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3 La privation des droits civiques, civils et de famille

Mise en ligne : 7 mai 2012

Dernière modification : 8 mai 2012

Texte de l'article :

3 La privation des droits civiques, civils et de famille

La privation des droits civiques signifie non seulement l’interdiction de voter mais également celle d’être éligible à toutes sortes de fonctions représentatives (élections prud’homales, élections de parents d’élèves, par exemple).
Ces interdictions, liées à la perte des droits civiques, s’opposent à l’objectif fondamental de réintégration, et par là même à la recomposition nécessaire du tissu social qui fonde toute société.

3.1 Pour les personnes condamnées avant 1994

Avant 1994, une condamnation pour crime, une condamnation à une peine d’emprisonnement supérieure à un mois prononcée avec sursis pour certains délits comme le vol, l’attentat aux mœurs ou l’escroquerie et une condamnation à plus de trois mois d’emprisonnement sans sursis ou plus de six mois avec sursis entraînaient automatiquement la privation des droits civiques, civils et de famille, ainsi que des droits commerciaux, à vie.

Une interdiction à vie, alors même que la peine a été purgée et que donc la dette a été payée à la société est en profonde contradiction avec les objectifs de réintégration régulièrement affichés ; cette interdiction perpétuelle entretient la relégation d’une catégorie de citoyens.

La privation à vie des droits civiques pour les personnes condamnées en matière criminelle avant 1994 est encore une réalité aujourd’hui.
A titre d’exemple, voici les démarches menées par M. pour recouvrer ses droits civiques, sans succès...

12 juin 2002 : dépôt d’une requête demandant le relèvement de la déchéance des droits civiques et familiaux (résultant, de façon automatique, d’une condamnation intervenue le 1er octobre 1986).

10 avril 2003 : arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, indiquant le relèvement de l’interdiction des droits civils et de familles et le rejet de la demande de relèvement de l’interdiction des droits civiques, au motif que ces droits seront automatiquement restitués à M. 10 ans après sa date de sortie, cette disposition étant plus douce que celle s’appliquant antérieurement.
La date de sortie étant le 21 mars 1995, les droits devaient donc être restitués à M., selon l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, le 21 mars 2005.

Courant 2006, M. fait donc les démarches, avant le 31 décembre, pour être inscrit sur les listes électorales et voter pour les élections présidentielles de 2007.

Ce n’est que le 1er mars 2007, que le directeur général des services de la mairie du 17e arrondissement de Paris, adresse un courrier notifiant une décision de la commission administrative consistant en la radiation de la liste électorale, prononcée d’office.

Le 7 mars 2007, M. adresse un recours gracieux à la mairie du 17e arrondissement de Paris. Ce recours a été rejeté.

Simultanément, le 9 mars 2007, un recours contentieux est adressé au greffe du tribunal d’instance de la mairie du 17e arrondissement, reprenant les conclusions et motivations de l’arrêt du 10 avril 2003, restituant de fait les droits civiques au 21 mars 2005.

20 mars 2007 : 1ère convocation au tribunal d’instance de la mairie du 17e arrondissement. La juge indique simplement qu’elle va faire une demande de B2 électorale et re-convoque M..

3 avril 2007 : 2e convocation au tribunal d’instance de la mairie du 17e arrondissement. L’ensemble des éléments sont discutés : le B2 électorale indiquant toujours la privation des droits civiques et l’arrêt du 10 avril 2003 de la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. La décision est ajournée au 10 avril 2007.

Courrier du 11 avril 2007 rejetant le recours contentieux au motif que "l’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’aux dispositifs des décisions de Justice et non aux observations contenues dans leur motivation". Par conséquent, la logique de l’arrêt du 10 avril 2003 de la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence n’est pas prise en compte ; les droits civiques n’avaient pas été restitués parce qu’ils le seraient automatiquement le 21 mars 1995. Non seulement, la motivation du jugement n’a pas de valeur, mais aussi l’appréciation de la cour d’appel d’Aix-en-Provence semble avoir été erronée puisque cette restitution n’est pas intervenue, comme prévu, le 21 mars 2005. L’article 112-1 du code pénal stipule en effet que "les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes". La condamnation du 1er octobre 1986 étant en l’occurrence passé en force de chose jugée à la date d’entrée en vigueur du nouveau code pénal, les dispositions plus douces ne peuvent pas s’appliquer ; contrairement à l’exposé fait par la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

Le 17 avril 2007, un pourvoi en cassation est formé.

Le 18 avril 2007, la réponse (rapide) de la cour de cassation consiste en un rejet du pourvoi.

12 ans après sa sortie de prison, alors "qu’il a opéré une remarquable insertion socioprofessionnelle" (comme l’indique l’arrêt du 10 avril 2003 de la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence), M. ne peut prétendre à se voir restituer ses droits civiques ; pourtant, depuis 1994, la loi limite à 10 ans la privation de droits civiques. Il ne participera pas à la vie citoyenne de son pays, où il travaille, habite, s’acquitte d’impôts et on lui demande de réussir sa réintégration.

3.2 Pour les personnes condamnées après 1994

L’article 131-26 du CP précise la portée de l’interdiction des droits civiques, civils et de famille, ces interdictions étant souvent prononcées simultanément :

"L’interdiction des droits civiques, civils et de famille porte sur :
1º Le droit de vote ;
2º L’éligibilité ;
3º Le droit d’exercer une fonction juridictionnelle ou d’être expert devant une juridiction, de représenter ou d’assister une partie devant la justice ;
4º Le droit de témoigner en justice autrement que pour y faire de simples déclarations ;
5º Le droit d’être tuteur ou curateur ; cette interdiction n’exclut pas le droit, après avis conforme du juge des tutelles, le conseil de famille entendu, d’être tuteur ou curateur de ses propres enfants.
L’interdiction des droits civiques, civils et de famille ne peut excéder une durée de dix ans en cas de condamnation pour crime et une durée de cinq ans en cas de condamnation pour délit.
La juridiction peut prononcer l’interdiction de tout ou partie de ces droits.
L’interdiction du droit de vote ou l’inéligibilité prononcées en application du présent article emportent interdiction ou incapacité d’exercer une fonction publique."

Depuis l’entrée en vigueur du nouveau code pénal, la privation de droits civiques n’est plus automatique ; elle doit être explicitement prononcée au moment du jugement. Il existe cependant deux exceptions : la suppression du droit de vote est automatique en cas de condamnation pour manquement au devoir de probité ou atteinte à l’administration publique (corruption, soustraction et détournement de biens...).

Il est à noter que l’article 131-29 du CP dispose que : " Lorsque l’interdiction d’exercer tout ou partie des droits énumérés à l’article 131-26, ou l’interdiction d’exercer une fonction publique ou une activité professionnelle ou sociale, accompagne une peine privative de liberté sans sursis, elle s’applique dès le commencement de cette peine et son exécution se poursuit, pour la durée fixée par la décision de condamnation, à compter du jour où la privation de liberté a pris fin."

Autrement dit, une déchéance de 10 ans des droits civiques court en fait sur une période bien plus longue puisqu’il faut y ajouter le temps passé en prison.