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La Vie en prison... vue de "dedans" - Paul Denis

(2006) Blog 34 Où est l’autorité...?

Mise en ligne : 30 octobre 2006

Texte de l'article :

Où est l’autorité...?

1019 Jours de détention... en Centre de détention
Extrait de la correspondance adressée à ma fille, pour lui présenter mes conditions de détention et mon « nouveau » cadre de vie

Quelques réflexions - à méditer :

Il est sûr que, comme dans toute collectivité, il doit y avoir des règles, et celles-ci doivent être respectées « de part et d’autre ». C’est ce « de part et d’autre » qui pose problème, et même si ces règles existent, leur mode d’application, du côté des surveillants, « change » de l’un à l’autre.
Il faut reconnaître que l’excès de zèle en « sévérité » est rare, je dirai même très rare, en ce sens que les plus rigoureux sont ceux qui font respecter les règlements dans leur intégralité, sans zèle, mais aussi sans adaptation...
Deux exemples simples :
. les horaires des promenades sont « fixes ». Certains les respectent, et rouspètent ou refusent (à juste titre) de te faire entrer ou sortir de la promenade si ce n’est pas l’heure fixée. D’autres sont plus cools et ouvrent « à la demande ». Le détenu est-il en droit de « râler » ?... je ne le pense pas, mais il râle...
. autre exemple : le règlement intérieur prévoit que tu dois rester dans ton unité, et par conséquent, que tu n’as rien à faire dans un étage qui n’est pas le tien. Certains surveillants font respecter cette consigne et évitent (refusent) les allers et retours dans leur lieu de surveillance (2 unités) et vers les autres unités. Dans l’étage du dessous (ou dessus), c’est plus cool... ce qui provoque un conflit...
Le détenu est-il en droit de « râler » ?... je ne le pense pas, mais il râle...

Pénétrer dans l’unité, c’est interdit et appliqué, mais devant les unités, il y a une espèce de vestibule dans lequel aboutissent les portes (et grilles).
Et bien, en permanence de 8h à 19h, il y a des gars qui discutent avec d’autres, à travers la grille, qui quémandent du tabac ou autre chose, qui apportent de la nourriture préparée, ailleurs, etc...
En règle générale, je ne trouve pas cela très gênant, même si c’est, parfois, perturbateur, et je pense, en particulier, quand tu es au téléphone (la cabine se trouve dans ce vestibule), le bruit te gêne, tu ne peux pas parler tranquillement. Il est vrai que ladite cabine n’est pas insonorisée, elle n’est abritée que sur 3 côtés...
De plus, tu perds toute confidentialité avec ton correspondant, au bout du fil.
Il peut arriver d’avoir « besoin » d’aller voir un autre détenu. De temps à autre, cela me semble être dans la norme, si ce n’est pas trop longtemps, mais tous les jours, pendant des heures, c’est trop.
Et cela me semble d’autant moins acceptable qu’en Centre de détention, tu peux participer à de nombreuses activités collectives (promenade, sport, bibliothèque, etc...) où tu peux y rencontrer qui tu veux !
Ce qui est quelque peu énervant pour quelqu’un comme moi, un calme, non quémandeur, c’est de constater que les abus sont fréquents, si bien que l’on ne peut pas donner tort au surveillant qui respecte le règlement.
Ce qui me semble nécessaire, serait de faire respecter ce qui doit et peut être respecté sans entrave au besoin de liberté de chacun (de tous), et ceci n’empêcherait pas certaines dérogations quand cela paraît nécessaire.
Le nécessaire ne doit pas devenir l’habitude...
Cela éviterait les excès dans les deux sens.

Ainsi, parfois, sans faire particulièrement de zèle, certains surveillants se croient « dotés » d’un pouvoir qui ne leur appartient pas de prendre.
J’ai en mémoire, le souvenir de deux de mes co-détenus stagiaires qui n’ont pas pu venir en cours parce que le surveillant avait prétendu que ce jour-là, il n’y avait pas cours (absence des formateurs).
Pour l’excuser, il est vrai que le matin, le cours avait été annulé, en raison de l’absence du formateur.
Mais l’après-midi, le cours a eu lieu.
Et malgré les protestations des stagiaires, il n’a rien voulu savoir, alors qu’il aurait été simple, pour lui, et qu’il lui appartenait, par un coup de téléphone de s’assurer de l’affirmation des stagiaires (qui, eux, nous avaient vu passer et ne pas revenir). Non, il voulait faire preuve d’autorité... et ce, au détriment du calme et de la raison.
Ce style de manifestations d’autorité est relativement fréquent, parfois, à juste titre, parfois, à tort. Le bon sens et la raison manquent à certains... L’équité est souvent à la tête du client...

Autre exemple : « la formation » est indépendante de « la détention ».
Tout du moins, elle le voudrait et on nous le fait croire, en ce sens que, à chaque occasion, il nous était rappelé que nos conditions de détention ne doivent pas influencer notre aptitude à participer aux cours, notre ponctualité en ce qui concerne le début des cours, notre humeur, vis-à-vis des autres détenus et des formateurs.
A toute personne sensée, il est bien clair que ce qui était demandé, ne pouvait qu’être un vœu pieux.
Il n’est pas pensable que, en cours, l’on puisse faire « abstraction » de ce qui nous entoure et de ce que nous vivons, hors cours.
Autant est-il compréhensible que les conditions de détention ne puissent pas servir de prétexte à une attitude répréhensible.
Autant est-il humain et acceptable d’accepter que les conditions de détention apportent des circonstances atténuantes à tout acte « mineur » d’incivisme...
Je pense que tu m’as suivi... !
Autre exemple de pression psychologique : à Metz, tu le sais, le seul privilège de la fonction d’écrivain et/ou de bibliothécaire était de pouvoir bénéficier d’une cellule « seul ».
D’ailleurs, c’était si bien ancré dans l’esprit de tous que lorsque le chef m’a proposé le poste d’écrivain, c’est la seule chose qu’il m’a dite : « Il faudra que vous veniez au « grand quartier », et vous serez en cellule « seul ». Nous n’avons parlé ni du travail, ni des horaires, ni de la rémunération... !
Bref, fin 2002, en raison de la surpopulation, c’est du moins le prétexte (raison) qui nous a été donné, il nous a été « imposé » de prendre un co-détenu.
Je t’avouerai que nous avons fait obstruction, prétendant que nous comprenions leur demande, mais que celle-ci, si légitime soit-elle, ne devrait intervenir qu’en dernier ressort, après la mise en double des autres cellules « seul ».
En effet, il y avait, alors, au moins une vingtaine de cellules à un lit.
Nous avons fait intervenir notre responsable, nous avons présenté l’argument de notre souhait (reconnu légitime) d’être, au moins, le soir, au calme (un calme réparateur).
Nous avons mis en avant, la coutume, la tradition du privilège.
Nous avons interpellé le sous-directeur de l’établissement.
Bref, nous avons fait tout ce qui pouvait être fait, en restant correct.
La seule chose que nous ayons obtenue fut le « choix » de notre co-détenu, « ils » ne souhaitaient pas nous imposer un détenu, nous pouvions « choisir » dans toute la prison...
Mais si nous continuions à refuser cette cohabitation, notre avenir était tout tracé : déclassement (suppression de l’emploi) et mise au 5ème étage (étage réputé particulièrement bruyant) et mis à deux, bien-sûr...
Le dialogue était « clos »...
Avions-nous le choix... En nous-mêmes, nous acceptions le fait d’être mis à deux, mais ce qui nous semblait « injuste » était le fait que nous soyons les premiers à « bénéficier » de cette mesure nécessitée (imposée) par la surpopulation croissante...

Pour ma part, j’ai « bénéficié », une autre fois, d’une pression psychologique, tout à fait, gratuite.
En effet, fin septembre 2003, j’ai été convoqué par le chef de détention qu’accompagnait une dame que je ne connaissais pas (mais qui, en fait, était la sous-directrice) pour m’entendre dire que certains (les travailleurs sociaux, le Juge d’application des peines) pensaient que je faisais trop bien mon travail d’écrivain et que je leur faisais de l’ombre. Certains détenus leur ayant fait part qu’en passant par l’écrivain, ils obtenaient plus rapidement et plus sûrement satisfaction... !
Pour moi, c’était un compliment...
Il n’y a, bien-sûr, pas eu de sanction, mais ils tenaient à me le dire, et me demandaient d’être plus « réservé » à l’avenir.
A mon avis, ces remarques étaient, tout à fait, inutiles, je ne pensais pas être sur les plates bandes de qui que ce soit et je leur donnais des noms et des témoignages de travailleurs sociaux, très contents que je sois là, pour les assister dans leurs tâches répétitives...
Si je pense que cette rencontre était, tout à fait, inutile et quelque peu pernicieuse, c’est parce que le lendemain de cette entrevue, ma demande de participation au stage de pâtisserie devait être évoquée en « commission de classement (affectation) ».
Il leur suffisait de m’accepter à ce stage, et la gêne que je provoquais, disparaissait...
Ce propos, je leur ai dit au final de l’entretien, en leur rappelant que le poste avait été créé suite à mon arrivée et que donc, j’avais agi comme je le faisais à Metz, à la satisfaction de tous (détenus, travailleurs sociaux, administration, Justice) et qu’aucune « instruction » particulière ne m’avait été faite.
Par la suite, j’ai appris que mon successeur avait reçu des « instructions » et des « consignes »...
Ci-dessus, je t’ai donné quelques exemples (cas) de pression psychologique, où le rapport « humain » normal de supérieur à subordonné n’existe même plus. C’est en fait, un abus de pouvoir qui est très préjudiciable à l’équilibre du détenu.
Avec de nombreux détenus, dans de nombreux cas, un rapport « normal » pourrait avoir lieu.
Tu auras des exemples, à travers les « portraits » que j’ai décidé de faire. Cela pourra faire l’objet d’un autre livre.
Il est clair qu’une telle « ambiance de vie », voulue ou non, n’est pas faite pour permettre de prévoir dans de bonnes conditions la « réinsertion » (Rappel : la réinsertion est un des objectifs de la « prison »...).

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