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(2003) L’organisation des soins en matière de traitements de substitution en milieu carcéral

5 Recommandations

Mise en ligne : 28 août 2006

Texte de l'article :

5 - RECOMMANDATIONS
5-1 : UNE RECOMMANDATION TRANSVERSALE

Une recommandation essentielle : la prescription d’un traitement de substitution n’est pas une fin en soi, mais doit au contraire être considérée comme partie intégrante d’un projet thérapeutique d’ensemble centré sur le patient toxicomane, à savoir : information sur le traitement de substitution, définition des objectifs et des étapes du traitement, évaluation initiale et réévaluation dans le cadre du suivi du traitement, approche sociale et psychologique, anticipation de la sortie avant même la primo-prescription (en particulier dans le cas d’une courte peine). Cette recommandation est partagée par l’ensemble des rapports concernant les soins aux toxicomanes en milieu carcéral et reste la pierre angulaire de toute autre recommandation. Elle n’est d’ailleurs pas spécifique au milieu carcéral et devrait de façon plus générale sous-tendre le suivi de toute personne dépendante aux opiacés pour laquelle l’indication d’un traitement de substitution est posée. [1]

5-2 : LES RECOMMANDATIONS DE LA MISSION
5-2-1 : RECONDUCTION DES TRAITEMENTS DE SUBSTITUTION
5-2-1-1 : prescription authentifiée

Rien ne permet de justifier actuellement qu’un traitement de substitution soit arrêté lors de l’incarcération d’un détenu, s’il a pu être authentifié au moins par téléphone (ou lorsque une ordonnance a pu être présentée en attente de confirmation).
Rappelons que la Loi de 1994 préconise avant tout une égalité de l’accès aux soins entre milieu extérieur et milieu carcéral.
La logique voudrait que la posologie permettant la stabilisation à l’extérieur soit reconduite en milieu carcéral dans le cadre de l’AMM (maximum de 16 mg/j en une prise pour la BHD).
Pour les posologies hors AMM :
 Méthadone :
o les patients dits « métaboliseurs rapides » sont rares et en général connus des CSST. Leur traitement doit être fractionné en 2 prises et les posologies dépassent fréquemment 100 mg.
o Certains autres patients ne peuvent être cliniquement stabilisés qu’à des posologies supérieures à 100 mg. Si le CSST prescripteur confirme la nécessité de ce dépassement, il paraît judicieux de le maintenir moyennant évaluation et attention clinique particulière.
 BHD : le consensus est de s’en tenir à l’AMM, soit 16 mg maximum par jour.

 5-2-1-2 : Prescription non authentifiée
La réponse doit être nuancée lorsque la prescription ne peut être authentifiée, lorsqu’elle est irrégulière, « nomade », ou lorsque les traitements sont obtenus en marge du système de soin (marché noir - tant en milieu libre qu’en détention - dépannage, substitution du copain ou du conjoint plus ou moins régulièrement partagée, etc.).
L’évaluation clinique doit primer, l’expérience montrant que ces situations sont loin d’être exceptionnelles [2], en particulier parmi les patients toxicomanes régulièrement incarcérés.

La prise de décision médicale doit reposer sur :
 l’évaluation clinique (éléments du syndrome de sevrage, habitudes de consommation, résultats des tests urinaires, parcours dans la toxicomanie, connaissance des produits) ;
 l’écoute des besoins du détenu et la formulation de sa demande.
La formalisation d’une prescription peut alors être assimilée à une primo-prescription et envisagée comme telle. Elle devrait donc être associée à un travail d’information et à la mise en place d’un cadre thérapeutique contractuel. Un rendez-vous avec le médecin devra être programmé rapidement après la prescription pour évaluer la posologie avec le patient.
 BHD : lorsque le traitement antérieur était la BHD, une posologie initiale de 2 ou 4 mg en fonction de l’état clinique peut être instaurée à moindre risque. Les symptômes de manque peuvent être quasi-absents si la dernière prise date de moins de 48 heures, ou se réduire à des symptômes psychiques (anxiété, irritabilité, agressivité...). Un cadre élémentaire (prise sublinguale devant un soignant pendant une période minimale d’une à deux semaines) doit permettre d’évaluer les habitudes de prise du traitement, d’informer sur le risque des mésusages, d’établir un lien thérapeutique. Quand cela est techniquement possible, un prélèvement urinaire préalable peut être fait à la recherche de BHD mais aussi d’autres toxiques (et médicaments) afin de prendre un « cliché » des consommations précédant directement l’incarcération, de façon à mieux évaluer la réponse thérapeutique.
 Méthadone : une substitution « sauvage » et régulière par méthadone est plus rare [3].
Si l’indication est posée, la posologie initiale sera prudente (? 30-40 mg), d’autant plus si la dernière prise est éloignée et le patient éventuellement imprégné par d’autres substances psychoactives (en particulier benzodiazépines prescrites en garde à vue).
La perspective du relais post pénal doit être envisagée dès la première prescription, comme dans le cas d’une primo prescription. Un prélèvement urinaire préalable authentifiera la prise de méthadone.

5-2-1-3 : Situation particulière des centres de détention et des centrales
Aucun argument ne permet de justifier en CD ou centrale l’arrêt d’un traitement de substitution préexistant en maison d’arrêt, même si un débat peut être ouvert sur leur sens au cours d’une longue peine. Il n’y pas de raison que le rapport toxicomaniaque ou toxicophilique aux substances psychoactives s’arrête aux portes d’un établissement pour peine et la perméabilité de ces derniers ne permet pas de garantir un espace sans toxique. Rappelons que sur les 12 établissements sur 22 dans lesquels les équipes sanitaires ont connaissance de pratiques d’injections, 4 sont des établissements pour peine (avec un total de 6 établissements pour peine visités).
Le repérage par les autres détenus du va et vient quotidien pour la prise du traitement de substitution est sans doute un élément dissuasif pour qui sait devoir gérer une coexistence confinée avec les mêmes autres co-détenus pendant plusieurs années. La question de la confidentialité et de sa gestion est sans doute encore plus à travailler en Centre de Détention et Centrale qu’en maison d’arrêt.

5-2-2 : INITIATION DES TRAITEMENTS DE SUBSTITUTION
Le contexte carcéral doit être regardé comme un moment particulièrement propice à l’instauration d’un traitement de substitution (sevrage imposé, proximité d’équipes de soins, démarche de soin souvent fortement suggérée par les magistrats). En outre, BHD (tout médecin) et Méthadone (tout Praticien des Etablissements Publics de Santé depuis la circulaire DGS/DHOS n° 2002/57 du 30 janvier 2002) peuvent être initiées dans tout établissement pénitentiaire.
Les indications restent les mêmes qu’à l’extérieur.
Il faut tenir compte en plus de la circonstance de sevrage imposé que représente l’incarcération et de l’importance à anticiper la sortie afin d’éviter le retour aux consommations habituelles.
Insistons cependant sur l’absolue nécessité de formaliser chaque fois un réel projet thérapeutique incluant information, évaluation, définition claire entre le médecin et le patient des objectifs et des étapes du traitement, ajustement thérapeutique, suivi et accompagnement.
Cette nécessité est d’autant plus importante que le traitement sera initié dans un milieu où le trafic crée un contexte facilitant de détournement du projet thérapeutique ; les conséquences d’un tel détournement sont aussi à envisager au regard de la poursuite éventuelle d’une distanciation avec la relation thérapeutique quand le détenu aura été libéré.
La primo-prescription ne peut être envisagée que dans le cadre d’une prise en charge globale.
Le relais extérieur devrait être défini avec le patient dès l’évocation d’une primo-prescription, en particulier en maison d’arrêt.
Le cadre de soin (et notamment les modalités de délivrance du traitement) doit être clairement explicité dès le début.

5-2-3 : PLACE DES CONTROLES URINAIRES
Les contrôles urinaires pourraient s’avérer utiles en milieu carcéral :
 pour l’éventuelle authentification d’une prise de traitement de substitution à l’entrée en prison ;
 lors d’impasses thérapeutiques (consommations anarchiques évidentes et déniées, doutes sur la prise du traitement...) afin de faire un point sur les produits consommés.
Les bilans urinaires doivent être réalisés dans l’intérêt du patient et considérés comme des outils « relationnels » et non pas des outils de « contrôle ».
Il faudra bien évidemment veiller à l’anonymisation des bons d’examen associés aux prélèvements urinaires et à celui de la transmission des résultats (Fax,...).

5-2-4 : MODALITES DE PRESCRIPTION DES TRAITEMENTS DE SUBSTITUTION

Les modalités de prescription devraient être identiques à celles proposées hors milieu carcéral :
• prescription de 14 jours pour la méthadone lors de reconductions mais avec un suivi médical bien entendu plus rapproché lorsque il s’agit d’une initialisation ;
• prescription pour 28 jours maximum pour la BHD. On peut cependant suggérer que dans les premières semaines d’incarcération, un rendez vous médical soit programmé au moins tous les 15 jours lorsque il s’agit d’une reconduction et beaucoup plus rapproché lorsque il s’agit d’une initialisation.
Les renouvellements de prescription sans examen médical au court de l’incarcération sont à proscrire.

5-2-5 : MODALITES DE DELIVRANCE
 5-2-5-1 : La méthadone
Lieu de délivrance

Le lieu de délivrance idéal doit être celui qui garantit au mieux l’échange entre le détenu et l’équipe sanitaire d’une part, et la confidentialité des soins d’autre part. S’il existe une délivrance quotidienne de traitements « neutres » (à visée somatique) en détention, la méthadone pourrait y être associée, sa prise étant rapide et difficile à détourner. Cela suppose cependant que l’équipe de l’UCSA soit celle délivrant la méthadone, qu’une délivrance quotidienne en détention existe et que le détenu soit seul en cellule. Dans les autres cas, le lieu est celui habituellement le plus concerné par les soins aux toxicomanes (CSST quand il existe, SMPR ou UCSA), la gestion de méthadone étant plus « sensible » que celle de BHD.

Rythme
En raison des risques d’overdose pour un sujet « naïf » aux opiacés (rappelons que la dose létale est de 40 mg pour un sujet non tolérant aux opiacés), la prise quotidienne devant soignant, dimanches et jours fériés compris, fait l’unanimité chez l’ensemble des interlocuteurs. On ne peut donc que la suggérer fortement.

Dosages plasmatiques
Ils ont une utilité limitée à des situations cliniques très particulières : objectivation d’un métabolisme rapide, interférences médicamenteuses...et ne sont que le complément de l’observation clinique.

 5-2-5-2 : La BHD
Lieu de délivrance

 Dans les petits établissements (moins de 300 détenus) en général dotés d’une seule structure de soin, la délivrance peut tout à fait y être effectuée.

Les patients substitués
étant mêlés aux patients se déplaçant pour des soins somatiques, la stigmatisation est moins marquée. La délivrance peut également être effectuée en détention si elle est associée à la délivrance des autres traitements à visée somatique.
 Dans les établissements de taille moyenne (300 à 600 détenus), la délivrance en détention n’a de sens que si elle est associée à la délivrance d’autres traitements, qu’ils soient à visée somatique ou qu’il s’agisse des autres traitements psychotropes. A l’opposé, la venue quotidienne d’un grand nombre de détenus substitués dans un même lieu de soins peut devenir désastreuse en terme de stigmatisation et de trafic (soignants, surveillants et détenus le soulignent unanimement). Une vigilance toute particulière doit donc être portée aux flux de détenus substitués quand la délivrance est quotidienne. Un partage des patients entre les différents lieux de soins quand ils existent ou le panachage de délivrances quotidiennes en lieux de soins et en détention si une délivrance 2 fois par semaine existe, peuvent être envisagés 
Dans les grands établissements (plus de 600 détenus), la venue quotidienne dans un même lieu de soin de nombreux patients substitués est quasi-impossible. Le panachage d’une délivrance en lieux de soins pour une période donnée ou pour certains détenus le nécessitant avec une délivrance en détention sera préféré à une délivrance exclusive en détention rendant la personnalisation impossible.

Rythme
Le rythme de délivrance représente un enjeu particulier en milieu carcéral. Le cadre réglementaire, s’il favorise la délivrance quotidienne, inclut aussi la possibilité de la détention en cellule de traitements pour plusieurs jours. Le Code de Déontologie rappelle par ailleurs la liberté de prescription de tout médecin (cf. pour ces précisions le chapitre consacré aux aspects réglementaires). Les rapports ou circulaires sanitaires ou santé-justice préconisent la délivrance quotidienne (dans un souci de maintenir des liens thérapeutiques avec l’équipe soignante, de limiter les risques d’intoxication et de trafics mais aussi de faciliter la globalisation de la prise en charge).
La réalité de l’organisation des établissements pénitentiaires, notamment des plus importants, et de l’effectif des équipes soignantes compromettent cependant la possibilité d’une délivrance quotidienne.
Nous préconisons donc en ce domaine une évaluation et le choix d’un dispositif adaptés à chaque établissement.
Il doit être tenu compte de la taille de l’établissement, des structures sanitaires présentes et de leur répartition des tâches, de l’importance de la population substituée (rappelons que dans notre échantillon, le pourcentage de patients substitués varie de 2 % à 16,2 % selon la maison d’arrêt considérée) et...aussi sans doute de la qualité de communication entre équipes sanitaires et pénitentiaires.
Une certaine souplesse et une adaptabilité du dispositif sont nécessaires.
Les éléments déterminants sont le respect de la confidentialité et du contrat thérapeutique ainsi qu’une grande réactivité des équipes de soin en cas de difficulté (pressions, racket, mésusage...). Notons que si les personnels sanitaires n’en font souvent pas leurs préoccupations principales, les personnels pénitentiaires et les détenus évoquent le trafic, le racket et les autres pressions générées par l’univers carcéral comme particulièrement difficiles à gérer. Ceci mérite largement d’être pris en compte dans les choix qui peuvent être faits.
Toutefois, les traitements prescrits et distribués par les équipes sanitaires intervenant en milieu carcéral ne constituent pas, loin de là, la seule source à l’existence d’un trafic de la BHD en prison.
Dans certains établissements de grande taille et/ou présentant un grand nombre de patients substitués par BHD, le maintien systématique d’une délivrance quotidienne risque d’empêcher toute personnalisation de la délivrance et ainsi de précariser le lien thérapeutique avec réduction du projet thérapeutique, faute de temps soignant, à la seule délivrance du traitement de substitution.
Il peut être envisageable en ce cas (et c’est de toute façon déjà une réalité dans un certain nombre d’établissements) de délivrer la BHD pour plusieurs jours mais en gardant : 
en période initiale une personnalisation de la délivrance permettant information,
assistance à la prise sublinguale, mise en place d’un lien thérapeutique (par exemple 1 à 2 semaines de prise sublinguale devant soignant) ;
 puis une adaptabilité avec retour (rapide) à une délivrance quotidienne en cas de difficultés (trafic, pressions, racket...ou bien sûr à la demande du patient).

Type de délivrance
Il paraît essentiel, quelles que soient les modalités de délivrance choisies, que l’on soit plus attentif à une individualisation de la prise qu’à son contrôle systématique. Par individualisation de la prise, nous entendons adaptation des rythmes et des lieux de distribution en fonction de l’histoire singulière du détenu, suivant les contraintes organisationnelles et pharmacologiques habituelles. La prévention du trafic et des mésusages passe certainement plus par cette individualisation que par un contrôle difficile, voire illusoire, en raison de la galénique de la BHD (les équipes pénitentiaires privilégient à ce propos la galénique liquide, posant pour eux moins de problèmes) et rendant précaire une relation de soin « sereine ».
Il est en revanche nécessaire que pour chaque patient existe un temps d’évaluation permettant une adaptation modulable et ré-évaluable du type de délivrance.
Une période initiale de prise sublinguale devant soignant d’au moins une à deux semaines est indispensable pour garantir le bon déroulement du processus (notamment que le traitement ne soit pas avalé directement) et permettre d’informer, écouter, rencontrer et établir des liens.
Au-delà de cette période, un aménagement individuel paraît souhaitable.
Il peut paraître inadapté d’imposer une prise prolongée devant soignant pour un patient parfaitement stabilisé ; en revanche, il est tout à fait thérapeutique de le faire chez d’autres patients fragiles, demandeurs de contacts réguliers avec les soignants, n’ayant plus la maîtrise de leurs consommations ou faisant l’objet de pressions/racket en détention.
La pratique du pilage des comprimés de BHD afin de mieux contrôler la prise nous paraît poser un réel problème tant en raison de son éventuelle influence sur la biodisponibilité (pour lequel il n’existe pas de réponse à l’heure actuelle) que sur sa symbolique. Si elle est utilisée, ce ne devrait être que pour des périodes brèves et dans des situations bien délimitées. En outre, la pratique du pilage couramment motivée par le souci de diminuer le trafic n’est pas efficace de ce point de vue, des détenus ayant souligné que cela n’empêchait pas le trafic.

 5-2-5-3 : Remarque générale
Un certain nombre de détenus formule une attente claire : le moment de la distribution doit pouvoir constituer un temps d’échange et de discussion avec le personnel soignant (en particulier l’infirmier distribuant le traitement) autour du vécu du traitement, mais aussi de toute question relative à la santé ou à l’état psychologique. De nombreux détenus ont ainsi regretté au cours de l’enquête de ne pas disposer de suffisamment de temps lors de cette rencontre. Dans l’organisation des soins, il conviendrait donc, au regard des moyens disponibles, de définir le temps de la distribution comme aussi un temps d’échange.
Concernant le rythme et le lieu de distribution, les détenus soulignent la lassitude de devoir descendre quotidiennement à l’UCSA ou au SMPR quand c’est ce type de distribution qui est mis en place. Si ce choix répond comme on l’a vu à des contraintes organisationnelles (taille des établissements, modalités de distribution des autres médicaments, effectifs des équipes sanitaires concernées) et à des contraintes d’ordre pharmacologiques (létalité de la méthadone), il conviendra de définir un cadre précis aux mouvements (tranches horaires plus délimitées) et permettre des aménagements exceptionnels quand la situation l’exige. La définition de ce cadre devrait impliquer une coordination des équipes sanitaires et pénitentiaires.

5-2-6 : CO-PRESCRIPTIONS
Une attention toute particulière doit être portée à limiter les associations de psychotropes, notamment de benzodiazépines (en raison des risques de l’association), avec les traitements de substitution.
La monothérapie substitutive devrait rester la règle. Toutefois de réels besoins peuvent exister (en particulier en raison de l’effet anxiogène de l’incarcération), qu’il conviendra de pouvoir évaluer afin d’apporter la réponse appropriée.
L’indication d’un traitement anxiolytique ou hypnotique associé doit être posée par un spécialiste, régulièrement réévaluée, et respecter par ailleurs les Références Médicales Opposables (RMO) en ce domaine.
Les posologies doivent être celles recommandées dans le cadre de l’AMM.
En cas d’indication, les alternatives aux benzodiazépines doivent être privilégiées :
 Hydroxyzine (ATARAX®).
 Cyamémazine (TERCIAN®).
 Méprobamate (EQUANIL®) pour de brèves périodes.
 Antidépresseurs en sachant que certains sérotoninergiques interragissent avec la méthadone.
 Alimémazine (THERALENE®).
 Zolpidem (STILNOX®).
 Zopiclone (IMOVANE®).
Lorsque ces traitements sont en échec, la prescription de benzodiazépines se fera en évitant les molécules à fort pouvoir potentialisateur type :
 Clorazépate (TRANXENE®).
 Flunitrazepam (ROHYPNOL®).
 Temazepam (NORMISON®).
Une information devrait alors être fournie aux patients sur les risques de l’association de benzodiazépines avec un traitement de substitution et en général sur leurs effets indésirables.
Lors de transferts en provenance d’autres établissements pénitentiaires ayant prescrit des traitements psychotropes associés au traitement de substitution, une prise de contact téléphonique devrait être effectuée afin de resituer le contexte de la prescription. La réévaluation de la prescription est de toute façon la règle.
A titre indicatif, les recommandations de la Commission des stupéfiants des Nations Unies [4] (2001), superposables à celles du Groupe Pompidou du Conseil de l’Europe (1990 [5] et 2001 [6]), sont les suivantes :
a) La nécessité d’un examen médical pour établir leur prescription (« nécessité d’une investigation sérieuse pour justifier leur prescription » pour le Conseil de l’Europe) ;
b) La fixation d’indications précises et la prescription pendant un temps le plus court possible ;
c) L’interruption des traitements inutiles ;
d) L’utilisation des doses les plus faibles possibles ;
e) Le risque d’accident chez les conducteurs et les utilisateurs de machines ;
f) La recommandation de ne consommer simultanément ni de l’alcool ni d’autres médicaments psychotropes pouvant engendrer des interactions avec les benzodiazépines.

5-2-7 : PRISE EN CHARGE
Les problématiques soulevées par les traitements de substitution et les patients toxicomanes sont suffisamment nombreuses, aussi bien sur le plan institutionnel que clinique, pour que des réunions institutionnelles (reprise, étude de cas) régulières à leur sujet soient programmées au sein des équipes sanitaires.
En outre, des réunions régulières devraient aussi permettre aux équipes sanitaires et pénitentiaires d’échanger (y compris les SPIP) de façon à pallier à la pratique actuelle (voire plutôt l’absence de pratique) où de telles rencontres sont provoquées dans l’urgence lorsque des difficultés sont exprimées par un détenu ou les équipes. Cette recommandation est d’autant plus forte qu’elle est partagée par l’ensemble des acteurs concernés.
Une évaluation sociale, psychiatrique et/ou psychologique, débouchant sur un suivi si nécessaire, devrait pouvoir être systématiquement proposée.
L’importance des comorbidités psychiatriques dans la population carcérale et chez les toxicomanes en particulier souligne la nécessité d’une bonne coordination entre les partenaires somaticiens et psychiatres. Des réunions régulières portant sur des études de cas délicats peuvent être suggérées.
Du point de vue des détenus, il conviendrait de faciliter l’organisation de réunions d’information ou de groupes de paroles animés par des intervenants extérieurs (associations de réduction des risques par exemple) autour des problématiques liées à la dépendance et aux risques infectieux.

5-2-8 : CONFIDENTIALITE DES SOINS
Si une certaine fatalité est exprimée par les équipes de soins et les détenus au sujet de la confidentialité, ces derniers n’en ressentent pas moins douloureusement les conséquences de son insuffisance : pressions, racket, menaces, stigmatisation voire violences de la part des codétenus ont été évoqués par les détenus rencontrés dans le cadre de l’enquête. Aux dires de certains détenus, des personnels de surveillance peuvent également exercer une pression, en posant des obstacles dans le bon déroulement des plannings de mouvements quotidiens vers l’UCSA pour la distribution des traitements de substitution ; ces pratiques ne sont possibles que par ce que les personnels ont connaissance des traitements pris.
La confidentialité doit rester au centre des préoccupations dans l’adaptation du dispositif de soin (lieu, modalités d’appel et de délivrance des traitements). Sur ce sujet, des actions de formation et d’information devraient être conduites à destination aussi bien des personnels pénitentiaires que des détenus.

5-2-9 : DOSSIER DE SOIN
La règle devrait être le dossier unique, accessible à l’ensemble des acteurs sanitaires gravitant autour de la prise en charge du patient.
L’informatisation du dossier est sans doute la seule manière d’y aboutir dans les établissements présentant plusieurs structures de soins.
Il paraît par ailleurs nécessaire que des indications précises soient notées sur les orientations thérapeutiques, notamment en cas de co-prescriptions et sur les différents volets de la prise en charge (aspect social, préparation à la sortie,...) en prévision de transferts éventuels.

5-2-10 : SORTIE/TRANSFERTS
La préparation à la sortie est un volet essentiel de la prise en charge des patients ayant un traitement de substitution. Cette préparation devrait aussi pouvoir être l’occasion de transférer à l’extérieur la dynamique engagée autour du projet thérapeutique.
Lorsque la substitution a été initiée en milieu carcéral, la prise de contact du patient avec le prescripteur ou l’équipe relais devrait être effectuée pendant l’incarcération afin que la rencontre à l’extérieur ne soit pas anxiogène mais au contraire un repère rassurant.
De la même façon, le relais de la prescription et de la délivrance doivent être envisagés afin d’éviter toute rupture de soins au moment de la sortie (par exemple lors de sorties le weekend).
Lorsque cela est possible, un dispositif collectif de préparation à la sortie, même rudimentaire, doit pouvoir être proposé. Il autorise par exemple la présentation et la rencontre périodique des équipes spécialisées et des acteurs de la réinsertion exerçant en milieu libre.
L’ouverture de droits et la demande de CMU doivent également être envisagées pendant l’incarcération.
La mission recommande, notamment dans les établissements dépourvus de personnels soignants spécialisés (SMPR ou CSST), que les SPIP abordent les divers aspects de la prise en charge sociale des détenus substitués avec beaucoup d’attention, en complétant si besoin leurs évaluations par celles d’acteurs du champs médico-social extérieurs.
Citons le dispositif fonctionnant dans les Yvelines qui permet au détenu de disposer dès le jour de sa sortie d’une CMU valable 3 mois avec identification d’un référent à la CPAM de Versailles pour suivre les démarches ultérieures de régularisation.

5-2-11 : EXTRACTIONS
Lorsque le service de soin présent « démarre » tôt, la délivrance des traitements peut être faite le matin même de l’extraction.
Dans les autres établissements :
 le traitement est remis en main propre au patient la veille au soir (délicat pour la méthadone) ;
 la remise au greffe par un soignant d’une enveloppe cachetée contenant le traitement quotidien à remettre au détenu le matin de l’extraction est l’alternative la plus souvent utilisée.
Si dans les faits le système peut répondre à toutes les configurations, une vigilance n’en est pas moins nécessaire dans la pratique, en particulier dans la transmission des informations relatives aux extractions entre équipes pénitentiaires et sanitaires. Certains détenus ont ainsi fait état de difficultés à se voir remettre leur traitement au greffe, ce dernier n’ayant pas été préparé ; les conséquences anxiogènes de ces ruptures de soin sont à évaluer au regard de l’enjeu que ces extractions peuvent représenter pour le détenu (rendez-vous pour l’instruction, jugement).

5-2-12 : FORMATION/INFORMATION
C’est l’un des points essentiels de ce travail : l’intérêt unanime donné aux besoins de formation aussi bien par les personnels soignants que par les personnels pénitentiaires. Cette nécessité de la formation est aussi clairement ressentie par les détenus (« ils ne savent pas ce que c’est »).

Personnels pénitentiaires
Une formation sur la toxicomanie en général et sur les traitements de substitution en particulier mérite d’être au moins réactualisée pour l’ensemble des équipes. Cette formation devrait en particulier aborder :
- les notions d’abus et de dépendance ;
- l’organisation de la prise en charge sanitaire, sociale et psychologique de ces dépendances, à la fois de manière générale et de façon plus particulière en milieu carcéral ;
- un travail personnel et collectif sur les représentations liées à la consommation de drogues et aux traitements de substitution.
Cette formation devrait pouvoir être conjointement animée par des représentants des administrations santé-justice concernées (DGS et DAP), mais aussi par des partenaires extérieurs reconnus dans le champ de la formation sur ce domaine (intervenants de CSST extérieurs et d’associations de réduction des risques).
En réponse à la demande des personnels pénitentiaires mais aussi sanitaires, nous pourrions suggérer que ces formations se fassent de manière transversale, incluant les deux catégories de professionnels ; les formations à destination des équipes d’un même établissement devraient être privilégiées.
Au delà de la formation, des échanges réguliers avec les équipes soignantes, prenant en compte les limites imposées par le secret professionnel et selon des modalités propres à chaque établissement, peuvent également être proposés.
A noter une expérience intéressante dans un des établissements visités, pour lequel le climat entre soignants et pénitentiaires nous a paru particulièrement peu conflictuel et les représentations (bilatéralement) moins caricaturales : un infirmier participe chaque matin à la réunion pénitentiaire de début de journée. Il y est informé des incidents et des détenus paraissant en difficulté, pouvant également fournir un retour le lendemain quand la situation s’y prête ou l’exige.

Personnels sanitaires
Des échanges cliniques et sur les pratiques de soins avec d’autres professionnels peuvent être mis en place entre équipes évoluant en milieu carcéral au niveau régional et avec des professionnels des CSST au sein des réseaux Ville-Hôpital locaux.
Des sessions de « réactualisation » des connaissances devraient pouvoir être organisées au niveau de chaque établissement pour l’ensemble de l’équipe, incluant pour répondre aux demandes pénitentiaires et sanitaires, des équipes pénitentiaires du même établissement.
Ces besoins étant constamment exprimés par les équipes sanitaires et pénitentiaires mais aussi indirectement par les détenus à travers leur constat de la méconnaissance de leurs difficultés et les « représentations » dont ils sont victimes en détention, ils paraissent devoir être traités prioritairement !

Détenus
Les actions d’information, de prévention et d’éducation à la santé devraient être développées.
Dans le cadre de ces actions, il conviendra de privilégier des programmes autour des questions liées aux dépendances et à la réduction des risques.
Ces actions peuvent être de nature différentes et complémentaires :
- initiées et animées par les équipes sanitaires de l’établissement ;
- initiées et animées par des intervenants extérieurs ;
- initiées par des équipes sanitaires et/ou pénitentiaires de l’établissement et animées par des intervenants extérieurs.
Par intervenants extérieurs, nous entendons les partenaires extérieurs définis dans le paragraphe sur les formations pour les personnels pénitentiaires.
Cette organisation aurait l’avantage de pallier aux difficultés des équipes à dégager du temps et de l’énergie pour des actions collectives de prévention, souvent difficiles à organiser en milieu carcéral. Elle apporterait aussi une réponse complémentaire aux informations données par l’équipe sanitaire.
La méconnaissance fréquente des risques du mésusage des différentes thérapeutiques et des modes de contamination, notamment de l’hépatite C, laissent supposer que ce terrain reste largement à investir.

5-2-13 : ACCOMPAGNER LES EQUIPES !
L’exercice en milieu carcéral est particulièrement difficile. Si les soignants ont en général choisi ce type de pratique et sont souvent motivés, ils ne choisissent pas les changements de politique, aussi bien judiciaire que sanitaire, qui conditionnent au premier plan leur pratique.
Dans une période où infirmiers(es) et médecins se font rares, nous pouvons suggérer d’accompagner ceux qui acceptent de s’investir en milieu carcéral où ils sont plus que jamais nécessaires. Par accompagner, nous entendons proposer des temps de régulations, de supervision et d’analyse des pratiques, complémentaires des temps de formation mentionnés ci-dessus. Ces temps seraient à destination :
- soit d’un service sanitaire spécifique ;
- soit de l’ensemble des services sanitaires investis dans l’établissement ;
- soit transversaux à l’ensemble des services sanitaires et pénitentiaires de
l’établissement.

Notes:

[1Les usagers de drogues en substitution ayant répondu à l’enquête AIDES/INSERM sur l’impact des traitements de substitution déclaraient à 83 % souhaiter un tel projet thérapeutique

[2Dans la même enquête AIDES/INSERM, 90 % des répondant déclaraient avoir eu une consommation répétée hors prescription du traitement actuellement prescrit (dont un tiers disaient l’avoir consommé régulièrement pendant plusieurs mois avant de se le faire prescrire par un médecin). « Goûter », « essayer », « tester » le médicament sont des terme souvent utilisés par les détenus rencontrés. 3 détenus interviewés ont déclaré avoir commencé le Subutex en prison hors prescription.

[3A l’exception de la situation du nord de la France où de nombreux détenus ont consommé de la méthadone belge hors prescription, celle-ci étant plus facilement accessible (médecine générale). Cette question est d’autant plus importante que la galénique (préparation magistrale en officine, présentation sous forme de cp) de cette méthadone est différente de celle disponible en France, nécessitant une vigilance particulière sur l’évaluation de la posologie en détention

[4Résolution 44/13 : Contribution à l’usage approprié des benzodiazépines

[5Résolution du Conseil de l’Europe AP(90)3 du 18 octobre 1990 relative à la prescription des benzodiazépines

[6Contribution à l’usage raisonné des benzodiazépines, séminaire organisé par le Groupe Pompidou du Conseil de l’Europe à Strasbourg, janvier 2001