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Date : 11-09-2006

(2006) Saisie du Président de la CEDH par Jack Lang

Mise en ligne : 12 septembre 2006

Texte de l'article :

de Jack Lang

à Monsieur Luzius WILDHABER
Président de la Cour européenne des Droits de l’Homme
Conseil de l’Europe
67075 Strasbourg Cedex

Paris, septembre 2006

Réf. : Requête N° 43580/04 du 26 février 2005
 Affaire : HAKKAR c/ FRANCE

Objet : Traitement prioritaire de la requête et prise de mesures urgentes

Monsieur le Président,

J’ai l’honneur de revenir à nouveau vers vous dans cette triste affaire HAKKAR qui, après 22 années, n’en finit pas, les autorités judiciaires françaises ayant manifestement décidé d’en faire une affaire pas comme les autre et jouent le pourrissement.

En fait, j’ai souhaité vous sensibiliser à ce malheureux cas dans le cadre de la requête visée ci-dessus en référence que Monsieur HAKKAR a été amené à devoir à nouveau introduire devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, en février 2005, consécutivement à son « procès en révision », dit de « réexamen », du 14 janvier 2005 qui a eu lieu devant la Cour d’assises des Yvelines.

Dans le courrier que vous m’aviez adressé courant 2004 en réponse au mien, vous m’indiquiez en substance que si Monsieur HAKKAR s’estimait victime de nouvelles violations de la Convention qu’il avait toujours la possibilité de les soumettre ultérieurement à la Cour européenne des Droits de l’Homme à l’appui d’une nouvelle requête. C’est ce que celui-ci s’est vu contraint de faire en février 2005 à la suite des nouvelles et graves violations délibérément commises à son encontre.

Pour l’essentiel, ces violations furent reprises et développées à l’appui d’un mémoire additionnel déposé en juin dernier devant votre Cour par son Avocate à la Cour de cassation, Maître Claire WAQUET, après que celle-ci ait assuré quelques mois plus tôt sa défense devant la Cour de cassation dans le cadre du pourvoi que Monsieur HAKKAR avait exercé contre l’arrêt de la Cour d’assises des Yvelines du 14 janvier 2005 et qui fut finalement rejeté le 7 décembre 2005.

Ainsi, pour s’accommoder des principes de droit les plus fondamentaux tels que sont les principes de non rétroactivité des lois nouvelles plus sévères et de rétroactivité des lois plus douces mais aussi de la règle selon laquelle il est prohibé d’aggraver le sort du justiciable demandeur en révision, la Cour de cassation a conclu que le fait que Monsieur HAKKAR ait vu aggraver à posteriori, le 14/01/2005, à la faveur de la nouvelle procédure de réexamen, les incriminations pour lesquelles il avait été définitivement condamné le 08/12/1989 et conséquemment la peine encourue, n’emporte aucune censure car selon elle : « aucune disposition légale ou conventionnelle n’interdit(...) d’aggraver le sort de l’accusé lors du réexamen d’une décision pénale, la cour d’assises de renvoi disposant, comme au cas de renvoi après cassation, de la plénitude de juridiction pour juger à nouveau l’accusé » !!!
Mais un tel raisonnement est d’autant proprement scandaleux qu’il dévoie totalement l’esprit et la lettre du texte préliminaire instituant cette nouvelle procédure de réexamen sous le chapitre très précisément intitulé « Du réexamen d’une décision pénale consécutif au prononcé d’un arrêt de la Cour Européenne des droits de l’homme ».

C’est qu’en effet, l’article 626-1 du Code de procédure pénale est libellé comme suit : « Le réexamen d’une décision pénale définitive peut être demandé (...) au bénéfice de toute personne reconnue coupable d’une infraction » lorsqu’il résulte d’un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme que la condamnation a été prononcée en violation des dispositions de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou de ses protocoles additionnels, dès lors que, par sa nature et sa gravité, la violation constatée entraîne pour le condamné des conséquences dommageables auxquelles la « satisfaction équitable allouée sur le fondement de l’article 41 de la convention ne pourrait mettre un terme ».

Il est inadmissible qu’un Etat membre à la Convention Européenne des Droits de l’Homme et de Sauvegarde des Libertés fondamentales, et non des moindres puisqu’il s’agit de la France, puisse s’autoriser, à la faveur de sa propre condamnation et sous couvert de « mettre un terme aux graves violations constatées de la Convention » commises par ses propres juges à l’égard d’un justiciable-victime, à pervertir un pareil texte qui avait été justement institué en vue de remédier au cas de Monsieur HAKKAR, à son « bénéfice », et non en aucun cas à « aggraver son sort  » comme a pu en décider la Cour de cassation dans son arrêt précité du 7 décembre 2005.

Si du point de vue de la morale, cette décision de la Cour de cassation est tout simplement intolérable en même temps qu’elle constitue une menace à l’adresse de toutes les futures victimes de violations, il reste que « les conséquences dommageables » pour Monsieur HAKKAR sont insupportables.

Rappelons qu’avant même le réexamen de son affaire, celui-ci pouvait, en fonction de l’ensemble de sa situation pénale telle qu’elle prévalait alors avant le 30/11/2000, prétendre à une libération conditionnelle à l’expiration d’une période d’emprisonnement de 18 ans correspondant à la peine de sûreté assortissant sa peine perpétuelle du 08/12/1989, soit à compter du 02 septembre 2002, c’est-à-dire il y a près de 4 années déjà, Monsieur HAKKAR étant détenu depuis le 02/09/1984.

En fait, cette mesure de sûreté a expiré deux années plus tôt, soit le 02 septembre 2000, au sens où dans son arrêt du 14/01/2005 la Cour d’assises des Yvelines l’a d’elle-même réduit en la portant à 16 années, on ne sait pour quelle raison puisque cette réduction n’a pas eu le moindre effet pratique !?

A ce titre déjà, grâce à la « procédure de réexamen » qui autorise au mépris du principe de non bis in idem qu’on juge et inflige une seconde peine pour les mêmes faits à une même personne sans qu’on ait auparavant annulé la précédente décision pénale jugée irrégulière et qu’on ait véritablement rétabli l’intéressé dans la restitutio in intégrum et son droit à la présomption d’innocence, Monsieur HAKKAR qui avait un droit acquis, celui de postuler au bénéfice d’une libération conditionnelle à compter sinon du 02/09/2000, du 02/09/2002, s’est vu nier ce droit par les autorités françaises.

Mais, encore plus grave : C’est que depuis l’entrée en vigueur du Nouveau Code pénal du 1er mars 1994, Monsieur HAKKAR n’encourait plus aussi bien de peine perpétuelle en fonction des incriminations pour lesquelles il avait été définitivement condamné le 08/12/1989 (cette condamnation conservant de surcroît au jour du réexamen de son affaire, le 14/01/2005, l’autorité de la chose jugée), mais seulement le maximum de la réclusion à temps prévu à l’article 18 ancien du Code pénal applicable à l’époque des faits, soit 20 ans, la nouvelle peine de 30 ans portée à l’article 221-1 du Nouveau Code pénal n’existant pas auparavant. 

La réalité est odieuse : pour priver Monsieur HAKKAR de sa liberté on a délibérément usé d’un artifice aussi illégal que criminel, celui qui a consisté à lui appliquer rétroactivement une nouvelle « circonstance aggravante », en l’occurrence celle de la « concomitance » en sorte de s’autoriser ainsi de faire passer la peine de réclusion à temps encourue directement à celle de la perpétuité. Cette pratique risque de constituer un très fâcheux précédent à même de mettre à néant la Convention Européenne des Droits de l’Homme, qui est le ciment, le socle sur lequel se fonde notre Europe qui ne saurait souffrir de pareilles dérives en ces heures troublées.

Dès lors, on ne voit pas comment la Cour Européenne des Droits de l’Homme, dernier rempart face aux abus des Etats, ne pourrait pas la condamner sans la moindre équivoque.

Il est certain que si les juges français n’avaient pas utilisé ce stratagème honteux qui a eu pour effet d’appliquer rétroactivement, en force, et au mépris de tous les principes élémentaires, une « circonstance aggravante » à Monsieur HAKKAR que celui-ci, qui n’encourait plus qu’une peine de 20 ans au plus, aurait recouvré sa liberté à l’issue même du verdict de la Cour d’Assises des Hauts de Seine statuant en premier ressort, soit dès le 26 février 2003, c’est-à-dire depuis plus de 3 années déjà.

C’est bel et bien pour faire échec à sa libération qu’on a cru pouvoir s’autoriser pareil forfait. Et, l’on peut ici véritablement parler du crime de détention arbitraire. Les violations de la Convention sont si criantes qu’elles s’imposeront de toute évidence à la constatation de la Cour.

Mais, d’ici là, il serait injuste de perpétuer davantage les effets de pareilles violations, qui plus est dans une affaire où la durée de la procédure et de la détention de Monsieur KAKKAR durent depuis maintenant 22 années, et que sa situation découle directement, comme une insulte faite aux organes de la Convention, des décisions de condamnation de la France des 27 juin et 15 décembre 1995 imposant la révision de son procès aux autorités françaises qui, en guise de représailles, le lui font payer et vont jusqu’à lui notifier que la peine prononcée le 14/01/2005 ne commencera à s’exécuter qu’en...2009 !!!

En atteste la page 8/8 de la fiche pénale que je vous joins et que l’Administration lui a délivrée ce 28 juillet 2006. Vous pourrez de plus y constater que figure toujours très paradoxalement sa condamnation du 08/12/1989 alors même que les représentants de l’Etat français n’ont cessé toutes ces dernières années d’affirmer au Comité des Ministres et à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe qu’elle serait « annulée et remplacée » par la nouvelle peine issue du « réexamen » sitôt que cette dernière serait devenue définitive, qualité acquise le 7 décembre 2005, date du rejet du pourvoi.

Parallèlement à son traitement judiciaire, le Ministère de la justice afflige Monsieur HAKKAR, via son administration pénitentiaire, d’un traitement carcéral totalement inhumain au sens où, d’une part, on lui a fait subir un total de 45 transferts et que, d’autre part, on l’a maintenu près de 12 années à l’isolement total, dont 5 années consécutives de juillet 1999 à août 2004 avant que le juge administratif, au visa de l’article 3 de la Convention EDH, ne suspende en urgence puis n’annule son placement à l’isolement au motif qu’il n’était ni fondé en fait, ni en droit.

C’est dans ces conditions, et tandis que Monsieur HAKKAR était éligible au bénéfice de la libération conditionnelle depuis déjà 6 années, soit depuis l’expiration de sa mesure de sûreté de 16 ans arrivée à terme échu le 02/09/2000 et qu’il ne s’était plus par ailleurs rendu responsable de la moindre infraction ou incident depuis juillet 1999, que fut rejeté la demande de libération formée par son Avocate.

Aussi, toutes ces raisons m’inclinent à vous demander de bien vouloir, en premier lieu, prendre toutes initiatives utiles pour que la Cour veuille bien traiter en toute priorité cette affaire.

En second lieu, au sens où l’illégalité de la peine infligée à Monsieur HAKKAR, le 14/01/2005, par la Cour d’assises des Yvelines est manifeste, il importe de prendre des mesures urgentes afin d’amener les autorités françaises à en suspendre immédiatement les effets en l’attente de l’arrêt de la Cour.

Je vous remercie par avance de toute votre attention et des diligences que vous voudrez bien entreprendre dans l’intérêt de cette affaire comme dans l’intérêt général qui commande que cette affaire soit dévolue à la Grande Chambre de la Cour.

Dans l’attente de vous lire à ce sujet, je vous prie de recevoir, Monsieur le Président, l’expression de ma haute et respectueuse considération.

Jack Lang.

Annexes jointes :
- Fiche pénale de Monsieur HAKKAR qui lui a été délivrée le 28/07/2006 ;
- Ordonnance de référé du 19/08/2004 suspendant don isolement ;
- Jugement du Tribunal Administratif de Paris du 12/05/2005 annulant son isolement ;
- Ma lettre adressée au Garde des Sceaux, le 21/03/2006.

Permanence parlementaire :
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