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3 La nécessaire prise en compte de ces éléments dans le travail du CIP et dans la mise en œuvre de ses missions

Mise en ligne : 20 novembre 2006

Texte de l'article :

TROISIEME PARTIE
La nécessaire prise en compte de ces éléments dans le travail du CIP et dans la mise en œuvre de ses missions 

Premier chapitre. La connaissance de ce public spécifique par le CIP.

A. Les difficultés à résoudre...

Lorsque le Conseiller d’Insertion et de Probation assure le suivi de Personnes Placées Sous Main de Justice qui appartiennent aux communautés des Gens du Voyage, plusieurs difficultés se présentent dans un premier temps pour le professionnel. C’est ce que j’ai pu constater à travers mes stages en SPIP.

La première est le contact avec un Voyageur. De la part de celui-ci, il y a une méfiance qui se manifeste doublement :
• méfiance contre cette personne qui représente l’Administration Pénitentiaire (et véhicule les valeurs supposées de celle-ci)
• méfiance contre cette personne qui est une “Gadjo”.
De la part du CIP, prudence et méfiance peuvent sous-tendre la première rencontre. Le professionnel remplit ses missions mais ne se détache pas d’emblée et automatiquement des préjugés dont il peut être lui-même porteur. Préjugés véhiculés dans la société et dont les outils nécessaires pour les combattre et passer outre doivent être recherchés et disponibles par le professionnel qu’est le CIP. Le fait qu’un dialogue s’engage ne signifie pas pour autant que les appréhensions sont levées de part et d’autre, mais c’est un point d’appui essentiel pour entamer un travail social avec un Voyageur.

La deuxième difficulté importante est de comprendre le rapport des Tsiganes à la loi et plus particulièrement aux infractions commises. Ceux-ci, comme nous l’avons vu plus haut, disqualifient bien souvent le système judiciaire français. Il ne les comprendrait pas et ne prendrait pas en compte leur spécificité culturelle. De plus, certains délits commis ont une signification particulière chez les Voyageurs. Ainsi, le vol est considéré comme une “ façon de s’approprier ce qui est autour de nous et qui appartient à tout le monde” (dixit un Voyageur incarcéré). Au-delà de ces paroles qui sont aussi une manière de provoquer les interlocuteurs, en l’occurrence un CIP, il est nécessaire de ne pas “tomber” dans le piège et répondre de manière péremptoire. Car malgré les apparences, la conscience des actes commis et de leur caractère délictuels, est réelle. Il est essentiel de dépasser le discours qui se veut un rejet simpliste de l’institution judiciaire et pénitentiaire. C’est donc à la fois un rôle de décryptage de discours auquel devra procéder le CIP, et comprendre ce que le Tsigane veut signifier.

Ces deux difficultés majeures que j’ai pu observer entraînent quelques remarques. On peut bien évidemment être confronté, en tant que CIP, à des difficultés de contact et de communication avec des détenus non Tsiganes ou des condamnés qui nient la réalité des faits commis. Mais la particularité des Voyageurs, c’est que les postures adoptées sont des faits culturels. Ici, la méfiance instillée par la peur de rencontre avec le “gadjo”, là ou un discours de façade et volontairement déstabilisateur, pour désarçonner l’interlocuteur. Et si ces deux difficultés majeures sont résolues, c’est un cadre de travail plus serein qui se présente pour le CIP, même si les missions à mettre en œuvre auront elles aussi des dimensions particulières.

...par la connaissance de ce public spécifique

On peut qualifier, comme nous venons de le voir, les individus appartenant à la communauté des Gens du Voyage de “public spécifique” au sein des établissements pénitentiaires, même si aucun texte législatif ne le considère comme tel. Il faut donc connaître ce public pour travailler auprès de lui. La connaissance de ce public peut se faire à travers différents supports. Le premier est bien évidemment l’écrit qui permet, à travers divers ouvrages et travaux de recherche, de comprendre les grands aspects culturels de cette population. Même s’il existe peu d’ouvrages traitant des rapports entre les Tsiganes et la justice, encore moins avec l’incarcération.
Le deuxième est la mise à disposition, dans les Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation, de documents spécifiques réalisés par des associations d’aide ou de soutien aux Tsiganes, mais nous reviendrons sur ce point lorsque nous aborderons le partenariat.
Les circulaires ou notes émanant de la direction de l’Administration Pénitentiaire ne sont pas très nombreuses. La principale est la note du Bureau de l’Insertion Sociale et de la Participation Communautaire dont l’objet concerne le développement de la présence de l’Aumônerie Evangélique Tzigane dans les établissements pénitentiaires. Il y est d’ailleurs fait état “de la situation d’isolement moral dans laquelle se trouvaient parfois certains détenus tziganes”.
Enfin, à l’instar de toute autre culture, les nombreux documents livres ou films existants peuvent être des aides précieuses, mais ne sauraient à eux seuls être suffisants.

B. Les écueils à éviter pour le CIP durant la prise en charge des Voyageurs incarcérés

Si les Voyageurs constituent bien un public avec des dimensions culturelles qui leur sont propres et des problématiques sociales tout aussi particulières, et une fois ces aspects connus par le CIP, il faut pour autant se méfier de trois écueils majeurs : la spécialisation, la tentation de l’assimilation et le non recul sur ses propres stéréotypes.
La spécialisation, c’est adopter un discours et des pratiques professionnelles qui tendent à considérer son action auprès des Voyageurs incarcérés comme la plus appropriée et quasiment irréprochable. Dans un environnement professionnel où les connaissances sur ce public sont assez limitées, le CIP peut -être grisé par de telles facilités à maîtriser des clefs de compréhension permettant un travail sans difficultés avec le détenu. Cette hypothèse laisse peu de place à d’autres formes d’approche susceptibles d’améliorer l’accomplissement des missions du CIP, et ce dernier peut se priver de ressources personnelles ou institutionnelles pourtant précieuses, et à bien des égards, essentielles.
Le deuxième écueil majeur que je considère comme susceptible d’entraver un suivi efficient des PPSMJ Voyageurs, c’est celui qui consiste à adopter inconsciemment la posture d’un agent d’intégration. Le travail social, en imposant des conceptions rigides visant à une mise en conformité à un modèle dominant, peut affaiblir des groupes sociaux et culturels en diminuant leur résistance face à des changements qui leur sont imposés. Nous sommes alors dans ce que J-P Liégeois définit comme un “ mouvement assimiliationniste ”. La diversité des cultures doit rester présente à l’esprit du CIP.
Les deux écueils ci-dessus mentionnés ont à mon avis une origine unique, qui est la difficulté pour le CIP de se détacher de ses stéréotypes. Le CIP, comme tout citoyen, a des conceptions et des choix politiques qui lui sont propres. Cependant, ces derniers ne doivent en aucune façon influencer ses orientations professionnelles. Il est donc nécessaire de s’en détacher pour adopter un point de vue impartial. Mais le poids de nos croyances est difficile à évacuer, et les stéréotypes peuvent se manifester de façon inconsciente. Concernant les Voyageurs, les mythes qui ont cours ont évolué pour passer d’une méfiance inconsidérée eu égard à un danger supposé, à un apitoiement sur leur sort. J’ai ainsi pu entendre durant mes stages nombre de phrases telles que “ Les pauvres, en réalité, ils ne sont pas dangereux mais malheureux... ”. La capacité ou non à se dégager de nos propres fantasmes et préjugés déterminera en grande partie l’efficacité du travail du CIP.

C. Actions de sensibilisation pour rendre “visible ” les Tsiganes

Une des manières qui semblent les plus pertinente pour connaître et faire connaître les spécificités des populations Tsiganes est la mise en place d’actions collectives au sein d’un établissement pénitentiaire.

Le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation a pour mission de favoriser le développement des actions culturelles. Celles-ci peuvent être l’occasion d’appréhender leur culture, de les rendre visibles en tant qu’individus à part entière mais aussi appartenant à un collectif clairement identifiable. En écartant bien évidemment tout prosélytisme ou toute action revendicative, il est souhaitable que des représentations théâtrales, des concerts organisés soient les vecteurs culturels qui permettent d’accéder à une culture ignorée et pourtant présente dans les établissements pénitentiaires. Il en est de même pour les ouvrages présents dans les bibliothèques des quartiers socio-culturels : alors qu’un certain nombre d’entre eux favorisent l’ouverture culturelle vers d’autres horizons (avec parfois des livres en langue étrangère), force est de constater que la place consacrée à la culture tsigane est réduite à la portion congrue. Un rééquilibrage des produits culturels proposés et disponibles doit être au coeur des axes de développement d’actions culturelles proposées par le SPIP et par les CIP en charge de tel ou tel secteur de l’activité culturelle.

Deuxième chapitre. La mise en œuvre des missions du CIP auprès de ce public

A. Développer les aménagements de peine en tenant compte des spécificités de cette population

La préparation à la réinsertion sociale est au cœur des missions du CIP. Les différents aménagements de peine et les dispositifs législatifs qui permettent de les appliquer doivent tenir compte de divers éléments qui fondent l’environnement de la Personne Placée Sous Main de Justice. Ces éléments, tels que l’entourage familial, le logement, le travail, lorsqu’ils concernent les détenus Tsiganes, posent un certain nombre de problèmes qu’il faut connaître. Leur connaissance permet par la suite au CIP de mettre en place des aménagements de peine correspondant le mieux aux profils des détenus Tsiganes.

La plupart des aménagements de peine mis en place par le Juge de l’Application des Peines au Centre Pénitentiaire de Châteauroux, dans le cadre des débats contradictoires ou à travers la Nouvelle Procédure d’Aménagement de Peine (N.P.A.P) le sont lorsque des garanties sérieuses de réinsertion sont présentées par le détenu. En l’occurrence, un emploi, un logement stable. Ces garanties sont nécessaires pour permettre une stabilisation de l’individu au sein de la société, et ainsi limiter au maximum les risques de récidive ou de réitération des faits.
Les Tsiganes incarcérés au CP de Châteauroux, à l’instar de beaucoup de Gens du Voyage, ne rentrent pas dans les catégories classiques du salariat et adhèrent peu souvent à des dispositifs de formation ou d’orientation existants, tels que l’Agence Nationale Pour l’Emploi (ANPE), l’Institut de Formation et de Recherche en Education Permanente (IFREP) ou encore l’Association de Formation Professionnelle Pour Adultes (AFPA). Ils ont tous travaillé dès la prime adolescence, sont assez polyvalents dans les métiers du bâtiment ou sont spécialisés dans une branche professionnelle particulière ( les métaux par exemple). Le problème central, c’est que beaucoup de ces professions ne sont pas déclarées, et que souvent elles sont de nouveau exercées à la sortie des détenus Tsiganes.
Il est bien évident que le CIP qui a en charge un détenu Tsigane ne peut ignorer cette incohérence entre la réalité sociale vécue par la personne qui sollicite un aménagement de peine et les garanties nécessaires à l’obtention d’un tel aménagement de peine auprès du Juge de l’Application des Peines. Pour que les Tsiganes puissent, au même titre que d’autres détenus, bénéficier d’emplois et de qualification professionnelle susceptibles d’être reconnus comme tels et pouvant leur être utiles, c’est auprès d’interlocuteurs et de professionnels faisant preuve de pédagogie que la clef peut se trouver. En effet, une des solutions de facilité, comme je l’ai entendu, peut être de dire : “’De toute façon ça sert à rien de travailler pour eux, les Manouches restent Manouches”. La solution n’est pas de renvoyer des individus à leur situation sans chercher avec eux des possibilités de changement. Elle n’est pas non plus de nier une identité culturelle qui s’exprime à travers un savoir-faire issu de plusieurs générations familiales. Le rôle du CIP est de connaître au mieux le parcours personnel des PPSMJ et de les orienter vers des organismes capables de prendre en compte les caractéristiques de ce public spécifique. Je pense notamment à des associations d’insertion sociale implantées localement, et qui peuvent travailler à l’extérieur avec des Voyageurs. La connaissance par les membres de l’association des familles et quelquefois des individus incarcérés sont autant de garanties dans la future réinsertion des Tsiganes. Plus qu’au sein de grandes administrations telles que l’ANPE ou l’anonymat est parfois de mise, et ainsi la prise en compte des projets individuels beaucoup plus aléatoire.

La question du logement est elle aussi complexe. La reconnaissance par l’institution judiciaire de l’habitat traditionnel des Tsiganes, les caravanes principalement, serait un frein en moins à la mise en place d’aménagements de peine. Sinon, la seule possibilité est pour les Tsiganes de se sédentariser, ou pour ceux qui le sont déjà, de ne plus voyager. Le CIP doit alors trouver la moins mauvaise des solutions, mais il est rare qu’une solution acceptable pour le Voyageur soit trouvée.

B. Favoriser le maintien des liens familiaux des détenus Tsiganes

Les détenus Tsiganes incarcérés sont très fortement soutenus pas leur entourage familial. Celui-ci se donne les moyens de pouvoir répondre aux nécessités lorsqu’un membre de la communauté familiale est emprisonné, dans un premier temps en étant le plus proche possible du lieu de détention. C’est ainsi que la femme avec les enfants, les parents, les oncles peuvent aller séjourner dans le département ou sur le territoire de la commune du lieu de détention le temps que celle-ci doit durer. Les sacrifices consentis en termes de disponibilité, d’argent que coûte le voyage et d’installation sur un lieu de stationnement sont largement amortis moralement par la volonté “ de ne pas laisser un des siens sur le bord de la route ” (dixit une femme de Voyageur incarcéré rencontrée sur un terrain de stationnement à Rennes).
Mais au-delà de cette proximité géographique et familiale qui accompagne l’incarcération des Tsiganes, il faut nous interroger sur le rôle que peut jouer le CIP dans ce maintien des liens familiaux et dans quelles mesures ceux-ci participent pleinement à la vie du détenu, à sa réinsertion, et à la prévention de la récidive.

1. Le CIP comme relais entre le Voyageur et sa famille

Même si l’entourage des Voyageurs est certainement un des plus présents et l’un de ceux qui le revendiquent en est fier “ nous, on n’abandonne jamais les nôtres ”, le rôle du CIP reste fondamental à bien des égards.
Dans un premier temps, en cas d’incarcération à l’issue d’un passage en comparution immédiate qui a lui-même succédé à une garde à vue, il est rare que la famille soit avertie de ce parcours avant que le détenu ne rencontre le travailleur social. Dans tous les cas, une des premières demandes du Voyageur va être que le CIP prévienne la famille du lieu de l’incarcération et des modalités pratiques pour mettre en place des parloirs (si la famille n’as pas déjà connaissance des formalités à accomplir, ce qui est fréquemment le cas).
C’est donc dès les premiers jours de l’incarcération que le CIP va prendre contact avec la famille, se présenter et s’identifier auprès d’eux comme interlocuteur au sein de la détention, si la famille a des interrogations ou des souhaits à exprimer, pour que les réponses aux demandes soient satisfaites.
Lorsque la famille n’est pas contactée dans les premiers jours de l’incarcération, car à la fois le détenu et celle-ci ont déjà communiqué entre eux, le CIP peut se trouver dans une position délicate. Le Voyageur, par légitime volonté d’indépendance et d’autonomie, peut choisir de ne pas parler de sa famille, de ses enfants notamment. Il s’agit d’une posture de repli sur soi et de protection pour que le champ intime et privé ne soit pas connu des professionnels. La crainte est l’intrusion de ceux-ci à l’intérieur de ses relations familiales, et qu’un jugement moral soit porté de façon insidieuse sur son cercle de vie privée. Par exemple, un jeune Tsigane incarcéré qui a dix enfants, ne va pas forcément vouloir l’évoquer par peur d’essuyer quelques critiques qui faisant écho à des réalités vécues (“ les Manouches, ils travaillent pas, touchent les allocations et font plein de gamins... ”, discours souvent entendus de la part de personnels de surveillance...). Le meilleur moyen qu’un détenu Tsigane accepte de donner des informations concernant son cercle familial est, sauf nécessité immédiate, que le climat de confiance instauré avec le travailleur social soit synonyme de non-divulgation d’informations . Que le Tsigane soit rassuré sur l’utilisation des informations qu’il communique au CIP. Et c’est à ce dernier d’instaurer un cadre de travail avec la PPSMJ, au sein duquel il va pouvoir expliquer son rôle dans le maintien des liens familiaux. Ce rôle, c’est de servir de relais entre le détenu et sa famille si les parties sont demandeuses et d’accord, c’est de répondre à des interrogations de la part de la famille sur le déroulement de la vie en détention, la rassurer également en expliquant, par exemple, la mise en place des processus d’aménagement de peine.
Si ces interventions “ relais ” entre le milieu fermé et les proches restés à l’extérieur sont importantes et souvent les plus pratiquées (pour ce que j’ai pu voir), le maintien des liens familiaux doit être un levier pour travailler avec le détenu Tsigane à la fois sur la réinsertion et sur la prévention de la récidive

2. La réinsertion dans l’environnement familial, une nécessité pour les Voyageurs

Si le maintien des liens familiaux revêt une importance particulière pour la vie du détenu Tsigane en établissement pénitentiaire, il doit permettre également la préparation à la sortie, à travers le retour dans l’environnement d’origine.
Nous avons vu la place de la famille dans le processus de construction des Tsiganes, et la place qu’elle tient dans la culture Tsigane. La vie s’organise autour des anciens de la famille, et la vie se déroule en permanence au sein de la famille élargie. Il est donc important de connaître ces données et que le CIP les utilise à bon escient. Il s’agit notamment de tenir compte du mode de vie de la famille de la personne incarcérée. Si l’environnement est celui du voyage plus que du stationnement assez long dans telle ou telle région, le détenu voudra la plupart du temps retourner vers le mode de vie qu’il pratique depuis toujours. En partant des habitudes de la PPSMJ, le travail de préparation à la sortie va consister à anticiper ce retour au sein de la communauté. Cette anticipation, via le dialogue avec le détenu et sa famille, va permettre à la PPSMJ de se réinvestir dans la place qu’elle occupe dans sa famille. Le père qui voit ses enfants régulièrement au parloir et discute avec eux, maintien son rôle de père. Mais en parler avec lui, lui demander la manière dont il envisage ce retour est une préparation psychologique nécessaire. D’autant plus nécessaire que le détenu peut être “ grisé ” par une liberté trop vite retrouvée.
Le dialogue avec la famille permet d’envisager le point de vue de celle-ci sur le retour de la personne emprisonnée, l’accueil qui lui sera fait, le regard qui sera porté sur la PPSMJ. Et un travail doit être réalisé, quand cela est possible, entre le CIP et la famille sur les dangers d’un retour trop rapide au sein du cercle familial, sans tenir compte du temps plus ou moins long passé en détention.
Ces axes de travail pour le CIP doivent faire l’objet d’un partenariat avec d’autres acteurs de la détention, le psychologue PEP pouvant être une personne ressource très précieuse dans ce cadre.

3. La famille comme garante de la non-réitération des faits : la prévention de la récidive

L’environnement familial, pour les Tsiganes, c’est le lieu de l’éducation et de l’apprentissage des pratiques sociales. Ce sont des individus que l’on fréquente tout au long de sa vie, dans tous les événements qui ponctuent celle-ci. Le cercle familial constitue donc pour l’individu la référence culturelle essentielle. Tout, dans la culture Tsigane, se rattache de près ou de loin à la famille.
Les infractions commises par les gens du voyage interviennent, de la même manière, dans une famille qui a, dans pratiquement tous les cas, compté plusieurs membres déjà condamnés et emprisonnés. On pourrait penser que ce cercle familial ne peut donc constituer une garantie pour se prémunir contre des conduites délictueuses de la part de ses membres. Mais, au lieu de considérer le cercle familial comme impuissant et inutile face à des comportements délinquants, le CIP peut le considérer comme un atout dans la prévention de la récidive.
La grande majorité des détenus interrogés sont relativement jeunes. Jeunes adultes, mais souvent parents d’un ou de plusieurs enfants depuis quelques années. Et, pour ce que j’ai pu observer dans la prise en charge des détenus Tsiganes, la place des enfants et de leur femme est pour eux très importante. La prise de conscience de la gravité des faits commis peut se faire à partir de la responsabilité qui leur incombe désormais en tant que père de famille, et en tant qu’homme au sein de la communauté. C’est un élément donné à une peine qui doit être porteuse de sens. 

C. Donner un sens à la peine de privation de liberté

Travailler sur le sens de la peine, c’est-à-dire sur la légitimité de la sanction et de son inscription dans la juste réparation des infractions commises en société, nécessite auprès des Tsiganes un approfondissement de certains points, eu égard à la conception largement partagée au sein de leur communauté du système judiciaire et de la prison. Il ne s’agit pas pour le CIP d’adopter une position moralisatrice et supérieure, mais de rappeler certains principes intangibles. Ces principes permettent à la PPSMJ de réfléchir à la portée de ses actes, des conséquences de ceux-ci, donc de replacer la personne au centre d’un réseau complexe d’individus au sein duquel des règles sont établies pour permettre le libre exercice des droits de chacun.

1. Reconnaître la légitimité de la Justice

Faute de réelle connaissance des mécanismes judiciaires et des procédures dans lesquels ils se trouvent impliqués, l’impression qui domine chez les Tsiganes, c’est celle d’être ballottés au gré des envies de tel ou tel magistrat, d’être jugés plus sur ce qu’ils sont que sur la réalité des actes commis. “ On prend cher car on est Manouche, ça finit toujours pareil ”. Cette phrase qui revient souvent dans la bouche des Tsiganes démontre si besoin est la conception qu’ils se font des instances qui les jugent : une impression d’injustice très forte.

Mais, dépassant la colère qui guide le discours des Voyageurs incarcérés, le CIP peut, en faisant œuvre de pédagogie et d’explication, arriver à travailler avec le Tsigane incarcéré sur les raisons de sa condamnation à une peine privative de liberté. Car l’injustice ressentie par les Voyageurs, c’est celle d’un contexte social difficile, ce sont les discriminations subies au sein de la société française. Mais, ramenée à la situation individuelle, aux actes commis, la notion de ce qui est légal ou illégal est connue, la frontière de l’illégalisme est franchie en sachant les conséquences pénales possibles. Les Voyageurs maîtrisent de façon empirique au sein de leur communauté, “ ce que vaut telle ou telle connerie ” ( en terme de peine encourue). Le CIP, en dégageant le détenu des récriminations sociales larges pour recentrer le discours sur la réalité des actes commis, rappelle le cadre légal et législatif de la peine, son sens par rapport à la gravité des infractions, la proportionnalité des peines pronocées et la non-discrimination des institutions judiciaires.
Le respect du pacte social, du “ vivre ensemble ” pour tous les citoyens quelles que soient leur culture ou leur mode de vie, c’est avant tout respecter le cadre législatif garant des libertés individuelles et collectives. Ce rappel des normes sociales est au centre des missions du CIP, il donne pleinement son sens à la peine privative de liberté.

2. La responsabilisation des PPSMJ

Par la reconnaissance de la réalité des actes commis et de l’acceptation de la sanction pénale, la PPSMJ se considère comme individu à part entière, responsable devant les institutions judiciaires de son comportement au sein de la société. Le CIP replace l’individu comme tel, et le Tsigane peut alors envisager ses actes comme propres à lui-même, n’engageant pas obligatoirement les autres membres de la communauté. On passe d’une dilution de la responsabilité derrière une communauté qui agirait en tant que telle à un individu seul devant sa propre réalité et qui doit s’assumer. Nous avons vu que le père incarcéré prend conscience de sa paternité et des obligations morales qui s’y attachent. C’est donc le même processus de réflexion qui est à l’œuvre ici, celui de s’extirper des carcans du monde extérieur et des schémas d’enfermement qui induisent un discours marqué par le manque de recul et de réflexion sur les situations personnelles.
 
3. La mise à profit du temps passé en détention : l’accès à des savoirs, s’émanciper du poids tutélaire de la communauté...

Travailler sur le sens de la peine, pour le CIP, c’est avant tout dans tendre vers l’objectif de prévention de la récidive, qui reste notre mission première. Mais le travail social, c’est aussi établir pour la personne suivie les aspects bénéfiques d’une prise en charge, dont la dimension éducative est importante, voire fondamentale dans le cas des Tsiganes. En marge du système scolaire et des filières de formations professionnelles, ne maîtrisant pas totalement les dispositifs sociaux existants, c’est un public souvent pauvre en terme de ressource qui est présent en détention. L’inscription de certains des détenus Tsiganes à des cours scolaires, des formations quand elles existent, constitue pour eux un pas important, une prise de conscience de leur potentiel intellectuel ou manuel. Et sans le regard pesant de la communauté qui voit d’un mauvais œil quand des membres se compromettent avec des Gadjés, dans leur monde...
L’accès à des dispositifs de droit commun, la possibilité de rencontrer un conseiller ANPE, d’effectuer un bilan de compétences permet à l’individu Tsigane, peut-être pour la première fois, d’envisager un avenir sans devoir en rendre compte. C’est une étape essentielle vers l’autonomie, sans laquelle toute inscription durable dans le corps social est vouée à l’échec. Le CIP, personnel ressource est en capacité de conseiller la PPSMJ sur des solutions à sa problématique sociale, ainsi que de l’orienter vers des professionnels, des partenaires compétents, à même de répondre à leurs interrogations et de leur proposer des solutions. Le CIP doit évaluer les possibilités de la PPSMJ en terme de projet post-carcéral, en tenant compte de la spécificité du public Voyageur, c’est-à-dire que l’émancipation sociale permet d’être un atout supplémentaire à la défense et la promotion de l’identité culturelle.

 Troisième chapitre. Développer le travail partenarial.

Face à des situations sociales complexes comme le sont celles des Voyageurs incarcérés, le CIP et le SPIP doivent agir de concert avec plusieurs types de partenaires pour une meilleure efficacité dans la prise en charge de la PPSMJ. Ces partenaires, internes à l’Administration Pénitentiaire ou appartenant au tissu social local et départemental, sont choisis à bon escient, en vue de mener des actions et d’atteindre des objectifs clairement définis dès le départ.

A. Les partenaires de l’Administration Pénitentiaire : partager les informations, mutualiser les compétences

Le Centre Pénitentiaire de Châteauroux a mis en place depuis plusieurs années le Projet d’Exécution de Peine, le P.E.P. Tel que défini dans la circulaire du 21/07/2000, le P.E.P doit répondre à trois objectifs :
• “ Donner plus de sens à la peine privative de liberté en impliquant davantage le condamné dans l’évolution de celle-ci pendant toute la durée de son incarcération ”
• “ Définir les modalités de prise en charge et d’observation permettant une meilleure connaissance du détenu ”
• “ Améliorer l’individualisation judiciaire et administrative de la peine en proposant au juge ou à l’autorité administrative compétente des éléments objectifs d’appréciation du comportement de chaque détenu sur lesquels ils peuvent asseoir leur décision ”

Cet outil qu’est le P.E.P implique l’ensemble des personnels de l’établissement, sous la direction du chef d’établissement, avec un rôle de coordination pour le psychologue “ référent ” du P.E.P. Lors de réunions régulières dites d’orientation et de suivi, l’échange des points de vue sur le profil d’un détenu permet à chacun d’accroître la connaissance qu’il en a. Des axes de travail et de prise en charge transversaux peuvent ainsi être envisagés collectivement.
L’expérience du P.E.P tel qu’il est pratiqué au CP de Châteauroux démontre que le CIP doit avoir un rôle moteur pour, d’une part, évaluer les détenus qui pourraient s’impliquer positivement dans ce projet, et d’autre part, les inciter à s’y engager. Il n’agit pas de façon isolée, mais doit être au centre de la mise en place d’un Projet d’Exécution de Peine. Les détenus Tsiganes, nous l’avons vu, constituent un public avec des caractéristiques spécifiques souvent inconnues de la plupart des professionnels et posent de nombreuses questions sur la réinsertion post-carcérale. Répondre à ses interrogations, lever ses incompréhensions, tels sont les objectifs du P.E.P, duquel les Tsiganes peuvent en tirer le plus grand bénéfice. Il faut donc que le CIP soit conscient de cela, et agisse dans ce sens durant la prise en charge de détenus Tsiganes.

Les autres partenariats, souvent établis avec le SPIP, peuvent être plus bilatéraux. Ainsi, le Responsable Local de l’Enseignement, coordinateur de l’enseignement dispensé au sein d’u établissement, est un allié précieux du CIP. Les échanges entre ces professionnels permettent au CIP de connaître l’implication de tel ou tel détenu Tsigane dans l’enseignement qu’il suit. Autant d’éléments qui favorisent pour le CIP la meilleure application de sa mission de réinsertion, au plus près de la personnalité de la PPSMJ et de son profil. 

B. Les associations comme soutien à la sortie des détenus Tsiganes : la nécessité d’établir un partenariat sur le long terme

L’expérience vécue auprès de l’association Ulysse 35, à travers les rencontres avec les salariés intervenant dans les secteurs de l’habitat, des accès aux dispositifs des droits sociaux (RMI, allocations familiales...), de l’intervention pour la promotion culturelle du mode de vie des Tsiganes, mais surtout les stages au SPIP de l’Indre m’ont permis de réaliser le chemin à parcourir dans l’établissement de partenariats spécifiques destinés à améliorer les d’actions propices à inscrire les Tsiganes dans le tissu social.
La réinsertion des Gens du Voyage, comme nous l’avons vu, nécessite la prise en compte des points particuliers qui fondent leur identité, mais aussi permettre dans la mesure du possible, l’accès aux dispositifs de droit commun. Le Conseiller d’Insertion et de Probation doit alors orienter le Voyageur vers des structures capables de répondre à ses attentes, mais l ‘efficacité dépendra en grande partie de la réalité du partenariat. Ainsi, travailler en commun sur le long terme demande la définition d’objectifs à atteindre, des évaluations intermédiaires, des résultats à évaluer.
Le CIP doit être partie prenante d’une démarche partenariale. Il est capable de connaître les difficultés posées par un retour à la vie libre après une période de détention, d’évaluer le poids des effets désocialisant de la prison. C’est à partir de ce diagnostic qu’un travail partenarial peut être mis en place. S’appuyer sur les associations spécialisées dans l’accès au droit commun est un atout indéniable pour la réinsertion des Gens du Voyage. Il est grand temps que des conventions entre les SPIP et des associations départementales se développent et se multiplient partout où cela est possible. Surtout que les demandes sont nombreuses des deux côtés.