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3 Aspect social

Mise en ligne : 20 novembre 2004

Texte de l'article :

Etude sociologique de la prison

 Il existe différentes attitudes, d’essence idéologique, face à l’incarcération : punition, dissuasion, rééducation, neutralisation, abolition, autant d’attitudes face à l’emprisonnement de ses semblables. Le sujet est trop complexe et passionné pour le traiter ici. L’architecte n’y a pas son propos, mais il se doit de connaître au mieux les intervenants qui composent cet espace clos, d’une part, et les évolutions possibles des diverses formes de détention, d’autre part. Il doit permettre aux réformes de l’administration pénitentiaire, comme à l’évolution des mœurs, de prendre possession dans le temps, de son édifice.

Les bases d’une incarcération

Depuis le début du XIXe siècle, il existe des principes fondamentaux, qui sont plus ou moins appliqués, mais qui sont reconnus et que M Foucault résume ainsi :

 Principe de la correction - La détention pénale doit avoir pour fonction essentielle la transformation du comportement de l’individu (sur les bases idéologiques du XIXe "La peine privative de liberté a pour but l’amendement et le reclassement du condamné" (cf. Le principe d’amendement).

 Principe de la classification &emdash ; Les détenus doivent êtres isolés, répartis selon la gravité pénale de leur acte, leur age, leur sexe, leurs dispositions.

 Principe de la modulation des peines &emdash ; Les peines doivent pouvoir se modifier selon l’individualité du détenu et son évolution. Un régime progressif doit pouvoir être appliqué de l’encellulement jusqu’à la liberté conditionnelle en passant par la semi-liberté.

Le travail pénal &emdash ; Aucun détenu ne doit être astreint à l’inactivité ; le travail pénal, ou plus largement l’occupation manuelle n’est pas une sanction mais un adoucissement de la peine qui amène le détenu à se socialiser en se responsabilisant.

L’éducation pénitentiaire - Un apport au détenu en matière de formation professionnelle ou d’enseignement scolaire est un devoir de la part de l’autorité publique qui tend ainsi à "améliorer" le détenu pour mieux préparer sa sortie.

Le contrôle de la détention - Il doit être effectué par du personnel compétent, formé à cet effet. Il ne se limite pas à la surveillance physique du détenu, mais aussi à sa formation, sa santé, ses aspirations (cf. les surveillants)

Principe de reclassement - Le détenu doit être suivi pendant et après sa peine, des mesures de contrôle et d’assistance doivent l’accompagner jusqu’à sa totale réinsertion sociale.

Le détenu

"L’individu pris en charge dans la routine carcérale qui le berce mais l’opprime, peut-il s’affirmer en adulte, ou est-il entraîné dans le tourbillon de cette régression, spatiale et temporelle, mais aussi humaine ? "Comme les enfants, on n’est responsable de rien, on n’assume rien. Tout est prévu et organisé pour nous. On ne nous demande pas notre avis sur les choses essentielles. Considérés comme des enfants, nous agissons comme eux" ".

Les privations dont fait l’objet le détenu ont été décrites par Sykes en 1958 (Grande Bretagne - Rapport sur les prisons) :

- la perte de liberté. Elle est géographique, mais aussi temporelle, puisqu’il ne peut aller n’importe où, n’importe quand

la perte des biens et services. En effet, il est dépouillé de tout, bien que, on l’a vu (cf. cantine), il tende, au cours de son incarcération, à tout faire pour se les réapproprier ;

- la privation sexuelle. Elle est évidente pour l’hétérosexualité, mais influe fortement vers les relations homosexuelles ;

- la perte d’autonomie. Le détenu est nourri, logé, soigné, c’est toujours une personne "dominante", gardien ou co-détenu qui va décider de ses activités et de son avenir. L’"irresponsabilisation" tend parfois à l’infantilisme, ce qui n’est pas idéal en prévision d’un réinsertion ;

- la perte de sécurité. La prison est un monde d’anxiété où règnent la crainte, le doute et la suspicion. La surveillance active et la répression qu’exercent les gardiens, comme la promiscuité et la violence des co-détenus sont les éléments de cette insécurité.

Le détenu, pour entrer dans cet environnement social hostile et s’y adapter, se "prisonnierise". C’est ce moyen d’adaptation que décrit Guy Lemire dans son ouvrage "Anatomie de la prison", et dont les causes sont :

- le changement de statut social, et notamment l’anonymat dans un milieu dirigé par quelques personnes ;

- le changement d’habitudes essentielles, perte de certaines de ces habitudes (ouvrir une porte) découverte d’autres (manger près d’un cabinet d’aisance) ;

- l’importance de participer à des activités uniquement par intérêt (travailler, par exemple) pour diminuer les contraintes et occuper son temps ;

- une personnalité instable, qui n’a pas créé de liens sociaux, et qui est donc influençable ;

- la dualité détenu/gardien qui crée un monde hostile ;

- l’absence de relation avec le monde extérieur, la restriction de l’univers du détenu à la prison ;

- le repli sur des groupes primaires, groupes restreints de prisonniers qui tissent des liens de camaraderie, alternative au milieu hostile et au manque de relations de confiance ;

- une acceptation aveugle des mœurs et valeurs du groupe primaire et plus généralement de la population carcérale ;

- le côtoiement de détenus ayant la même orientation, voire une condamnation similaire ;

- la volonté de participer aux activités de paris et sexuelles du milieu dans lequel ils sont ;

- enfin, la durée et la dureté de la peine qui sont des facteurs aggravants.

Au travers de ces multiples éléments qui sont des facteurs d’isolement sociaux du détenu, on ne peut que constater un éloignement du but recherché par le législateur, offrir les meilleures chances de réinsertion, et une perte évidente de sa dignité de citoyen. C’est à présent un souci constant de la chancellerie d’offrir au détenu un respect de sa dignité ainsi que de faire admettre que sa détention ne soit qu’un artefact de sa vie sociale, ce que le garde des sceaux définit parfaitement en ces termes :

"Il ne faut pas perdre de vue que les hommes privés temporairement de leur liberté n’en conservent pas moins leur qualité de sujets de droit et une inéluctable vocation, en fonction des conditions fixées par les règles en vigueur, à réintégrer un jour la société libre. Leur passage en prison ne doit pas entraîner une quelconque déchéance sociale ou morale."

Le surveillant

"Le geôlier est une autre sorte de captif. Le geôlier est-il jaloux des règles de son prisonnier."

Peut-on parler des détenus sans parler des gardiens ? En effet, ils sont dans une position qui échappe souvent à l’observateur extérieur. On peut la résumer par cette phrase souvent rapportée lors de discussions avec le personnel de surveillance : " si le détenu est là pour deux ou trois ans, nous on est en prison pour toute notre carrière". Il n’est pas de prison sans gardiens, cette évidence est trop souvent oubliée. Les manifestations à répétition de ceux-ci montrent un mécontentement qui n’est pas près de disparaître. Le manque de moyens, ce qui est dénoncé la plupart du temps, n’est pas tout. C’est souvent le point d’exaspération qui catalyse les frustrations du personnel qui travaille intra muros, mais il est le révélateur d’un mal vivre plus profond. Cette attitude réfractaire n’est, bien sûr, pas faite pour permettre une évolution dans l’attitude que peut avoir le personnel de surveillance avec les détenus, ni pour calmer une tension importante due à la surpopulation dans certains centres.

D’autre part, unifiés par ce mécontentement latent, les gardiens représentent une force de protestation et de passivité qui empêche évidemment toute évolution. Le pouvoir est souvent plus en leurs mains qu’entre celles du chef d’établissement, qui ne peut prendre le risque d’imposer des changements. Le bâtiment n’est pas tout, si il s’adapte à la fonction, il doit aussi s’adapter aux hommes. Les gardiens de prisons sont les éléments de base de toute réforme, c’est la définition de leurs tâches, et leur formation qui fait la différence. Il s’agit de ne plus réduire la prison à une technologie de la surveillance, mais de l’ouvrir à un encadrement évolutif, qui doit suivre et accompagner l’amélioration que l’on peut espérer du détenu.

Comme il est une "prisonnierisation" des détenus, on peut craindre une "pénitentiarisation" des gardiens. Loin de s’attaquer aux problèmes du statut et du rôle du personnel pénitentiaire, c’est le travail du concepteur de prévoir un environnement qui soit un outil de travail approprié à une plus grande évolutivité. Pour le gardien, cela prend la forme d’un allègement du travail de surveillance, qui le réduit souvent au rôle de "porte clefs", et à l’augmentation de son rôle socio-éducatif et relationnel. Il est évident que réduire les contraintes de surveillance ne doit évidemment pas amener à une baisse du personnel, mais à une redéfinition de ses tâches.

La relation détenu-surveillant

" ... Le vrai problème est d’arriver à protéger par des sanctions les interdits sans que pour autant le système de sanctions porte atteinte aux valeurs essentielles, par exemple le respect de la dignité humaine... "

Il n’est pas de conclusion définitive que l’on puisse apporter à un rapport humain aussi étroit et tendu que peut l’être une relation entre un prisonnier et son gardien. Le portrait robot du détenu est inchangé depuis de longues années, c’est un homme célibataire, jeune (moins de trente ans), d’un niveau d’instruction primaire sans profession ou chômeur, il est ou sera condamné le plus souvent à une peine inférieure à trois ans. La prison, à défaut de remédier aux manques de sa vie antérieure doit lui offrir les moyens de construire sa vie future. S’il est jeune, il aspirera à une activité, souvent sportive, sa relation matrimoniale ou filiale ne pourra s’épanouir que dans un espace approprié, un défaut d’enseignement se corriger que dans un centre de formation, un besoin de travailler dans un atelier... Rarement le lien du bâti avec son aspect social ne s’exprime avec autant de force.

Les conditions générales en prison

Tolérable et intolérable

 "Le règlement n’autorise encore que deux douches par semaine, été comme hiver. Alors en prison, ça pue ! Et pourtant, jamais un juge n’a condamné un accusé à une peine de cinq, dix ou vingt ans de puanteur. Pas plus qu’à être obligé de " chier " en public, parce que les " tinettes " trônent au beau milieu de la cellule et que leur parfum embaume toutes les heures de la journée, y compris celles des repas."

A travers les conditions de détention que l’on peut rencontrer dans les prisons françaises, c’est plus les problématiques qu’elles posent et les solutions architecturales et de fonctionnement que l’on peut y apporter auxquels je m’attacherai. En effet, chaque mouvement de détenu, chaque signe de mobilité est une occasion de mécontentement ou de disfonctionnement, or, si on espère amener enseignement, travail et relations sociales à l’intérieur de la prison, ce n’est qu’à travers une mobilité aisée et sécurisée que cela pourra être réalisé. Les surveillants sont en droit d’espérer de la conception même des locaux qu’ils utilisent, d’alléger leur charge de travail Les détenus comme les surveillants, sont à même de souhaiter des bâtiments qui les abritent, qu’ils facilitent leur accès aux activités diverses, afin de les amener à reprendre contact avec une société dont ils sont isolés.

La vie en les murs

Dès 1814, La Rochefoucault avait établi un modèle de prison idéale dans lequel il indiquait :

"Il faut que ces bonnes idées, ces bons principes, que l’on veut leur inculquer, le soient tous les jours, à tous les moments du jour, dans chacune de leurs occupations, [...] il faut en émailler leur existence par tous les moyens physiques et moraux, sagement, habilement, il faut que les idées saines dont on cherche à les pénétrer leur entrent pour ainsi dire par tous les pores sans qu’ils s’en doutent."

 Bien que fortement orientée dans un sens religieux, l’idée maîtresse n’en reste pas moins d’occuper le détenu par des activités "saines et dans l’ordre moral" pour qu’il ne sombre pas dans "l’oisiveté".

Or, la charge économique de la surveillance laisse peu de temps aux surveillants pour jouer leur rôle de vecteur social. Pourtant les surveillants dont les activités comportent une partie de formation ou de sport, entre autres, ont souvent un contact plus facile avec les détenus. Il en découle moins de tensions, d’une part parce que le détenu est intéressé à l’activité et ne reste pas dans sa cellule la majeure partie de la journée (cf. Témoignages et Voir la prison), ensuite parce qu’il ne voit plus le gardien comme un "maton" mais plus comme le tuteur, le prof, etc...

Ainsi les lieux d’activités mis à disposition des détenus doivent-il être accessibles facilement, dans des créneaux horaires suffisamment étendus, et avec un minimum de surveillance visible.

Les lieux d’activités.

 Le sport

Si les terrains de sport existent dans la prison, ils ne sont accessibles que par beau temps, dans un cadre de jeux collectifs impliquant plusieurs gardiens. Il est important, pour les détenus, d’élaborer des activités intérieures, accessibles par tout temps et à n’importe quelle heure, avec une surveillance minimale et rassemblant les détenus par petits groupes (moins de 4). Parmi les sports de salle qui ne nécessitent pas la construction d’un gymnase et qui requièrent un matériel minimum, on retiendra la musculation et l’escalade. Le premier est souvent adopté dans les maisons d’arrêt, de par sa facilité de mise en œuvre et la relative facilité de trouver un surveillant ayant les capacités nécessaires. L’escalade par contre, nécessite une intervention extérieure mais a l’avantage d’être adaptée à un esprit d’équipe, une confiance réciproque, et d’amener à un dépassement de soi. Dans une région qui rassemble une vingtaine d’associations spécialisées, le partenariat que peut développer la prison avec un intervenant extérieur peut tout à fait permettre une pratique régulière, encore faut-il que l’architecture du lieu, haut et couvert y soit adaptée. Nous nous attacherons à intégrer dans le projet un lieu adapté. 
 
Bibliothèque et médiathèque

S’il est un lieu qui doit apporter au détenu une "évasion" vers de nouveaux horizons, réveiller en lui de nouvelles passions, changer ses préoccupations quotidiennes, c’est bien une bibliothèque - médiathèque. Une amélioration de ses connaissances amène sensiblement à une amélioration de soi, donc de son comportement, mais comme nous l’avons vu, le niveau scolaire des détenus est souvent faible, certains sont analphabètes, beaucoup ont des difficultés à lire, ce qui ne les incitera pas à s’intéresser aux
10 000 pages de l’œuvre de Shakespeare ! Mais les techniques actuelles autorisent à penser que des sujets aussi délicats à aborder peuvent être rendus accessibles par le multimédia. On veillera à rendre l’accès au réseau Internet, aux Cd-Rom éducatifs, à la formation en réseau le plus facile possible, et ceci par des bornes communicantes disponibles à tout moment. Aux objections de coût on peut opposer la baisse constante des prix de l’informatique multimédia grand public (moins de 2 000F à ce jour).
Quant aux critiques qui ne manqueront pas d’apparaître sur la facilité de se connecter à des services qui ne sont pas respectueux des bonnes mœurs, si elles auraient pu avoir prise sur l’informatique de réseau des années 80 elles n’ont aujourd’hui plus aucune valeur sachant que les moyens de limitation d’accès qui ont été développés, souvent à l’attention des enfants (anti-violence anti-pornographie), sont parfaitement au point.

 Lieux de culte

La liberté de culte est un droit, encore doit-il pouvoir s’exercer dans des conditions adaptées à chaque pratique cultuelle. En effet, contrairement à la population française majoritairement catholique, la population carcérale est infiniment plus diversifiée (forte proportion de musulmans et de protestants) ; sans s’attacher aux raisons de cette diversité, il faut s’y adapter. La religion est un élément de formation et d’éveil à ne pas négliger, les représentants du culte étant toujours volontaires pour intervenir dans ce sens, les personnes incarcérées en difficulté physique ou mentale étant souvent isolées de leur famille se retournent vers lui comme vers un élément de neutralité dans la prison. Si la religion fut toujours présente lors de l’édification des prisons (cf. Visite de la maison d’arrêt des Baumettes), elle ne le fut souvent qu’à travers la tradition judéo-chrétienne. Le lieu de culte doit avoir l’apparence de sa fonction afin de prendre toute sa dimension. En effet dans les maisons d’arrêt récentes (Luynes) et par économie de place, on associe le lieu de culte à la salle de cours, ou de sport. Or, il est important que cela reste un lieu à part, réservé aux activités cultuelles, adapté à toutes, et pourtant pensé avec une économie de moyens et de place. 
 
Lieux de formation

Nous l’avons vu précédemment, les moyens techniques d’accessibilité au multimédia sont en baisse constante, ils sont à comparer au coût excessif de déplacement d’une personnalité compétente pour la formation des détenus. D’une part les détenus intéressés par une formation qui n’est accessible qu’à l’extérieur de la maison d’arrêt, bien qu’ils soient une minorité, doivent pouvoir en bénéficier.

D’autre part les détenus dont l’instruction ne leur permet pas d’espérer suivre des formations de second cycle peuvent être intéressés par des conférences exceptionnelles qui ne seraient pas accessibles autrement que par télé-enseignement. Les lieux de formation doivent donc être adaptés à une formation directe par un intervenant extérieur sur place, ou indirecte par télédiffusion.

 Les intervenants extérieurs sont chaque année plus nombreux à franchir le seuil des maisons d’arrêt, associations et collectivités augmentent régulièrement les moyens humains ou financiers pour une meilleure intervention intra-muros. Mais souvent les locaux disponibles sont peu adaptés, obligeant les surveillants à un va-et-vient incessant entre les cellules et les salles de cours. Les intervenants, quant à eux, sont obligés de se déplacer dans la maison d’arrêt et, à l’intérieur de celle-ci, entre les différents bâtiments, ou niveaux, qui, chacun, comportent une petite salle de cours souvent inadaptée par faute de moyens. Si le travail à l’intérieur des murs trouve peu à peu sa place avec une mise en place progressive d’ateliers adaptés, les bâtiments doivent pouvoir donner les moyens à un enseignement régulier de trouver sa place. On recherchera une centralisation des lieux d’enseignement et une ouverture vers l’enseignement extérieur par les moyens modernes de communication. L’enseignement professionnel en prison est souvent restreint à ce que la prison a les moyens d’offrir au détenu : jardinage, ébénisterie, etc.. Le niveau scolaire des détenus évolue et l’ensemble de la population carcérale tend à être plus instruite (2 000 actions de formation en enseignement supérieur ont été effectuées en 1997). A travers des moyens adaptés et uniques (salle de formation vidéo), on peut offrir une multitude de formations différentes.

 Le travail pénal

 L’idée de travail est indissociable de la notion d’enfermement pénal et de punition. La loi du 22 juin 1987 qui supprime l’obligation du travail pour les condamnés clôt trois siècles d’histoire du travail forcé en France.
Pendant tout le XIXe siècle, et jusqu’en 1927, fut appliqué le système de l’entreprise générale. Moyennant le paiement par l’Etat d’un prix de journée fixe, sur la base d’un marché passé à Paris avec l’autorité centrale, l’entrepreneur général des prisons pourvoyait à toutes les dépenses des détenus et des personnels. Dans chaque maison centrale, un sous-entrepreneur gérait le travail des détenus réunis en ateliers communs (textile, cordonnerie, menuiserie, tôlerie, imprimerie). Dans les maisons d’arrêt, de petits travaux (confection de paniers, chaises, fleurs, confettis) pouvaient être effectués en cellule.

 Aujourd’hui, un droit au travail est institué pour les détenus qui le souhaitent, comme moyen d’apprentissage de la vie libre, comme moyen également de participer à son entretien, à celui de sa famille, et d’indemniser ses victimes. Si le type de travaux proposés n’a guère changé, ce sont des entreprises extérieures concessionnaires qui aménagent les locaux et fournissent le matériel, l’administration restant l’employeur de la main-d’œuvre détenue.

En régime de semi-liberté, en placement extérieur ou en corvées, le détenu travaille à l’extérieur de l’établissement.

Les détenus travaillent pour un salaire généralement symbolique (une partie du salaire est retenue pour les frais participatifs de fonctionnement, une autre pour l’aide aux victimes), ils contribuent ainsi à l’économie interne de la prison.

D’après le rapport du Conseil économique et social " travail et prison ", le salaire moyen brut mensuel des détenus (dépourvus de contrat de travail) affectés au service général (cuisine et entretien) était de 592 francs, celui de détenus travaillant pour le compte d’entreprises concessionnaires de 1704 francs, quant à ceux employés par la régie industrielle des établissements pénitentiaires (dont la vocation est d’assurer la production de biens utilisés par l’administration et par elle-même) leurs appointements bruts mensuels étaient de 1931 francs (en 1993).

 Peu de détenus hésitent quand on leur propose de travailler. Si l’atelier ne permet pas au détenu d’avoir un revenu important, c’est surtout un lieu de rencontres, de convivialité, une occasion de rompre avec la monotonie quotidienne.

On pourrait imaginer, afin de ne pas déprécier la valeur du travail et de permettre à la société de bénéficier de la dette du condamné, qu’une partie d’un salaire plus élevé soit reversée par l’employeur à l’administration pénitentiaire ou directement à l’Etat. Ce n’est pas le cas. L’employeur se contente de prendre à sa charge les frais d’aménagement de la prison, occasionnés par le travail à effectuer.

 Loisirs
 
Le loisir étant devenu un élément de la vie sociale contemporaine, la notion de loisir a, elle aussi, pénétré la prison. Appliquée au régime pénitentiaire, elle prend la signification d’activités récréatives et culturelles pour le bien-être physique et moral des détenus. Ces activités peuvent être individuelles ou collectives. Dans ce dernier cas, elles sont généralement dirigées (conférences, projections cinématographiques, représentations théâtrales, auditions musicales, jeux et sports collectifs). L’activité de loisir est appelée ainsi à rejoindre l’activité éducative, fondement du régime pénitentiaire contemporain.
L’oisiveté, due au manque de loisirs organisés, amène chez le détenu un besoin frénétique d’occupation, souvent une focalisation vers un objectif (écrire ou s’évader) mais aussi vers des loisirs illicites. Le jeu est une des formes de ces occupations occultes, bien que l’administration pénitentiaire tente de prévenir, voire de lutter contre ce penchant (en interdisant les combats lors des entraînements de boxe par exemple). Les salles communes servent souvent de" tripot" aux dires même des gardiens.

 "De l’aube au crépuscule, toute la prison était en proie à une fièvre du pari".

 La sexualité en prison

 C’est un problème complexe, et qui mérite de ne pas être pris à la légère. La sexualité chez les détenus est un des premiers facteurs de tensions, voire d’agressions. Depuis de longues années, l’isolement des détenus pour affaires de mœurs est chose acquise par l’administration pénitentiaire. Est-ce la peur d’une extension de mœurs sexuels indésirables, ou le désir de protéger cette population ? Toujours est-il que cette solution est un pauvre palliatif à la problématique de l’internement prolongé. Il faut rappeler ici que 95% des détenus sont des hommes, et que 77% d’entre eux ont moins de 40 ans. Ils sont souvent incarcérés par 2 ou plus, pour une période moyenne de 8 à 10 mois.
Ce sont souvent des liens d’amitié qui lient ces hommes qui supportent la même épreuve, parfois ces liens deviennent plus affinés, et il n’est rien de répréhensible à une relation suivie entre deux hommes (ou deux femmes) consentants (mis à part le fait qu’il y a peu de moyens de se procurer des préservatifs en prison). Mais cela pose d’autres problèmes lorsque cette relation s’assimile à un viol, souvent répétitif, et parfois collectif ou encore lorsque ces relations servent de monnaie d’échange et qu’elles deviennent ainsi assimilables à de la prostitution. Ces états de fait sont encore tabou ; bien que les témoignages existent. Jusqu’à récemment (février 99), aucune reconnaissance légale de ces délits n’existait, un jugement pour non assistance à personne en danger contre une maison d’arrêt a ouvert la voie à une réflexion plus aboutie du problème.

Mais la sexualité, c’est aussi une relation naturelle qu’un détenu provisoire est en droit de réclamer lors de sa détention s’il est marié ou en concubinage. Si l’on en croit J. Lesage de La Haye " la frustration sexuelle n’est pas la privation de liberté, c’est la castration pure et simple de l’être humain " et " la prison exécute le sexe... ".

En s’appuyant sur les Droits de l’Homme qui indiquent qu’aucune peine supplémentaire ne peut être ajoutée à celle de la restriction d’aller et venir, certaines associations (ActUp Paris) réclament ce droit pour les détenus. Depuis les années 80 c’est une expérience qui, à plusieurs reprises, a été proposée aux établissements pour peine, comme par exemple Mauzac (cf. Le centre de détention de Mauzac) qui fut construit avec 2 appartements pour "visites prolongées" (n’excédant pas trois jours), lesquels ne furent jamais utilisés comme tels. La problématique est encore plus pointue lorsque les deux époux sont détenus simultanément, ils attendent parfois leur jugement dans la même maison d’arrêt, et sont autorisés (sauf avis contraire) à des parloirs communs. Outre les problèmes éthiques que cela peut poser (naissance intra muros), il existe un réel "embarras" des surveillants, comme des détenus, à accorder ce qui est perçu comme un peu de liberté au prévenu. Pourtant on peut s’attacher à démontrer que maintenir le lien familial, avec femmes et enfants est un élément important de la resocialisation d’un détenu, et plus encore peut empêcher un prévenu de perdre les liens qui l’attachent à une vie sociale équilibrée.

 Soins et santé

L’arrivée en détention devrait être souvent pour le détenu le moyen de retrouver, ou d’apprendre à avoir une vie régulière, s’entretenir, se soigner. Une proportion non négligeable de détenus, souvent indigents, apprend son état médical une fois les murs de la prison franchis. Déconnectés des services publics d’aide et d’assistance, la prison devient leur moyen de réapprendre les devoirs qui leur incombe, mais aussi les possibilités qui leur sont offertes. Le médecin, joue la plupart du temps le rôle de confident, de psychologue, il représente pour le détenu la partie humaine de la machine carcérale. L’administration pénitentiaire bien consciente de cette orientation prise par les services médicaux, dont la sollicitation ne fait que croître, tend à permettre une meilleure pénétration des services socio-psychologiques au sein même de ses murs. Des réformes récentes des services d’aide et d’assistance ont permis à l’assistance publique de s’installer à l’intérieur des prisons ; si les locaux ne sont pas toujours adaptés, il est aujourd’hui acquis qu’un détenu ne peut se réinsérer qu’en étant maître de sa santé et de son hygiène.

La toxicomanie

Le détenu qui cherche par tous les moyens possibles à obtenir et utiliser des substancesillicites y parviendra malgré la surveillance la plus pointue.Les drogues parviennent à l’intérieur des prisons, dequelque manière que ce soit ; il est pratiquement impossibled’éradiquer ce phénomène àl’intérieur des murs. Lorsque les stupéfiants fontdéfaut, ce sont les médicaments qui les remplacent, ouencore certains détenus utilisent la colle fournie auxateliers pour se droguer.

La lutte contre ce fléau est d’autantplus difficile que le détenu toxicomane passe laquasi-totalité de son temps à chercher le moyen deparvenir à ses fins, et à élaborer dessystèmes pour y parvenir. C’est une multitude de petitsproblèmes techniques qui vont devoir être résolusconcernant la toxicomanie et ses à-côtés. Commentempêcher que les drogues entrent en prison ? Cela passe par lasurveillance accrue des points sensibles, comme le parloir, ainsi quepar la protection des lieux ouverts (en effet, la drogue peut être envoyée directement depuis l’extérieur &emdash ;cf. Visite de la maison d’arrêt d’Avignon- et il existedes caches potentielles).

Au-delà de la consommationoccasionnelle, la toxicomanie est une maladie à partentière, qu’il est important de considérer comme telle,c’est en effet uniquement à cette condition que le toxicomanechronique, revendeur occasionnel, a une chance de mettre àprofit son passage en maison d’arrêt pour consulter lesservices médicaux compétents (S.M.P.R.), sesoigner, et peut-être "décrocher".

Les visites familiales

"Cette solitude, si dure et si rude]
qu’on peut la toucher.]
La prison est une punition autant pour ceux du dehors]
que ceux du dedans...!"

L’année dernière, une cinquantaine de prisonniers de la Maison centrale de Lannemezan ont adressé une lettre de revendications au Procureur de la République de Tarbes. Ils attirent l’attention sur les conditions des parloirs familiaux. Cela rappelle l’importance de la mise en place des parloirs intimes, ce qui avait été reformulé par la campagne sur le droit à l’intimité en prison, en 1997, par l’Observatoire International des Prisons, mais c’est aussi l’image d’une gestion complexe et mobilisatrice des mouvements au travers de la prison. L’heure du parloir revêt une importance énorme pour les détenus qui y voient leur seul lien avec l’extérieur. Selon l’éloignement de leur famille, ils ne peuvent la voir qu’une fois par semaine, parfois une fois par mois, dans un laps de temps réduit à une demi-heure ou une heure selon les maisons d’arrêt.

Pour permettre cette rencontre, le détenu doit traverser une bonne partie de la prison, subir une fouille à l’entrée du parloir comme à la sortie (elle est cette fois intégrale), ceci ponctué d’attentes souvent longues. Si les dispositifs de séparation (sauf isolement) ont disparu depuis Albin Chalandon, les parloirs n’ont pas été adaptés, l’intimité n’est que partielle, envers le surveillant, ce qui est normal mais parfois aussi envers les autres détenus (cf. Visite de la maison d’arrêt des Baumettes), et ce contact nouveau vers l’extérieur crée une suspicion (légitime), d’entrée en fraude de substances illicites. On voit qu’une mesure prise sans une adaptation correcte des locaux qu’elle implique ne peut être que transitoire, puisqu’elle crée plus de complexité que ce qu’elle n’apporte de satisfaction, du côté des détenus (fouille) comme des gardiens (charge de travail).

Le lien parental
 
Image symbole : près de 80% des détenus sont des parents.

En France, chaque année des milliers d’enfants sont séparés d’un parent incarcéré. Pour ces enfants, au choc de la rupture s’ajoutent ceux de la honte des familles et des "mensonges protecteurs" du parent concerné qui préfèrera se dire malade, en stage à l’étranger, plutôt que d’affronter la vérité. Et ces épisodes d’enfance où domine l’obligation de se taire ont pendant très longtemps été négligés.

"Sans trace de son parent, l’enfant est un voyageur sans bagage". Le poète n’a-t-il pas affirmé à juste titre : "Plus tu t’éloignes et plus ton ombre s’agrandit...". Un enfant séparé des siens peut en témoigner. Et ces ruptures peuvent engendrer des conséquences durables et profondes. Dame... De hauts murs, quelques tourelles et un vaste portail toujours clos... décidément la prison n’est pas un lieu pour les enfants. Pourtant... ils sont nombreux chaque année ceux qui en franchissent le seuil.

Ces rencontres tant attendues, censées réconforter l’enfant autant que le parent, laissent souvent un goût âcre. On s’en réjouit, mais on les craint ; accueillir et laisser partir, c’est unir violemment dans un même instant des émotions contraires : douleur et satisfaction ! Une épreuve douloureuse qui fige l’attitude et lentement, la rencontre glisse dans l’incommunicable. Aussi ne s’étonnera-t-on pas de voir certains parents renoncer à ces visites et l’enfant se soumettre sans révolte... à une absence qui lui est pourtant insupportable".

Pour aussi incroyable que cela puisse paraître, on en est arrivé à un nombre de 150.000 enfants par an directement concernés par la prison, soit parce qu’ils y vivent avec leur géniteur, soit parce qu’ils sont en contact avec cet univers par la fréquentation des parloirs... qui, tant bien que mal permettent de maintenir le lien parental. Ce sont les bénévoles du REP qui prennent en charge l’accompagnement des enfants jusqu’aux différentes maisons d’arrêt, où sont incarcérés leurs parents. Et c’est à cette association que l’on doit un lien familial maintenu malgré les vicissitudes judiciaires subies par un parent sinon les deux. A noter que l’enfant, au cas échéant, peut vivre avec sa mère jusqu’à l’âge de 18 mois. Et parfois davantage, sur décision du Ministère de la Justice.

Les ouvertures de la prison

" Comment un homme reclus dans un établissement pénitentiaire pourra-t-il donner des preuves exceptionnelles d’une réadaptation sociale que les conditions mêmes de sa détention lui interdisent ? A moins que, par ces termes, on ne vise la complaisance ou la soumission absolue à l’égard de l’administration pénitentiaire ".

L’application des peines

Dans la revue "Actes" de mars 1992, Bernard JOUVE, Juge d’application des peines, résumait ainsi les espoirs portés par les systèmes de semi-liberté : 

" L’hostilité à l’égard des mesures d’application des peines est surtout inspirée par les échecs et les inconvénients fortement mis en relief, tandis que l’on oublie trop souvent de mettre en lumière les réussites.

Or l’institution des permissions de sortir par exemple, réussit à 97 ou 98%. C’est tout de même assez extraordinaire de voir combien ces criminels et délinquants que l’on voudrait complètement mauvais et pervertis, peuvent à ce point se montrer dignes de confiance.

Et encore le petit nombre d’échecs n’est heureusement pas constitué que de crimes de sang. Dans ces 2 à 3% d’échecs (ce qui est bien peu pour 20 000 permissions annuelles) on compte les simples retards, même si les retours tardifs sont volontaires, les incidents éthyliques et les petits délits comme les bagarres en famille ou au café, les vols de voiture, les vols alimentaires, les filouteries d’hôtel ou de restaurant, les chèques volés puis falsifiés pour de menus achats, etc...

Or, un jugement de valeur sur un système, comme celui de l’application des peines, n’est satisfaisant que s’il procède d’un bilan comparatif de ses avantages et de ses inconvénients.

L’application des peines et les mesures qu’elle comporte, victimes des préjugés d’une opinion publique trop mal informée de leur finalité, de leurs modalités et de leurs résultats, ont besoin d’être expliquées à tous et réhabilitées aux yeux de tous.

On doit commencer par bannir à ce propos toute idée de laxisme, de faiblesse ou de laisser-aller de la Justice et savoir d’abord que les mesures d’individualisation des peines ne s’appliquent finalement (sauf les réductions de peine pour bonne conduite) qu’à une minorité de condamnés pour qui elles correspondent en revanche à des efforts méritoires et à des exigences précises et parfois lourdes.

On doit bien comprendre qu’une fois prononcée, une peine ne peut rester immuablement figée puisqu’elle s’applique à un être vivant et évolutif, qui a eu, a et aura des relations sociales et des liens familiaux eux-mêmes évolutifs, et qui retrouvera un jour le chemin de la liberté.

On doit donc comprendre qu’en fonction des divers facteurs mouvants qui interviennent dans l’évolution de la situation ou de la personnalité du condamné, sa peine, prononcée par des juges, doit être gérée dans le temps par un juge (le J.A.P.) ou des juges (le futur tribunal de l’application des peines) de manière à en tirer le meilleur parti et le meilleur rendement pour tous, à court et à long terme, au moyen de mesures appropriées et judicieusement décidées et mises en œuvre.

On doit se rendre à l’évidence et se rappeler que de toutes façons, un jour ou l’autre, un condamné sortira de prison et que par conséquent il y va de l’intérêt social que toutes mesures utiles soient prises en temps et lieux opportuns pour qu’il en sorte au moment le plus propice et dans les meilleures conditions, sans ressentiment ni esprit de révolte, sans être une charge ou un danger pour la collectivité, donc avec de réelles possibilités de réinsertion sociale et d’autonomie personnelle."