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Appel contre la r ?tention de suret ?

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Date : 13-02-2008

(2008) Appel contre la rétention de sûreté auprès du Conseil Constitutionnel

Mise en ligne : 13 février 2008

Dernière modification : 15 août 2010

Texte de l'article :

SYNDICAT DE LA MAGISTRATURE
12-14 rue Charles Fourier
75013 PARIS
tel 01 48 05 47 88
fax 01 47 00 16 05
mail : syndicat.magistrature@wanadoo.fr
site : www.syndicat-magistrature.org

Paris, le 11 février 2008

à M. le Président du Conseil Constitutionnel,
Mesdames, Messieurs les membres du Conseil
2, rue Montpensier 75001 Paris

L’Assemblée Nationale et le Sénat ont définitivement adopté le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

Ce texte est soumis à votre examen en application des dispositions de
l’article 61 de la Constitution.

Ce n’est pas la première fois que le Syndicat de la magistrature soumet à votre conseil des observations sur un projet de loi. Mais les atteintes sans précédent portées par ce texte aux grands principes de notre droit justifient, cette fois, que notre action s’inscrive dans une démarche collective avec l’ensemble des organisations qui nous ont rejoints dans la mobilisation contre la rétention de sûreté. C’est dans cet esprit que les organisations suivantes se joignent à nos observations : le GENEPI, le SNEPAP-FSU, le SNPES-PJJ-FSU, l’UGSP-CGT, la CGT-PJJ, SUD Santé-sociaux, la FSU, Interco-CFDT, Union syndicale solidaires, l’Union syndicale de la psychiatrie, le Syndicat général des psychiatres des hôpitaux, le Syndicat national des psychologues, l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire, le RAIDH, le CEDETIM, l’ADAP (association des avocats pénalistes), l’OIP (observatoire international des prisons), la LDH (Ligue des droits de l’Homme), la FARAPEJ, Ban public, Emmaüs France, le groupement multiprofessionnel prison, le MJS, le MRAP, la Fédération des tunisiens pour une citoyenneté des deux rives.

* * * *

1. SUR L’INCONSTITUTIONNALITE DE LA PROCEDURE D’URGENCE DECLAREE PAR LE GOUVERNEMENT

Le texte déféré a été examiné par le Parlement sous le régime de l’urgence, prévu par l’article 45 de la constitution.

Il est demandé au Conseil de contrôler cette déclaration d’urgence par le gouvernement.

L’enjeu est clair : sauf pour le Conseil à avaliser la généralisation de cette pratique, quel que soit le texte présenté au Parlement, il importe que les critères soient rigoureusement contrôlés. L’urgence constitue en effet une exception à un principe censé préserver la qualité du travail parlementaire et, plus généralement, l’expression démocratique.

1.1 Pour un contrôle constitutionnel de la procédure d’urgence

Il convient de revenir sur la chronologie.

Le projet de loi a été déposé le 28 novembre 2007 sur le bureau de l’Assemblée Nationale.

Le gouvernement a déclaré l’urgence sur ce projet le 3 janvier 2008. Or, au moment de la déclaration d’urgence, le texte ne prévoyait aucunement sa propre rétroactivité.

Ce n’est que par un amendement parlementaire du 8 janvier 2008 que des dispositions ont été envisagées permettant d’appliquer la rétention de sûreté à des faits commis et à des personnes condamnées avant l’entrée en vigueur de ce texte.

Ainsi, au moment où l’urgence a été déclarée sur ce texte, il était clair aux
yeux du gouvernement que celui-ci ne trouverait à s’appliquer qu’une quinzaine d’années après son entrée en vigueur.

La déclaration d’urgence marque donc la volonté du gouvernement d’éviter un débat approfondi sur des dispositions pourtant très étrangères à notre droit positif.

Les conditions d’examen de ce projet de loi, compte tenu de l’importance des questions qu’il soulève, n’ont pas respecté la procédure minutieuse prévue par la Constitution visant à garantir un examen serein et raisonnable du texte par la représentation nationale.

1.2 Les critères inopérants de l’urgence retenus par le gouvernement

Il est assez remarquable d’observer que la précipitation à voter cette loi trouve sa source dans la survenue d’un fait divers tragique.

Comme l’a en effet rappelé Madame la garde des Sceaux, ce texte est motivé par la nécessité de traiter “de deux questions essentielles, celle des agresseurs d’enfants - plus précisément des prédateurs sexuels - et celle de l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental” . Pour justifier de
l’urgence, il est fait référence au “ drame du petit Enis, survenu cet été, [qui] montre qu’il est temps d’agir” (audition de Madame DATI du 11 décembre 2007 faisant référence au viol d’un enfant par une personne placée sous surveillance judiciaire).

Pourtant, aussi dramatique soit-il, un fait divers ne saurait justifier, à lui seul, la mise en œuvre de la procédure d’urgence, sauf à banaliser celle-ci. En l’espèce, une évaluation minimale des circonstances de ce drame aurait permis de mettre en évidence l’existence d’un dispositif législatif rendu inopérant faute de parution, dans les délais, des décrets d’application.

En effet, alors même que la loi du 12 décembre 2005 avait expressément prévu la possibilité de placer sous surveillance électronique mobile une personne faisant l’objet d’une surveillance judiciaire, ce dispositif, en l’absence de décret d’application, n’était toujours pas effectif au début de l’été 2007, soit un an et demi après la promulgation de la loi.

Tous ces éléments démontrent qu’aucune urgence ne motivait la procédure qui a conduit à priver la représentation nationale d’un réel débat, alors que plusieurs grands principes démocratiques sont en jeu.

2. SUR L’INCONSTITUTIONNALITE DES DISPOSITIONS RELATIVES A LA RETENTION DE SURETE

2.1 Peine et rétention de sûreté.

2 .1.1 La liberté de qualification du juge constitutionnel.

Il est évident que le législateur entend voir juger par le Conseil constitutionnel que la rétention de sûreté n’est pas une peine mais une « mesure de sûreté » et ce, à la seule fin d’éviter de confronter cette rétention aux dispositions constitutionnelles protectrices qui s’appliquent aux peines.

Une telle argumentation ne saurait prospérer, sauf pour le Conseil à abdiquer tout pouvoir de contrôle. En effet, laisser au législateur le soin de décider si une mesure s’apparente à une peine ou à une mesure de sûreté revient à lui permettre de s’affranchir des règles de nature constitutionnelle et, dès lors, à priver le Conseil de tout pouvoir de contrôle - alors même que des question essentielles se posent en termes de libertés publiques.

Il importe donc que le Conseil réaffirme son pouvoir de qualifier en « peine » ou « mesure de sûreté » les mesures privatives ou restrictives de droits sur le fondement de critères indiscutables.

Toutes les Hautes Juridictions se sont historiquement attribué cette compétence afin que, « dans l’intérêt de l’individu, les règles générales classiques du droit pénal s’appliquent » (Jean Pradel, Manuel de droit pénal général).

Ainsi, dans un arrêt Oztürk, la Cour européenne des droits de l’homme a-t-elle pu décider que les infractions administratives en matière routière faisaient partie de la « matière pénale » car, « si les Etats pouvaient à leur guise qualifier une infraction de disciplinaire, plutôt que de pénale, le jeu des clauses fondamentales des articles 6 et 7 se trouverait subordonné à leur volonté souveraine ».

Plus encore, en 1995, la Cour européenne des droits de l’homme avait été saisie de la question de la nature, pénale ou non, de la contrainte par corps. Le gouvernement avait développé la théorie selon laquelle il ne s’agissait pas d’une peine afin de la faire échapper à la règle de la non-rétroactivité de la loi pénale. La Cour avait alors tenu à réaffirmer son pouvoir de qualification d’une telle mesure dans les termes suivants : « la Cour rappelle que la qualification de « peine » contenue dans l’article 7-1 possède une portée autonome. Pour rendre efficace la protection offerte par cette disposition, la Cour doit demeurer libre d’aller au-delà des apparences et apprécier elle-même si une mesure particulière s’analyse au fond comme une peine au sens de cette clause  ».

La Cour européenne des droits de l’homme poursuivait : « la mesure en question a pour but de contraindre au paiement par la menace d’une incarcération sous un régime pénitentiaire » ... « prononcée par une juridiction répressive et destinée à exercer un effet dissuasif, la sanction pouvait aboutir à une privation de liberté à caractère punitif  », « elle constituait donc une peine au sens de l’article 7-1 de la convention  » (CEDH, 8 juin 1995, arrêt Jamil contre France).

Ainsi, la Cour se réservait l’appréciation souveraine de la nature de la
contrainte par corps et la qualifiait de peine en fonction d’éléments objectifs.

Le Conseil Constitutionnel lui-même, dans sa décision du 17 janvier 1989, a pu affirmer que : « une peine ne peut être infligée qu’à la condition que soient respectés le principe de légalité des délits et des peines, le principe de nonrétroactivité de la loi pénale d’incrimination plus sévère ainsi que le respect des droits de la défense. Ces exigences ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions répressives, mais s’étendent à toute sanction ayant le caractère d’une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire  ».

C’est ce même raisonnement qu’il est demandé au Conseil constitutionnel de suivre pour la rétention de sûreté.

Il convient à cet égard de relever que la distinction entre la peine et la mesure de sûreté est confuse. Le législateur n’emploie lui-même le terme de « mesure de sûreté » qu’à deux reprises, et une seule fois dans le Code de procédure pénale. Des mesures traditionnellement considérées comme des mesures de sûreté sont évoquées dans le titre III du Code pénal intitulé « Des Peines », et la doctrine admet que bien des sanctions ont à la fois le caractère de peine et de mesure de sûreté (le retrait de permis par exemple, et... la peine de mort, d’après les positivistes).

Afin de déterminer la nature exacte de la rétention de sûreté, il apparaît donc nécessaire au préalable de préciser les modalités concrètes de mise en œuvre et d’application de la mesure. Le régime ainsi défini présente toutes les caractéristiques d’une peine.

2 .1.2 La rétention de sûreté présente les caractéristiques de la peine.

2.1.2.1 Description du dispositif.

Si la rétention de sûreté trouve sa justification officielle dans la « dangerosité » de la personne et le risque qu’elle présente pour l’avenir, elle ne peut néanmoins être envisagée, puis prononcée, sans être rattachée à la commission d’un acte criminel. Ainsi, elle doit faire l’objet d’une mention expresse dans la décision de condamnation, tendant au réexamen de la personne (exception faite des cas de figure mentionnés dans l’article 12-I de la loi). Par la suite, sa mise en œuvre, à l’issue de l’exécution de la peine, est décidée par une juridiction : la commission régionale de sûreté.

Concrètement, la rétention de sûreté consiste dans un enfermement de la personne concernée à l’issue de l’exécution de sa peine de réclusion. Le lieu d’exécution de la mesure n’est pas précisément défini - le texte de loi fait référence à des centres socio-médico-judiciaires - mais Madame la garde des Sceaux a indiqué que le premier centre serait créé au sein de l’établissement public de santé national de Fresnes (EPSNF). Dans cette hypothèse, les « retenus » côtoieraient des personnes placées sous main de justice, prévenues ou condamnées, et seraient sous le contrôle des personnels de surveillance de l’administration pénitentiaire.

La privation de la liberté d’aller et venir est totale et, tant que dure la rétention, elle ne peut faire l’objet d’aucun aménagement. Initialement prévue pour une durée d’une année, elle peut être renouvelée pour la même durée par la commission régionale de la rétention de sûreté - aucune limite n’étant fixée au nombre de renouvellements de la mesure.

Lorsqu’il est mis fin à la rétention de sûreté, la commission régionale de sûreté peut soumettre la personne au placement sous surveillance électronique mobile et à des obligations similaires à celles prévues dans le cadre de la surveillance judiciaire, puis replacer la personne en rétention en cas de non respect de ces obligations. Il est à relever que cette dernière décision peut être précédée en urgence d’un placement provisoire de la personne dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté, ordonné par le seul président de la commission régionale - ce placement pouvant atteindre la durée de trois mois.

Ainsi définie, la rétention de sûreté possède toutes les caractéristiques d’une sanction pénale.

2.1.2.2 Analyse du dispositif : un régime de privation de liberté plus sévère qu’une peine.

Dans sa décision n°95-360 DC du 2 février 1995, le Conseil constitutionnel a retenu que, « dans le cas où elles sont prononcées par un tribunal , [les mesures qui font l’objet d’une injonction pénale et qui peuvent être de nature à porter atteinte à la liberté individuelle] constituent des sanctions pénales  ». Envisagée puis prononcée par une juridiction, la rétention de sûreté constitue donc une sanction pénale.

Surtout, la rétention de sûreté possède une dimension afflictive qui n’a pas d’équivalent dans notre système pénal. Elle se caractérise d’emblée par la plus grave atteinte aux libertés que peut connaître le droit français puisqu’elle consiste dans une privation totale de la liberté d’aller et venir. Cette privation ne connaît aucune limite dans le temps dès lors que son renouvellement, année après année, n’est pas borné par un terme précis. Elle peut prendre fin mais peut être réinstaurée, connaissant alors un cycle de renouvellement indéterminé.

Le régime de la rétention de sûreté apparaît même à bien des égards comme étant plus sévère que celui des peines d’emprisonnement classiques. En effet, l’enfermement généré par la rétention de sûreté, durant la mise en œuvre de cette mesure, ne connaît aucun des tempéraments communément admis dans le régime des peines d’emprisonnement ou de réclusion. Il n’est prévu notamment aucune réduction de la durée de rétention, aucune possibilité d’octroi d’une permission de sortir (le nouvel article 706-53-22 du code de procédure pénale évoque ainsi les seules « permissions de sortir sous escorte »), aucun aménagement de la mesure. Un homme condamné par une cour d’assises à une peine de réclusion criminelle de 20 années disposerait ainsi de davantage de droits dans le cadre de l’exécution de sa peine que dans celui de la rétention de sûreté qui lui serait consécutive - alors même que celle-ci serait constitutive d’une atteinte identique à sa liberté et qu’elle pourrait s’étendre sur une période de temps très largement supérieure...

La comparaison avec le régime de l’exécution des peines est également édifiante dans l’hypothèse d’un nouveau placement en rétention résultant d’une méconnaissance des obligations. Dans ce contexte, un enfermement provisoire d’une durée de trois mois pourra être ordonné d’urgence par le seul président de la commission régionale dans l’attente de la décision de la commission, alors que la durée maximale de l’incarcération provisoire pour un condamné défaillant n’est que de quinze jours. Une nouvelle fois, la personne retenue connaît donc un sort plus défavorable que la personne condamnée.

Ainsi, il convient de constater que la rétention de sûreté emprunte la totalité de ses attributs aux peines, voire surpasse celles-ci sur l’échelle de la coercition.

2.2 Les atteintes aux principes constitutionnels


2.2.1 La violation du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère

L’article premier de la loi prévoit que la rétention de sûreté ne peut être prononcée, pour un certain nombre de crimes qu’il énumère, que si la cour d’assises a expressément prévu dans sa décision de condamnation que la personne pourra faire l’objet, à la fin de sa peine, d’un réexamen de sa situation en vue d’une éventuelle mesure de sûreté.

Cette disposition semble à elle seule proscrire toute possibilité de rétroactivité de la mesure, en ce que celle-ci ne pourra, par hypothèse, s’appliquer qu’aux condamnations prononcées à compter de sa promulgation.

Toutefois, le législateur a prévu d’importants tempéraments à ce principe visant à permettre la rétroactivité du texte.

2.2.1.1 Les dispositions de l’article 12-I

L’article 12 de la loi prévoit que ces dispositions sont applicables aux personnes exécutant, à la date du 1er septembre 2008, une peine de réclusion criminelle d’une durée égale ou supérieure à 15 ans à la suite, soit de plusieurs condamnations, dont la dernière à une telle peine pour les crimes mentionnés à l’article 706-53-13 du code de procédure pénale, soit d’une condamnation unique à une telle peine pour plusieurs de ces crimes commis sur des victimes différentes.

Cet article réduit à néant le principe posé par l’article premier.

En effet, ces personnes peuvent être soumises à une assignation à domicile sous le régime du placement sous surveillance électronique mobile, ou à titre exceptionnel, si celui-ci paraît insuffisant pour prévenir la récidive, à un placement en rétention de sûreté.

Le texte prévoit ainsi la possibilité d’appliquer la rétention de sûreté à certains personnes condamnées avant l’entrée en vigueur de la loi.

Ces dispositions violent directement le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère posé par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

A cet égard, il convient de constater que dans sa décision du 8 décembre 2005, le Conseil constitutionnel a validé la loi instituant le placement sous surveillance judiciaire avec une application possible aux condamnés effectuant déjà leur peine, en soulignant que cette rétroactivité de la loi était constitutionnelle car la surveillance judiciaire ne pouvait excéder dans le temps la durée des réductions de peine dont bénéficie le condamné - la mesure instituée constituant ainsi une modalité d’exécution de la peine prononcée par la juridiction de jugement. Le Conseil constitutionnel a donc permis la rétroactivité de la loi au motif que la durée maximale de la peine fixée par la juridiction de jugement demeurait inchangée, seules ses modalités d’exécution étant modifiées. La rétention de sûreté ne répond pas à ces critères. Elle doit donc être déclarée inconstitutionnelle.

2.2.1.2 Les dispositions de l’article 12-II

En permettant l’application de la rétention de sûreté aux « personnes faisant l’objet d’une condamnation prononcée après la publication de la présente loi pour des faits commis avant cette publication », le législateur autorise une rétroactivité tempérée de la loi pénale plus sévère. Or, de jurisprudence constante, la loi répressive plus sévère ne peut s’appliquer qu’aux faits commis postérieurement à son entrée en vigueur. En aucun cas elle ne saurait s’appliquer aux condamnations postérieures à son entrée en vigueur, dès lors que les faits ont été commis antérieurement à celle-ci. L’article 12-II est donc manifestement frappé d’inconstitutionnalité.

2.2.1.3 Les dispositions de l’art. 12-III

Rappelons que la loi prévoit, lorsqu’un placement sous surveillance judiciaire a été prononcé à l’encontre d’une personne condamnée à une réclusion criminelle d’une durée égale ou supérieure à 15 ans pour l’une des infractions visées à l’article 706-53-13 du code de procédure pénale, la possibilité pour la juridiction régionale de décider de prolonger tout ou partie des obligations auxquelles est astreinte la personne en la plaçant sous surveillance de sûreté pour une durée d’un an renouvelable.

Or, au terme de l’article 12-III, cette surveillance de sûreté est immédiatement applicable aux personnes actuellement condamnées et peut, en cas de violation, entraîner le prononcé d’une mesure de rétention de sûreté.

Ainsi, cette rétention de sûreté a vocation, une nouvelle fois, à s’appliquer de manière rétroactive.

L’application de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, prise en sa décision du 8 décembre 2005, conduit donc logiquement à constater l’inconstitutionnalité de ces dispositions.

2.2.2 La possibilité d’excéder le maximum légal des peines : une atteinte aux principes de proportionnalité et de nécessité des peines.

En réaction à l’arbitraire de l’Ancien Régime, la philosophie des Lumières a dégagé le principe de la légalité des délits et des peines, principe qui domine le droit pénal depuis la Révolution française.

Ce principe a été conceptualisé en particulier par Montesquieu (L’esprit des lois, 1748) et Beccaria (Traité des délits et des peines, 1764).

Il constitue une garantie essentielle de la liberté individuelle. En effet, le droit pénal doit, d’une part, définir précisément ce qui est interdit (ce qui doit mettre l’individu à l’abri de toute poursuite arbitraire) et, d’autre part, fixer avec exactitude la peine encourue (ce qui doit mettre l’individu à l’abri de tout enfermement arbitraire).

Le principe de légalité, inscrit à l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, a valeur constitutionnelle comme l’a rappelé votre Conseil à l’occasion de l’examen de la loi dite "Sécurité et
liberté" (décision du 19-20 janvier 1980).

Ce principe a solennellement été repris par le législateur en 1994 à l’occasion de la rédaction du Nouveau Code pénal à l’article 111-3 qui dispose que :
- (1er alinéa sur l’incrimination) "Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement" ;
- (2nd alinéa sur les peines) "Nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi, si l’infraction est un crime ou un délit, ou par le règlement, si l’infraction est une contravention".

En ce qui concerne la peine, le principe de légalité signifie qu’un individu doit être prévenu à l’avance de la sanction qu’il encourt s’il viole la loi.

Les conséquences sont doubles : l’Etat s’auto-limite dans son pouvoir répressif puisque ne pourront s’appliquer que des peines qui auront préalablement été annoncées et l’individu qui enfreint la loi agit en ayant pleinement connaissance de la peine qu’il risque.

Pour la première fois depuis la Révolution française, le dispositif récemment voté de la rétention de sûreté met à mal ce principe fondateur de notre droit pénal.

Désormais, outre la peine encourue pour le délit ou le crime pour lequel il a été reconnu coupable, un individu est susceptible de subir une période d’enfermement supplémentaire, aléatoire et illimitée.

Le dispositif de la rétention de sûreté est radicalement différent de celui du suivi socio-judiciaire. Dans ce dernier cas, la loi prévoit les peines encourues en cas de non-respect des obligations (3 ans en matière délictuelle et 7 ans en matière criminelle). Le condamné sait à l’avance qu’il encourt la peine liée à l’infraction ainsi que celle prévue pour le non-respect du suivi sociojudiciaire.

A l’inverse, la rétention de sûreté prive le délinquant de cette garantie première puisque l’enfermement peut être renouvelé indéfiniment.

En définitive, le régime de la rétention de sûreté revient à instaurer potentiellement la réclusion criminelle à perpétuité pour tous les crimes punis de 15 ans et plus.

Ce mécanisme de renouvellement annuel de l’enfermement ruine le principe de prévisibilité qui caractérise le droit pénal moderne. La possibilité d’une privation illimitée de liberté renvoie à l’arbitraire combattu il y a plus de deux siècles par les philosophes des Lumières.

Il convient également de rappeler que l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen proclame que : "la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires". Ce principe de nécessité des peines est indissociable de celui de légalité.

La liberté étant le principe, le législateur ne peut fixer une peine et sa durée maximale, en particulier l’enfermement, que si le comportement incriminé exige une telle peine maximale.

Or, le dispositif de la rétention de sûreté peut aboutir à priver un individu de liberté durant une période supérieure à celle prévue par le législateur lors de l’incrimination du comportement.

En outre et c’est une évidence, la peine prononcée par la juridiction de jugement intègre déjà le risque de récidive.

D’ailleurs, avant de délibérer sur la peine, le président de la cour d’assises lit aux jurés l’article 132-24 du Code pénal qui prévoit que : "la nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixés de manière à concilier la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l’insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions".

Ainsi, ajouter à la fin de la peine une nouvelle période d’enfermement conduit à violer le principe de nécessité des peines.

2.2.3 Une atteinte flagrante à la présomption d’innocence.

Le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 confère une valeur constitutionnelle à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789.

Or, l’article 9 de la Déclaration de 1789 dispose que « tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi  ».

Ainsi, la présomption d’innocence a valeur constitutionnelle et il appartient au Conseil constitutionnel de veiller à son respect par le législateur.

En l’espèce, le dispositif prévu a vocation à s’appliquer, « à la fin de
l’exécution de leur peine », à des personnes déjà condamnées pour certains crimes qui « présentent une particulière dangerosité et une probabilité très élevée de récidive en raison d’un trouble grave de leur personnalité ». Il s’agit donc de priver des personnes de leur liberté en considération, non du crime qu’elles ont commis, pour lequel elles ont déjà été condamnées, mais d’un crime qu’elles sont susceptibles de commettre. Par définition, la rétention de sûreté concerne ainsi des personnes, non seulement présumées innocentes, mais purement et simplement innocentes, en l’absence de crime nouvellement commis.

Ainsi que l’a relevé Monsieur Robert BADINTER, ancien président du Conseil constitutionnel, « nous quittons la réalité des faits (le crime commis) pour la plasticité des hypothèses (le crime virtuel qui pourrait être commis par cet homme « dangereux ») » (cf. Le Monde du 27 novembre 2007).

Cela étant, la référence au crime subsiste, ce qui pose la question de la compatibilité du dispositif prévu avec la protection de la présomption d’innocence, garantie de manière générale par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Certes, l’article 9 de la Déclaration de 1789 n’interdit pas toute coercition contre la personne présumée innocente, mais il pose le principe de sa limitation drastique. Il en résulte en effet que :
- la question de la culpabilité devra être tranchée, ce qui signifie qu’une infraction a été commise ( « ...jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable... ») ;
- l’arrestation de la personne concernée est subordonnée à la constatation de son caractère indispensable par une juridiction ( « ... s’il est jugé indispensable de l’arrêter... ») ;
- même après cette arrestation, la coercition doit être strictement
nécessaire au but préventif poursuivi ( « ...toute rigueur qui ne serait
pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement
réprimée par la loi
 »).

Dans la dernière version du présent texte, la rétention de sûreté est certes décidée par une juridiction, et non plus par une commission comme initialement prévu, et elle présente un caractère subsidiaire puisqu’elle ne peut être proposée, puis prononcée, que si d’autres mesures de sûreté « apparaissent insuffisantes pour prévenir la commission des crimes mentionnés  » et qu’elle est ainsi « l’unique moyen de prévenir la commission, dont la probabilité est très élevée, de ces infractions  ».

Cependant, les rédacteurs de la Déclaration ont envisagé l’hypothèse d’une arrestation, ce qui n’a rien à voir avec la rétention, qui ne se situe pas en amont de la peine ni n’a d’ailleurs vocation à s’y substituer, mais en prolonge les effets en dehors de toute (nouvelle) commission d’infraction. Il y a là une différence de conception fondamentale : la Déclaration a ménagé la possibilité d’une coercition contre des personnes présumées innocentes dans l’attente de leur éventuelle condamnation, ce qui présuppose l’existence d’une infraction, qui sera imputée ou non à la personne poursuivie ; en revanche, il n’est nullement question dans l’article 9, tel qu’il a été conçu et rédigé, de maintenir contre une personne les effets d’une peine passée par référence à un crime futur, au demeurant totalement incertain.

Ainsi, le dispositif prévu est contraire aux deux premiers principes de limitation de la coercition posés par l’article 9 de la Déclaration de 1789.

Dans la même logique et de manière plus évidente encore, la rétention de sûreté contrevient au troisième principe édicté par cet article, qui se fonde sur l’idée de nécessité. En effet, comment pourrait-il être nécessaire de priver de liberté une personne qui, de manière certaine, n’a pas encore commis l’infraction considérée ? Quand un crime a été commis et que des indices permettent de supposer que telle personne l’a commis, on peut concevoir d’exercer contre celle-ci une coercition, bien qu’elle soit présumée innocente, le temps de vérifier la réalité de son implication, à la fois pour préserver ce travail de vérification et pour « s’assurer de sa personne ». Mais quand aucun crime n’a été commis, il n’y a pas d’investigations à protéger, aucune représentation à garantir et la logique préventive redevient abstraite : on ne cherche plus à prévenir le renouvellement de ce qui vient de se commettre, mais ce qui pourrait être commis, ce qui interdit d’avoir recours à la privation de liberté.

Par ailleurs, quelle nécessité pourrait-il y avoir à réserver à une personne qui n’a pas commis le crime considéré un sort plus dur qu’à cette même personne pour le crime qu’elle a déjà commis et pour lequel elle a purgé sa peine ? Par exemple, quelle nécessité peut-il y avoir à priver de permission de sortie sans escorte une personne qui a pu en bénéficier antérieurement sans qu’elle ait rien fait depuis qui puisse justifier un surcroît de sévérité ? De même, comment la « rigueur » de la rétention de sûreté pourrait-elle être « nécessaire » en étant renouvelable indéfiniment, alors qu’aucune peine n’est renouvelable et que, par définition, la peine déjà purgée n’était pas perpétuelle ?

On voit donc que le dispositif instauré contrevient triplement à l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen protégeant la présomption d’innocence, clef de voûte des libertés individuelles. On aura noté que tel n’est pas le cas de la détention provisoire, manifestement envisagée par les rédacteurs de la Déclaration et qui, rappelons-le, s’impute sur la peine à exécuter.

2.2.4 Une violation caractérisée de l’article 5 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales.

Cet article prévoit limitativement les cas de privation de liberté. Il dispose que toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention hors ces cas a droit à une indemnisation.

La rétention de sûreté n’entre dans aucun de ces critères de privation de liberté retenus par la Convention.

La commission des lois du Sénat a cru devoir justifier ce dispositif par sa conformité au premier alinéa de l’article 5 (« s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ») en soulignant que la possibilité d’une rétention de sûreté doit avoir été expressément mentionnée dans l’arrêt de la cour d’assises.

Cependant, il est évident qu’une telle mention n’a pas valeur de condamnation. La seule référence à la nécessité d’un « réexamen » de la personne ne saurait constituer une nouvelle condamnation autorisant à subir une période de détention postérieure à la détention initialement subie en raison de la peine de réclusion.

En tout état de cause, il doit être rappelé que cette mention n’est pas même prévue s’agissant des criminels en série visés par l’article 12-I (en raison du caractère rétroactif de la rétention de sûreté pour cette catégorie de criminels).

2.2.5 Une atteinte au principe de la prévisibilité de la sanction.

L’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pose le principe de la légalité des délits et des peines. Ce principe répond à une exigence fondamentale de sécurité juridique tendant à la prévisibilité de la sanction contre l’arbitraire.

Or, même à supposer que la rétention de sûreté ne soit pas stricto sensu une peine, il reste que c’est une sanction. Tout le dispositif prévu repose en effet sur la probabilité de la récidive, ce qui conduit à une coercition indissociablement punitive (la personne continue de « payer » pour le premier acte) et préventive (la personne est empêchée de commettre le prétendument probable deuxième acte). Cette qualification de sanction est d’autant plus légitime que la rétention de sûreté ne peut être prononcée « que si la cour d’assises a expressément prévu dans sa décision de condamnation que la personne pourra faire l’objet à la fin de sa peine d’un réexamen de sa situation en vue d’une éventuelle rétention de sûreté » (article premier). Obligatoirement prévue par la juridiction répressive, la rétention de sûreté est une sanction. D’ailleurs, toutes les mesures de sûreté existantes sont des sanctions, qualifiées comme telles dans les manuels de droit (cf. notamment Jean PRADEL, Manuel de droit pénal général, 16ème édition, pages 524, « Les sanctions pénales : peines et mesures de sûreté »).

En tant que sanction, une mesure de sûreté doit être déterminée, sauf à revenir à la logique des positivistes qui n’est pas celle de la Déclaration de 1789, ni celle de notre droit pénal.

Comme le relève le Professeur PRADEL :

« Très dangereuse pour la liberté individuelle, l’indétermination de la mesure de sûreté est heureusement fortement réduite en droit positif. Notre droit rejette en effet le système de l’indétermination absolue sauf par exemple pour certaines incapacités et déchéances professionnelles [exemple : l’interdiction d’exercer une profession commerciale]. Il admet, en revanche, le système de l’indétermination relative qui consiste pour la juridiction de jugement à fixer un minimum et surtout un maximum entre lesquels oscillera la durée d’exécution de la sanction, cette durée étant fixée par l’autorité chargée de l’exécution ou par un évènement : ainsi, les mesures applicables aux mineurs cessent à leur majorité civile (art. 17 al. 1 de l’ordonnance du 2 février 1945). Toutes ces solutions assez nuancées traduisent le désir du législateur de concilier le respect de la liberté individuelle et les nécessités du traitement de la délinquance  ».

S’agissant de la rétention de sûreté, le législateur a fait fi de toute préoccupation de nuance et d’équilibre. Certes, la mesure de rétention est décidée pour une durée d’un an, mais elle est renouvelable à l’infini, ce qui la rend potentiellement perpétuelle. L’indétermination est absolue et d’autant plus dangereuse qu’il est ici question de privation totale de liberté.

Ainsi, la sécurité juridique, objectif poursuivi par les rédacteurs de la Déclaration de 1789 en cohérence avec une conception du droit fondée sur la responsabilité, est clairement battue en brèche.

Comme l’a observé Monsieur Robert BADINTER dans l’article précité :

« Tout condamné ressasse jusqu’à l’obsession le nombre d’années, de mois, de jours qui le séparent de sa libération. Quand il a accompli sa peine, payé sa dette à la société, il a conscience d’avoir droit à cette libération. Et voici que par l’effet de la loi nouvelle, cette certitude-là vacille et s’éteint. Il n’y aura plus pour lui d’assurance de retrouver sa liberté après avoir purgé sa condamnation (...). Pour cet homme-là, quelle incitation à préparer, en détention, son avenir ? A l’attente, on ajoutera l’angoisse de l’incertitude. »

Par conséquent, le texte qui vous est soumis est contraire au principe de la légalité des peines, lequel vaut logiquement pour les sanctions, ou, à tout le moins, au principe fondamental reconnu par les lois de la République de la détermination des sanctions. Aucun dispositif qualifié ou susceptible d’être qualifié de « mesure de sûreté » n’existe en effet actuellement dans notre droit qui puisse être renouvelé indéfiniment comme c’est le cas de la rétention de sûreté.

2.2.6 L’applicabilité aux mineurs : une nouvelle brèche dans la spécificité du droit pénal des mineurs.

En ne prévoyant pas de dérogation au dispositif pour les mineurs, le législateur méconnaît la particularité nécessaire du droit pénal qui leur est applicable et cela s’agissant d’un mécanisme particulièrement coercitif.

Le principe de cette spécificité a pourtant été consacré par le Conseil constitutionnel comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République en des termes on ne peut plus clairs : « l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l’âge comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité (...) ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du vingtième siècle (...) ; ces principes trouvent notamment leur expression dans l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante  » (décision du 29 août 2002 relative à la loi d’orientation et de programmation pour la justice, n°2002-461 DC).

A cet égard, bien que la rétention de sûreté se situe en aval de la peine, il est fondamental de se référer à l’âge qu’avait la personne concernée au moment des faits. En effet, puisque la responsabilité d’un enfant ou d’un adolescent n’est pas équivalente à celle d’un adulte (principe d’atténuation), le mineur criminel devenu adulte ne peut pas être traité comme le majeur criminel, sauf à oublier les conditions dans lesquelles il a engagé sa responsabilité.

De ce point de vue, le dispositif instauré est en contradiction flagrante avec le statut protégé des mineurs dans notre droit pénal. En particulier, le caractère potentiellement perpétuel de la rétention de sûreté n’est pas admissible. En clair, il signifie qu’une personne condamnée à une peine de réclusion à temps, pour des faits commis alors qu’elle était mineure, pourra être enfermée à perpétuité.

On observera qu’en matière de détention provisoire, qui présuppose l’existence d’une infraction et qui n’est pas renouvelable indéfiniment, le régime applicable aux mineurs est plus favorable que celui qui s’applique aux majeurs, le recours à l’incarcération devant être « indispensable » (article 11 de l’ordonnance de 1945). A tout le moins, une différence de traitement s’impose donc a fortiori s’agissant de la rétention de sûreté, peine ou mesure de sûreté qui intervient après la peine et avant le crime considéré.

En ce qu’il a vocation à s’appliquer également aux mineurs, le dispositif prévu est donc contraire à la Constitution.

2.3 Le renvoi excessif au décret pour définir le contenu de la rétention de sûreté caractérise l’incompétence négative du législateur.

2 .3.1 L’insécurité juridique générée par le renvoi au décret

Aux termes des dispositions de l’article 706-53-13 nouveau in fine du Code de procédure pénale , « la rétention de sûreté consiste dans le placement de la personne intéressée en centre socio-médico-judiciaire de sûreté dans lequel lui est proposée, de façon permanente, une prise en charge médicale, éducative, sociale, psychologique et criminologique adaptée destinée à permettre la fin de cette mesure  ».

Aux termes des dispositions de l’article 706-53-22 nouveau du Code pénal « Un décret en Conseil d’État précise les conditions et les modalités d’application du présent chapitre  ». « Ce décret précise les conditions dans lesquelles s’exercent les droits des personnes retenues dans un centre sociomédico-judicaire de sûreté, y compris en matière d’emploi, d’éducation et de formation, de visites, de correspondances, d’exercice du culte et de permissions de sortie sous escorte ou sous surveillance électronique mobile. Il ne peut apporter à l’exercice de ces droits que les restrictions strictement nécessaires aux exigences de l’ordre public ».

Telles sont les seules dispositions figurant dans la loi pour tenter de définir la nature et le régime des lieux dans lesquels les personnes concernées seront « retenues ».

Les travaux préparatoires du texte ne sont pas plus diserts : devant le Sénat, la question n’est abordée, ni dans le rapport établi par la Commission saisie, ni dans la discussion générale.

Finalement, le seul document qui apporte quelques précisions est le rapport établi par G. Fenech devant l’Assemblée Nationale qui explique qu’un premier centre devrait être créé à Fresnes « au sein de l’établissement public national de santé », c’est-à-dire dans un espace rattaché à l’espace carcéral.

Un grand nombre d’incertitudes demeurent donc sur la nature de ces centres.

Ce mutisme législatif caractérise nettement ce qu’il est convenu d’appeler une « incompétence négative du législateur ».

On sait que le Conseil constitutionnel a eu tendance depuis quelques années à restreindre le champ d’application de la notion d’incompétence négative, opérant en particulier une distinction fondée sur la lettre de l’article 34 de la Constitution, entre les matières dans lesquelles il appartient au législateur de fixer « les règles » qui les gouvernent et celles dans lesquelles il lui incombe simplement de fixer les « principes fondamentaux » qui en constituent le socle (voir, suggérant cette distinction, P. Mazeaud, « La loi ne doit pas être un rite incantatoire », JCP-A 2005.I.1035, § 39).

Toutefois, dans les domaines dans lesquels la loi doit poser « les règles », il est clair que la jurisprudence du Conseil constitutionnel demeure identique : il appartient au législateur de déterminer nettement les fondements du régime juridique applicable.

Ce n’est donc pas une interprétation abusive de cette jurisprudence que de considérer qu’en cas de loi portant une atteinte à la liberté individuelle, cette exigence est posée de manière spécialement rigoureuse.

La démarche suivie par le Conseil constitutionnel, pour déterminer si une loi qui porte atteinte à la liberté individuelle est entachée d’incompétence négative, a parfaitement été mise en évidence par la décision du 19 janvier 2006 (n° 2005-532 DC) relative à la lutte contre le terrorisme.

Le Conseil constitutionnel y commence par examiner si le texte pose, ou ne pose pas, de restrictions à la liberté individuelle. Puis, il vérifie que ces restrictions sont bien conformes à des exigences d’ordre public. Enfin, il recherche dans la loi (et dans le silence de la loi, dans les travaux préparatoires), si « l’ensemble des garanties qu’il a prévues », suffisent pour assurer cette conciliation.

Ainsi, à titre d’exemple, dans la décision précitée de 2006, ce n’est qu’après avoir procédé à une longue énumération des garanties posées par le texte (§ 20) que le Conseil constitutionnel a validé les dispositions de l’article 8 de la loi dont il était saisi.

Au cas précis, la mise en oeuvre de cette démarche conduira immanquablement à la censure de la loi, motif pris de l’incompétence négative du législateur.

Si la loi pose effectivement des restrictions à la liberté individuelle, elle est purement et simplement muette en ce qui concerne la conciliation avec les « exigences d’ordre public  ». Elle se borne à mentionner une énumération de droits ou libertés et renvoie au décret d’application, lequel « ne pourra apporter à l’exercice de ces droits que les restrictions strictement nécessaires aux exigences de l’ordre public  ».

Cette manière de procéder est entachée de deux irrégularités. D’abord, la liste des libertés considérées est lacunaire et par suite insuffisamment précise ; ensuite, les conditions posées pour la mise en oeuvre du décret sont tautologiques et sans portée véritable.

2.3.2 Sur le caractère lacunaire de la liste des droits et libertés sauvegardés.

Cette liste, qui débute par un « y compris  » (ce qui laisse à penser qu’il pourrait y en avoir d’autres, sans que toutefois le Législateur n’ait pris la peine de le mentionner) est la suivante : « les droits en matière (...) d’emploi, d’éducation et de formation, de visites, de correspondances, d’exercice du culte et de permissions de sortie  ».

On constatera donc que le législateur est demeuré muet sur des droits et libertés essentiels :
• le droit à une vie familiale ;
• la liberté d’expression ;
• les conditions d’exercice des droits civiques (par exemple le droit de vote)
Pourtant, la réglementation de ces droits est indispensable.

En effet, la personne « retenue » n’est pas soumise à un régime carcéral, de sorte que les principes généraux du régime carcéral ne peuvent lui être transposés. De plus, la personne retenue n’a pas vocation à le rester indéfiniment de sorte qu’il est indispensable de déterminer dans quelles conditions ses liens avec la société doivent être préservés.

2.3.3 Sur le caractère tautologique des conditions posées pour la mise en oeuvre du décret.

La seule exigence imposée au décret est qu’il «  ne doit apporter à l’exercice de ces droits que les restrictions strictement nécessaires aux exigences de l’ordre public  ».

C’est la logique même de tout régime démocratique qui garantit les libertés de ne pas apporter à celles-ci de restrictions qui ne soient pas justifiées par les exigences de l’ordre public.

Mais, et c’est là l’essentiel, c’est à la loi, et à elle seule, qu’il appartient de fixer les modalités de cette conciliation entre restrictions aux libertés et exigences de l’ordre public.

Et elle ne peut pas se contenter d’affirmer que le pouvoir réglementaire devra assurer cette conciliation.

Ici, à titre d’exemple, il appartenait à la loi de dire :
• quels sont les principes directeurs qui s’appliquent aux permissions de sortie ;
• quelles sont les exigences essentielles en matière de protection des droits sociaux ;
• si le « retenu » peut, ou non, avoir une vie familiale, et dans l’affirmative, sous couvert de quelles adaptations ;
• si le « retenu » dispose d’une liberté d’expression, et le cas échéant dans quelles conditions ;
• dans quelles conditions le « retenu » peut exercer ses droits civiques.

L’absence de toute mention dans la loi (comme d’ailleurs dans ses travaux préparatoires) sur ces différents points caractérise d’une manière très frappante l’incompétence négative commise par le législateur.

Il convient d’ajouter que si l’on permettait au législateur de procéder de la sorte, toute la protection constitutionnelle des droits et libertés, élaborée par le Conseil constitutionnel, se trouverait remise en cause.

Il devrait se borner à constater que la conciliation des droits et de l’ordre public est renvoyée au pouvoir réglementaire et laisser au seul juge administratif le soin d’examiner les modalités de cette conciliation.

Pour l’ensemble de ces raisons, la censure de la loi est inévitable, étant observé par ailleurs que, faute d’avoir assuré cette conciliation, c’est l’ensemble du régime de la rétention qui ne peut entrer en vigueur.

3. SUR L’INCONSTITUTIONNALITE DES DISPOSITIONS RELATIVES A L’IRRESPONSABILITE PENALE POUR CAUSE DE TROUBLE MENTAL


3.1 Une atteinte au principe du procès équitable.

L’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales pose le principe du droit au procès équitable et rappelle notamment que tout accusé a le droit de se défendre lui-même.

La Cour de cassation a jugé, dans un arrêt de la chambre criminelle du 10 juin 1985 : « qu’il n’importe que l’ordonnance de renvoi soit rendue à une époque à laquelle le prévenu se trouve en état de démence, dès lors que cet état a cessé à la date de l’examen de l’affaire au fond par la juridiction de jugement ». Cette jurisprudence constante conduit directement à retarder le procès des personnes qui se trouvent en état de démence, pour permettre un procès équitable, jusqu’à ce qu’il soit justifié que leur état de santé leur permette d’intervenir personnellement lors de l’instance engagée (Crim. 5 juin 1997). Autrement dit, il n’est pas envisageable de statuer sur l’imputabilité de faits, même dans la perspective d’une déclaration ultérieure d’irresponsabilité, si la personne est en état de démence. Il s’agit en effet, de jurisprudence constante, d’une cause de suspension de l’action publique.

Les dispositions de la loi concernant la procédure devant la chambre de l’instruction, en prévoyant :
- soit que la personne pourra être jugée en son absence, si son état ne lui permet pas de comparaître,
- soit qu’elle pourra être jugée alors même que son état ne lui permet
pas de se défendre,
portent donc directement atteinte au principe du procès équitable prévu par la CEDH.

3.2 La mesure de sûreté après une déclaration d’irresponsabilité pénale : une atteinte au principe fondamental reconnu par les lois de la République (pas de responsabilité pénale, pas de peine)

Le droit pénal se fonde, depuis ses origines révolutionnaires, sur le principe essentiel selon lequel aucune peine ne pourra être prononcée contre une personne si sa responsabilité pénale n’est pas constatée.

Le texte déféré introduit une double rupture avec ce principe, ainsi qu’une incohérence manifeste.

Tout d’abord, et contrairement à une jurisprudence constante de la Cour de cassation, il rend possible qu’un procès se tienne devant la chambre de l’instruction alors que la personne se trouve encore en état d’abolition de son discernement, et alors qu’il sera possible à cette juridiction de prononcer contre elle des mesures de sûreté d’une durée considérable.

Ensuite, la création du délit d’inobservation de la mesure de sûreté par le nouvel article 706-138 du code de procédure pénale permet finalement de condamner une personne à la suite du non-respect d’une mesure découlant directement d’une abolition du discernement, ce qui n’est rien d’autre qu’une manière de pénaliser l’abolition du discernement.

L’apparente limitation introduite par l’expression « sous réserve des dispositions de l’article 122-1 », utilisée dans le nouvel article 706-138 du code de procédure pénale, manifeste une incohérence confondante. En effet, seules pourront être condamnées, pour le non-respect des mesures de sûreté, les personnes dont le discernement n’était pas aboli au moment de ce non-respect, en d’autres termes, les personnes pour lesquelles ces mesures n’étaient plus justifiées ! Ces dispositions, on le voit, sont marquées par une évidente confusion qui pourrait prêter à rire si elles ne bafouaient pas des principes aussi fondamentaux que le lien entre jugement, peine et
responsabilité.

* * * *

Tels sont les principaux points du texte de la loi déférée sur lesquels nous avons - au regard des graves atteintes portées à des principes de valeur constitutionnelle - estimé nécessaire d’appeler votre attention.

Nous sommes à la disposition du Conseil, s’il le juge utile, pour préciser, en tant que de besoin, l’analyse qui vient de vous être proposée.