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(2006) Saisine n°2006-127 sur le comportement de surveillants de Liancourt

Mise en ligne : 8 mai 2007

Texte de l'article :

Saisine n°2006-127

AVIS et RECOMMANDATIONS
de la Commission nationale de déontologie de la sécurité

à la suite de sa saisine, le 27 novembre 2006,
par Mme Nicole BORVO, sénatrice de Paris

La Commission nationale de déontologie de la sécurité a été saisie, le 27 novembre 2006, par Nicole BORVO, sénatrice de Paris, des violences commises par deux surveillants à l’encontre de M. D.S. au centre pénitentiaire de Liancourt, le 7 novembre 2006, qui avaient été mis en examen.
Il a été porté à la connaissance de la Commission que des agents de l’établissement avaient aussi empêché l’extraction du détenu le 23 novembre 2006, qui, ce jour-là, devait être entendu par le tribunal correctionnel de Beauvais, dans l’affaire de violences commises à son encontre, et pour lesquelles les premiers surveillants B.C. et M.C. avaient été placés sous contrôle judiciaire.
La Commission, qui se trouvait le 28 et 29 novembre 2006, au centre pénitentiaire de Liancourt pour quatre plaintes dont elle avait été saisie concernant cet établissement, a recueilli le 28 novembre le témoignage de M. D.S., qui était encore présent dans la prison.
Elle n’a pas estimé opportun d’entendre dans le cadre du dossier de M. D. S. , étant donné sa comparution imminente devant la Justice, le premier surveillant B.C., entendu par la Commission le 28 novembre sur deux autres dossiers de violences (2006-53,2006-89).

LES FAITS
Agé de 21 ans, français d’origine sénégalaise, le jeune D.S. est arrivé à Liancourt le 6 mars 2006, transféré d’un autre établissement. Il est libérable en mars 2007.
Il relate avoir eu des problèmes avec les surveillants dès son arrivée à Liancourt. Un premier incident a eu lieu dès le deuxième jour, où, sortant de sa cellule pour la promenade, les mains dans les poches, le surveillant avait voulu le fouiller puis l’avait repoussé dans la cellule, le privant de promenade sans explication. Alors que tous les détenus étaient sortis, sept à huit surveillants étaient alors arrivés avec le premier surveillant B.C. Ils étaient entrés dans sa cellule sans un mot, l’avaient attrapé, lui avaient tordu les bras. M. B.C. l’avait giflé. Amené au sol, et les bras à nouveau tordus « fort » lors de son menottage, il avait été ensuite redressé. Le premier surveillant B. C. lui avait donné aussitôt un coup de poing. Puis il avait été conduit au QD, les menottes tirées sur ses poignets pour lui faire mal, selon lui.

M. D.S. a exposé que « ces pratiques » étaient le fait d’une minorité de surveillants : « Il y en a qui se conduisent correctement, qui nous parlent ». M. D.S. dit être resté 15 jours au QD, car le premier surveillant B.C. avait raconté qu’il l’avait insulté, avait essayé de lui donner un coup de poing que M. B.C avait dû parer.

Quelque jours avant le 7 novembre, il relate que, se trouvant dans la cour en promenade avec d’autres détenus, un surveillant, qui s’était baissé pour ramasser un projectile venant de l’extérieur de l’établissement, s’était fait cracher dessus par un détenu. « Je me trouvais loin de ce surveillant.Il a décidé que c’était moi. Je pense qu’il m’a choisi parce que j’étais le plus petit », a exposé M. D.S. Après cet incident, chaque fois qu’il le croisait, ce surveillant menaçait de se venger.
Transféré au rez-de-chaussée, M. D.S. a retrouvé ce surveillant qui y était affecté. Le 4 novembre, au moment de la promenade, ce surveillant lui a dit : « Tu n’es pas prêt », et a claqué la porte. M. D.S. dit avoir interposé son pied. Le surveillant a alors déclenché l’alarme, et de nombreux surveillants sont arrivés. Ils sont entrés dans la cellule et l’ont frappé. Un gradé était présent. M. D.S. a tenu à préciser que ces surveillants ne sont pas ceux qui l’ont agressé trois jours plus tard. Il y avait le surveillant de l’incident de la cour. M. D.S. explique qu’un détenu qui avait assisté à ces violences a demandé à témoigner. Comme les détenus, informés des faits, refusaient en protestation de réintégrer leur cellule, un gradé, M. Z., avait recueilli ce témoignage. M. D.S. a été à nouveau conduit au QD, où il dit avoir fait « une fausse tentative de suicide » : « C’est le seul moyen de les faire réagir, je ne voulais pas vraiment mourir », a exposé M. D.S. Il a été ensuite placé au quartier « arrivant ».

Le 7 novembre, M. D.S. est passé devant la commission de discipline, qui était présidée ce jour-là par l’une des directrices adjointes, au motif qu’il avait agressé un surveillant. La directrice adjointe et son avocat ont fait valoir l’absence de preuves, selon lui. Mais M. D.S. dit avoir compris que le fait que l’alarme API avait été actionnée a été considéré lors de cette commission de discipline comme un indicatif de gravité des faits. M. D.S. a été sanctionné de 30 jours de confinement dans sa cellule.
A la sortie de la commission de discipline, le premier surveillant B.C. a demandé à un gradé et à un agent de le conduire à sa cellule. Sur place, M. D.S. a constaté qu’il n’avait pas ses affaires, pas son paquetage, pas
d’eau chaude, pas d’électricité. Ce gradé lui a dit : « On va te faire la misère. Tu as frappé un collègue, tu vas rester en chien ! ». M. D.S. a exposé : « Rester en chien, ça veut dire à Liancourt rester sans rien, sans cantine ». Il a expliqué qu’il n’avait pas connu ça dans la prison où il était avant Liancourt. Désemparé, il a alors dit aux surveillants qu’il se plaindrait au « bricard ». Les surveillants ont refermé la porte. M. D.S. a commencé à crier, l’interphone ne fonctionnant pas. Il raconte que cinq minutes après, les surveillants sont revenus avec le premier surveillant B.C. et un autre « bricard ». M. D.S. leur a dit qu’il voulait voir la directrice adjointe. Le deuxième « bricard » l’a giflé. M. D.S. a été poussé contre le lit. Les deux « bricards » essayaient de le frapper ; les deux autres surveillants sont restés à distance, ne lui ont pas porté de coups.

M D.S. a porté à la connaissance de la Commission qu’un surveillant avait témoigné de ce qu’il avait vu. « Il a pris beaucoup de risques », a relevé M. D.S. avec émotion.
Il relate enfin qu’« un « bricard », noir, qui n’est pas M. Z. », l’avait placé au quartier « arrivant », hors de la maison d’arrêt, « pour [le] protéger », selon le jeune détenu. Il indique qu’un médecin avait constaté un hématome sur sa joue et lui avait dit qu’il n’y avait pas de traces. « Je suis noir, j’ai la peau qui ne marque pas vraiment », a conclu M. D.S.

Lors de l’audition du Dr D. dans les autres dossiers examinés par la Commission, celui-ci avait évoqué la situation de M. D.S. et déclaré notamment : « C’est moi qui ai rédigé le certificat médical constatant son état le lendemain des faits. Les surveillants n’ont pas appelé le médecin d’astreinte, comme ils auraient dû, le jour même ».

AVIS
La Commission, qui a entendu le premier surveillant B.C. le 28 novembre dans le cadre des dossiers 2006-53 et 2006-89, n’a pas estimé opportun de procéder ce jour-là à son audition concernant M. D.S., ni d’entendre le premier surveillant M.C., les deux surveillants étant appelés à comparaître le 14 décembre 2006 devant le tribunal correctionnel.
Elle estime extrêmement grave que des agents d’un service public, professionnels de la sécurité, aient pu faire obstruction à la sortie de M. D. S., détenu, victime, qui était convoqué par la justice.
Elle prend acte du jugement du 14 décembre 2006 qui a condamné MM. B. C. et M.C. à quatre mois de prison avec sursis.

RECOMMANDATIONS
Au vu du manquement manifeste à la déontologie révélé par les faits dont M. D.S. a été victime, par ailleurs pris en compte par la justice, la Commission demande la saisine des instances disciplinaires pour les premiers surveillants M.C. et B.C.
Il appartiendra à l’administration pénitentiaire d’examiner le rôle et la responsabilité de ces deux personnels dans les autres dossiers et, de façon plus générale, leur implication dans les dérives constatées depuis l’ouverture du « nouveau centre de Liancourt » où, selon M. H., le directeur de la maison d’arrêt et des quartiers disciplinaires et d’isolement, il avait été amené à déléguer ses compétences à ces deux premiers surveillants. La Commission a notamment constaté la grande partialité des comptes-rendus professionnels à l’origine des procédures disciplinaires montées à l’encontre de détenus, qui, par ailleurs, étaient connus pour leur vulnérabilité.

La Commission demande au garde des Sceaux de veiller à ce que l’administration pénitentiaire prenne toutes les mesures adéquates pour assurer la sécurité des détenus qui ont été appelés à témoigner dans cette
affaire.

Adopté le 15 janvier 2007

Conformément à l’article 7 de la loi du 6 juin 2000, la Commission a adressé son avis à M. Pascal Clément, ministre de la Justice, garde des Sceaux.