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(2009) Saisine n°2008-90 sur les conditions d’extraction de M.X vers le Palais de Justice de Paris

Mise en ligne : 1er octobre 2009

Texte de l'article :

REPUBLIQUE FRANÇAISE

COMMISSION NATIONALE DE DEONTOLOGIE DE LA SECURITE

Saisine n°2008-90

AVIS ET RECOMMANDATIONS
de la Commission nationale de déontologie de la sécurité

à la suite de sa saisine, le 29 août 2008,
par M. Jean-Paul DELEVOYE, Médiateur de la République

 La Commission nationale de déontologie de la sécurité a été saisie, le 29 août 2008, par M. Jean-Paul DELEVOYE, Médiateur de la République, des conditions dans lesquelles s’est déroulée l’extraction de M. X., depuis un établissement pénitentiaire de la région parisienne vers le palais de justice de Paris, en mai 2008 : il se plaint notamment des fouilles de sécurité successives dont il a fait l’objet lors de cette extraction.

La Commission a entendu M. X., le capitaine R.H., commandant militaire en second du palais de justice de Paris, le lieutenant-colonel J-P.R., de la direction générale de la gendarmerie nationale, et Mme directrice de la maison d’arrêt de Paris-La Santé et de la « souricière ».

La Commission a mandaté plusieurs de ses membres pour effectuer deux visites de la souricière, le 28 janvier 2009 et le 5 mai 2009 ; ses membres ont également visité le local de fouille de la maison d’arrêt où était détenu M. X.

> INTRODUCTION

La Commission a été saisie par le Médiateur de la République des griefs formulés par M. X. contre les fouilles à nu répétées dont il a fait l’objet à chacune de ses extractions depuis une prison de la région parisienne vers le palais de justice de Paris, où il a été présenté à un juge d’instruction. La Commission tient à souligner que les griefs formulés ne portent pas sur le comportement particulier de l’un ou l’autre des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire ou des militaires de la gendarmerie ayant pris en charge l’intéressé, mais sur des pratiques ancrées qui conduisent à soumettre tous les détenus conduits à la souricière de palais de justice à quatre fouilles à nu pendant la même journée.

Depuis janvier 2009, la Commission a rendu plusieurs avis sur des aspects particuliers de la prise en charge des personnes privées de liberté dans les locaux du palais de justice : 2007-131, 2008-55, 2008-83, 2008-90, 2008-136, enfin 2009-66. Afin de rendre des avis en connaissance de cause, la Commission a enquêté sur le fonctionnement et l’organisation de ces lieux de privation de liberté : du dépôt sous la responsabilité de la préfecture de police, des couloirs du palais sous la responsabilité de la gendarmerie et de la souricière sous la responsabilité de l’administration pénitentiaire.
Le témoignage de M. X. rejoignant les constats effectués par la Commission, elle a décidé exceptionnellement, d’en publier certains passages. Afin de préserver son anonymat, dans le respect de la confidentialité de son audition, tous éléments permettant de l’identifier ont été supprimés.

> TEMOIGNAGE

« Comme je l’ai écrit au Médiateur de la République qui vous a saisis, je me plains des fouilles à corps dont je suis l’objet, comme les autres détenus de cet établissement.

« Lors de chacune des trois extractions dont j’ai fait l’objet pour répondre aux convocations du juge d’instruction de Paris (…), j’ai fait l’objet d’une fouille à nu par les gendarmes avant de monter dans le fourgon me conduisant au palais de justice de Paris. Une nouvelle fouille a été effectuée à la souricière du palais de justice avant de monter dans le cabinet du juge. Puis une troisième fouille, toujours à nu, a été effectuée à la souricière avant le départ pour la maison d’arrêt. Enfin, une quatrième fouille, toujours à nu, a été effectuée lorsque je suis arrivé à la maison d’arrêt.

« Les trois premières fouilles ont été effectuées par des gendarmes, la quatrième par des surveillants de l’administration pénitentiaire. (…)

« Je n’ai pas fait l’objet d’un traitement particulier, cette pratique est suivie à l’égard de l’ensemble des détenus. (…)

« En ce qui concerne les modalités de ces fouilles, elles ont normalement lieu dans un box individuel et sont en principe effectuées par un seul fonctionnaire, parfois par deux. Les portes de chaque box sont ouvertes et ces box ne sont pas chauffés. Simplement, les portes qui donnent accès aux couloirs sur lesquels les box donnent sont quant à elles fermées. Nous devons enlever chacun de nos vêtements, qui sont minutieusement examinés par le fonctionnaire qui procède à la fouille, lequel a revêtu des gants. Bien entendu, il faut également enlever nos chaussures et chaussettes, et nous nous retrouvons ainsi pieds nus sur un sol froid et pas toujours propre. Une fois que nous sommes entièrement nus, le fonctionnaire en question s’assure que nous n’avons pas sur notre corps d’objets particuliers, mais il ne touche pas notre corps avec ses mains. Il s’agit donc d’une fouille corporelle visuelle. Il peut arriver qu’il nous demande de nous pencher vers l’avant.

« Ces fonctionnaires, qu’il s’agisse de gendarmes ou de surveillants, sont souvent agressifs dans leurs propos, surtout si nous élevons une protestation. En tout cas, il n’y a pas de dialogue possible avec eux. Pour éviter des incidents, il y a lieu de faire preuve de psychologie à leur égard.

« Quand ce sont des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire qui procèdent à ces fouilles, ils sont facilement humiliants.

« Question : En quoi consistent ces humiliations ?
« Réponse : Il s’agit essentiellement de faire du zèle en faisant durer cette fouille. Il y a de leur part un manque d’écoute. Les ordres sont donnés de façon agressive, et parfois sans justification apparente ni logique : par exemple, de passer plusieurs fois sous le portique de sécurité. Il y a également souvent de longues attentes pour aller d’un endroit à l’autre de la prison. (…)

« Nous sommes menottés en partant de la maison d’arrêt : c’est un menottage aux mains, par devant, et individuel. Ces menottes sont conservées pendant le trajet et enlevées lorsque nous sommes placés dans la cellule de la souricière. Elles sont de nouveau remises lorsque nous quittons cette cellule jusqu’au cabinet du juge. Il en est de même au retour. (…)

« Quand nous sommes extraits pour nous rendre au palais, nous sommes convoqués en général pour 14h00. Nous quittons la cellule au moment de l’appel à 7h00, et nous quittons la maison d’arrêt vers 8h00. Le petit-déjeuner étant normalement servi vers 7h30, nous ne pouvons pas le prendre avant de quitter la maison d’arrêt. Il y a ensuite une longue attente en cellule à la souricière du palais de justice. Il nous est remis un encas froid comprenant des gâteaux secs, une terrine de pâté, sans pain, une petite bouteille d’eau minérale. Nous ne quittons le dépôt que dans la soirée, au mieux vers 20h00, mais parfois vers 22h00 ou 23h00. Nous n’aurons pas à manger avant le lendemain matin. »

> RECOMMANDATIONS

Le nombre excessif de fouilles à nu, quatre en une journée, subies systématiquement par toutes les personnes détenues transférées à la souricière du palais de justice de Paris depuis leur prison d’origine ne peut se justifier au regard d’impératifs de sécurité ; il équivaut à un traitement inhumain et dégradant au regard de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme. La Cour européenne s’est prononcée à plusieurs reprises sur des affaires similaires dans lesquelles la pratique des fouilles intégrales à répétition en plus d’autres mesures de sécurité était critiquée : CEDH, 4 février 2003, Van der Ven, Lorsé et autres contre Pays-Bas et CEDH, 12 juin 2007, Frérot contre France.

L’organisation des extractions doit être réformée dans les meilleurs délais.

Le choix de pratiquer une fouille à nu doit être individualisé, et non systématique comme c’est actuellement le cas. L’utilisation d’appareils détecteurs de métaux ou le passage des personnes sous un scanner devrait être suffisant, sauf raisons particulières laissant présumer que la personne dissimule des objets dangereux pour elle-même ou pour autrui.

Lorsque la fouille à nu s’avère nécessaire, elle ne doit pas être renouvelée à plusieurs reprises, et ce d’autant plus que la personne est sous la surveillance permanente d’agents de sécurité, comme c’est le cas dans les locaux des établissements pénitentiaires, du palais de justice de Paris et pendant les transferts.

Par analogie avec l’article 803 du Code de procédure pénale concernant les menottes, la Commission demande que la pratique des fouilles soit encadrée par un texte législatif, et contrôlée par l’autorité judiciaire.

Dans le droit fil de l’arrêt du Conseil d’Etat du 14 novembre 2008 (n°315622), « si les nécessités de l’ordre public et les contraintes du service public pénitentiaire peuvent légitimer l’application à un détenu d’un régime de fouilles corporelles intégrales répétées, c’est à la double condition, d’une part, que le recours à ces fouilles intégrales soit justifié, notamment, par l’existence de suspicions fondées sur le comportement du détenu, ses agissements antérieurs ou les circonstances de ses contacts avec des tiers et, d’autre part, qu’elles se déroulent dans des conditions et selon des modalités strictement et exclusivement adaptées à ces nécessités et ces contraintes ; qu’il appartient ainsi à l’administration de justifier de la nécessité de ces opérations de fouille et de la proportionnalité des modalités retenues. »

Dans l’immédiat, la fouille à nu systématique pratiquée par les gendarmes, qui fait suite à celle effectuée également de façon systématique au départ de l’établissement d’origine vers la souricière, doit cesser, sauf circonstances particulières exceptionnelles.

En ce qui concerne les autres aspects de la privation de liberté à la souricière, la Commission invite le lecteur à consulter l’avis 2009-66 adopté le 29 juin 2009.

L’indispensable courtoisie du personnel pénitentiaire à l’égard des détenus, spécialement lors des fouilles, devrait leur être une fois de plus rappelée.

> TRANSMISSIONS

Conformément à l’article 7 de la loi du 6 juin 2000, la Commission adresse cet avis pour réponse au ministre de l’Intérieur, de l’Outre-mer et des Collectivités territoriales, et au garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Libertés.

Conformément à l’article 9 de la loi du 6 juin 2000, la Commission a adressé cet avis pour information au procureur général près la cour d’appel de Paris.

La Commission transmet pour information le présent avis au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris.

Conformément à l’article 6 de la loi n°2007-1545 du 30 octobre 2007, la Commission adresse cet avis au Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

Adopté le 29 juin 2009.

Pour la Commission nationale de déontologie de la sécurité,

Le Président,

Roger BEAUVOIS