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2012 les détenus sont invités à découvrir la bande dessinée

Mise en ligne : 23 avril 2012

Dernière modification : 23 avril 2012

Texte de l'article :

À Fresnes, les détenus sont invités à découvrir la bande dessinée

 Des auteurs de bandes dessinées animent des ateliers pour les détenus de la prison de Fresnes. Ils sont invités à en réaliser à leur tour. Un initiative qui permet de changer le quotidien des détenus. "Tous les mardis" pendant cinq mois, Gilles Rochier a animé à la prison de Fresnes un atelier "pour parler de BD et en faire". Face à une trentaine de détenus, il conclut : "il n’y avait pas de nazes mais des gars qui me demandaient à chaque fois : +tu amènes des livres ?+"

Cheveux en épis et petite barbe poivre et sel, Gilles Rochier s’amuse encore d’avoir décroché, à 43 ans, le prix "Révélation" du dernier festival d’Angoulême, pour son album "Ta mère la pute", inspiré de sa jeunesse dans une cité de banlieue parisienne. "C’était un dimanche de février. Quand ils l’ont su, les gars, ici à Fresnes, ont tapé sur les portes des cellules. Et quand je suis revenu, ils m’ont fait une haie d’honneur".

Voici donc venue la fin de l’atelier, mis en place par le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) et l’association Bulles Zic, et financé par la DRAC Ile-de-France et le Comité Livre du Conseil régional. Pour découvrir les planches dessinées par les détenus, exposées pendant quelques heures sous les néons de la chapelle-salle de spectacle, des invités sont venus de l’extérieur. Dans cette prison bâtie à la fin du XIXe siècle, ils empruntent l’immense couloir central au parquet classé monument historique et zieutent, en passant, les coursives ouvertes sur quatre étages.

Parmi eux, le dessinateur Berthet One commente : "Oui, c’est graphique ! Mais vous savez qu’on n’a pas le droit de dessiner une prison comme elle est. Quand je dessinais en détention, mes planches étaient contrôlées."

Invité par Gilles Rochier à intervenir comme dessinateur, Berthet est un ancien détenu qui dessina sa première BD, "L’évasion", pendant son incarcération à Nanterre puis à Val-de-Reuil (Eure). La vie - "ses hasards qui n’en sont pas" - ont fait que Berthet est revenu "en tant qu’auteur", à la prison de Fresnes qu’il connut à 18 ans.

Berthet One, qui apparaît à présent comme un ancien prisonnier modèle, ayant passé Bac et BTS en détention, se souvient que les ateliers étaient sa "bouffée d’air" et qu’"il fallait se battre pour y participer".

A la maison d’arrêt des hommes de Fresnes, sur 2.200 détenus, 35 auront participé à l’atelier BD. Et trois seulement sont présents ce jour-là : certains ont quitté la prison, d’autres sont en promenade, au parloir ou bien en cellule, faute de surveillant pour les accompagner.

Il a été demandé à l’AFP de ne pas aborder de sujets "politiques", du fait de la "réserve électorale". Les détenus s’exprimaient en présence d’un représentant de l’administration pénitentiaire.

"Je leur avais donné un sujet qui pique un peu les fesses : l’enfance", raconte Gilles Rochier.

Alors, Youssef, 24 ans, s’est représenté en enfant que son père s’apprête à l’inscrire au foot. Mais le gamin s’enfuit quand il s’aperçoit qu’il manque des doigts à la main d’un joueur. "Le petit livre avec mes dessins dedans, je vais le donner à ma fiancée qui vient me voir" au parloir, dit Youssef à l’AFP.

Autre planche, changement de ton : un homme est dessiné debout sur un pick-up, actionnant un lance-flammes, avec le commentaire : "Nous sommes tout le temps chassés par les milices Janjawids". "Ce détenu est originaire du Darfour et je crois, oui, que c’est son histoire", commente Gilles Rochier.

Plus loin, une histoire commence par un dessin d’orphelinat en 1965, se poursuit par "je décide de me sauver" et finit par "première arrestation pour vol de pain à 13 ans"...

Gilles Rochier dit : "Je ne sais pas pourquoi je viens (en prison). Mais eux, je sais au moins qu’ils sortent de leurs 9 m2 et de la télévision et que quand ils dessinent, leur tête part ailleurs". De ces rencontres, il fera un album.

Source : France 24