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KAMO Société Caraïbéenne de Psychiatrie et de Psychologie Légales

2007 N°3 KAMO : Réponse à la pétition contre les UHSA

Mise en ligne : 10 août 2007

Dernière modification : 6 avril 2008

Texte de l'article :

REPONSE à la pétition contre les UHSA

J’ai été très sensible aux arguments de cette pétition mais Catherine Paulet fait justement remarquer que cette réaction vient un peu tard. On peut néanmoins comprendre que la problématique soit réinterrogée au vu de l’ambiance sociétale teintée d’inquiétude et avide de réponses sécuritaires à laquelle répondent des projets politiques récents : centres fermés de protection sociale (rapports Burgelin, juillet 2005 ou Garraud, octobre 2006), UHSA de long séjour (rapport d’information du Sénat, juin 2006) ou de manière plus floue mais récurrente « Hôpitaux-prison » qui seraient d’autres structures que les UHSA (cf. infra, la note de lecture sur le livre de Serge Portelli « Ruptures »).

Personnellement, j’ai manqué la période d’élaboration des UHSA car je me suis éclipsé de la vie des SMPR pendant environ 5 ans de 1997 à 2002, ce qui semble correspondre à la gestation des UHSA et quand j’ai repris un poste en SMPR en septembre 2002, les UHSA entraient dans le code de la santé publique (sous l’appellation originelle de USA). Rapidement, cela m’a paru présenter un risque important et j’y ai réagi à plusieurs reprises [1].

Je partage donc les préoccupations exprimées par les initiateurs de la pétition.

Malheureusement, un principe de réalité d’analyse sociologique de la société française et de nos pratiques professionnelles paraît rendre illusoire tout retour en arrière et tout particulièrement ce dernier point. La psychiatrie semble avoir perdu son souffle militant. Perdus les espoirs progressistes de l’après-guerre, les mentalités se sont rangées sous la bannière de l’individualisme, des peurs collectives, du repli frileux sur des acquis que des hordes de parasites s’apprêtent à piller. La psychiatrie publique s’est maintenant bien habituée à la ghettoïsation que représente le secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire et il sera bien difficile d’y revenir. Quant à nous les (futurs ou potentiels) responsables de pôles ghettos, nous allons devoir contractualiser après les avoir négociées les conditions de la gestion des détenus qui eux aussi seront tous devenus responsables, comme nous !

Quelle stratégie donc ? Ayant eu l’opportunité d’être particulièrement impliqué dans le SROS III de psychiatrie de la Guadeloupe, j’ai pu constater les impasses que nous rencontrons collectivement à construire notre discipline. Le volet Psychiatrie et santé mentale du SROS n’a accouché que d’une production minimaliste suite au boycott des psychiatres déprimés par le marasme local. Même si les discussions n’ont pu être poussées bien loin du fait du découragement collectif, j’ai remarqué qu’il était impossible d’évoquer l’utilité d’unités de soins intensifs (USIDépartementales ou USIRégionales ou unités intersectorielles de soins intensifs fermés - UISIF) alors qu’il paraissait adéquat de trouver une solution qui permettrait de soigner correctement et dignement les situations les plus difficiles pour une population « mixte » (détenus et non détenus). Outre l’importance de ne pas stigmatiser les détenus, le coût économique paraissait évident et l’on pouvait bénéficier des ressources collectives au mieux. Mais évoquer ces unités fait trop craindre le retour de l’asile dans son acception la plus négative (et que personne ne peut souhaiter évidemment). Cette crainte pourrait en partie être due aux confusions dans la dénomination des structures. Pour répondre aux situations difficiles, outre les UMD, on connaît les unités pour malades agités et perturbateurs (UMAP), appellation digne du XIXe siècle, peu engageante et recommandable pouvant faire réellement craindre l’asilification dans le mauvais sens du terme, et les unités psychiatriques intersectorielles départementales (UPID) à l’appellation cette fois peu explicite. USI correspond mieux à une logique médicale, avec une connotation non péjorative, mais on peut encore regretter qu’une telle unité ne soit que fermée (une dépression grave peut ouvrir à un soin intensif mais pas forcément dans une unité fermée)

Donc, le SMPR a travaillé à un projet d’UHSA mais couplé avec quelques chambres sécurisées pour les soins somatiques (fonction UHSI) en intégrant le tout dans un pôle de psychiatrie légale dont l’unité pivot serait une consultation externe, gérant en outre une HAD et des appartements thérapeutiques post-carcéraux pour favoriser au mieux la réinsertion des malades mentaux (souvent indûment responsabilisés) une fois leur peine purgée. Ce projet n’est qu’une étape car il me semble préférable (bien qu’utopique) que les soins aux détenus reviennent dans le giron du secteur de psychiatrie générale. Avec l’autonomie du secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire et les UHSA, on est certain de voir des condamnations à des peines de « prison-psychiatrique » ou des peines « psychiatriques de prison ». Avec les UHSA, le sort des détenus ne sera plus que dans les mains des secteurs (pôles) de psychiatrie en milieu pénitentiaire (SPMP). Bon débarras !

L’argument économique d’une perte de moyens des secteurs de psychiatrie générale à cause des UHSA pourrait porter si les collègues en prenaient conscience. Comme ils vont devenir avec la nouvelle gouvernance des gestionnaires au top, chefs d’entreprise spécialisés dans la négociation de contrats, leur regard économiquement affûté, en phase avec l’économisme libéral de notre société, ne va pas manquer de remarquer la perte de sesterces que représenteront les UHSA. Certes, le moyen n’est pas très élégant et l’on pourrait préférer une mobilisation « éthique » et militante mais le désenchantement que l’ordonnance du 2 mai 2005 de simplification du régime juridique des hôpitaux se devait de dissiper chez les hospitaliers ne m’a pas encore quitté. Elisabeth Stern a raison de se révolter contre notre passivité. Certes « nous sommes psy que diable », écrit-elle.
Alors que pouvons-nous faire dans cet univers diabolique ? La pétition a le mérite de nous faire échanger mais cela suffit-il ou cela ne confirmera-t-il pas que les psychiatres parlent mieux qu’ils n’agissent ? (Grammatici certant, et adhuc sub judice lis est).

S’il faut agir, que proposer ?

La politique de l’extrême : l’abolition du secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire ou une mutation en masse des psy exerçant en milieu pénitentiaire (velléité que j’ai entendue de la part de quelques collègues et non des moindres) vers les secteurs de psychiatrie non pénitentiaires (mais dans ce cas, on peut imaginer que les responsables de pôle feront une UF prison et y colleront le mutant...).

Moins radical, et plus à la mode un moratoire pour se lancer dans un vaste débat participatif, livre vert puis livre blanc à élaborer permettant d’aborder la complexité du sujet : l’évolution de la psychiatrie, de l’expertise (en espérant que la récente audition publique apporte des idées sur ce sujet mais tout en doutant que les politiques en suivent les recommandations), des politiques sécuritaires et de la situation de la condition carcérale. Relier les connaissances comme l’écrit Edgar Morin. Faire percevoir une complexité aux politiques et à l’opinion publique. Evidemment une telle démarche prend du temps, 5 ans par exemple pour ne pas se décider avant 2012 pour remettre ça après l’autre présidentielle. Il ne suffit pas de se contenter de poser les questions à l’occasion de nos journées nationales bien illustrées par leurs thématiques récentes : Ethique du soins, dangerosités, soins consentis, obligés ou contraints (2006), Résistance(s) (2005) ou bien resterons nous hypnotisés et immobilisés par la fascination du crime (2004) ?

Est-ce que l’unique proposition de nos collègues initiateurs de la pétition - la création d’unités intersectorielles de soins intensifs fermés - intéressante en théorie, peut être acceptée par le monde psychiatrique non pénitentiaire et est-elle encore pertinente ? Et cette seule réponse ne peut-elle pas aussi ouvrir au risque d’éviter de repenser complètement le sens et le rôle de l’intervention sanitaire - somatique et psychiatrique - en prison et de la fonction même de la prison dans notre société. Nous savons tous qu’il n’y a pas que la question de la maladie mentale grave en prison mais qu’il existe de nombreux autres problèmes comme les obstacles pour faire respecter strictement le secret professionnel ou comme les obligations et les injonctions de soins qui n’osent se dire ainsi mais que les magistrats « suggèrent » fortement en milieu carcéral avec toutes les manipulations, les instrumentalisations, les conflits larvés ou ouverts que cela impliquent.

Et comme le législateur n’arrête pas d’élargir le recours à l’injonction de soin, que pour la moindre permission, une illusion groupale exige que le condamné soit bien magiquement « suivi » (sorte de bracelet électronique psychologique) par le SMPR, garant de toute annihilation d’un risque de dangereuse récidive, avec parfois des questions étrangement précises directement posées par les surveillants au SMPR : « le déni est-il bien levé » ? (sic), que les centres fermés de protection sociale, les UHSA de long séjour et autre commission pluridisciplinaire d’évaluation de la dangerosité ont le vent en poupe, sans compter la propension de certains experts à enfermer les délinquants dans ce que les sociologues appellent des prophéties auto réalisatrices (« le risque de récidive est avéré »), on devrait finir par crier que trop c’est trop. « Oser prendre la parole » dit encore Elisabeth Stern.

Parmi les autres problèmes, on peut citer tout banalement l’hygiène de vie en prison : tous ces somnifères que nous prescrivons trop largement et pour de longues durées tout simplement parce que les conditions minimales nécessaires à un sommeil de qualité ne sont pas réunies. Puisque le sommeil est une préoccupation en vogue chez nos politiques, qui vont peut-être intégrer la sieste dans le temps de travail, un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) sur le sommeil en prison serait opportun pour apporter des informations bien stimulantes sur la condition carcérale. Et que dire de ces heures, jours, mois et années passés oisivement à ne rien faire, à tourner en rond en cour de promenade, à partager quelques mètres carrés à plusieurs, à ressasser sa haine du monde et d’un ressenti d’injustice sociale ? Comment peut-on espérer qu’après un tel conditionnement négatif, le citoyen redevenu libre puisse retrouver sa place sereinement et avec un esprit pacifié dans la société. Nous avons tous des dizaines de situations où nous voyons des détenus libérés dans des conditions d’abandon épouvantables, propices à toutes les récidives délinquantes. Plutôt que d’imposer ou de croire à de fumeuses « thérapies pour éviter la récidive », il conviendrait au moins de sérieusement se pencher sur les conditions de la vie pénitentiaire, à défaut de pouvoir réfléchir plus largement sur les modalités de punition du délinquant, de protection de la société et de réparation des préjudices subies par les victimes.

Plus qu’un moratoire « psycho-centré » autour de la création des UHSA et de la psychiatrie, il serait plus intéressant que ce débat s’inscrive dans la reprise d’une grande réflexion sur une loi pénitentiaire interrompue en 2002, en tenant compte des récents apports des Etats généraux de la condition pénitentiaire. Cette démarche nécessite une initiative politique participative de grande ampleur et non pas des déclarations/passages à l’acte impulsifs et autoritaires.

Il ne faudrait pas non plus que le remède du « remède qui sera pire que le mal » ne soit luimême pire que le mal.

Michel DAVID

Notes:

[1La place des unités d’hospitalisation spécialement aménagées (UHSA) dans le dispositif de soins aux détenus : leur application en Guadeloupe, L’Information psychiatrique, avril 2004 ; Le cheminement historique des soins psychiatriques en milieu pénitentiaire in Guide de la pratique psychiatrique en milieu pénitentiaire de Laurent MICHEL et Betty BRAHMY, Heures de France, 2005 ; Faut-il organiser la résistance aux expertises ?, communication aux 17e Journées SPMP et UMD, Toulouse, 2005 ; Vingt ans après, Vers un changement de paradigme des SPMP confrontés à l’emprise sécuritaire, communication aux 18e Journées SPMP et UMD, La Rochelle, 2006 ; L’expertise psychiatrique pénale, L’Harmattan, 2006.