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KAMO Société Caraïbéenne de Psychiatrie et de Psychologie Légales

2007 N°5 KAMO : Les mineurs ne sont pas des majeurs

Mise en ligne : 5 juin 2007

Dernière modification : 6 avril 2008

Texte de l'article :

LES MINEURS NE SONT PAS DES MAJEURS

Monsieur le Président,

Vous-même pendant la campagne électorale, puis le ministre de la Justice, dès sa nomination, avez annoncé un projet de suppression de l’excuse de minorité chez les adolescents multirécidivistes de 16 à 18 ans.

Personne ne peut contester qu’il faut réagir vite, mais de manière adaptée, aux actes de délinquance des mineurs. Mais, entrer dans la confusion des âges ne peut rencontrer l’assentiment d’un pédopsychiatre. Ces adolescents, comme de nombreux délinquants majeurs d’ailleurs, ont un fonctionnement psychique très déstructuré, modelé par la violence physique ou morale, les négligences de toutes sortes, le manque d’étayage parental ou sociétal, la faiblesse des acquis scolaires etc.

Votre action montre que vous aimez les symboles forts et que vous aspirez à la communication par des messages explicites. En voici un : un mineur est un mineur et non pas un majeur. On ne peut pas entrer dans une confusion des repères sociaux qui ne peut que renforcer leur propre confusion psychique. Supprimer l’excuse de minorité, c’est considérer qu’un renforcement de la sanction aura un aspect dissuasif. On sait depuis longtemps que les sanctions pénales sont médiocrement efficaces en terme de dissuasion. C’est d’ailleurs pour cette raison que le précédent ministre de la Justice a été convaincu de l’inutilité de la peine de mort en matière de dissuasion.

Chez de nombreux jeunes, qui vivent dans l’instantanéité, l’immédiateté, l’impulsivité, le code pénal ne leur vient pas à l’esprit au moment de leurs passages à l’acte délinquants. Les milliers d’heures passées par les professionnels concernés auprès de mineurs délinquants (mais le problème est souvent le même avec les majeurs) permettent de constater leur méconnaissance et leur incompréhension de la loi. Il faut expliquer longuement ce qu’est un délit ou un crime, puis progressivement, en tenant compte de leur fonctionnement psychique, les amener à une intériorisation de ces données. Des services pénitentiaires d’insertion et de probation font un remarquable travail pédagogique en organisant par exemple des groupes de parole avec des condamnés afin de leur faire comprendre les termes du jugement, ce qu’est un viol, un homicide, un suivi sociojudiciaire ou une injonction de soins. Les services sanitaires participent également à ce travail pédagogique et je me rappelle d’un long entretien « tonique » avec un condamné se révoltant contre « l’injection de soins » (au lieu de l’injonction) à laquelle il refusait de se soumettre, horrifié à l’idée qu’on allait lui imposer une série de piqûres. Tous les professionnels sont confrontés à ce déficit effroyable des connaissances de nombreux délinquants, et notamment les plus jeunes, qui sont dans une misère affective, éducative, sociale, matérielle etc.

Le multirécidivisme des mineurs est principalement un échec des adultes et de la société. Vous argumentez également la nécessité de punir les adolescents de 16 à 18 ans comme des majeurs par le fait que pour une victime, il lui serait indifférent d’être agressée par un jeune de 17 ans ou de 19 ans, que son préjudice dans les deux situations est le même. Nombreux sont les professionnels d’horizon divers qui ont largement dénoncés cette tendance à la sacralisation de la position victimaire. La démarche volontariste que vous illustrez sans ambiguïtés ne devrait pas se satisfaire de la tendance victimocratique de notre société. Le justiciable, mais non la victime, doit être au coeur de la justice.

La complexité de la délinquance des mineurs mobilise de nombreux professionnels. Pour participer personnellement aux commissions mensuelles relatives à la situation des mineurs incarcérés dans le centre pénitentiaire où j’exerce, je peux témoigner de l’important travail collectif qui y est mené sous l’égide de la direction du centre pénitentiaire pour trouver des solutions opérantes dans l’intérêt du mineur mais sans oublier de prendre en compte la sécurité publique, tout en sachant que nous sommes tous bien souvent collectivement démunis face à l’ampleur de la tâche.

L’annonce de la suppression de l’excuse de minorité est un message simplissime envoyé à l’opinion publique qui préfère les solutions rudimentaires plutôt que de faire des efforts pour appréhender la multiplicité des facettes de la délinquance des mineurs. Les moyens importants mis en oeuvre pour lutter contre cette grave délinquance sont peu connus du grand public, notamment les centres éducatifs fermés (CEF), les centres éducatifs renforcés (CER) et bientôt le développement des établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM). La connaissance de l’existence des moyens développés et leur évaluation largement diffusées seraient des préalables nécessaires avant de nouvelles réformes, comme la suppression de l’excuse de minorité, dont l’efficacité peut sembler incertaine. Ces moyens concernent la délinquance déjà constatée, mais il conviendrait aussi de parler de tout ce qu’il faudrait mettre en ??uvre pour qu’elle n’advienne pas ou le moins possible et qui mobiliserait un travail collectif considérable et des ressources humaines et matérielles conséquentes.

Monsieur le Président, vous appelez à l’effort, au mérite, au travail, alors je ne pourrais que vous être reconnaissant d’entendre les efforts, le mérite, le travail accomplis par tous les professionnels qui s’occupent de la jeunesse en difficulté et qui ont au moins le droit d’être entendus pour participer à des prises de décisions opérationnelles afin de diminuer la délinquance des jeunes et sa conséquence dramatique pour eux, à l’aube de leur vie, mais aussi pour leur entourage et la société dans son ensemble. Continuons donc à les considérer en adéquation psychologique et juridique avec leur état de minorité.