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(2006) Le CCNE dénonce la condition sanitaire des prisonniers

Mise en ligne : 12 décembre 2006

Texte de l'article :

« La prison est cause de maladie et de mort »

Les mots ne sont pas choisis au hasard : « Il est insupportable qu’un détenu qui serait âgé de 40 ans et souffrirait en pleine nuit d’une douleur thoracique n’ait pas accès à une équipe médicale. Et qu’il meure alors d’un infarctus. » Ou encore, à propos de menottages pendant les consultations médicales avec un détenu : « Ces pratiques constituent incontestablement une humiliation et un traitement inhumain et dégradant. » Et aussi : « La prison est cause de maladie et de mort ; c’est un lieu de régression, de désespoir, de violences exercées sur soi-même et de suicide. » Pour ceux qui en douteraient encore, ces chiffres : « Il y a, en prison, un taux de suicide sept fois plus important que dans la population générale. La moitié des suicides concerne des prévenus, présumés innocents. La deuxième cause de suicide est la prise de mesures d’isolement. » Ce constat, enfin, plus général : « Ce ne sont pas les lois qui sont en cause. Il y a un arsenal législatif tout à fait digne. Ce qui pose problème, c’est la contradiction flagrante avec ce qui se passe dans la réalité. Que penser d’un pays qui fait des lois, mais qui ne les applique pas ? » 

Enième rapport. En rendant public, vendredi, un très long avis sur « la santé et la médecine en prison », le président du Comité consultatif national d’éthique, le professeur Didier Sicard, a souhaité être offensif : « Nous avons voulu ne laisser que peu d’échappatoires à ceux qui le lisent. » Un vrai défi car, depuis quelques années, les rapports se suivent et se ressemblent sur la condition pénitentiaire et le rôle de la médecine en prison. Des rapports tous sévères, mais des conclusions, qui, passé le moment d’émotion dû à leur publication, ne changent pas radicalement la donne. En sera-t-il différemment ? Saisis par l’Observatoire international des prisons en 2005 ­ qui voulait avoir son avis sur la question du menottage des prisonniers lors de consultations médicales ­, les sages du Comité d’éthique ont estimé nécessaire d’élargir leur analyse à toute la santé en prison. Ils ont tenté de décortiquer au plus près la confusion des rôles et des situations.

Comment, par exemple, respecter le secret médical « dans un milieu clos, où tout se sait » ? Peut-on être à la fois le médecin qui envoie un détenu au mitard et le médecin qui soigne ? « L’isolement excessif au mitard, le menottage systématique au lieu de le rendre exceptionnel, la quasi-impossibilité de libération en fin de vie pour un prévenu, mettent à mal la fonction de médecins et d’infirmières, partagés entre leur rôle de soignants et leur appartenance au monde carcéral obsédé par la sécurité. » Didier Sicard ajoute : « La santé, ce n’est pas qu’une question de gènes, c’est le respect d’une personne. » Le Comité d’éthique pointe le paradoxe initial : « La population carcérale est beaucoup plus fragile que le reste de la population. Et à l’évidence elle est beaucoup moins bien prise en charge. » Illustration : « La prison devient de plus en plus un lieu d’enfermement des malades psychiatriques. » Près de 14 % des détenus sont ainsi atteints de psychose, or, « pour ce genre de malades, la prison est particulièrement contre-indiquée ».

« Devoir d’ingérence ». Dans ses recommandations, le Comité d’éthique propose que le médecin sorte, parfois, de sa neutralité. « Il faut aller vers une véritable reconnaissance par l’administration pénitentiaire du rôle de médiateur et du devoir d’ingérence des soignants dans les domaines de la santé, et plus largement du respect de la dignité de la personne humaine. » Jusqu’à témoigner publiquement des failles ? « Tout à fait », a répondu le président du Comité d’éthique.

Par Eric FAVEREAU
Source : Libératon