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(2007) Lettre au Président de AIDES : Prisons et VIH : mais où sont passé les associations ?

Mise en ligne : 1er octobre 2007

Dernière modification : 23 mai 2008

Texte de l'article :

Prisons et VIH : mais où sont passé les associations ?
Lettre au Président de l’association AIDES
Monsieur Bruno SPIRE

Monsieur le Président de l’association AIDES,

Je vous écris cette lettre car, force est de constater, que la qualité de vie des personnes séropositives ou malades du SIDA en prison n’attirent pas tellement, pour ne pas dire « pas du tout  », l’attention, et des associations de lutte contre le SIDA, et de l’Etat : l’Administration Pénitentiaire, dont la mission première (et unique) est la sécurité, la Justice qui applique la privation de liberté en priorité et, enfin, le Gouvernemenet avec sa politique du «  tout carcéral  ». Que cela soit en matière de prévention ou en matière d’information, c’est le néant, l’absence totale. Il faut croire qu’en prison les personnes ne sont plus exposées aux risques (alors que les taux de prévalence sont bien plus élevés qu’à l’extérieur tant pour le VIH que pour le VHC). Il n’y a même pas une affiche de prévention ou d’information accrochée sur les murs de l’UCSA et, lors de la dernière journée mondiale de Lutte contre le SIDA, cela a été toute une histoire pour essayer d’organiser une journée de sensibilisation qui, au final, n’a pas eu lieu. Se sont les infirmières elles-mêmes qui ont mis à disposition, sur une table de l’UCSA, de la documentation, mais toutes les personnes détenues ne s’y rendent pas. N’y-a-t-il pas là un manque à combler ?

Où est passé le temps des associations engagées et militantes qui dénonçaient les situations bafouant la dignité humaine ? Comme on dit tout bas ce que je vais écrire en toutes lettres, « un taulard séropositif ou malade du SIDA qui se trouve en taule et qui lutte seul contre sa maladie, n’est qu’un taulard qui mérite d’être en prison pour ce qu’il a fait comme délit ou comme crime. De sa maladie ? On verra bien quand il aura purgé sa peine.  » Je me permets de rajouter, « s’il a encore cette chance là, de sortir vivant d’ici  ». Je n’ai pas l’habitude de garder ma langue dans ma poche et ce n’est certainement pas aujourd’hui que je vais commencer. Que cela n’en déplaise à certain. Si, si, je les entends déjà ! D’ailleurs, soit dit en passant, je les ai déjà entendu, se souciant de savoir d’abord pourquoi une personne est incarcérée avant de se soucier de son état et de sa condition de détention avant de prendre la décision d’entreprendre une quelconque démarche pour lui rendre visite en prison. N’osez dire le contraire, c’est du vécu en live !

Problème de nutrition, problème de précarité, mauvaise condition de détention, manque d’hygiène, solitude, exclusion (je m’arrête ici, car la liste est bien trop longue), c’est le lot quotidien d’une personne séropositive ou malade du SIDA quand elle se retrouve incarcérée. Pour se donner bonne conscience, des lois en matière d’accès aux soins ont été votées, mais sur le terrain, on est très loin d’ne voir leurs applications. L’accès aux médicaments anti-rétroviraux suffirait-il à mieux vivre sa maladie ? J’en doute. A qui la faute ? Là n’est pas mon propos. Mon propos est de vous faire savoir que cette situation est intolérable et qu’elle doit cesser immédiatement. Chaque jour, je croise des personnes tellement malades, et pas seulement du SIDA, qu’elles ne peuvent même plus se déplacer ou avec de très grandes difficultés, alors qu’elles doivent se rendre tous les jours à l’infirmerie pour y suivre des soins. Peut-on laisser ces personnes lutter seules contre la maladie qui les ronge jour après jour ? Je le répète, l’accès aux soins se limite-t-il à la simple prescription et distribution de médicaments ? Je suis malade du SIDA et constater cette situation me rend encore plus malade de honte et d’incompréhension. Jamais, je n’aurais pu imaginer que l’on puisse nous ignorer nous, laisser tomber, nous oublier, nous négliger, et même, nous mépriser à ce point. Savez-vous que nous existons ?

Quand je suis arrivé à la maison d’arrêt la Santé, le 5 juin 2005, aucune association de lutte contre le SIDA n’y était présente, alors que l’association AIDES y était quand j’en étais parti en 1995. Que s’est-il passé entre temps ? Ce n’est pas faute d’avoir chercher à la savoir, je n’ai pas trouvé la raison de votre absence, de votre abandon.

Malgré le choc carcéral et la raison qui m’a ramené en prison, militant de la lutte contre cette saloperie de virus VIH, depuis plus de 12 ans (je suis un des rescapés de la première vague de personnes contaminées en 1983), je me mets illico en action et j’écris à AIDES pour leur demander de rencontrer un bénévole par le biais des parloirs visiteurs. En fait, je réagis surtout à un article paru dans Transversal où je vois un volontaire de AIDES se faire prendre en photo devant la maison d’arrêt de la Santé, faisant ainsi penser que derrière ces hauts murs qui servent de décors, on s’occupe des prisonniers touchés par le virus VIH. Je suis franchement en colère, mais je ne dis rien, préférant agir pour faire avancer les choses plutôt que de les dénoncer de manières stériels et surtout idiotes. Mais là, trop c’est trop ! Depuis 26 mois rien n’a changé à la maison d’arrêt de la Santé. J’ai bien obtenu la visite d’une volontaire de AIDES, qui est venue, en tout et pour tout, 4 fois, mais rien d’autre n’a évolué. Absoluement rien d’autres ! Des réunions hebdomadaires devaient être organisées, mais à cause du « je m’en foutisme » de la part des personnes concernées par ce projet, notamment du SPIP et des membres de AIDES, il est mort dans l’œuf. Que dire ? Comment réagir devant cette indifférence et ce manque de volonté ? N’y-a-t-il pas là de la « non assistance à personne en danger » ? Je vous laisse juge. En ce qui me concerne, c’est bien simple, ma décision est prise et elle est irrévocable : j’ai écrit à ma visiteuse pour lui annoncer que j’entrais en résistance en refusnat déronévanant ses visites tant qu’un travail intelligent et concret ne soit pas mis en place avec, d’une part, les associations de lutte contre le SIDA (je me fiche de savoir lesquelles, plus elles seront présentes, mieux ça sera) et, d’autre part, le SPIP, l’UCSA, le SMPR et l’administration pénitentiaire de la maison de la Santé.

Faut le voir pour le croire ! C’est moi-même qui fournit les revues de prévention spécialisées sur le VIH et les hépatites (dont la vôtre) aux infirmières (avec l’espoir qu’elles prennent la peine et/ou trouvent le temps de les lire) au fur et à mesure que je les reçois, grâce à une amie qui me les envoie. Des promesses m’ont été faites par ma visiteuse, mais elles n’ont pas été tenues :
- envoyer, à chaque parution, toutes les éditions que AIDES fait paraître, dont la revue REMAIDES, (celui que j’ai écrit et que j’ai fait transmettre aux responsables de la revue, il y a maintenant plusieurs mois, n’est jamais paru) ;
- créer une réunion hebdomadaire qui avait pourtant été annoncée par des affiches, en 2005, sur les murs de l’UCSA, mais elles n’ont jamais vu le jour. Prétexte avancé : le responsable des intervenants extérieurs du SPIP fait preuve de mauvaise volonté.

Je vous le dis, je reste poli et je le répète, je ne souhaite lancer la pierre à personne, car par-dessus tout je souhaite faire évoluer cette situation, sinon, je vous dirais très franchement « vous nous laisser crever tout seul en toute bonne indifférence. » J’entends déjà certains responsables d’associations dire « mais si, le VIH en prison est une des nos préoccupations, on écrit des rapports, on dénonce à tout va, on intervient ici et là. » Bref, tout est beau dans le meilleur des mondes ! Mais moi, je vous parle de ce que je vois ici, à la maison d’arrêt de la Santé. Et je vous l’affirme, le confirme, le certifie - conforme, le crie, le hurle haut et fort « ici, à la maison d’arrêt de la Santé, il ne se passe rien, ni en matière de prévention et d’information, ni en matière de soutien et d’amélioration de la qualité de vie des personnes touchées par cette infection et les associations de lutte contre le SIDA, quelles qu’elles soient, n’y sont pas présentes. »

J’ai donc pris cette décision de réfuser les visites (à contre-cœur, car j’en avais et j’en ai encore besoin) qui m’ont été faites par Mme Nathalie Chantriot (je lui ai fait part de ma décision et par écrit et lors de sa dernière visite) tant que cette situation n’aura pas évolué dans le bon sens. Nous devons pouvoir vivre notre maladie dans la dignité et l’égalité par rapport à « l’autre côté du mur  ».

Sur ce, ayant appris votre nomination à la Présidence de l’association AIDES, je vous souhaite bon courage et de réussir dans votre entreprise et votre engagement. Je vous pris de croire, Monsieur le Directeur, en mes salutations les plus respectueuses.

Didier Robert
Maison d’arrêt de La Santé

Copie adressée à l’association Ban Public pour diffusion sur leur site web prison.eu.org au 1/10/07
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