire de non condamnation)
- journaliste (obligation de fournir un extrait du casier judiciaire de moins de 3 mois)
- professeur de danse dans un cadre éducatif, article L362-5 code de l’éducation
- direction ou fonctions didactiques supposant, même occasionnellement, la présence physique du maître dans les lieux où l’enseignement est reçu dans un organisme privé d’enseignement à distance, article L444-6 code de l’éducation
- personnel d’enseignement supérieur privé, article L731-7 code de l’éducation (incapacité d’ouvrir un cours et de remplir les fonctions d’administrateur ou de professeur)
- membre d’un conseil des établissements publics d’enseignement supérieur, article L762-1 code de l’éducation
- directeur ou employé d’un établissement d’enseignement du premier et du second degré ou établissement d’enseignement technique, qu’il soit public ou privé, article L911-5 du code de l’éducation : (impossibilité d’en diriger un, d’y être employé(e), à quelque titre que ce soit)
- pompier volontaire : jouir de ses droits civiques, ne pas avoir fait l’objet d’une peine afflictive ou infamante inscrite à son casier judiciaire, et s’engager à exercer son activité avec obéissance, discrétion et responsabilité dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, Fédération Nationale des Sapeurs pompiers, J.O. N° 288 du 12 Décembre 1999 page 18514, décret n° 99-1039 du 10 décembre 1999 relatif aux sapeurs-pompiers volontaires
- pompier professionnel : conditions générales d’accès à la fonction publique, jouir de ses droits civiques
- architecte : inscription obligatoire à l’Ordre des Architectes pour les architectes (obligation de fournir un extrait du casier judiciaire de moins de 3 mois)
- expert comptable : inscription obligatoire à l’Ordre des Experts Comptables pour les experts comptables diplômés donnant le droit d’exercer sa profession à titre libéral (obligation de fournir un extrait du casier judiciaire de moins de 3 mois)

- personnes salariées dans des associations relevant du domaine culturel, éducatif ou social et intervenant auprès de mineurs ; la personne qui recrute peut demander un extrait de casier judiciaire, le "B2". La liste des structures autorisées à demander ce bulletin est fixée par le décret n°2007-417du 23 mars 2007.

 

L’employeur peut être amené à demander une copie du bulletin n° 3 du casier judiciaire aux candidats lorsque l’emploi à pourvoir, par exemple manipulation de fonds, est susceptible de le légitimer.
En outre, toute inscription à un ordre professionnel (architecte, dentiste, vétérinaire, avocat...) exige la remise du casier judiciaire n° 3.
D’autre part, le code du travail prévoit certaines interdictions en relation avec des infractions au droit du travail.

Témoignage : la profession d’avocat
Christian LAPLANCHE, ex-braqueur, condamné en 1981 à 5 ans d’emprisonnement avec sursis alors qu’il était tout juste majeur. Le Conseil de l’Ordre de Nîmes avait refusé en 2003 son inscription au Tableau estimant qu’il ne remplissait pas les conditions d’honneur et de probité indispensables à la profession d’Avocat.
Pour s’inscrire à un Barreau, il est impératif de fournir le bulletin n° 3 afin de vérifier que les candidats remplissent bien les conditions relatives à la moralité et à l’honorabilité posées par l’article 11 de la Loi du 31 décembre 1971.
Monsieur LAPLANCHE a fait appel de cette décision et la Cour d’Appel de Nîmes lui a donné gain de cause. Elle a en effet estimé que le Barreau de Nîmes s’était fondé sur une enquête diligentée par le Procureur Général, dont le seul élément défavorable est l’existence d’une condamnation à 5 ans d’emprisonnement avec sursis prononcée pour des faits commis plus de 20 ans auparavant, alors que l’appelant était tout juste majeur.
Non seulement Monsieur LAPLANCHE n’a jamais été condamné depuis, mais il a effectué un parcours remarquable donnant ainsi des gages de sa réintégration sociale plus que suffisants.
Dans ces conditions, il a montré qu’il remplissait indiscutablement les conditions d’honneur et de probité exigées pour exercer la profession d’avocat.