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(2007) Trente ans d’exécutions, trente ans d’injustice

Mise en ligne : 17 juin 2007

Texte de l'article :

ÉTATS-UNIS

Trente ans d’exécutions, trente ans d’injustice

Si le système d’application de la peine capitale aux États-Unis était une compagnie privée, elle aurait mis la clé sous la porte depuis bien longtemps. Trente ans après ses débuts, cette entreprise ne produit en effet aucun bénéfice mesurable pour la société, malgré des milliards de dollars d’investissements. Au passif, on relève de nombreuses erreurs et incohérences, du racisme, de la cruauté et une image internationale ternie. Aussi performante qu’elle puisse paraître, cette machine de mort fonctionne largement à perte, et ce depuis ses débuts.

Les exécutions ont repris aux États-Unis le 17 janvier 1977, après dix ans de moratoire. Au 16 janvier 2007, les autorités de ce pays avaient ôté la vie à 1059 personnes au total. Un tiers de ces homicides - 380 - ont eu lieu au Texas, État qui s’apprête à marquer le trentième anniversaire de la reprise des exécutions en faisant une nouvelle victime. [1]

Pendant ces trente mêmes années, quelque 70 pays ont aboli la peine capitale, portant à 128 le nombre d’États ayant tourné le dos aux exécutions judiciaires.

Certains signes montrent qu’aux États-Unis aussi, l’opposition à la peine de mort gagne peu à peu du terrain. Les 53 exécutions recensées en 2006 étaient le chiffre annuel le plus faible de ces dix dernières années, et les condamnations à mort, après avoir marqué un pic au milieu des années 1990, sont toujours en recul. Le nombre de personnes condamnées à mort en 2006 était le plus faible depuis 1977.

L’érosion du crédit accordé par l’opinion publique à l’effet dissuasif de la peine capitale, la prise de conscience grandissante de la fréquence des erreurs judiciaires dans les procès capitaux, ainsi que la conviction croissante que les autorités peuvent assurer la sécurité de la population en recourant à la réclusion à perpétuité plutôt qu’à la peine capitale, sont autant de facteurs qui ont contribué à faire reculer l’adhésion du public à la peine de mort.

Aux termes du droit des États-Unis, la peine capitale devrait être réservée aux « pires des criminels ». Le fait que les autorités de ce pays aient donné la mort à au moins 50 personnes qui présentaient un retard mental ou étaient mineures au moment de leur crime suffit à montrer que ce principe n’a pas été respecté. La Cour suprême fédérale a interdit tardivement les exécutions de membres de cette catégorie de délinquants, estimant qu’elles étaient désormais contraires à la Constitution, du fait de l’évolution des normes relatives à la « dignité humaine » aux États-Unis. Toutefois, des délinquants présentant de graves troubles mentaux se voient toujours appliquer la peine capitale ; au moins 100 d’entre eux ont été exécutés depuis 1977 et un très grand nombre d’autres attendent dans le couloir de la mort.

Dans un pays où la balance penche tantôt du côté de la peine de mort, tantôt du côté de la réclusion à perpétuité en fonction de facteurs tels que l’endroit où le crime a été commis, la compétence de l’avocat de la défense, l’attitude du représentant du ministère public ou encore la couleur de la peau de la victime ou de l’accusé, on peut légitimement se demander si les exécutions, de manière générale, ne bafouent pas l’interdiction de la privation arbitraire de la vie inscrite dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), que les États-Unis ont ratifié en 1992. Le système est profondément arbitraire, comme le montrent les exemples suivants :
Ø James Elledge a été exécuté dans l’État de Washington en 2001, après avoir été déclaré coupable du meurtre d’une femme. Il s’était livré aux autorités après le crime et avait plaidé coupable lors de son procès. Il avait refusé que des circonstances atténuantes soient invoquées en sa faveur et avait renoncé à exercer les voies de recours à sa disposition. Deux ans plus tard, dans le même État, Gary Ridgway a été condamné à la réclusion à perpétuité pour le meurtre de 48 femmes. Il a échappé à la peine capitale en coopérant avec les autorités et en plaidant coupable. Si Gary Ridgway n’a pas été condamné à mort, pourquoi James Elledge a-t-il été exécuté alors qu’il avait tué 47 personnes de moins ?
Ø Gary Graham a été condamné à la peine capitale au Texas pour le meurtre d’un homme, commis en 1981. Aucun élément matériel ne prouvait qu’il était l’auteur de cet homicide, les déclarations faites par le témoin à charge en première instance étaient extrêmement sujettes à caution, et des témoins qui n’ont pas été entendus lors du procès affirmaient que Gary Graham n’était pas le meurtrier. Phillip Smith a été condamné à mort dans l’Oklahoma pour le meurtre d’un homme, tué en 1983. Il n’existait aucune preuve matérielle contre lui ; de plus, le témoin à charge a fait des déclarations incohérentes et est revenu ultérieurement sur certaines d’entre elles. En 2001, le gouverneur de l’Oklahoma a commué la sentence capitale de Phillip Smith en raison des doutes qui subsistaient quant à sa culpabilité. Un an plus tôt, le gouverneur du Texas refusait d’intervenir en faveur de Gary Graham et celui-ci était exécuté alors qu’il clamait toujours son innocence.
Ø John Luttig et Ivan Holland ont été tués dans la même ville, au Texas. John Luttig était un homme d’affaires blanc prospère, Ivan Holland un SDF noir. Ivan Holland a été agressé par trois jeunes Blancs qui l’ont pris pour cible parce qu’il était noir. John Luttig a été attaqué par trois adolescents noirs qui s’intéressaient à sa Mercedes. Deux des agresseurs de John Luttig ont été condamnés à des peines de réclusion à perpétuité et pourront solliciter une libération conditionnelle dans quatre-vingts ans, soit une soixantaine d’années après les attaquants d’Ivan Holland. Le troisième jeune Noir, Napoleon Beazley, a été condamné à mort par un jury exclusivement composé de Blancs et exécuté en 2002. Quelques heures plus tôt, la Cour suprême de l’État du Missouri accordait un sursis d’une durée indéterminée à Christopher Simmons - qui, comme Napoleon Beazley, était âgé de dix-sept ans au moment des faits qui lui étaient reprochés - en estimant recevables des arguments que la cour du Texas avait rejetés dans l’affaire Beazley. La Cour suprême fédérale s’est ensuite fondée sur l’affaire Simmons pour décréter que les mineurs délinquants ne devaient pas être exécutés. Pourtant, elle n’était pas intervenue pour empêcher l’exécution de Napoleon Beazley.

Être favorable à la peine de mort, c’est croire à un monde qui n’existe pas. C’est se fonder sur l’hypothèse que le système judiciaire est absolument parfait, et que les personnes qu’il condamne à mort sont absolument imparfaites. C’est partir du principe que des êtres humains peuvent décider - sans commettre d’erreur ni d’injustice - qui, parmi leurs semblables déclarés coupables de crimes, doit vivre ou mourir. C’est s’imaginer que la discrimination, si elle persiste au sein de la société, peut être éliminée dans le cadre du système d’application de la peine capitale.

En 2006, à Genève, le gouvernement des États-Unis a déclaré au Comité des Nations unies contre la torture : « Tous les gouvernement sont imparfaits car ils sont composés d’êtres humains qui sont, par nature, imparfaits. L’une des grandes forces de notre nation est son aptitude à reconnaître ses échecs, à y faire face et à agir pour améliorer les choses. » Alors, quand les États-Unis renonceront-ils à l’expérience ratée qu’est la peine capitale ? À partir du moment où l’on reconnaît le caractère faillible des gouvernements et plus généralement des êtres humains, on ne peut que rejeter la peine de mort et admettre qu’aucun ajustement du système actuel ne permettra de remédier aux carences intrinsèques de ce châtiment d’un autre âge.

Mettre un terme à la peine capitale, c’est abandonner une politique qui détourne des vrais problèmes et sème la destruction et la division, une politique incompatible avec des valeurs largement partagées. Non seulement ce châtiment comporte un risque d’erreur irréparable, mais il coûte cher, que ce soit en deniers publics ou en termes sociaux et psychologiques. Il n’a jamais été prouvé qu’il ait un effet plus dissuasif que les autres peines. Il tend à être appliqué de manière discriminatoire, en fonction de la race et des origines sociales. Il empêche toute possibilité de réconciliation et de réinsertion, et propose une réponse simpliste à des problèmes humains complexes, au lieu d’inciter à leur trouver des explications susceptibles de contribuer à des stratégies constructives. Il prolonge la souffrance de la famille de la victime et l’étend aux proches du condamné. Il accapare des ressources qui pourraient être utilisées plus efficacement pour lutter contre les crimes violents et aider ceux qu’ils affectent.

Il s’inscrit dans une culture marquée par la violence et n’apporte pas de remède à ce fléau. Il constitue un affront à la dignité humaine. Pour toutes ces raisons, il doit être aboli.

Pour en savoir plus, veuillez consulter le document intitulé USA : The experiment that failed - A reflection on 30 years of executions, index AI : AMR 51/011/2007, disponible à l’adresse suivante : http://web.amnesty.org/library/Index/ENGAMR510112007.

Notes:

[1Johnathan Moore a été exécuté le 17 janvier 2007 au Texas à 18 heures (heure locale)