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6 Les auteurs et la prison

Mise en ligne : 23 novembre 2004

Texte de l'article :

La prison en prose

Des hommes et la prison

"L’action de l’intellectuel est de démystifier : il s’agit, pour lui, d’évaluer, de mettre en évidence le décalage existant entre les valeurs reconnues pour décisives par la "société globale" &emdash ; c’est-à-dire par l’ordre dominant &emdash ; et leur réalisation juridique, administrative et sociale. Il s’agit de développer, par la parole et par l’écrit, une critique de la réalité existante et cela au nom de la liberté." 

LE CARAVAGE

Le CARAVAGE (1571-1610)

Il ne se passe pas d’année sans que Caravage soit mêlé à quelque affaire équivoque ou sans qu’il ait une histoire grave avec la police. En 1605, il purge une peine de prison ; à sa libération, il blesse un homme et pour échapper aux poursuites il se réfugie à Gênes. Mais cette vie de violence ne l’empêche pas de peindre de nombreux chefs-d’œuvre (Bacchus, La Diseuse de bonne aventure...).

DIDEROT (1713-1784)

"On n’est point toujours une bête pour l’avoir été quelquefois" (Les Bijoux indiscrets)

En avril 1749, il publie sa Lettre sur les aveugles dans laquelle il affirme son athéisme. Le 24 juillet, il est jeté en prison à Vincennes. Diderot résiste mal à la prison : il flanche, il trahit ; quand il en sort, le 3 novembre, il est brisé et ne publiera plus qu’avec les ruses d’un Jacques fataliste.

BEAUMARCHAIS (1732-1799)

"Pourvu que je ne parle en mes écrits ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, [...], ni de personnes qui tiennent à quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l’inspection de deux ou trois censeurs." (Le mariage de Figaro)

Une méchante affaire de femme avec le duc de Chaulnes le conduit en prison. Beaumarchais se débat et publie des Mémoires justificatifs où éclatent ses talents de rhéteur et son intelligence précise. Ce sont des textes travaillés à la manière de Voltaire, mais avec un humour et un sens de l’émotion qui n’appartiennent qu’à leur auteur et entraînent la conviction.

SADE (1740-1814)

"Toute espèce de chaîne est une folie, tout lien est un attentat à la liberté physique dont nous jouissons sur la surface du globe" (Juliette)

C’est en 1763 que Sade inaugure ce qui sera une constante de son existence : la prison. Il est enfermé à Vincennes. Des épisodes de son libertinage seront montés en épingle par ses adversaires pour justifier son emprisonnement presque continu. Après Vincennes, Sade connut ensuite les prisons de Saumur, de Pierre-Encise, près de Lyon, et de la Conciergerie.

En 1772, à la suite d’un nouveau scandale qui a éclaté à Marseille, il est arrêté par ordre du roi de Sardaigne et conduit au fort de Miolans, dont il s’évade en mai 1773. En février 1777 une lettre de dénonciation le fit emprisonner au donjon de Vincennes, où il resta presque sans interruption jusqu’en 1784. De là, il fut transféré à la Bastille (il y écrivit Les Cent Vingt Journées de Sodome , Aline et Valcour , Les Infortunes de la vertu , première version des Justine ), puis à Charenton pour avoir tenté d’ameuter la foule en criant qu’on allait égorger les prisonniers de la Bastille. La Révolution libéra Sade ; mais il fut de nouveau emprisonné en décembre 1793

MÉRIMÉE (1803-1870)

"Ce qui est crime dans un état de civilisation perfectionné n’est qu’un trait d’audace dans un état de civilisation moins avancé, et peut-être est-ce une action louable dans un temps de barbarie" (Chronique du temps de Charles IX)

Dans sa jeunesse, il se battait avec les maris outragés. Mais il savait, à l’occasion, les défendre. En 1852, il a été condamné à quinze jours de prison pour avoir "diffamé" la justice qui venait de s’en prendre à l’un de ces maris, un "libéral". Le ministère auquel Mérimée appartenait alors, lui avait accordé quinze jours de congé pour qu’il pût purger sa peine sans avoir d’ennuis avec l’administration.

DAUMIER (1808-1879)

La publication, en décembre 1831 et août 1832, de deux superbes lithographies stigmatisant les vices de la monarchie de Louis-Philippe, Gargantua et La Cour du roi Pétaud , valut à l’artiste de comparaître devant la cour d’assises et d’être incarcéré six mois.

Cette expérience marque un tournant dans la vie de Daumier. Les affres du procès et de la détention semblent avoir réveillé en lui un fond de pessimisme, sans toutefois entamer sa verve et son humour. 

ZOLA (1840-1902)

"Une société n’est forte que lorsqu’elle met la vérité sous la grande lumière du soleil." (Correspondance)

Les dernières années de Zola sont dominées par l’affaire Dreyfus et ses contrecoups. L’article publié dans L’Aurore sous le titre "J’accuse...!" déclenche une campagne d’où surgiront la cassation du procès de 1894, mais aussi la condamnation de Zola à un an de prison, et son exil à Londres, du 8 juillet 1898 au 5 juin 1899. 

APOLLINAIRE (1880-1918)

"La joie venait toujours après la peine." (Le Pont Mirabeau)

Une suite d’incidents consécutifs au vol de La Joconde , au Louvre, entraîne son incarcération à la prison de la Santé sous l’inculpation de recel. Il sortira de cette épreuve mis hors de cause, et cependant bouleversé.

DESNOS (1900-1945)

"Les disciples de la lumière n’ont jamais inventé que des ténèbres peu opaques." (Corps et bien)

En 1939, il est mobilisé, puis fait prisonnier. Libéré : il entre bientôt dans la Résistance. En 1942, il publie Fortunes , qui groupe les poèmes écrits entre 1932 et 1937, il est alors membre d’un réseau de renseignements et de l’équipe des éditions de Minuit, fondées par Vercors.

Le 22 février 1944, Robert Desnos est arrêté par la Gestapo. Il est incarcéré à Compiègne, puis à Buchenwald, où il restera plus d’un an.. Le 3 mai 1945 Robert Desnos meurt emporté par la misère, l’épuisement et le typhus.