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CSDP Commission de Suivi de la Détention Provisoire

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Date : 11-08-2010

(2007) Rapport annuel de la CSDP

Mise en ligne : 13 août 2010

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Texte de l'article :

 Commission de suivi de la détention provisoire : rapport 2007

 

Le rapport 2007 de la Commission de suivi de la détention provisoire amène ainsi à formuler plusieurs observations. Certaines ne sont pas nouvelles.

 

Il est d’abord nécessaire d’indiquer fortement que la considération de la détention provisoire en France aujourd’hui amène la Commission au constat qu’elle est mal appréhendée. Le nombre le plus souvent avancé pour la décrire est celui du pourcentage de prévenus par rapport au nombre total de personnes incarcérées dans les établissements pénitentiaires. Sans doute par facilité. La publication par l’administration pénitentiaire d’une statistique mensuelle où figure ce rapport n’y est certainement pas étrangère. Mais sa signification est très faible. Qu’on augmente, par hypothèse, le quantum de toutes les condamnations à des peines d’emprisonnement et, la durée de détention augmentant, le nombre de condamnés s’accroîtra ; il en résulte que, non moins sûrement, la proportion des prévenus diminuera, sans qu’aucune réalité de la mise en détention des prévenus n’ait été modifiée.

 

La détention provisoire est la résultante de pratiques de toute la « chaîne pénale ». Elle est le reflet de cette chaîne, et nullement d’un dispositif autonome, qui se concentrerait uniquement sur l’incarcération des prévenus et qui n’existe que comme une vue de l’esprit.

 

C’est pourquoi suivre la détention provisoire, c’est s’intéresser à tous les mécanismes de la répression qui ont des effets, directs et indirects, sur le volume des prévenus incarcérés.

 

Sur ce point, malheureusement, comme les autres années, la Commission, malgré les mises en garde et les demandes qu’elle a déjà faites, doit constater que les instruments de mesure manquent dans bien des domaines, précisément parce qu’on a trop pris l’habitude de se contenter « du » chiffre évoqué précédemment. De manière générale, les affaires ne sont pas corrélées à des personnes, et pas davantage à des incriminations pénales, tant pour les personnes qui font l’objet de poursuites que pour celles qui entrent en détention : nul ne sait par type d’infractions, combien de prévenus sont mis en détention ; pas davantage selon chaque procédure alors que, désormais, le parquet dispose d’une palette dans l’exercice de poursuites. Les mesures intermédiaires sont aussi mal comptabilisées. Combien de personnes mises en détention provisoire sont-elles libérées avant de comparaître en vue de leur jugement ? Impossible d’en faire un état. Par conséquent, le rapport entre les condamnations à des peines d’emprisonnement et le fait pour un prévenu de comparaître libre ou incarcéré ne peut être calculé. Ce qui, on en conviendra, laisse quelque peu insatisfaite une Commission chargée de mesurer la détention provisoire et ses effets.

 

Sans doute est-il dommageable que, dans les réflexions approfondies qui ont été menées depuis 2005 sur la détention provisoire, notamment au Parlement, il n’ait pas été envisagé la mesure des services que l’appareil statistique était aujourd’hui à même ou non de rendre.

 

 

Comme les années précédentes, la Commission a donc travaillé avec des sources imparfaites. Mais les données disponibles font toutefois apparaître divers éléments.

 

D’une part, s’agissant de l’activité policière, la poursuite en 2006 du mouvement de hausse des personnes mises en cause (près de 1,2 million ; 600 000 en 1974) et des gardes à vue (environ 500 000 ; 200 000 en 1974). Cette croissance, particulièrement forte de 2001 à 2006, s’explique en particulier par l’activité policière relative aux violences et aux atteintes à l’ordre public (alors qu’en termes relatifs les atteintes à la propriété régressent).

 

D’autre part, les poursuites décidées par le parquet augmentent elles aussi (tout en restant encore inférieures à celles comptabilisées au début des années 1980. Le nombre des affaires faisant l’objet d’informations poursuit sa baisse (4,3% des affaires faisant l’objet de poursuites). Dans les affaires confiées directement au tribunal correctionnel, celles relevant de la procédure de la comparution immédiate demeurent en grand nombre (45 416 soit 8,3% des affaires renvoyées en correctionnelle par le parquet) même si leur hausse marque le pas en 2006. Mais la baisse des affaires confiées à un juge d’instruction et la hausse de celles relevant de la comparution immédiate ne doivent pas se lire comme une substitution de la première procédure par la seconde. Les données rétrospectives montrent bien que chacune a son évolution propre.

 

Enfin, les nombres de prévenus dans les établissements pénitentiaires doivent être considérés avec précaution, comme il a été indiqué. La baisse marquée du ratio prévenus/détenus, qui passe de 52% en 1984 à 30,7% au 1 er janvier 2007, doit se lire surtout comme traduisant la forte augmentation de détenus condamnés. Quant aux flux d’entrée en détention, elle traduit, s’agissant des entrées de prévenus, la baisse des prévenus faisant l’objet d’une instruction.

 

Mais cette baisse des entrées en détention provisoire s’accompagne de l’augmentation continue de la durée de celle-ci, qui efface les effets de la baisse des flux. La durée moyenne de la détention provisoire est désormais de 5, 7 mois (pour les prévenus finalement condamnés) soit deux mois de plus qu’il y a vingt ans. Les détentions provisoires de très longue durée ne cessent de croître (16, 8 mois en moyenne pour les majeurs renvoyés en cour d’assises).

 

Le recours à la détention provisoire par type d’infractions montre d’importantes évolutions sur le long terme. L’examen des données du casier judiciaire montre des mouvements contrastés. Les qualifications de crimes donnent lieu évidemment à un fort pourcentage de détentions provisoires, moins élevé toutefois aujourd’hui qu’il y a vingt ans. Mais surtout, dans cette catégorie d’infractions, l’augmentation quantitative de certains d’entre eux est très significative : ainsi des viols, dont l’accroissement augmente le recours à la détention provisoire (dans une proportion plus faible toutefois que le nombre d’infractions constatées). En revanche, pour les délits, la détention provisoire est beaucoup moins souvent ordonnée. La baisse s’explique surtout par le très faible recours à la détention en cas d’atteintes aux biens (elles-mêmes en diminution), contrairement à ce qui advenait voici vingt ans.

 

Tout se passe comme si la détention provisoire dans ses variations reflétait une sensibilité de la société (que traduit le recours à l’article 144 du code de procédure pénale) elle-même évolutive. Presque plus de détention provisoire pour les vols simples ; bien davantage pour les agressions sexuelles ou plus généralement les atteintes aux personnes : voilà comment pourraient s’expliquer aussi les variations dans le temps de la détention provisoire.

 

Ces variations s’expliquent aussi par les modifications de procédure qui enrichissent notamment les alternatives à la détention et élargissent la palette des poursuites pénales à la disposition du parquet. On pense naturellement, s’agissant du premier aspect, au contrôle judiciaire (1) ; pour le second, à la composition pénale, à la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Toutefois, ces diverses modalités semblent en définitive peser d’un poids modeste dans l’évolution de la détention provisoire. Contrôle judiciaire et détention provisoire, en particulier, semblent obéir non pas à une logique de substitution mais, là aussi, à des évolutions en partie autonomes.

 

 

La profusion des textes relatifs à la procédure continue d’être en effet un des caractères du droit pénal. « Emportée par le tourbillon de la réforme permanente, la justice finira-t-elle par trouver sa voie ? » (2). Sans répondre à cette interrogation, force est de constater que le rythme et l’ampleur des textes nouveaux ne facilitent pas la bonne administration de la justice, et peuvent même être une source d’erreurs, donc de nullités possibles (alors que la qualité des procès-verbaux de police, selon les praticiens, décroît). Naturellement, le changement du droit pénal doit accompagner les évolutions sociales les plus importantes et celles des contraintes juridiques qui ne dépendent pas du droit interne (conventions internationales, jurisprudence de la Cour de Strasbourg).

 

Ce « tourbillon » peut d’autant plus donner le vertige que ses effets sur la procédure ne paraissent pas toujours prévisibles, au moins quant à la détention provisoire. Certes, la loi du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale a circonscrit dans l’article 144 les recours la détention provisoire motivés par l’ordre public, dont les troubles ne sauraient résulter, précise désormais le code, « du seul retentissement médiatique de l’affaire ». Doit-on en attendre des changements substantiels ? Et qui saura démêler cette influence, si elle existe, des multiples causes d’évolution, évoquées précédemment ?

Inversement, la loi du 10 août 2007, renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs n’a aucun effet direct sur les conditions et la procédure de la détention provisoire ; mais si, comme on l’a parfois soutenu – ce qui n’est pas encore avéré –, elle a des effets sur le nombre de détenus, elle contribuera naturellement à accroître les difficultés existantes dans les maisons d’arrêt.

 

Mais sans doute le « tourbillon » est-il aussi le reflet de la versatilité de l’opinion en la matière, prompte à s’enflammer pour un innocent détenu mais, presque simultanément, pour un coupable en liberté, ce qui, après tout, ne doit pas trop surprendre. D’où « l’équilibre » sans cesse à rechercher dans le code de procédure pénale, recherche qui n’est, semble-t-il, pas propre à la France.

 

 

La réparation de la détention provisoire injustifiée a donné lieu à 94 décisions de la Commission nationale de réparation des détentions en 2006, saisie en appel de décisions de premiers présidents de cour d’appel. Les deux tiers de ces appels étaient interjetés par les demandeurs initiaux, le surplus provenant de l’Agence judiciaire du Trésor. La commission nationale a accueilli favorablement (au total ou partiellement) les deux tiers des appels d’anciens détenus en confirmant le plus souvent une jurisprudence déjà établie sur les préjudices indemnisables à l’issue d’une détention provisoire injustifiée.

 

On doit relever dans cette matière trois éléments significatifs.

 

Le premier est l’initiative bienvenue de la Cour de cassation de réunir les premiers présidents ou leurs représentants pour parvenir à une harmonisation de la jurisprudence et, plus généralement, au traitement de ces demandes d’indemnisation.

 

Le deuxième réside dans la capacité des anciens prévenus à entamer une nouvelle procédure à fin d’indemnisation. Beaucoup, semble-t-il, hésitent et ceux qui y parviennent ont souvent des difficultés à exprimer « les mots pour le dire ». On doit rechercher en la matière la procédure la plus souple et la plus compréhensive possible.

 

Enfin la dernière tient à la difficulté, dans les calculs d’indemnisation, d’intégrer des personnes qui sont à mi-chemin de la culpabilité et de la détention totalement injustifiée. On veut évoquer ceux qui n’ont été condamnés que pour une part des infractions qui leur étaient reprochées et dont la détention provisoire a été, de ce fait, sans aucun doute, inconsidérément allongée. Pour la commission nationale (décision du 18 juin 2007), une telle culpabilité partielle est de nature à minorer le préjudice moral dès lors que la culpabilité partielle conduit à l’atténuation du « choc de la première incarcération ». C’est là un mode de raisonnement qui a certes sa logique, mais néanmoins restrictif, dont on peut penser qu’il pourra évoluer au fil de la jurisprudence.

 

Enfin la Commission de suivi a centré sa réflexion au cours de l’année 2007 sur la procédure de comparution immédiate, définie aux articles 393 et suivants du code de procédure pénale. Elle en avait déjà relevé toute l’importance quantitative (voir également ci-dessus). Il lui a paru utile de s’efforcer de saisir les mécanismes de cette « filière » pénale et d’évaluer ses effets sur la détention provisoire.

 

Par rapport à ses origines (la loi du 10 juin 1983), la comparution immédiate n’a plus, ou plus seulement, pour objet, comme le voulait ses initiateurs, d’éviter « des mesures de détention provisoire inutiles ». D’une part en raison de ce qu’un nombre significatif de prévenus assujettis à cette procédure sont mis en détention par le juge des libertés et de la détention (dans les deux TGI étudiés, environ 20%). D’autre part parce que l’objectif des procédures « courtes » est désormais tout autant de donner une réponse pénale immédiate à l’infraction que d’éviter la détention.

 

La comparution immédiate prend une grande place dans le tribunal correctionnel, là du moins où sont commises en grand nombre des infractions dont le jugement y est rattaché de manière privilégiée : des affaires à la fois « graves » et « simples », c’est-à-dire lourdes par leurs effets, mais dont les charges qui pèsent sur les auteurs laissent peu de place à l’incertitude (à qui s’opposent les affaires « graves » mais « complexes » laissées à l’instruction) : ainsi les violences conjugales, type d’infractions qui n’apparaissait guère dans les audiences voici quelques décennies, dirigées presque toujours vers cette procédure.

 

La mise en œuvre des audiences nécessaires impose aux tribunaux de lourdes charges (audiences souvent quotidiennes du lundi au vendredi, avec un mouvement de dossiers « à flux tendu »). Le temps dévolu à chaque affaire apparaît cependant suffisant, surtout lorsqu’une enquête sociale a pu être menée, même si la peine encourue peut être lourde. La plupart des prévenus veulent être jugés immédiatement – sur ce point leur vœu rencontre celui des autorités judiciaires ; c’est pourquoi les renvois sont peu fréquents.

 

La gestion des flux de prévenus en comparution immédiate pose deux questions majeures, une fois rappelé que le développement de cette procédure est demeuré et reste aujourd’hui sans effet substantiel sur les évolutions quantitatives de la détention provisoire (cf. ci avant). La première question est relative à la détention des prévenus dans l’enceinte du tribunal, qui peut aller jusqu’à vingt heures après une garde à vue. L’observation que la Commission a faite des « petits dépôts » qu’elle a visités amène à faire penser qu’un vigoureux effort d’amélioration de ces locaux, dont l’état est indigne, est nécessaire. Il est d’ailleurs ardemment demandé par les responsables des juridictions. On a épilogué longtemps sur le « dépôt » du Palais de justice de Paris ; on ne doit pas oublier pour autant le sort, certes pas plus enviable, des dépôts dans les autres juridictions.

 

La seconde question est relative à la détention provisoire qui accompagne la comparution immédiate pour certains prévenus. Au contraire de la détention provisoire en général, qui ne cesse, on l’a dit, de s’allonger, celle-ci demeure très brève : quelques jours, quelques semaines au plus. Mais d’une part, si brève soit-elle, elle n’épargne pas au prévenu le choc de l’incarcération, alors même qu’il est récidiviste.

D’autre part, on peut se demander s’il n’appartient pas à l’administration pénitentiaire de tenir compte, dans son appréhension des personnes détenues, de celles qui sont là pour peu de temps et qui appellent vraisemblablement un sort différent de celui des autres prévenus, a fortiori des détenus. Faut-il encore admettre que ces catégories soient mêlées et que l’approche qui en est faite soit identique ?

 

Telles sont les principales conclusions du rapport 2007 de la Commission de suivi de la détention provisoire.


1. Le placement sous surveillance électronique (PSE) est marginal (1% des mesures de contrôle judiciaire), d’autant plus qu’il s’applique préférentiellement à présent à des condamnés (PSEM).
2. Jean Danet, Justice pénale, le tournant, Paris, Gallimard, 2006. 

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