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Non à la Pénalisation de la transmission du VIH

(2006) Pr Willy Rasembaum « La pénalisation de la transmission sexuelle du VIH est inopportune »

Mise en ligne : 22 août 2006

Texte de l'article :

Pr Willy Rasembaum
« La pénalisation de la transmission sexuelle du VIH est inopportune »

lundi 10 juillet 2006.
 
Il est professeur de maladies infectieuses à l’université Pierre et Marie Curie à Paris VI. Willy Rosenbaum, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est également médecin spécialisé en maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Louis en France, et président du Conseil national du Sida (CNS) en France.
Il a créé en 1982 le premier groupe français d’étude sur le Sida, puis a sollicité l’appui de l’Institut Pasteur, afin de rechercher toutes les causes du Sida. Willy Rosenbaum fait partie des signataires du premier article décrivant le virus du Sida en 1983.

C’est une personne très avisée qui peut vous entretenir avec aisance sur les questions du Sida durant des heures et des heures. Ayant séjourné à Ouagadougou dans le cadre de ses activités professionnelles, le professeur Willy Rosenbaum a accepté échanger avec nous sur la question des lois spécifiques qui criminalisent la transmission du VIH.

Quelles sont les raisons de votre séjour au Burkina ?

Pr Willy Rosenbaum : C’est un séjour très spécifique, puisque depuis trois ans, et sous mon chapeau d’enseignant des maladies infectieuses, je suis à l’initiative, avec le Dr Jean-Baptiste en France et aussi surtout le professeur Drabo au Burkina, de la formation d’un diplôme interuniversitaire. Il s’agit d’un diplôme universitaire sur le Sida et l’infection par le VIH reconnu à la fois par les autorités françaises et burkinabè. Nous sommes à la troisième session et non seulement je parraine ce diplôme en tant que président du conseil scientifique, mais je participe aussi à l’enseignement.

Cette année, je suis surtout intervenu sur l’aspect politique, avec l’engagement de la société civile dans la lutte contre cette maladie. Certes, il y a des progrès qui sont faits en médecine. Des gens accèdent aujourd’hui au traitement, mais si on veut passer aux objectifs de l’accès universel au traitement, il faut avancer sur des sujets extrêmement pointus ou spécifiques qui sont la crise des ressources humaines.

C’est une crise qui s’aggrave dans les pays en développement, en partie à cause du Sida, parce que le personnel médical est surexposé à cette maladie. Ensuite, il y a un enjeu majeur qui est celui de la gratuité des soins, parce qu’il s’agit d’une maladie chronique. Aujourd’hui, il faudrait peut-être traiter 10 ou 20 000 personnes au Burkina, mais il est certain que dans dix ans, il faudra en traiter 150 ou 200 000.

Depuis quelque temps, des pays africains, dont le Burkina, ont adopté des lois spécifiques qui criminalisent la transmission du VIH. Quel commentaire en faites-vous ?

C’est une disposition qui tente beaucoup de gouvernants. D’emblée, je dis que c’est une position réductrice qui est à côté de la solution. Dans cette disposition, il y a plusieurs aspects. On note un aspect purement légal, et je ne suis pas parfaitement bien placé pour en parler, parce que je ne connais pas l’ensemble des dispositifs au Burkina. Je ne sais pas non plus quel recours aurait aujourd’hui une personne qui se serait senti lésée par une contamination qui pourrait être volontaire. En France, la question d’une loi spécifique s’est posée. On a pu faire le constat sur le plan de la loi, parce qu’il y avait déjà dans la loi française de quoi faire que si quelqu’un souhaitait porter plainte quand il considère avoir été contaminé volontairement, qu’il puisse déjà recourir. Il n’y avait donc pas besoin de loi spécifique.

La loi spécifique est symbolique de mesures un peu conjuratoires, parce qu’après, il faut en mesurer l’efficacité. Si l’on attend de cette mesure qu’elle diminue la transmission, on se trompe complètement et on va à l’inverse du but recherché. Je ne connais pas la loi burkinabè mais je peux imaginer qu’il y a dans l’arsenal législatif un moyen de porter plainte, lorsqu’on a été contaminé par quelqu’un et qu’on se sent avoir été trompé. Et bien entendu, cette tromperie, comme toute tromperie, mérite éventuellement, si elle est démontrée, d’être punie. Mais je ne suis pas sûr qu’on avait besoin de cette loi. Cela est nocif à mon sens, parce que tout d’un coup, on désigne un acte spécifique qui est la transmission du VIH comme une faute particulière.

Le plus gros problème aujourd’hui auquel on est confronté en France, mais qui est bien pire ici, c’est celui de la stigmatisation des personnes contaminées. Elle a pour conséquence le fait que les gens ne veulent pas se faire dépister, parce qu’ils appréhendent beaucoup plus le risque de la stigmatisation. Bien que le traitement soit plus au moins disponible, les gens refusent de se faire traiter, parce qu’ils ont trop peur qu’on les identifie. De nombreuses personnes préfèrent mourir plutôt qu’on apprenne qu’elles ont une contamination par le VIH. Le moyen d’échapper à cette loi est de ne pas se faire dépister, et si on ne sait pas, on n’est pas condamnable.

Or ce n’est pas ce qu’on recherche en santé publique. L’objectif, c’est que le maximum de personnes puissent se faire dépister, pour être des acteurs de la prévention. Mais pour y parvenir, il faut arriver à dire qu’on est contaminé. Une personne qui se sait contaminée doit tout faire pour ne pas transmettre, mais pour ça, il faut lui en donner les moyens. Et les moyens pour qu’elle soit responsable, c’est que la société ne la rejette et ne la considère pas comme un coupable.

Adopter une telle loi dans un pays comme le Burkina, est-ce, selon vous, opportun ?

Une telle loi est franchement inopportune à un moment où le principal objectif devrait être la lutte contre la stigmatisation, la solidarité vis-à-vis des patients, l’accès universel au traitement et son corollaire qui est de permettre cet accès, en rendant des médicaments gratuits, c’est-à-dire de faire accepter à la société que la santé individuelle est un bien collectif. Cette loi est à contre-courant de ce que l’on souhaite. La maladie, ce n’est pas une faute, même si dans certaines cultures on considère que c’est une punition. C’est juste un virus.

Cette loi est donc inappropriée puisque non seulement cela ne va pas régler le problème, mais en plus, c’est contre-productif ; et cela va à l’encontre de ce qu’on recherche, qui est bien le contraire de stigmatiser les malades. La première chose à faire pour renforcer la prévention, c’est se faire dépister. Mais est-ce que cette loi va favoriser le dépistage ? Non, puisque qu’elle dit que si vous ne savez pas, vous ne serez pas puni ; mais que par contre si vous savez, vous le serez. Le plus simple, ce n’est pas de savoir.

Ensuite, cette loi dit, si vous transmettez, vous serez puni, mais en France, la moitié des couples sérodifférents, comme on le dit, le font en toute conscience. Enfin, elle est inapplicable, puisque comment allez-vous prouver que l’un a été contaminé avant l’autre ? Déjà en France, on a du mal avec toutes les méthodes, à le démontrer, parce qu’il faut avancer la preuve qu’il y a eu un test négatif avant, que l’autre était positif avant, et qui était le premier contaminé.

Par Antoine Battiono

Source : lefaso.net