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(2008-03) Courrier de Delphine Boesel, avocate de Cyril Khider, au tribunal administratif de Melun

Mise en ligne : 25 mars 2008

Texte de l'article :

POUR : Monsieur Cyril KHIDER, tendant à la suspension de l’exécution de deux décisions du 10 mars 2008 par lesquelles le président de la commission de discipline du centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin Neufmontier lui a infligé deux sanctions de placement au quartier disciplinaire pour une durée de 30 jours
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Ayant pour Avocate : Maître Delphine BOESEL
Avocate au Barreau de PARIS
25 rue Saint Sébastien - 75011 PARIS
Téléphone : 01.43.38.95.26
Télécopie : 01.43.38.90.79

FAITS

 

Monsieur Cyril KHIDER est détenu en exécution d’une peine de dix années de réclusion criminelle, dont le terme est actuellement fixé en 2011. Il a été condamné pour avoir tenté de faire évader son frère, Christophe KHIDER, le 27 mai 2001, de la maison d’arrêt de Fresnes, dans une opération héliportée. Lors de ces événements, un échange de tirs nourris avait éclaté entre les agents en poste dans les miradors et les occupants de l’hélicoptère, au cours duquel un surveillant avait été grièvement blessé.

La détention de Monsieur Cyril KHIDER a été, et reste à ce jour en dépit de ce qu’il est accessible à la libération conditionnelle, particulièrement éprouvante. C’est ce qui a motivé un recours sur le fondement de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme devant la Cour de Strasbourg, recours qui a passé un premier examen de recevabilité pour être renvoyé devant une formation de jugement par une décision du président de chambre en date du 11 décembre 2007.

En effet, compte tenu du motif de son incarcération, il a fait l’objet, depuis son incarcération le 27 août 2001, de mesures de sécurité draconiennes, à savoir un régime de rotations de sécurité, se traduisant par des transfèrements incessants, et un régime d’isolement complet, auquel il a été mis fin par le juge administratif (TA Paris, 15 mars 2007, AJDA 2007.1664, concl. Thibaut Célérier).

Néanmoins, les mesures mises en oeuvre à son encontre ont entraîné une dégradation de son état de santé. Le 7 juin 2006, le médecin de la maison d’arrêt de la Santé relevait que : « ce jeune homme de 33 ans présente d’une part une pathologie somatique (...) et d’autre part un état psychologique instable avec des signes de décompensation d’ordre somatique (augmentation des signes cliniques) et des signes d’ordre psychiatrique (il me parle d’empoisonnement de sa nourriture...).Il ne m’appartient pas d’établir un diagnostic psychiatrique mais il est certain qu’un isolement aussi prolongé ne peut qu’entraîner des signes de type paranoïaque. Il est nécessaire qu’il ait un suivi psychiatrique et qu’un avis compétent d’un médecin psychiatre soit donné afin de définir si le maintien à l’isolement est compatible avec les signes psychiatriques que présente ce patient. » Le 8 août 2006, un autre médecin constatait que celui-ci « présentait une pathologie invalidante de l’appareil musculo-squelletique, apparue il y a un an environ, dont l’authenticité est attestée par divers examens complémentaires permettant d’écarter toute simulation, et dont l’étiologie reste à ce jour indéterminée. Ce retentissement et l’évolution de cette pathologie paraissent nécessairement liés à ses conditions de détention au quartier d’isolement. Il paraît souhaitable que ces éléments de sa vie quotidienne puissent être améliorés sur le plan somatique et psychologique, par un assouplissement de son régime de détention. » Le 11 septembre 2006, le médecin chef notait dans un courrier à la direction que « le jeune homme présente des signes d’instabilité psychiatrique ».

En dépit de son transfèrement au centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin, établissement pour peines, Monsieur KHIDER demeure soumis à un régime de détention très restrictif et comparable à celui en vigueur dans les maisons d’arrêt.

En effet, le centre de détention fonctionne selon un « régime de détention différencié », au terme duquel trois régimes sont mis en oeuvre dans des quartiers distincts (production) :

-un régime probatoire, également désigné « régime portes fermées », mis en oeuvre au niveau 0 et 1 (impair) de l’établissement. Ce régime se traduit par un isolement cellulaire de jour comme de nuit, avec des possibilité de sortie de cellule aux horaires de promenades, à l’instar de ce qui existe en maison d’arrêt ;
- un régime commun, également appelé semi-ouvert, régissant le fonctionnement au niveau 2. L’après-midi, les détenus circulent librement dans leur aile de détention.

-un régime de confiance, dit régime ouvert, mis en œuvre au niveau 3 (et niveau 1 pair). Les détenus accèdent librement à la cour de promenades et aux salles communes pour participer à des activités libres ou encadrées.

Etant affecté au niveau 1 impair de l’établissement, Monsieur KHIDER ne bénéficiait pas du régime favorable prévu aux articles D.72 et D.94 du Code de procédure pénale et n’a pas même accès aux activités sportives, alors même que celles-ci sont rendues nécessaires par son état de santé.
C’est dans ce contexte que, le 2 mars 2008, Monsieur Cyril KHIDER s’est vu reprocher de s’être rendu à la salle d’activité et d’avoir déclaré aux détenus présents : « si on si on me sort pas en promenade à 16 h, vous faîtes un blocage ».

Considérant que les faits étaient établis et qu’ils constituaient une incitation à commettre un manquement réprimé par l’article D.249-1 du Code de procédure pénale, le président de la commission de discipline l’a sanctionné de trente jours de quartier disciplinaire de ce chef.

C’est la première décision dont la suspension de l’exécution est sollicitée.

Le 5 mars, Monsieur KHIDER s’est vu reprocher d’avoir refusé de déférer à la décision d’affectation au niveau 0 du quartier centre de détention, considéré comme le quartier ayant le régime de détention le plus rigoureux et remplissant de fait une fonction disciplinaire. Des éléments de mobilier de la salle d’activité où il se trouvait avec quatre autres détenus ayant été retrouvés démontés, le président de la commission de discipline a déclaré Monsieur KHIDER coupable d’avoir participé à une action collective de nature à compromettre gravement la sécurité de l’établissement et d’avoir causé un dommage au matériel de l’établissement et l’a sanctionné de trente jours de placement au quartier disciplinaire.

C’est la seconde décision dont la suspension de l’exécution est sollicitée.

Les deux sanctions ont été notifiées à l’intéressé le 11 mars et confondues conformément aux règles de non-cumul des punitions afférentes à des fautes disciplinaires en concours.

Ainsi se présentent les décisions visées par la présente demande aux fins de suspension.

 

 

 

 

 

DISCUSSION

1° Sur la recevabilité de la demande de suspension

Le Conseil d’Etat a jugé que la possibilité d’obtenir, en vertu de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, dans tous les cas où l’urgence le justifie, la suspension dans les meilleurs délais d’une décision administrative contestée par le demandeur « est ouverte y compris dans le cas où un texte législatif ou réglementaire impose l’exercice d’un recours administratif préalable avant de saisir le juge de l’excès de pouvoir, sans donner un caractère suspensif à ce recours obligatoire ; que, dans une telle hypothèse, la suspension peut être demandée au juge des référés sans attendre que l’administration ait statué sur le recours préalable, dès lors que l’intéressé a justifié, en produisant une copie de ce recours, qu’il a engagé les démarches nécessaires auprès de l’administration pour obtenir l’annulation ou la réformation de la décision contestée » (CE, Sect., 12 octobre 2001, Sté Produits Roche, rec. p.463).

S’agissant des sanctions infligées par l’administration aux détenus, un recours hiérarchique obligatoire est institué par l’article D.250-5 du Code de procédure pénale.

Le juge administratif a déjà eu l’occasion d’ordonner une mesure de suspension dans le contentieux disciplinaire des personnes détenues (TA Pau, ord. réf. 19 août 2005, n°0501583).

En l’espèce, le requérant ayant formé le recours préalable obligatoire le 18 mars 2008 contre les décisions litigieuses, il est recevable à en demander la suspension de l’exécution.

Il en est de même de l’exposante, qui a formé une intervention auprès du directeur interrégional le 19 mars.

2° Sur l’urgence

Le Conseil d’Etat considère qu’il résulte des dispositions de l’article L.521-1 du CJA que la condition d’urgence, à laquelle est subordonnée le prononcé d’une mesure de suspension, doit être regardée comme remplie lorsque la décision contestée « préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre (CE, Sect. 19 janvier 2001, Conf. nale des radios libres, rec. p. 29).

Il appartient au juge des référés, saisi d’une telle demande, d’apprécier concrètement, c’est-à-dire « objectivement et globalement » (CE Sect. 28 février 2001, Préfet des Alpes Maritimes, rec. p.109), compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de cette décision sur la situation des personnes concernées sont de nature à caractériser l’urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au principal, l’exécution de la décision soit suspendue.

Il a été jugé que justifie d’une urgence au sens de l’article L.521-1 du Code de justice administrative le détenu qui fait valoir que la sanction de quartier disciplinaire prononcée à son encontre « peut lui causer un préjudice en entraînant une suppression de remises de peine » (TA Pau, ord. réf., 19 août 2005, Peyo Argain préc.)

Il est manifeste que la présente requête fondée sur l’article L.521-1 du code de justice administrative est justifiée par l’urgence, laquelle résulte premièrement de ce que les sanctions infligées compromettent considérablement l’issue de la procédure de libération conditionnelle sur laquelle est le juge de l’application des peines est appelé à statuer le 7 mai 2008, ensuite de la perte de réduction de peine qu’elles entraîneront, et enfin de la gravité de l’épreuve morale et psychologique que représente l’exécution d’une sanction de quartier aussi lourde.

Par un jugement en date du 12 février 2008, le juge de l’application des peines a ajourné au 7 mai 2008 l’examen de la demande de libération conditionnelle présentée Monsieur KHIDER, afin notamment de l’amener à envisager un placement en semi-liberté probatoire et d’apprécier son comportement lors d’une permission de sortir.

Or il est manifeste que le prononcé par l’autorité pénitentiaire des sanctions est de nature à remettre en cause au en cause la possibilité d’octroi d’une permission de sortir et surtout de la mesure d’aménagement envisagée. L’article D.49-25 du Code de procédure pénale énonce que « Si le condamné ne satisfait pas aux obligations qui lui sont imposées ou s’il fait preuve de mauvaise conduite, le juge ou le tribunal de l’application des peines peut décider de rejeter ou d’ajourner une mesure relevant de sa compétence, soit de retirer ou de révoquer une telle mesure précédemment accordée, selon la procédure applicable pour octroyer la mesure. » L’article D.250-6 dudit code prévoit la transmission par les services pénitentiaires des sanctions prononcées au juge de l’application des peines.

Comme le relève une éminente spécialiste du droit de l’exécution des peines, « Le comportement du condamné en détention est souvent déterminant, même s’il ne constitue plus, depuis longtemps, un critère légal de la libération conditionnelle (...) Même si certains Jap s’obligent à ne pas accorder d’importance à des refus de soumission à l’enfermement, qu’ils jugent même plutôt sains, d’autres au contraire, en déduisent un refus de se socialiser (...) l’on peut estimer que si face à des actes graves et récents, la juridiction saisie aura tendance à rejeter la demande de libération conditionnelle, à l’inverse, en présence de faits modestes (par ex., des fautes de troisième degré au sens de C. pr. Pén., art. D.249-2) ou anciens, ou encore de sanctions légères (par ex. un avertissement, tel que prévu par C. pr. Pén., art. D.251-1) » (Martine Herzog-Evans, Droit de l’exécution des peines 2007-2008, Dalloz action, p.489-490).

 

 

 

 

De même, selon le même auteur « Le comportement à la fois disciplinaire et social du condamné en détention peut avoir un impact non négligeable sur la décision d’octroi de la permission. Pour certains magistrats, soucieux d’une collaboration étroite avec l’administration pénitentiaire, l’octroi des permissions de sortir, tout comme celui des réductions de peines, ne saurait s’affranchir du contexte carcéral. Il peut apparaître comme peu pédagogique à l’égard de la population pénale, d’accorder une permission de sortir à un condamné ayant été poursuivi disciplinairement dans la période récente ou pour une faute d’une certaine gravité. » (Ibid., p.289).

La circonstance que, entre la décision d’ajournement et le nouvel examen de la demande de libération conditionnelle, aient été versées au dossier de la procédure d’aménagement deux sanctions aussi lourdes que 30 jours de quartier disciplinaire, ne peut qu’entraîner une appréciation négative quant à l’ »effort de réadaptation social » fourni par le requérant et compromettre tout projet de sortie.

De même que ces décisions ont vocation à retarder la date de fin de peine du requérant. En effet, en application de l’article 721 du Code de procédure pénale, le requérant peut se voir retirer jusqu’à trois mois de réductions de peine sur décision du juge de l’application des peines, saisi par le chef d’établissement ou le parquet. La décision intervenant nécessairement dans l’année suivant le fait incriminé, le juge saisi du principal n’aura vraisemblablement pas rendu son jugement dans le délai. Or la prolongation de plusieurs semaines voire de plusieurs mois de la durée de la privation de liberté d’aller et de venir du requérant constitue assurément un préjudice grave justifiant la mesure de suspension sollicitée.

Par ailleurs, le maintien du requérant au quartier du disciplinaire pour une durée d’un mois constitue une épreuve particulièrement difficile à supporter, d’autant que comme cela a été souligné supra, il est particulièrement éprouvée par sa détention passée.

Or pendant un mois, Monsieur KHIDER va se trouver privé de tout contact avec autrui et réduit à une complète inactivité, dans quelques mètres carrés.

Le caractère fortement anxiogène du maintien au quartier disciplinaire a été mis en exergue par différents rapports sur le suicide en prison comme par les circulaires pénitentiaires sur la prévention des actes auto-agressifs .

Selon un rapport de l’administration pénitentiaire sur la prévention du suicide en milieu pénitentiaire de mai 1996, « l’analyse sociodémographique des suicides survenus alors que les détenus étaient placés en cellule de punition montre que le quartier disciplinaire est un haut lieu de risque suicidaire. »

Ainsi, « le taux de suicide au quartier disciplinaire est au moins 7 fois supérieur au taux de suicide dans le reste de la détention. On ne peut pas expliquer cette sur-suicidité par un effet de sélection. » En effet, « le placement au quartier disciplinaire est éminemment anxiogène en ce qu’il induit une perte de repère supplémentaire qui amplifie la déstabilisation inhérente à la détention. »

 

Dans le Guide de la pratique psychiatrique en milieu pénitentiaire (éd. Hdf-Guides professionnels de santé mentale, 2005) réalisé par des médecins-chefs de services de santé de prison et des responsables pénitentiaires, le Dr Laurent Michel affirme que « L’isolement relationnel et sensoriel [au mitard] favorisent l’éclosion anxieuse, la divagation mentale. Certains détenus supportent admirablement bien cette épreuve et la confrontation avec soi-même. Nombreux sont ceux, et surtout les plus fragiles, qui vont au contraire développer toute sorte de réactions, parfois extrêmes, allant du raptus anxieux à l’épisode psychotique réactionnel par le suicide ».

Le psychiatre explique que « le sentiment de toucher le fond du fond, la perte de contact avec les proches par arrêt des parloirs, l’isolement affectif et sensoriel, la perspective de voir sa date de libération repoussée par perte des remises de peine, l’aspect déshumanisé de la cellule et souvent sa saleté sont autant de facteurs contribuant à faire basculer une situation psychique fragile. L’existence d’une affection psychiatrique sous-jacente en accroît encore le risque. Certains passages à l’acte auto-agressifs surviennent dans un contexte délirant, découlant d’une décompensation brutale au quartier disciplinaire ou d’un embrasement d’une symptomatologie préexistente. (...) Le mitard est l’ultime lieu de sanction en prison. Bien qu’inadapté et dangereux psychiquement, il représente le moyen le plus courant de sanctionner un détenu ».

Dans ces conditions, les décisions litigieuses doivent nécessairement être regardées comme occasionnant un préjudice grave et immédiat à la situation de Monsieur KHIDER.

Pour l’ensemble de ces raisons, le requérant doit être regardé comme justifiant que, sans attendre le jugement au fond, l’exécution des décisions litigieuses soient suspendues.

 

3° SUR LE DOUTE SERIEUX QUANT A LA LEGALITE DE LA DECISION

Plusieurs moyens concernant tant la légalité externe que la légalité interne des décisions attaquées sont susceptibles de contraindre l’autorité hiérarchiques à les retirer, satisfaisant ainsi à la seconde condition de l’article L.521-1 du CJA.

1. Sur la légalité externe

1° Sur le nom respect des formalités substantielles

a. Sur la méconnaissance de l’article 4 de la loi du 12 avril 2000

Les décisions litigieuses ne comportent ni le nom, ni la fonction de l’autorité signataire, mais uniquement une signature illisible. Elles sont donc intervenues en violation de l’article 4 de la loi du 12 avril 2000 et sont vouées de ce chef à une censure certaine (CE, 15 novembre 2006, Devois, AJDA 2007.254, concl. Guyomar).

Le Conseil d’Etat a jugé, dans le cadre d’un référé-suspension, que non-respect des prescriptions précitées créait un doute sérieux quant à la légalité de la décision frappée d’une demande aux fins de suspension (CE 29 juin 2005, M. Lusignet).

La suspension s’impose donc de ce chef.

2°Sur l’insuffisance de motivation .

Les décisions comportent un exposé des faits laconique qui n’est autre que celui contenu de la convocation devant la commission de discipline.

La motivation de la décision du président de la commission de discipline, qui est portée dans la case « motivations de la commission de discipline » est quant à elle, dans les deux cas, manifestement insuffisante.

S’agissant de la décision n°2008000164, les motifs retenus ne mentionnent pas en quoi la commission en est venue à considérer que les faits exposés caractérisaient une action collective ou que Monsieur KHIDER a démonté les meubles, compte tenu en particulier de ce que, d’une part, l’exposé des faits, ne fait pas état de concertation ou d’action commune des détenus présents dans la salle, de sorte qu’il n’est pas possible de savoir en quoi le prétendu « mouvement » aurait consisté, et d’autre part que cet exposé ne mentionne nullement que Monsieur KHIDER aurait été identifié comme l’auteur du démontage.

En ce qui concerne l’autre décision n°2008000157, le manquement auquel les codétenus de Monsieur KHIDER auraient été incités n’est pas même mentionné dans la décision attaquée.

Les deux décisions ne peuvent passer pour suffisamment motivées au sens de la loi du 11 juillet 1979.

 

3°. Sur le non-respect des droits de la défense et du principe du contradictoire

Monsieur KHIDER conteste formellement avoir admis devant la commission de discipline sa participation aux faits pour lesquels il était poursuivi. Il soutient que ses propos ont été dénaturés, et que la notification de la décision lui a été faite le lendemain. S’agissant des pièces qui sont annexées à la présente requête, il indique qu’il a refusé de signer l’exemplaire de l’administration, ne signant que le sien pour indiquer à son avocat habituel que la notification avait été réalisée avec retard le 11 mars, soit le lendemain de la réunion de la commission de surveillance.

B° Sur la légalité interne

1. Sur l’erreur de fait

Les faits invoqués à l’appui des sanctions infligées ne sont nullement établis par la commission de discipline, qui a dénaturé les affirmations de Monsieur KHIDER. Comme il l’indique dans son recours hiérarchique, il n’a nullement incité à des mouvements collectifs. Le 2 mars, il s’est contenté d’indiquer aux personnes présentes avec lui de bien examiner le comportement des surveillants, pour le cas où il ne lui serait pas permis de descendre en promenade, afin de pouvoir témoigner de ce comportement. En effet, Monsieur Cyril KHIDER est contraint de solliciter l’assistance de détenus pour attester du comportement souvent inacceptable des personnels à son encontre.

S’agissant de l’incident du 5 mars il conteste également avoir incité un mouvement, malgré ce qui a pu être écrit sur la décision de la commission de discipline. S’il n’a effectivement pas compris pourquoi il était affecté au niveau O, ce qui correspond dans l’esprit des personnes incarcérées au centre de détention de Meaux comme une sanction sans respect de la procédure disciplinaire, il n’a pas demandé à d’autres détenus d’intervenir à ses côtés pour contester cette décision, de même qu’il n’a pas porté atteinte aux biens de l’administration.

D’ailleurs, il semble que les autres personnes, poursuivies le même jour que lui, aient bien indiqué qu’elles avaient effectué un blocage pour des raisons qui leur sont propres et personnelles. Aucun lien ne peut être trouvé avec Monsieur Cyril KHIDER.

2. Sur l’erreur de qualification juridique des faits

Le juge administratif a considéré qu’avait commis une erreur d’appréciation, l’autorité administrative qui s’était fondée, pour sanctionner un détenu de quinze jours de placement au quartier disciplinaire pour participation à une action de nature à compromettre l’ordre interne de l’établissement, sur ce que l’intéressé avait tenu des propos dénonçant la corruption de l’administration et avait incité ses codétenus à participer à un mouvement collectif afin d’obtenir des bons de téléphone supplémentaires, sans établir le caractère perturbateur de son comportement (CAA Douai, 23 novembre 2004, n°03DA00450).

Cette solution s’impose a fortiori au cas particulier.

S’agissant de la décision n°2008000157 :

Il semble que l’administration ait considéré que Monsieur KHIDER était coupable d’avoir incité ses codétenus à participer à une action collective de nature à compromettre la sécurité de l’établissement. Or, même à supposer les faits établis, a aucun moment la sécurité de l’établissement n’a pu être regardée comme susceptible d’être mise en jeu. L’administration s’est méprise quant à la qualification des faits, qui relevaient des dispositions de l’article D.249-2, 14° , en combinaison avec l’article D.249-2,2° du Code de procédure pénale, visant les actions collectives de nature à perturber l’ordre de l’établissement.

En effet, la première incrimination concerne les « actes les plus graves, comme des destructions, des dégradations de parties de l’établissement, comme les portes les cellules, ou du matériel se trouvant dans les cellules, des ateliers, des salles de classe, de sport, voire par voie d’incendie, des étages entiers. » (Martine Herzog Evans, Droit de la sanction pénitentiaire, Dalloz réfence, p. 91). Autrement dit, il s’agit des actes les plus graves, s’apparentant à une émeute.

Tel n’est assurément pas le cas en l’espèce, puisqu’il se serait agi d’un « blocage » selon les termes de la décision, c’est-à-dire dans le jargon pénitentiaire un « sit-in », un acte de protestation pacifique.

S’agissant de la décision n°2008000164 :

L’administration a retenu la faute réprimant le fait de participer à toute action collective de nature à compromettre gravement la sécurité de l’établissement (article D.249-1-2 du CPP). Pourtant le motif retenu par la décision fait état d’un refus d’obéissance, visé en réalité par l’article D.249-3-4 du CPP, et d’une incitation à participer à une action collective de nature à troubler l’ordre de l’établissement (article D.249-2-14, en liaison avec l’article D.249-2-2, même raisonnement que précédemment). A cet égard, le fait que les meubles aient été démontés et non pas dégradés démontre que les détenus étaient dépourvus d’intentions belliqueuses. Et la circonstance que la direction ait fait revêtir des agents de tenus anti-émeute était uniquement destiné à impressionner Monsieur KHIDER pour l’amener à obtempérer, faute de quoi il se serait exposé à un usage de la force.

Enfin, c’est à tort que l’administration a cru pouvoir sanctionner Monsieur KHIDER sur le fondement de la faute prévue à l’article D.249-2-4 du Code de procédure pénale sans avoir déterminé sa participation personnelle au démontage de pièces de mobilier.

Partant, l’administration a entaché ses deux décisions d’une erreur d’appréciation.

3° Sur le caractère lourdement disproportionné des sanctions infligées

Les punitions de trente jours de placement au quartier disciplinaire infligées sont d’une sévérité sans rapport avec la gravité des faits imputés à Monsieur KHIDER. L’intensité de l’épreuve infligée est gravement disproportionnée à l’objectif de discipline poursuivi et incomparable avec la pratique habituelle des instances disciplinaires, y compris en présence de voies de fait, comme l’attestent les espèces des décisions de jurisprudence . Ainsi, un prisonnier qui avait agressé physiquement son codétenu a-t-il été sanctionné de vingt jours de quartier disciplinaire, dont dix avec sursis (CAA Bordeaux, 5 juin 2007, N°05BX00264) ; un autre, pris en train d’asséner des coups de poing à un codétenu pour lui extorquer des cigarettes, s’est sanctionné de huit jours de « mitard » (CAA Bordeaux, 6 mars 2007, 04BX01555). De même, un détenu qui avait brisé d’un coup de poing la vitre du poste de contrôle au cours d’une altercation avec un surveillant s’était vu infligé une sanction de 20 jours de mitard avec sursis (CAA Versailles, 5 avril 2007, n°05VE00720).

Par ailleurs, le juge administratif a censuré la décision confirmant la sanction jugée disproportionnée de huit jours de placement au quartier disciplinaire pour avoir pris part à une prière collective dans la cour de promenade (TA Versailles, 24 mars 2005, req. n°0406598).

En l’espèce les sanctions prononcées sont de l’ordre de celles infligées en cas de violences graves perpétrées sur un agent ou un codétenu. En outre, il appartenait à l’autorité disciplinaire de prendre en considération dans le choix de la sanction l’état de santé psychologique du requérant et la dureté de ses conditions de détention passées et actuelles.

Par un recours hiérarchique présenté 17 mars, le requérant a contesté les deux sanctions auprès du directeur interrégional des services pénitentiaire de Paris (production A)
PAR CES MOTIFS, il est demandé à Madame, Monsieur le Président du Tribunal Administratif de MELUN

- de SUSPENDRE l’exécution des décisions du 10 mars 2008, prise à l’encontre de Monsieur KHIDER.

Fait à Paris, le 19 mars 2008

Production A : copie des décisions de la commission de discipline du 10 mars 2008
Production B : copie du recours hiérarchique en date du 17 mars 2008