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KAMO Société Caraïbéenne de Psychiatrie et de Psychologie Légales

2007 N°5 KAMO : Le consentement

Mise en ligne : 9 juin 2007

Dernière modification : 6 avril 2008

Texte de l'article :

LE CONSENTEMENT

Monsieur le Président,

Combien de fois dans vos fonctions de maire, avez-vous eu le plaisir de prononcer la formule rituelle du mariage : « Consentez vous à prendre pour époux, épouse ... ». Dans ce moment fort de la vie personnelle, intime, mais aussi publique au moment de la cérémonie, les mariés sont solennellement enjoints à consentir à un engagement entre eux et dans le cadre des obligations du code civil. Comment la notion de consentement s’applique t’elle dans les obligations et les injonctions de soins ?

Le consentement aux soins, notamment en matière de santé mentale, est de nouveau un problème complexe. La psychiatrie se distingue de la médecine somatique car la contrainte aux soins est prévue légalement en application de loi du 27 juin 1990 permettant des hospitalisations sans le consentement de la personne. La maladie altérant ou abolissant les capacités du sujet à accepter des soins, il est considéré à la fois comme un devoir de solidarité et d’assistance à la personne malade, ainsi qu’un devoir de protection de la société envers les éventuelles répercussions indésirables de la maladie sur l’entourage, d’imposer des soins à celui qui ne peut y consentir. La psychiatrie a l’expérience des soins sous contraintes mais dans un cadre strict : celui de troubles mentaux graves.

Le consentement aux soins devient plus complexe quand la personne susceptible de s’en voir imposer n’a pas un trouble mental grave. Souvent, les juges se rendent compte que la personne qu’ils doivent juger présente des perturbations psychologiques. Les magistrats ont d’abord eu la possibilité d’ordonner des obligations de soins, le plus souvent en accompagnement des sursis avec mise à l’épreuve, à la suite ou non d’avis médicaux. Puis la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, leur a donné la possibilité de condamner un délinquant à une injonction de soins dans le cadre d’une mesure de suivi socio-judiciaire. Ces dispositions qui concernaient exclusivement initialement les délinquants sexuels se voient progressivement étendues à de nombreux autres types de délits ou de crimes, notamment dans les situations d’atteintes à la personne. Les personnes condamnées à un suivi socio-judiciaire avec injonction de soins ont la possibilité d’y consentir ou non. En cas de refus, elles sont incarcérées ou réincarcérées.

Nombreux sont les auteurs à avoir exposé la particularité de ce consentement forcé. Les nuances sont de taille entre le consentement de la loi de 1998 et celui de la loi du 04 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Dans cette dernière, une information exhaustive doit être donnée au patient et ce n’est qu’après cette information précise que le patient consent aux soins et l’exprime à son médecin. Le patient doit connaître tous les avantages et les inconvénients du traitement. Le seul motif qui anime le patient, c’est de guérir ou de voir une amélioration notable et de ne pas souffrir d’effets indésirables.

Dans le cas de l’injonction de soins, nous sommes dans une situation étrange. Très souvent, le condamné ne se sent pas malade et le thérapeute est bien en mal de lui donner toute l’information sur les avantages et les inconvénients d’un traitement incertain. Le consentement n’est donc le plus souvent motivé que par l’envie de ne pas être incarcéré.

Si les quelques spécialistes engagés dans les soins auprès des délinquants sexuels, notamment ceux regroupés autour de l’Association pour la Recherche et le Traitement des Auteurs d’Agression Sexuelle (ARTAAS), considèrent ce cadre judiciaire comme une opportunité pour tenter un accompagnement ou inciter à des soins un sujet qui ne le ferait jamais de lui-même, il convient d’être attentif aux manipulations diverses qui peuvent conduire à de fausses thérapies, sorte de pointage thérapeutique chez un soignant, à l’origine de l’illusion d’une évolution vers moins de dangerosité de l’intéressé. Il ne faut pas non plus que ces soins imposés ne soient que la réaction de la société en miroir du comportement du délinquant. En effet, on se focalise le plus souvent sur l’aspect sexuel de l’infraction, mais l’absence de consentement à un acte sexuel est ce qui rend possible l’agression faite au corps et à l’esprit de la victime. L’injonction de soins ne deviendrait qu’une forme déguisée de la loi du Talion : « Tu n’as pas respecté l’absence de consentement de ta victime, alors nous pouvons aussi nous passer de ton consentement ».

Enfin, ces situations complexes demandent des moyens importants, non seulement financiers mais surtout en compétence professionnelle, et cela la loi de 1998 ne l’a pas prévu. Vous semblez souhaiter, monsieur le Président, une évaluation des actions politiques. Il conviendrait d’évaluer ce dispositif qui après l’effet d’annonce politique est tombé dans l’oubli, sauf de quelques professionnels engagés (ARTAAS). Il semble que le législateur ait anticipé l’inapplication de la loi puisqu’il est prévu qu’en l’absence de thérapeute et malgré le désir affiché du sujet de se faire soigner, le juge d’application des peines peut ordonner l’emprisonnement (article R3711-15 du code de procédure pénale). Aveu terrible de l’impuissance du service public qui ne peut que choquer votre sens de l’efficacité.

Monsieur le Président, vous voulez une République irréprochable. Une des premières manifestations de cet objectif serait de ne prévoir que des dispositifs efficients, financés, suivis dans leur mise en oeuvre par l’administration et dont le montage recueillerait l’avis des professionnels en charge de les faire fonctionner.