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(2007) Conditions de transfert entre la prison et l’hôpital à Château Thierry

Mise en ligne : 20 janvier 2007

Dernière modification : 18 mai 2008

Texte de l'article :

Courrier adressé, le 10 janvier 2007, au directeur du centre pénitentiaire de Château Thierry

Je suis venu au sein de l’établissement hospitalier de Château Thierry ce mercredi 10 janvier afin de rendre visite à un ami hospitalisé pour quelques jours.
Ce dernier n’étant pas alité, nous nous sommes rendus au rez-de-chaussée et installés en tout début d’après midi à la terrasse de la cafétéria pour y prendre une boisson et discuter un peu...

De nombreuses personnes évoluaient dans ce hall : Des malades, des visiteurs, certaines personnes fumaient à l’extérieur, sous le auvent d’accueil des ambulances et autres véhicules...

C’est alors que notre attention a été attirée par un bruit singulier et peu courant : Celui engendré par la chaîne des fers qu’un jeune détenu, d’allure plutôt frêle, portait aux chevilles et raclant le carrelage du grand hall... Il traversa ainsi ce hall d’accueil entre la porte de l’ascenseur de service situé au fond et la sortie vers le véhicule qui devait le ramener en détention.
Il était encadré par deux agents de police ou de l’Administration Pénitentiaire qui, après une courte halte au bureau d’accueil, sortirent et le firent monter dans un véhicule...

Cet évènement, que j’imagine très courant au sein de cet établissement en raison de sa proximité avec l’établissement pénitentiaire de Château Thierry dont vous assurez la direction, m’a particulièrement choqué, ému et révolté...

J’ai en effet pu observer combien les nombreuses personnes présentes dans ce hall, installées à la cafétéria ou fumant une cigarette à l’extérieur, pouvaient porter leurs regards intrigués sur ce jeune détenu ainsi entravé, en entendant le cliquetis de ses chaînes sur le sol...

Ces divers aspects observés m’amènent à penser que les conditions de transfert ainsi menées entre cet hôpital et la prison, exposées à la vue de tous et de chacun, sont particulièrement stigmatisantes pour cette personne, présentent un caractère avilissant, inhumain et attentatoire à la dignité humaine.

Certes, sans doute serait-il possible de m’objecter que le centre pénitentiaire de Château Thierry, construit en 1850, accueille les fous et les « disciplinaires » et occupe une place singulière en France.
Dans le projet de cet établissement, il est semble-t-il précisé que « le transit par ce dernier est censé favoriser la resocialisation, où à tout le moins la normalisation des détenus, en vue d’une réadaptation à la vie en détention, sinon à la vie sociale. »

Il serait également aisé de me rappeler que les détenus qu’il abrite et dont vous avez la garde sont dangereux pour eux-mêmes et pour autrui et que leur transfert nécessite des mesures de sécurité particulières justifiant qu’ils soient extraits et conduits enchaînés vers cet hôpital...

Je sais toutes ces choses...

Je sais par ailleurs que votre rôle est, en la matière, de prendre toutes mesures de sécurité utiles en tenant compte du degré de dangerosité de chaque détenu, conformément aux dispositions légales en vigueur et que ces dernières relèvent exclusivement de l’appréciation de la direction de l’Administration Pénitentiaire locale ou des chefs d’escortes chargés de ces extractions...

Cependant, ces divers aspects observés m’amènent à vous faire part de ma plus grande réserve sur le traitement infligé en public à ces personnes...

Je pense qu’il serait judicieux de réexaminer les modalités du protocole de ces transferts au sein de cet hôpital, peut-être en lien avec la direction locale de cette dernière, afin de trouver une solution qui puisse mieux et davantage soustraire ou protéger ces détenus de la vue du grand public.

Un autre accès n’est-il pas envisageable au sein de cet hôpital ?

S’agissant de patients plus que de détenus à mes yeux, d’autres moyens de contrainte que ces entraves métalliques ne peuvent-ils, le cas échéant, être adoptés et utilisés sans rien abandonner des impérieuses et indispensables mesures de sécurité devant être mises en œuvre lors de ces déplacements ?
Il existe, me semble-t-il des moyens de contraintes différents et utilisés en milieu médical...

J’ai, depuis quelques semaines, suivi avec une attention toute particulière la conduite des « Etats Généraux de la condition pénitentiaire » tenus sous l’égide de Monsieur Robert Badinter, ancien Garde des sceaux tout comme je porte depuis des années maintenant, un regard attentif et citoyen sur le système carcéral français et sur ses nécessaires évolutions.
Le relevé de conclusions de ces Etats Généraux, rendu public il y a peu, témoigne également et s’il en était besoin, des conditions de traitement souvent inhumaines et intolérables imposées aux détenus malades et dont j’ai été aujourd’hui encore le témoin bien involontaire dans le hall d’entrée de cet hôpital...

Je suis particulièrement attaché à la défense des droits de l’homme. Il ne m’appartient pas de juger les personnes détenues et il m’importe assez peu de connaître les raisons de leur incarcération ni même la gravité des faits qu’ils ont pu commettre dès lors que la dignité humaine est en cause...

Je pense que la sécurité rendue nécessaire doit pouvoir se réaliser dans le strict respect des droits de l’homme. Il n’y a rien d’inconciliable avec un peu de volonté.

Le slogan utilisé par votre administration lors de ses campagnes télévisées de recrutement de personnel est : « La prison change, changez là avec nous ! »...
Je pense en effet que bien des aspects de la condition pénitentiaire sont à changer, à faire évoluer et, ce faisant, c’est un peu de la condition humaine qui sera changée...

Je sais que votre tâche n’est pas des plus simples dans ce cadre si particulier au regard des éléments succincts de lecture que j’ai pu faire à propos de votre établissement et cité dans le livre récent de Catherine Herszberg dont le titre est « Fresnes, histoire de fous » ...

J’ai adressé à Monsieur le Directeur du centre hospitalier de Château Thierry un courrier pour lui relater ces divers aspects observés et lui faire part de mon émotion devant les conditions publiques de ces transferts de détenus.

Je vais également saisir Monsieur le Député Jacques Desallangre, élu de la 4ème circonscription de l’Aisne, de ces observations.

J’espère toutefois que mon propos saura retenir toute votre attention afin que puisse s’engager une concertation utile sur les modalités de ces transferts vers cet hôpital afin de permettre une meilleure prise en compte de la dignité de ces personnes, de la dignité humaine tout simplement.

F.L.