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KAMO Société Caraïbéenne de Psychiatrie et de Psychologie Légales

2008 N°7 KAMO Editorial : La Crise

Mise en ligne : 20 novembre 2008

Dernière modification : 3 janvier 2009

Texte de l'article :

EDITORIAL
LA CRISE

Je ne sais ce qui me possède
Et me pousse à dire à voix haute
Ni pour la pitié ni pour l’aide
Ni comme on avouerait ses fautes
Ce qui m’habite et qui m’obsède
Louis ARAGON - Les poètes

J’en conviens, pas très original comme accroche d’un éditorial en ces temps de crises. Toutefois, pourquoi la psychiatrie devrait y échapper et tout particulièrement sa branche médicolégale, emportant dans la tourmente des détenus/patients qui ne se retrouvent plus dans les messages contradictoires et le plus souvent incompréhensibles dans lesquels ils sont emportés.
Cet état de crise est d’autant plus regrettable que la population concernée connaît peu ou a peu connu de repères stables et des discours cohérents, si ce n’est souvent que celui de la violence, de la brutalité, du déficit d’éducation et de carences affectives. Ces constats sont particulièrement criants quand on rencontre la population adolescente incarcérée, en errance la plupart du temps dès le début des années de collège, voire avant. En Guadeloupe, l’initiation est fréquente et banalisée au cannabis dès l’âge de 10/11 ans, avec rapidement une consommation journalière et importante. Les relations entre garçons et filles s’organisent trop souvent autour d’une sexualité « crue », conduisant à des incarcérations souvent longues pour des infractions sexuelles graves et cela parfois dès l’âge de 14 ans. 14 ans seulement. La vie commence ainsi. En prison, car on n’a pas su entrer dans une relation de séduction dans le respect de l’autre, dans son corps et dans son esprit. 
Comment faire la transition entre ces vies débutantes dramatiquement interrompues dans un cursus de socialisation avec nos « petites » préoccupations professionnelles qui seront exposées dans ce numéro ?
Ce n’est pourtant pas si difficile. La confusion étant la règle chez les adultes que nous sommes, il n’est guère étonnant que les jeunes ne s’y retrouvent pas et « pètent les plombs ». Et après on se révolte hypocritement quand des suicides ou des agressions graves surviennent en prison. Ce qui ne cesse pas de m’étonner, c’est qu’il n’y ait pas plus de suicides et de crimes ou délits graves en prison. Il faut vraiment les efforts de soignants et des personnels pénitentiaires pour limiter la casse. Comme d’habitude, on se plaint des trains qui arrivent en retard et non de ceux qui arrivent à l’heure. Malheureusement, il y a une limite aux efforts des professionnels pour enrayer la dégradation sociale dont les prisons sont le témoignage. Le présent numéro tente de témoigner des difficultés rencontrées par les personnels soignants uvrant en prison.
Peu importe l’identité des acteurs, une chose compte : la réalité des problèmes rencontrés, d’autant plus que de nombreux professionnels ont le sentiment que les directives des pouvoirs publics ne concourent que trop souvent à aggraver la situation. Pourquoi cette surdité ? Ne soyons pas naïfs, il y a bien des raisons à ces situations. Une par exemple : mieux vaut un malade mental en prison à 80 € la journée de prison plutôt que dans un hôpital psychiatrique à 500 à 600 € en moyenne le prix de journée (voire nettement plus) et l’on pourrait continuer longtemps ainsi. Si l’économie est en cause, parfois d’autres facteurs étonnants surprennent. On lira ainsi dans ce numéro le « cafouillage » pratique dans lesquels sont laissés les professionnels de terrain quand il s’agit d’hospitaliser un sujet ayant « bénéficié » d’une irresponsabilité pénale (HO judiciaire) à cause de textes mal écrits, ouvrant à toutes les interprétations possibles et portant sur de sérieux sujets de société même s’ils sont extrêmement spécialisés (évolution de l’hospitalisation d‘office d’un statut administratif vers un statut judiciaire par exemple).
Michel DAVID