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KAMO Société Caraïbéenne de Psychiatrie et de Psychologie Légales

2008 N°5 KAMO : Editorial

Mise en ligne : 17 août 2008

Texte de l'article :

EDITORIAL
L’expertise psychiatrique pénale

Dix-huit mois après l’audition publique consacrée à l’expertise psychiatrique pénale (Paris janvier 2007), que remarque-t-on ?
Deux lois supplémentaires : celle du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs et celle du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. Il a même été annoncé même une troisième loi dès la remise du rapport demandé par le président de la République au premier président de la cour de cassation.
Conséquences des lois : augmentation du recours à une expertise psychiatrique pénale pourtant déjà en crise par pénurie d’experts et non prise en compte des remarques du jury sur la dangerosité ou l’irresponsabilité pénale.
Pourtant depuis le temps qu’une conférence de consensus sur ce thème était demandée, on pouvait escompter des pouvoirs publics une écoute attentive des recommandations des professionnels.
Sur le terrain la situation ne s’arrange guère, notamment en application des peines où les avis d’experts sont de plus en plus requis pour prédire la dangerosité et prescrire des injonctions de soins qui trouvent bien souvent ni médecins coordonnateurs ni soignants pour traiter ces complexes situations.
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Les injonctions de soins ont un avenir florissant puisqu’elles deviennent quasiment automatiques pour de nombreuses infractions et l’obligation de soins qu’elles imposent de fait en milieu pénitentiaire, en étant mises en concurrence avec les remises de peines supplémentaires, interroge sur le maintien d’un soin librement consenti en prison. Aussi pourquoi s’encombrer d’experts ? Il suffit d’entériner la systématique correspondance type d’infraction = injonction de soins et revenir en fait à la prescription du soin par les magistrats, sans indication médicale, selon le principe ancien et encore coexistant de l’obligation de soins. On gagnerait du temps et des sous.
Les tensions deviennent vives en milieu carcéral. Les condamnés ont bien compris qu’un système légal d’évasion était mis en place : les juges d’application des peines incitent les condamnés à se faire suivre par les SMPR pour obtenir leur attestation de suivi, nouveaux bons de sortie anticipée, alors que dans la grande majorité des cas, ces suivis psys, souvent de pure forme n’auront en rien modifié la structure de personnalité des intéressés.
Quelle redoutable incohérence de société que ce double message : on aggrave les peines privatives de liberté (peines planchers) tout en cherchant des moyens pour libérer plus rapidement les détenus et désengorger des prisons surpeuplées (environ 64 000 détenus à ce jour). Il faut bien admettre que cet étrange fonctionnement, bien connu des professionnels de terrain, ne fait pas l’objet d’une publicité politique et médiatique. Il ne serait pas porteur pour les dirigeants politiques faisant de l’insécurité leur fond de commerce que l’opinion publique sache que tous les moyens sont bons pour faire sortir plus tôt des présumés dangereux. Et pour ceux qui trouvent incohérent cette politique, il est pédagogiquement assez difficile d’expliquer ces mécanismes complexes. Le chantage soins/réductions de peines est pourtant dénoncé : dans des conférences de consensus (notamment sur la psychopathie) mais aussi dans des travaux dont on trouvera l’exposé dans ce numéro de Kamo, par le conseil de l’ordre des médecins et par le récent et très intéressant rapport du premier président de la cour de cassation. On trouvera aussi deux contributions bienvenues de Odile Vershoot, psychologue, sur ce sujet.
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La prochaine étape va être la loi pénitentiaire dont les premiers échos ne laissent pas entrevoir de révolutions majeures. Il s’agirait encore de trouver des solutions pour vider les prisons. Le paradoxe neutralisation par l’incarcération tout en favorisant la non incarcération va peut-être donner des occasions de débats interrogatifs sur les diverses modalités de la sanction pénale, avec probablement une dominante sur la question du rapport coût/efficacité/sécurité plus que sur d’oiseuses questions philosophiques telle la manière d’appréhender globalement le phénomène de la délinquance.

Michel DAVID