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Sens de la prison, sens de la peine. Abolition(s) ?

3 Questions à un ancien prisonnier : "Déconstruire le système pénal"

Mise en ligne : 14 décembre 2005

Dernière modification : 6 novembre 2013

Texte de l'article :

3 Questions à un ancien prisonnier : "Déconstruire le système pénal" NOUVELOBS.COM | 13.12.05 | 14:44

La population carcérale a encore augmenté au cours des deux derniers mois, est-ce surtout le résultat des mesures répressives prises par le gouvernement suite aux violences urbaines ? Quelles sont les catégories de personnes qui viennent aujourd’hui gonfler ces effectifs ?

- On est face aujourd’hui à une logique de répression tous azimuts, à l’égard des personnes sans titres de séjour, des prostituées, etc. La répression des émeutes en banlieues n’est qu’une partie de cette logique de répression qui vise à faire plier les populations les plus fragilisées. On stigmatise des catégories de la population qu’on désigne responsables de l’insécurité, alors qu’il s’agit en fait d’un sentiment d’insécurité. Mais plus on augmente la répression, plus on augmente la violence. L’épisode des banlieues ne fait que se surajouter au phénomène. Il faut faire plaisir à l’opinion publique en incarcérant le plus possible. Mais le calme qui règne aujourd’hui n’est que très provisoire. Au contraire, les gamins qui vont sortir de prisons seront encore plus déboussolés.

La mise en place du bracelet électronique n’est-il pas le signe d’une prise de conscience du problème de surpopulation carcérale de la part des autorités ? Est-ce une solution satisfaisante ? Existe-t-il des alternatives ?

- C’est une vaste escroquerie. Le bracelet électronique n’est qu’un pas de plus vers le contrôle total. Car ces choses vont s’appliquer demain à des personnes en opposition aux politiques répressives, comme des syndicalistes etc. Cela ne va résoudre en rien le problème. Il faut avoir un regard global sur la population carcérale, à l’intérieur et à l’extérieur. Et le bracelet électronique n’est qu’un outil supplémentaire pour incarcérer plus. C’est un mensonge présenté comme une solution provisoire en attendant de construire plus de parcs pénitentiaires qui seront confiés à de grandes entreprises. Tout cela grâce au lobby financier et industriel. Mais ce n’est pas en construisant plus de prisons qu’on va humaniser les prisons. Il faut déconstruire le système pénal. Aujourd’hui on est entré dans un système de judiciarisation. Il n’y a plus d’espaces de liberté donc forcément il y a plus de condamnations.
Des faits jusqu’alors normaux, comme une engueulade entre voisins, sont renvoyés à la case justice. On débanalise ces faits en les rendant anormaux. Il existe des alternatives, comme l’aménagement des peines, la liberté conditionnelle ou les chantiers extérieurs, mais celles-ci ne sont pas appliquées par les magistrats. Ceux qui sont chargés d’appliquer la loi l’appliquent mal.

Comment expliquez-vous le fait que les autorités restent sourdes alors que les condamnations au niveau européen et national se multiplient et que les problèmes entraînés par le phénomène de surpopulation (suicide, récidive, etc.) sont aujourd’hui largement connus ?

- Le problème est que tout le monde est replié dans sa tour d’ivoire. On se trouve dans un système de peur généralisée. Au niveau économique, il n’y a pas de perspective, les politiques n’ont pas de politique économique à proposer, si ce n’est la conservation de leurs privilèges. Donc on attaque, on stigmatise des populations qui sont incapables de s’organiser. Mais quand on pousse des populations à bout, c’est là qu’on a affaire à des phénomènes de violences.
De ce point de vue, les émeutes en banlieues ont été du pain béni pour le gouvernement car les images qui ont été filmées et les études qui vont suivre vont permettre de nourrir la machine sécuritaire.

Propos recueillis par Mathilde Bonnassieux
(le 13 décembre 2005)

Source : Le nouvel Obs