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4 Table ronde : Droits des patients détenus et éthique du soin en milieu carcéral

Mise en ligne : 19 juin 2005

Texte de l'article :

L’éthique à l’épreuve des ajustements professionnels en prison
Marc Bessin
Sociologue, chercheur au CNRS, Centre d’étude des mouvements sociaux, école des hautes études en sciences sociales

L’éthique et le droit sont conditionnés par l’existence d’un espace public, c’est-à-dire par un minimum de confiance. Au-delà des conditions objectives entravant l’accès des personnes détenues au statut de patient (qui se négocie en permanence), la méfiance et la suspicion généralisées, compliquent les relations de soins en prison. En ce sens, la prison constitue le degré zéro de l’espace public. Elle tend à alimenter un manichéisme derrière lequel tous les acteurs se protègent. Quelle que soit sa mission première, chaque intervenant en prison est enfermé dans une contradiction structurelle qui traverse le monde carcéral : le conflit entre les impératifs de « garde » et « d’entretien ». La rhétorique du « choc des cultures » permettait aux différents personnels d’occulter l’enchevêtrement des logiques professionnelles en prison et de préserver des certitudes quant aux valeurs morales assignées aux finalités de leurs missions : d’un côté, les soignants habitués aux conditions de travail à l’hôpital et méconnaissant les contraintes pénitentiaires ; de l’autre, les « gardiens », chargés de la répression et de la surveillance, peu soucieux de l’éthique et du secret médical. En fait, pénitentiaires et hospitaliers coopèrent, précisément parce qu’ils sont confrontés à la même situation et à la violence du monde carcéral. À l’encontre du cadre interprétatif (« choc des cultures ») entretenu par les professionnels de santé pour mettre en avant leur appartenance à une communauté médicale unifiée et tirant tous les avantages moraux d’une confrontation avec l’institution pénitentiaire, il faut analyser ces segmentations professionnelles pour éventuellement parler d’éthique. Car si les soignants se présentent dans une neutralité affective (« soigner sans juger ») et une intégrité déontologique (« chacun à sa place »), on observe des manières différenciées de partager les compétences avec les autres professionnels. Des recompositions de pratiques et des redéfinitions de l’éthique professionnelle se mettent en place dans l’ajustement des logiques pénitentiaires et sanitaires, chacun tentant de légitimer son travail, menacé par la dévalorisation liée au cadre d’exercice. Deux situations peuvent illustrer ce propos.

La proximité avec le corps des détenus : partager le « sale boulot » ?
La confrontation avec le corps malade des personnes détenues pose la question de la gestion des hommes incarcérés les plus diminués et du partage du « sale boulot ». Qui doit s’occuper des handicapés, secourir les grabataires, aider les vieux, assister les toxicomanes les plus dépendants ? Infirmières et surveillants luttent pour ne pas ajouter cette charge à leur travail, en l’absence d’aides-soignantes. À travers les consultations et les soins, les infirmières détiennent le monopole des relations compassionnelles, mais elles doivent également consacrer une part importante de leur temps à des tâches administratives et techniques. De leur côté, les surveillants, tentant de construire des barrières de distinction entre les détenus et eux, sont également déstabilisés par les prisonniers malades qui suscitent plus la compassion que la méfiance. Ils redoutent ainsi un glissement du relationnel à « l’affectif », qui paralyse les rapports sécuritaires, même si tout ce qui « humanise » et singularise les détenus peut aussi fonctionner comme un mode de prévention des violences. La prise en charge des prisonniers les plus dépendants revient ainsi largement aux codétenus, alors qu’ils occupent la position la plus fragile.
L’arbitraire est de mise quand les co-détenus (qui ne sont évidemment soumis à aucune déontologie professionnelle) sont sollicités dans la prise en charge de la santé : aide à la rédaction de courriers, soutien matériel et parfois affectif aux malades en convalescence, signalements... Car ils peuvent aussi bien apporter leur concours aux malades incarcérés que les mettre à l’écart ou les « punir » de leurs défaillances (les malades « dévirilisés » incarnant la « victoire » du système pénitentiaire suscitant tout autant la pitié que le dégoût). Ainsi, l’accompagnement des plus malades peut fonctionner comme un système de délégations en cascade, où chacun travaille à la préservation d’une distance avec une population qui symbolise soit l’exposition au risque de dévalorisation professionnelle, soit l’exposition au risque de la mort carcérale.

Ordre, peine et soin...Partager les objectifs ?
Certaines situations critiques (états de crise, risques de trafic ou de suicide par les médicaments) permettent d’observer les dilemmes posés aux soignants autour de leur participation à l’ordre carcéral. Les soignants en prison sont aussi régulièrement invités à s’associer à l’application des peines : clarifier les objectifs de la peine et du soin devient dès lors une exigence éthique de leur profession. Les négociations sur les modalités de la coopération, notamment sur la participation aux réunions interdisciplinaires, mettent en lumière les arguments en présence, dans une conjoncture où se développe l’injonction de soins en matière d’agressions sexuelles.
L’obligation de soins représente l’aspect légal d’une tendance plus générale à considérer la prison comme un lieu de soins, tendance largement entretenue par l’amélioration du dispositif sanitaire en prison. Certaines incarcérations se trouvent ainsi justifiées pour des personnes dont il est dit qu’elles pourront « rencontrer leur santé » en prison et les malades psychotiques sont de plus en plus emprisonnés. Si les soignants constatent que l’incarcération peut être l’occasion propice pour entamer un suivi, leur expérience de l’épreuve carcérale et de ses conséquences psychiques et somatiques les amène généralement à lutter contre cette conception de la prison « réparatrice », qui constitue un important effet pervers de la réforme de 1994.

La dignité des personnes détenues est-elle respectée ?
Jean-François Bloch-Lainé
Médecin, membre du Comité consultatif national d’éthique

La peine de prison, c’est la privation de la liberté de mouvement. La privation de ce droit absolu est une peine judiciaire immense, mais ce n’est que cela. Ce n’est en principe rien d’autre, et ce ne peut pas être la négation de la dignité. Or, dans les prisons de France, la dignité des personnes incarcérées est-elle respectée, préservée, sanctuarisée ? La dignité des personnes incarcérées est-elle l’objet d’attentions identiques pour chaque personne détenue ? Les moyens mis à la disposition des personnels de surveillance et de soins sont-ils dignes d’un pays riche, membre du G8 ? La santé des personnes détenues est-elle assurée dans les conditions optimales et avec les moyens dont dispose la médecine ordinaire ?

Ouvrir la « médecine des prisonniers » à la « médecine des gens libres »
Plusieurs questions éthiques me semblent être ici posées. Ces questions concernent notamment : la condition des malades mentaux, de plus en plus nombreux dans les prisons françaises, la condition faite aux personnes mineures, aux personnes toxicomanes, et aux personnes transgenres. Ces questions sont relatives à la sexualité et aux fins de vie dans les prisons. Les pathologies induites par l’enfermement sont près de dix fois supérieures à celles observées en population générale. Même constat pour les actes suicidaires.
La dignité des personnes détenues est-elle respectée ? C’est la seule question éthique qui vaille ici. En dix ans, la médecine en prison est sortie de l’univers carcéral. La santé des personnes détenues n’est plus sous la responsabilité du ministre de la Justice, elle est placée sous la responsabilité du ministre de la Santé. C’est là un premier pas vers le respect des personnes incarcérées. Il ne saurait être le seul. Assurer le respect de la dignité de tous les détenus réclame, à mon sens, l’ouverture de la médecine en prison à la médecine ordinaire (c’est-à-dire la médecine disponible pour chaque personne vivant sur le territoire de la République). C’est ainsi qu’il me paraît possible et nécessaire que chaque prison soit dotée d’une sorte de dispensaire où chaque détenu pourra choisir entre plusieurs médecins. Cette procédure permettra d’éviter tout risque de déficit de soin pour les personnes détenues et tout risque d’accusation de « privilège » pour les malfrats. On accuse souvent, en effet, l’administration de mieux soigner les prisonniers que leurs surveillants, comme si l’on préférait les bandits à leurs geôliers. Si on fait en sorte que les personnes détenues aient accès aux soins ordinaires, chacun sera égal face au droit aux soins.
Le transfert de compétence de la place Vendôme à l’avenue de Suffren a pris dix ans. Faudra-t-il le même nombre d’années pour ouvrir la « médecine des prisonniers » à la « médecine des gens libres » ?

Déontologie et droit des patients
Jean Pouillard
Médecin, vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins

La coopération médico-judiciaire est une nécessité qui, compte tenu des impératifs déontologiques et éthiques liés à la profession médicale, ne doit constituer ni une entrave au cours normal de la justice ni une entrave au respect de la dignité des personnes détenues, de leurs intérêts individuels, et de leur santé. Dans ce contexte, sept éléments principaux sont à considérer dans la pratique professionnelle.
- L’éventualité de sévices ou de mauvais traitements : le médecin examinant une personne détenue « ne peut, directement ou indirectement, serait-ce par sa seule présence, favoriser ou cautionner une atteinte à l’intégrité physique ou mentale de cette personne ou à sa dignité. S’il constate que cette personne a subi des sévices ou des mauvais traitements, il doit, sous réserve de l’accord de l’intéressé, en informer l’autorité judiciaire » (art. R.4127-10 du code de la santé).
- L’impartialité : le médecin doit « écouter, examiner, conseiller ou soigner avec la même conscience toutes les personnes quels que soient leur origine, leurs moeurs, leur situation, leur réputation ou les sentiments qu’il peut éprouver à leur égard » (art. R.4127-7 du code de la santé).
- Le secret professionnel, « institué dans l’intérêt des patients, s’adresse à tout médecin dans les conditions prévues par la loi » (art. R 4127-4 du code de la santé), de sorte que toute personne détenue soit assurée que, même après sa mort, ses confidences, ses secrets les plus intimes, toute révélation ou tout diagnostic, ne risquent pas d’être trahis par un tiers - quel qu’il soit - et ne nuisent ni à sa mémoire ni à sa réputation. Cela justifie que les dossiers médicaux soient « conservés sous la responsabilité du médecin qui les a établis » (art. R. 4127-96 du code de la santé).
- Le respect de la personne détenue : « Chacun a droit au respect de sa vie privée » (code civil art. 9). Les principes d’éthique médicale européenne, la Cour européenne des Droits de l’Homme, la Convention européenne de Droits de l’Homme (art. 8) confirment le droit au respect de la vie privée des malades, la confiance des services de santé, les informations transmises devant être « confidentielles, pertinentes et non excessives ». Toute discrimination étant proscrite, le médecin ne peut cependant ignorer le risque de désordres psychiatriques, infectieux, toxicomaniaques ou sexuels dans un contexte physique, mental et social sensible pouvant aller jusqu’au refus de soin ou à la grève de la faim.
- La qualité des soins : les personnes détenues doivent être assurées d’une prise en charge sanitaire dans des conditions qui ne puissent compromettre ni la qualité et la continuité des soins, ni les règles d’hygiène et de prophylaxie (art. R.4127-10, 11 et R. 4127-71 du code de santé publique).
- Les dérogations au secret professionnel : le code de déontologie médicale établit 13 dérogations légales obligatoires, 5 dérogations permises par la loi et 5 dérogations jurisprudentielles permettant aux médecins de faire état des informations qu’ils détiennent sans encourir les sanctions prévues à l’article 226-13 du code pénal (et justifiant ainsi que le médecin puisse être mandaté en toute légalité par l’autorité judiciaire).
- L’indépendance professionnelle : « le fait pour un médecin d’être lié dans son exercice professionnel par un contrat ou un statut à une administration [...] n’enlève en rien à ses devoirs professionnels [...]. En aucune circonstance, le médecin ne peut accepter de limitation de son indépendance dans son exercice médical [...]. Il doit toujours agir en priorité dans l’intérêt de la santé publique et dans l’intérêt des personnes détenues et de leur sécurité » (art R. 4127-95, du code de la santé).

Dans toutes les situations où le médecin est mandaté par une autorité de justice, il importe que la priorité soit donnée, en toute indépendance professionnelle, à l’état de santé de la personne détenue.

Aspects juridiques des droits des patients détenus et de l’éthique des soins en milieu carcéral
Jean-Baptiste Thierry
ATER à la faculté de droit de Toulouse I, membre de l’Iscrimed, faculté de droit de Nancy II

La loi de 1994 a accompli des progrès importants dans la situation sanitaire des détenus. Tout détenu est ainsi affilié automatiquement à la sécurité sociale, les soins sont désormais assurés par le service public hospitalier et le principe est celui de la continuité des soins. La finalité de ce texte est d’aligner le régime des soins reçus en détention sur celui existant à l’extérieur. La situation des patients détenus s’est grandement améliorée. Ceux-ci constituent une catégorie particulière de patients. Ce particularisme s’explique notamment par leur état de santé : la population carcérale présente globalement plus de pathologies que la population libre, ceci s’expliquant partiellement par le fait que beaucoup de catégories socialement défavorisées la composent, par le vieillissement de la population carcérale et par l’environnement carcéral pathogène (en raison de la promiscuité, des problèmes d’hygiène et d’insalubrité des locaux, mais aussi de pathologies spécifiques liées à la détention).

Droits des patients détenus et éthique des soins
Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus : là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu pour nous de distinguer. Les droits reconnus à tout patient le sont également à ceux qui sont détenus. La loi du 4 mars 2002, dans le rappel qu’elle effectue des droits des patients, ne distingue pas selon la situation pénale du malade. Dès lors, il y a lieu de considérer que le détenu malade est, sur le plan des droits qui lui sont reconnus, un malade comme un autre. Pour autant, il ne faut pas s’arrêter à ce constat. La privation de liberté comporte un certain nombre de conséquences dont il faut tenir compte pour analyser juridiquement les droits des patients détenus. La personne privée de sa liberté sur décision judiciaire est confiée à l’Administration pénitentiaire, laquelle a pour mission, définie aux articles D. 188 et D. 189 du code de procédure pénale, d’assurer la garde et l’entretien des personnes qui lui sont confiées, tout en assurant le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. Il s’agit donc de concilier le respect de la dignité des détenus avec celui de la sécurité de tous. L’impératif de sécurité pénitentiaire va inévitablement avoir un retentissement sur l’exercice des droits des patients détenus, sinon sur l’existence même de ces droits. La vie de la personne détenue est ponctuée de contraintes auxquelles elle doit se soumettre. Le patient détenu n’est donc pas un malade comme les autres : il est privé de sa liberté bien qu’il soit malade, mais peut également bénéficier d’autres droits en raison de son état de santé. L’interaction entre les droits des patients et le milieu carcéral va donc donner lieu à deux dynamiques opposées : l’influence du milieu carcéral sur les droits des patients détenus vs l’influence de l’état de santé de la personne détenue sur l’exécution de la peine.

Influence du milieu carcéral sur les droits des patients détenus
La normalisation de la relation de soins telle qu’elle a été voulue par le législateur de 1994 ne signifie pas que les personnes détenues soient soignées dans les mêmes conditions qu’à l’extérieur. La privation de liberté oblige à aménager cette relation de soins. Ainsi, le détenu ne pourra pas consulter librement, comme il aurait pu le faire à l’extérieur. Les lieux de soins seront également spécifiques. Les consultations se déroulent au sein des Unités consultatives et de soins ambulatoires (Ucsa) et les hospitalisations ont vocation à se dérouler au sein d’Unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI), prévues dès la loi de 1994, mais réellement en fonction depuis 2002. Les lieux de soins sont donc dérogatoires, mais le droit à la santé n’est pas remis en cause. L’exercice du droit, c’est-à-dire le droit effectif de recevoir des soins, se voit en revanche modulé pour répondre aux contraintes de l’univers carcéral : contraintes liées à la présence d’une escorte pour aller sur le lieu de soins (si celui-ci est extérieur à la prison, ce qui est le cas des UHSI), contraintes liées à la démarche de soins elle-même (puisque le détenu doit souvent la solliciter auprès d’un surveillant, lequel transmettra sa demande à l’Ucsa) et contraintes liées aux moyens alloués.
Le plus grand risque d’atteinte aux droits des patients détenus vient de l’exigence de sécurité. Cette exigence de sécurité va entraîner l’intrusion d’un tiers dans le colloque singulier entre le soignant et son patient : le surveillant pénitentiaire. Le secret professionnel auquel sont astreintes les professions de santé ne connaît que de rares exceptions. La pratique de certains établissements - consistant à ce qu’un ou plusieurs surveillants assistent à la consultation, à l’Ucsa ou à l’hôpital - ne doit donc être qu’exceptionnelle et motivée pour des raisons impérieuses de sécurité, liées notamment à la dangerosité de la personne détenue. Hormis ce cas, le secret professionnel doit être assuré de la façon la plus adéquate, en ce qui concerne le dossier du patient notamment, qui doit être conservé dans des conditions garantissant la confidentialité. Enfin, un autre risque d’atteinte au droit de recevoir des soins est celui qui a trait aux modalités de transport des patients détenus vers le lieu de soins (les fameuses « extractions médicales », qui donnent trop souvent lieu à des abus relatifs au port de menottes et entraves. Si le but est là encore de prévenir le risque d’évasion, il y a lieu de concilier cette pratique avec le nécessaire respect de la dignité de la personne détenue. Sur ce point, la France a été condamnée pour violation de l’article 3 de la Convention européenne des Droits de l’Homme par l’arrêt du 27 novembre de 2003 (affaire Henaf). L’article 803 du code de procédure pénale doit être interprété strictement : il ne prévoit la possibilité du port de menottes ou d’entraves que si l’individu est considéré comme dangereux pour autrui ou pour lui-même, ou s’il est susceptible de prendre la fuite. Quant au fait d’entraver le patient à son lit d’hôpital, il ne doit là encore s’agir que d’une pratique exceptionnelle, la Cour ayant précisé qu’une telle pratique était injustifiée dans le cas d’espèce, deux gardes étant en faction devant la porte de la chambre.
Le milieu carcéral et les contraintes qu’il engendre sont donc autant de sources potentielles d’atteintes aux droits des patients détenus, atteintes qu’il convient de limiter autant que faire se peut. Les droits des patients détenus présentent en revanche quelques spécificités qui vont induire un certain nombre de conséquences sur l’exécution de la peine.

Influence de l’état de santé du détenu sur l’exécution de sa peine
La meilleure prise en compte de la santé des détenus opérée par la loi de 1994 a eu des conséquences sur l’exécution de la peine, en ce sens que la santé est devenue un élément à prendre en compte dans l’exécution de la peine. Cette démarche répond à la finalité de la peine privative de liberté : la réinsertion. Préparer la réinsertion d’une personne détenue, c’est assurément lui dispenser les soins auxquels elle peut prétendre en tant que patient et tenir compte des exigences médicales dans l’exécution de sa peine. Il est ainsi possible de prononcer une mesure de libération conditionnelle si le détenu doit suivre un traitement, d’accorder une permission de sortie pour que le détenu consulte un médecin de son choix.
Le droit à la santé a pour corollaire, particulièrement en détention, l’interdiction de subir des traitements inhumains ou dégradants. Le facteur médical va donc avoir une influence sur le système carcéral lui-même : les établissements des programmes « 4 000 » et « 13 200 » doivent ainsi comporter des cellules médicalisées. De même, la sanction que constitue le placement en quartier disciplinaire peut être suspendue si, au terme de la visite bihebdomadaire que doit effectuer le médecin, celui-ci estime que cette mesure est de nature à compromettre la santé de la personne détenue. Le droit du patient détenu peut donc avoir pour conséquence de conditionner une modalité d’exécution de sa peine. Le constat est particulièrement flagrant avec l’institution de la suspension de peine pour motif médical, opérée par la loi du 4 mars 2002. Si le pronostic vital de la personne détenue est en jeu, ou si son état de santé est incompatible avec son maintien en détention, la peine peut être suspendue par l’une des juridictions de l’application des peines. Cette suspension n’est toutefois pas un droit, mais une possibilité. On sait que les considérations relatives à l’ordre public ne doivent pas entrer en ligne de compte pour apprécier le bien-fondé de cette mesure. Il reste toutefois regrettable que cette mesure ne soit pas applicable à tous les patients détenus, ceux qui sont placés en détention provisoire ne pouvant pas y avoir accès.

Les droits des patients détenus et l’éthique des soins en milieu carcéral sont donc souvent mis à rude épreuve. Ce tableau non exhaustif des problèmes éventuels ne doit pas pour autant masquer les efforts effectués depuis la loi de 1994. Ces efforts doivent être poursuivis sans pour autant négliger une réflexion générale sur le sens de la peine. L’état de santé est un facteur d’aménagement de peine trop rarement pris en compte qui devrait justifier la recherche de peines alternatives autres que la privation de liberté.